•Chapitre 35•
Le lendemain, le ciel se tacha de gris et les orages s'enchaînèrent. Aucun pensionnaires de Hallow n'étaient autorisé à quitter l'enceinte de la bâtisse. La majorité traînait dans les couloirs ou -d'après ce que m'en avait dit Finn- était dans la salle commune. De mon côté, je restai dans ma chambre, silencieuse, allongée à même le parquet inconfortable. Les yeux à demi-clos je récitai (pour la énième fois de la journée) tout ce que je savais de Gideon et d'Eros grâce au dossier.
-Gideon Eros Gray et Eros Gideon Gray sont nés le quatorze février 2000, frères jumeaux.Gideon est mort à quatorze ans, à la suite d'un suicide en compagnie de Cristal Orla. Trouble : sadisme et masochisme à tendance satanique. Eros a été interné quelques jours après la mort de son frère, âgé aujourd'hui de dix-sept ans. Trouble : Trouble dissociatif de l'identité, survenue après la mort brutale de Gideon.
Je me répétai cela plusieurs fois, mais les mots à force que je les répète commençaient à perdre leur sens. Malgré mon apprentissage de la totalité du dossier des frères Gray, je ne les connaissais pas plus. On n'apprenait rien à travers un vulgaire papier tâché d'encre noire.
Je me levis et partit rejoindre ma bibliothèque, dehors l'orage faisait toujours rage. Lorsque le bout de mon index se mit à caresser le dos des ouvrages qui tenaient sur les étages, je pensai fugacement aux roses mortes dans le jardin d'hiver.
Un éclat de tonnerre déchira le ciel autant que cette pensée foudroyait mon cœur. J'en eus presque mal physiquement ; Les roses étaient pour celui que j'avais connu sous le nom de Gideon ce qu'il y avait de plus important à ses yeux, une sorte de raison de vivre. Pourtant elles étaient mortes. Si les roses avaient péris sans qu'il ne les sauve, il y avait peu de chance pour qu'Eros fasse l'effort d'empêcher les pétales de notre amour à peine éclot de se faner .
Mon index rencontra le dos de l'ouvrage de mon père.
Les larmes se frayèrent un passage jusqu'au bord de mes yeux, je les ravalai et me repris sévèrement. Pleurer ne le ferra pas revenir. A travers le filtre de mes larmes je vis pourtant le boitier noir que j'avais laissé près de mes livres il y a de cela plusieurs jours. Je n'avais jamais pris le temps de l'écouter en entière. Em'en saisissant je partis me réinstaller dans mon lit et lançai la cassette.
"Et si tu n'existais pas. Dis-moi pourquoi j'existerais ? Pour traîner dans un monde sans toi Sans espoir et sans regrets." Chantait Joe Dassin d'une voix légèrement déformée par le vieux lecteur cassette. Les paroles me firent penser au rêve que j'avais fait, celui ou j'avais demandé à Eros ce que je ferais s'il n'était pas réel. Il avait juré n'être pas vraiment là, avec moi mais j'aimais imaginer qu'il m'ait mentit pour cette fois...
"Et si tu n'existais pas. J'essaierais d'inventer l'amour. Comme un peintre qui voit sous ses doigts. Naître les couleurs du jour." Alors que je repensais, rêveuse, au doux visage du brun penché sur le mien, la musique se coupa brusquement. D'abord je crus qu'il s'agissait d'un problème dans la machine et m'apprêtai à l'éteindre puis la rallumer, mais lorsque je rapprochai l'objet de mon oreille je saisis des bribes de mots soufflés avec difficulté :
-Moi j'existe. Ne m'abandonne pas, je... Je n'ai pas fini de tomber amoureux.
C'était sa voix. Immédiatement, sans plus y penser je sortis de la pièce et sans prévenir Finn, sans même prendre plus de deux secondes pour y penser je montais en hâte jusqu'à l'étage du dessus. Lorsque je franchis les escaliers au seuil du cinquième étage, je tombais, menton contre le bord d'une des marches. Ne me préoccupant pas du sang qui ruisselait de ma plaie, je montais les marches restantes.
Dix. Six. Je n'étais pas consciente de compter, mais comptais quand même. Trois. Deux. Deux petites marches avant de rejoindre cette porte. Cette porte close presque proche. Cette porte close derrière laquelle il était claquemuré. Eros. Pensais-je, son nom était magnifique soudainement.
-Eros... Chuchotais-je pour moi-même. Savourant, comme je n'avais jamais pris le temps de le faire, la sensation de ces quatre lettres sur mes lèvres. Après ces jours si nombreux emplis de solitude. Après ces mois d'attente et de tristesse. Après fin février, mars et avril. Après ces promesses et ces mensonges que je m'étais racontées. J'allais le retrouver.
Lorsque j'arrivais devant la porte bordée de chaînes, je n'avais qu'une envie : fuir
Et si... Me chuchota une voix sournoise. Et si tout cela n'était qu'une vulgaire hallucination. Et si finalement derrière la porte il n'y avait qu'un vieux canapé et une lampe cassée ? Et si hier n'avait jamais existé ? Et s'il n'y avait rien d'autre qu'une chanson sur cette cassette ?
Je n'avais plus qu'une envie, maintenant : courir dans ma chambre, m'effondrer derrière la porte de bois rouge puis sauter à travers cette vulgaire fenêtre qu'on m'avait changée et enfin rêver d'Eros Gideon Gray. Encore et encore. De me souvenir pour toujours et (peut-être) a jamais de ces moments passées ensembles. De se souvenir de chacun des traits de son visage pour toujours et à jamais. De ne plus vivre avec, car à force, je finirais par les user...
TOQUE ET APRES TU FUIRAS. Me hurla ma conscience si fort que je ne fus plus capable de penser à autre chose.
Frapper à la porte. Frapper à la porte. Frapper à la porte.
Je finis par frapper de mon poing tremblant contre l'objet qui me séparait du brun. Aucune réponse.
Prise d'une colère folle, je tapais plus fort. Usant de mes poings et des mes pieds, hurlant à la mort. Hurlant son nom si fort que les murs en auraient tremblés s'ils avaient pu.
-Alice. Chuchotait sa voix depuis l'autre côté du battant.
Pour ces longs jours sans belles nuits.Pour ces certitudes que je n'avais pas. Pour ces espoirs morts que je ne pensais pas récusables. Et enfin, pour mon cœur en miette, j'explosai en sanglots sous les yeux froids des chaînes et cadenas qui barraient cette foutue porte qui restait close.
-Eros... L'appelais-je faiblement, le fronts collé au métal froid qui se mettait entre lui et moi. Après cinq minutes à sangloter, je finis par me reprendre. Séchant mes larmes d'un geste brusque, je m'éloignai en faisant attention au moindre bruit.
Priant pour que le cœur d'Eros lui dicte de sortir, et qu'il lui obéisse.
Je brûlais d'impatience derrière sa porte. J'étais là depuis au moins une heure et il ne sortait toujours pas, poussant à bouts mes nerfs et ma patience. Je voulais le voir, l'enlacer, l'embrasser. Le haïr autant que je l'aimais. Lui en vouloir autant que je m'en voulais de ne pas avoir compris plus tôt. Je voulais voir ses yeux d'argents qui m'avaient tant manqué. Enlacer mes doigts aux siens si froids. Je voulais qu'il soit tout et rien à la fois Je voulais qu'il soit là autant qu'ailleurs. Sans que je ne m'en rende compte les larmes coulèrent de nouveau et se mélangèrent au sang à moitié sec qui me perlait sur le visage.
J'entendis (enfin) un bruit derrière la porte. Puis la poignet se tourna et il apparut dans l'encadrement Habillé d'une chemise blanche mal attachée qui dévoilait toute la blancheur de son cou et d'un pantalon tout froissé, il était beau comme au premier jour. Même plus qu'au premier jour et ce malgré, ses yeux cernés, rouges et bouffis, ses joues rougies, sûrement par les pleurs- et sa bouche qui formait un petite sourire triste qui me fit tanguer tant il était magnifique.
-Katherine. Souffla-t-il d'une voix incrédule en ouvrant grand les yeux comme pour être sûr qu'il n'était pas en plein rêve.
-Je suis là. Répondis-Je de la même manière en l'approchant doucement comme pour ne pas l'effrayer.
-Tu es revenue. Souffla-t-il, d'une voix enrouée.
-Nous, ne nous quitterons plus Eros. Tentais-je de le rassurer alors que je le voyais trembler de tous ses membres.
-Comment... Le brun ne termina pas sa phrase et s'écroula à genoux au sol. Deux traînées de larmes silencieuses s'écoulaient sur ses joues creuses et opalines. Je me précipitai vers lui et le serrai dans mes bras. Je le serrai le plus fort possible contre mon cœur. Tentant de l'empêcher de s'éparpiller en millions de petits morceaux. Des sanglots longs et douloureux secouaient ses épaules. Mes propres larmes glissèrent sur mes joues sans que je n'arrive à plus les contenir.
Il était là. Vraiment là, entre mes bras que je serais autour de lui au point de m'en faire mal
Je l'aimais Je l'aimais d'amour et il était là.
Une joie sans nom s'empara de mon être et je souris tandis que mes larmes continuaient de luire sur mon visage avant de sécher.
Les pleurs d'Eros mirent bien plus longtemps à se calmer. Il semblait enfin lâcher prise sur ses malheurs que j'avais appris si tard. Dehors, l'orage continuait de sévir, je me rappelai alors qu'il m'avait demandé de revenir aujourd'hui, comme s'il savait qu'il allait craquer ce jour-là. Ce seul jour depuis plusieurs mois ou il n'y avait pas de soleil. Il ne m'avait jamais montré sa tristesse ou son mal-être avant -que ce soit la nuit ou le jour. C'était comme s'il avait peur de montrer aux astres à quel point il souffrait. Mais l'orage, le tonnerre, semblait être des temps qui lui permettait de s'ouvrir. Si tel était le cas, je voulais bien être semblable à l'orage, quoi que cela impliquait. Je voulais bien prendre un peu de sa douleur pour la porter avec la mienne, prendre ses angoisses, et ses plus terribles craintes. Je voulais veiller sur lui puisqu'il avait trop honte d'être veillé par les astres. Longtemps, je le gardais serrer contre mon cœur, pour le conserver entier, lui servir de canne émotionnelle jusqu'à ce qu'il puisse sourire de lui-même, jusqu'à ce que ses pleurs se calment.
Une heure s'écoula, peut-être plus. Le tonnerre commençait à se taireet personne ne vient nous déranger. Eros m'avait invitée dans sa chambre dont -d'un commun accord- nous avions laissé la porte grande ouverte. Allongée sur son lit, nos corps entremêlés nous ne disions rien, se contentant de savourer le silence et la présence de l'autre confirmé par les battements de cœur et les souffles encore un peu saccadés. Plusieurs fois, je voulus dire quelques chose, mais me retiens de peur que nous glissâmes encore vers une nouvelle crise de larmes.
Je tentais un nouveau regard vers son visage sculptural et dût me morde les lèvres (très) fort pour ne pas lui faire part de mes pensées inquiètes. Son visage était lisse, si lisse et pâle qu'il ressemblait à celui d'un cadavre. J'avais l'impression d'avoir perdu mon amoureux.
Ou est là flamme ton regard d'argent Eros ? Ou est ton sourire dont je suis tombée amoureuse ? J'ai si peur de t'avoir perdu Eros. J'ai si peur que ton frère t'ait retiré à moi et que jamais je ne puisse te retrouver...
Comme s'il avait lu dans mes pensées, Le brun me serra un peu plus contre lui et planta un tendre baiser sur mon front. Je laissai mes doigts glisser sur sa joue et y sentis les courbes d'une barbe naissante. Je voulus lui dire, tout lui dire. Pour qu'il comprenne à quel point j'avais eu peur de ne plus jamais le voir. Pour qu'il sache que je l'aimais. Ne me laissant pas le temps de simplement formuler une pensée cohérente, il m'embrassa, plus profondément, laissant sur mes lèvres la trace mentholée de son passage. Il y avait dans ce baiser toutes les paroles que nous n'avions pas prononcées. Il y avait dans ce baiser les traces de toutes les blessures que nous allions devoir penser. Ce baiser était plus significatif que tous les mots du monde, que toutes les peintures de l'univers. C'était un baiser qui voulait dire oublions la peur, oublions le monde. Aimons-nous jusqu'à en souffrir, aimons-nous jusqu'à en mourir puis renaissons après, plus amoureux que jamais
-Finalement je ne suis peut-être pas si laid.
-Tu ne l'as jamais été. Jamais à mes yeux. Assurais-Je en me blottissant contre lui. Savourant le contact de sa peau sous la mienne, de ses doigts dans mes cheveux et de son odeur qui m'avait tant manqué.
***
Nous passâmes le reste de la journée ensemble. Parfois nous parlâmes, souvent nous restâmes silencieux sans que cela ne devienne lassant. Eros avait un véritable talent pour le silence, avec lui je pouvais me taire sans avoir l'impression de n'avoir rien à dire. L'heure des divers repas passa sans que nous, ne bougeâmes et sans que personne ne vienne. Personne ne nous cherchait car tout le monde devait savoir ou nous étions.
La nuit s'installa bien plus vite que ce à quoi nous, nous attendions. Quand un fondu noir enlaça le monde et que les étoiles s'allumèrent dans le ciel, nous quittâmes le lit pour nous pencher par la fenêtre. Sur le rebord trônait toujours la statue Psyché remmené par le baiser de l'Amour. Je souris en la regardant, nous semblions avoir réécrit la légende de l'amour et de son âme sœur.
-Je ne t'ai pas totalement menti sur mon nom. Dit soudainement le brun. La tête appuyée sur son torse, je sentais les vibrations de sa voix lorsqu'il parlait.
-Je sais bien, Eros Gideon Gray. Il rit et les vibrations se firent plus fortes.
-Ma mère lorsqu'elle a appris être enceinte de jumeaux a tenu à inter-changer nos prénoms, elle trouvait cela drôle et mignon. Si elle avait œuvré à faire de mon frère et moi des entités différentes, peut-être ma famille n'aurait-elle pas connu toutes ces tragédies. Une tristesse sans nom tintait sa voix alors que je ne savais quoi lui répondre. Je me remis à le serrer dans mes bras lorsqu'il reprit d'une voix devenue froide :
-Depuis notre petite enfance, mon frère avait décrété qu'il n'y avait rien pour nous dans ce monde. Je les suivis longtemps dans son raisonnement. Il disait que nous étions condamnés à être seuls, à ne former qu'une entité qui ne connaîtrait rien d'autre qu'elle-même. Gideon disait que nous étions des monstres aux yeux des autres mais qu'un jour cela nous servirait. Lui, le vivait plus que bien, sûrement à cause de ses maladies, mais moi je me sentais... Monstrueux, laid. J'avais l'impression d'être l'un de ces méchants qu'on condamne dans les contes folkloriques. J'avais l'impression d'être une sorte de Dracula. Son choix de monstre me fit sourire, l'époque ou je me sentais blesser par ce surnom donner par Fiona me semblait si lointaine.
-Durant des années, rien n'est venu contredire la thèse de mon frère. Reprit le psychopathe d'un chêne en me souriant, inconscient de ce passé de collégienne qui maintenant me faisait rire.
-J'ai bien sûr rencontré des gens variés, mais aucun d'entre eux n'a eu un réel impact sur moi. Puis, Gideon est entré ici, a rencontré Cristal et m'a abandonné. D'abord pour rester avec elle puis quand il s'est suicidé avec elle. Je sentis que le brun ravalait un sanglot, je lui frictionnai le dos en priant que cela suffise à lui redonner un peu de courage.
-De là, ma vie est devenue instable. Déclara Eros, après avoir pris une grande inspiration. J'avais connu la perte pour la première fois, et c'était l'être le plus important de ma vie. J'ai cru que je ne m'en relèverais jamais car c'était bien plus que ce que j'étais capable de supporter. Le garçon des roses s'arrêta un instant, ses yeux brillaient d'une flamme que je ne lui connaissais pas. Il tenta de reprendre le fil de ses explications, mais dut s'y reprendre à deux fois avant de réussir à dire d'une voix enrouée par l'émotion :
-Et puis, il y a eu toi Alice. Notre rencontre sous le chêne, ce baiser que je t'ai stupidement volé. J'ai failli passer à côté de l'amour, tellement j'avais peur. Mais quelque chose en toi m'a donné envie de plus que de la survie que je connaissais. D'abord il y eu ta curiosité, à tes yeux je ressemblais à une constante énigme. Au début, tu me paraissais si fragile, si triste et abîmée par la vie. Pourtant , tu es bien plus forte que moi. Ton regard est allumé d'une flammes que, aujourd'hui encore, je n'arrive pas à totalement comprendre. C'est peut-être de l'espoir. Ton regard brûle et chaque fois qu'il se pose sur moi il m'incendie et me fait perdre le sommeil. Combien de nuits blanches ais-je passé, combien de rondes ais-je fais dans les couloirs avant de monter faire les cent pas dans ma chambre ! Ce fut soudain et pourtant je trouve que j'ai déjà mis bien trop de temps à comprendre que je t'aime et qu'il n'y a que toi pour moi. Pas une seconde ne passe sans que tu ne m'aides pleinement à vivre, sans que tu me prouves que je n'ai besoin de mon frère pour être fort. Mon amour pour toi, et la réponse que tu lui offres m'ont permis de panser des cicatrices que je pensais ouvertes à jamais. M'ont permis de comprendre que je ne suis pas prédestiné à être laid. Je t'aime Alice. Je le dis clairement, peut-être trop tard, mais je t'aime plus que je ne me pensais capable d'aimer quelqu'un.
Je restai silencieuse un long moment. L'amour d'Eros me faisait l'effet d'un miracle. D'un rêve qu'on aurait réalisé. Sans rajouter un mot à sa longue tirade, mon psychopathe prit ma main et entrelaça ses doigts longs et pâles au miens moites.
-Moi aussi je t'aime Eros.
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