•Chapitre 33•
Les papiers blancs dans les mains, j'observais sans voir les caractères noirs qui remplissaient la première feuille.
-Alors, qu'est-ce que ça dit ? M'interrogea Finn en prenant place à côté de moi sur le lit.
-Je n'en sais rien ? Répondis-je d'une voix robotique. Je n'en sais absolument rien. Comment tu as réussi à les avoir ? Je me plaisais à changer de sujet, histoire de ne pas être obligée d'affronter les réponses que j'avais attendues et espérées.
-Je les ai volés dans la petite salle à la porte noire pendant que tu faisais ta crise. Il n'y a pas à dire c'est la meilleure diversion que ce monde ait connu. Bon trêve de bavardage ! Lecture ! M'encourageait-il. En hochant la tête je lus d'une voix que je voulais sûre d'elle :
-(PROCES ORLA) Cristal Orla, quatorze ans, née le 17 mai 2000, internée à Hallow pour dépression et tentative de suicide. Morte le 25 décembre 2014. Suicide par le feu, chambre 537 avec G.G. Avant que je ne finisse, je me retrouvais penchée en avant à vomir tout ce que j'avais dans l'estomac. Finn retenait mes cheveux pour qu'ils ne me tombent pas sur le visage tandis que je continuais de dégobiller sans penser au sol que j'étais en train de salir. De toute manière j'étais incapable de quitter ma place. Les yeux fermés pour ne pas voir le liquide gluant qui s'échappait de ma bouche, je pensais à ces initiales. G.G. Ça ne pouvait être qu'une chose : Gideon Gray. Mon cœur battait douloureusement dans ma poitrine. Chaque pulsation était semblable à un coup de poignard, pourtant tout cela, Cristal nous l'avait dit. Mais le voir écrit de la main d'un psychiatre rendait la chose plus crédible que lorsqu'elles étaient exprimée par un fantôme qui hantait un hôpital psychiatrique. Finn voulait que nous appelions le psychiatre pour qu'il appelle lui-même un médecin et moi je voulais finir de lire les dossiers qu'il avait subtilisés. Je connaissais celui de Cristal, je voulais connaitre celui de Gideon.
Celui de ce garçon qui avait entraîné une fille dans son suicide. Celui de ce garçon qui était devenu un fantôme. Celui de ce fantôme qui m'avait embrassée. Celui de ce fantôme qui m'avait empêché de me suicider. Celui de ce fantôme qui avait dit tombé amoureux de moi. Celui de ce fantôme qui avait maintenant disparu. Celui de ce fantôme qui j'aimais.
Un nouveau soubresaut de vomi (accompagné de son torrent de larmes) me prit, sous le hoquet dégoûté de mon ami.
-Tout est fini... Chuchotais-je en grimaçant sous l'effet du goût acre que j'avais en bouche.
-Ne dis pas ça Alice. Nous n'avons pas encore tout lu. En disant cela, Finn s'empara des feuilles qui reposaient sur mes genoux et que -par miracle ! - je n'avais pas taché. En m'essuyant d'un revers de la manche, je relevai la tête et l'appuyai contre le mur de ma chambre alors que le blond prenait la lecture d'un nouveau dossier :
Gideon Eros Gray : quatorze ans, né le 14 février 2000, interné à Hallow pour... Il ne termina pas sa phrase, en ouvrant un œil je jetai un regard à son air presque effrayé.
Eros, comme la partition...
-Pourquoi Finn ? Pourquoi Gideon était-il interné ? Pour toute réponse, il tourna son regard vide vers moi. Je lui repris la page blanche et lu par moi-même ce que le psychiatre avait écrit à la main.
"Masochisme et Sadisme à tendance satanique." Les lettres noires devinrent soudainement floues et mes mains se mirent à trembler d'elles-mêmes. La feuille me glissa des mains, Finn eut le réflexe de la récupérer avant qu'elle ne tombe dans la flaque de vomi dont l'odeur commençait à se faire désagréablement remarquer.
-Satan. Le mot glissa de ma bouche sans que je n'y pense. Je suis follement amoureuse d'un fantôme qui est -en plus- un fidèle de Lucifer !
-On a aucune preuve que ce soit lui ! Se récrièrent le faux-Gideon et Finn dans le même cri.
-Si. Avouais-je sous leurs deux regards abasourdis. En évitant soigneusement la trace de vomi, je me penchai par-dessous le sommier et en tira le jean noir que j'avais porté durant mon expédition au cinquième étage. Les yeux de Finn s'agrandirent d'incompréhension lorsque je jetais le vêtement sur le lit, de son côté, mon hallucination affirma que ça ne prouvait rien.
Toujours sous les yeux de mon ami, je tirais la photo brûlée de la poche du pantalon et la lui tendis. Il s'en empara et la porta à ses yeux. Le blond racla la photo du bout des doigts puis se dirigea vers le plateau repas qu'on ne m'avait pas encore récupéré. Mon ami s'empara de ma fourchette, la passa dans sa bouche puis s'attela à racler la couche noirâtre qui recouvrait le cliché. Cinq minutes passèrent puis il souffla sur la photographie et me la tendit. Par-dessus mon épaule, le faux psychopathe du chêne regardait l'image que je tenais entre mes doigts. Son visage au-dessus de la photo donnait vie à un effet miroir troublant. Sur le papier glacé était immortalisé les traits divins du garçon des roses. A côté, Cristal dans sa longue robe blanche tenait Gideon par la taille. Sur le cliché, le jeune brun de quatorze ans abordait un sourire forcé et ses yeux brillaient d'une flamme manipulatrice, obscure, presque monstrueuse.
-Il semblerait que ça soit une preuve. Murmurais-je en ravalant mes sanglots. Finn eut l'intelligence de ne pas me toucher, glissa la photo entre les feuilles blanches puis dit d'une voix morne, presque surprise :
-Il a un frère. Je ne lui répondis rien alors, le blond ajouta : "Un frère jumeau."Piquée dans ma curiosité, je repris les pages et relus celle sur Gideon Gray. En bas de page, il y avait une dernière ligne : frère/sœur : Un frère jumeau, interné. Il n'y avait rien de plus, pas de nom, pas de trouble. Juste cette information. Ce sataniste avait un frère.
-Ce ne font jamais les jumeaux qui font le coup. Plaisantais-je, ma joie de vivre remontrant le bout de son nez.
-Il ne faut jamais dire jamais.
Il reste un espoir. Un fol espoir, mais à Hallow, la folie était presque devenue normale. J'étais intimement convaincue que c'est ce qui marcherait pour retrouver Gideon Gray (peu importe son véritable nom) : plonger dans les abysses de la folie. Et maintenant, je me sentais prête, parce qu'il n'y avait que les fous de quelque chose qui parviennent à leurs fins. Les fous de vivre vivaient à cent à l'heure, les fous d'être sauvés trouvaient leurs sauveurs, les fous d'amour trouvaient l'âme-sœur. Tous cela et tous les autres ne vivaient pas de banalités. Ils brûlaient, brûlaient au point de devenir de véritables feux d'artifices. Gideon était le plus brillant et explosif des feux d'artifices, pour retrouver un garçon tel que lui, il fallait que je cède à mon tour à ma folie. J'étais folle d'amour, folle de vivre, folle tout court.
-Je dois faire quelque chose. Il faut que toi tu descendes et que tu essayes d'entrer dans le bureau du Doc sans te faire remarquer OK ? Demandais-je d'une manière extatique à un Finn qui ne comprenait visiblement rien à mon comportement.
-De... Quoi... Pourquoi ?
-Il faut qu'on trouve quelque chose sur le frère de Gideon.
-Personne ne mettrait son deuxième enfant dans l'établissement ou son premier enfant s'est suicidé. Fit remarquer le blond. Sa remarque était légitime mais il y avait une faille dans son raisonnement.
-Mes parents ont épluché tous les documents trouvables sur cet établissement. Il y a eu deux suicides à Hallow et la famille de Cristal leur a collé un procès, pourtant ils n'en n'ont rien trouvé. Des parents qui poursuivent un hôpital psychiatrique en justice, voudrait avoir une visibilité médiatique, or personne n'a jamais entendu parler de la fin tragique de Cristal Orla en dehors de ses murs. Ça veut donc dire que les parents du Gideon Gray ont étouffé l'affaire du suicide en duo qu'avait lancé leur premier fils. Ce genre de géniteurs -pour éviter le scandale- vont évidement interner leur second fils dans le même hôpital. Donc tu vas dans ce bureau et tu essayes de trouver quelque chose sur le second fils Gray c'est clair ? Finn hocha lentement la tête, il semblait étonné par mon raisonnement réfléchi. Nous, nous levâmes en même temps, mon ami évita de justesse la flaque de vomi, mais malheureusement pour mon Doc Martens, je n'eu pas cette chance. Je sautai presque à pied joint dedans et dût abandonner mes chaussures au milieu de l'entendu jaunâtre.
En chaussettes, je regardai à droite, à gauche puis montai deux à deux les escaliers en métal. En arrivant au dernier étage, je passai rapidement devant la chambre carbonisée dont la porte était ouverte. Je ne m'arrêtai pas et au contraire accélérai la marche.
C'était celle de Gideon Gray. Remarqua ma conscience tandis que j'acquiesçais.
Je toquais contre le battant de la porte recouverte de chêne. C'était la sienne, il n'y avait pas d'autre possibilité, cette fois j'en étais sûre. Un souffle rauque et bruyant me répondit.
-Gideon ! Je sais que tu es là ! Ne fais pas l'idiot et ouvre-moi ! criais-je en cognant de plus en plus fort contre le bois de la porte.
-Inutile de vous mettre en colère Milady. Que puis-je pour vous ? Répondit une voix depuis l'autre côté de battant. Ce n'était pas la voix de Gideon j'en étais sûre, elle était plus rauque, et plus grave que celle du garçon des roses que je connaissais. Un frisson me parcourut désagréablement le corps lorsque je pris le courage de lui demander qui il était.
-Mais Gideon, Milady. A qui ais-je l'honneur ?
-Alice. Répondis-je d'une voix si tremblotante qu'elle transforma mon affirmation en interrogation.
-Alors que me vouliez-vous ? Demandait voix masculine depuis la chambre 666B.
-Je vous demande pardon ? Lui parler était comme parler à un adulte. Un nouveau frisson parcourut mon corps.
- Vous frappez contre ma porte en hurlant mon nom, j'imagine donc que vous avez quelque chose à me dire. Expliqua t-il. Mes mains se mirent à trembler et le faux Gideon apparut à côté de moi. Je pris une grande respiration en regardant son visage magnifique.
Pour mon psychopathe. Pensais-je, puis je répondis au Gideon de derrière la porte, qu'il n'était pas celui que je cherchais. A mon grand étonnement, il partit dans un éclat de rire puis après s'être reprit soupira d'un air agacé :
-Il faut vraiment que Eros arrête d'utiliser mon identité. En tout cas délicieuse mademoiselle Alice, mon frère n'est pas disponible. Repassé demain, peut-être que cette mauviette aura réussit à reprendre le contrôle de sa vie d'ici là... A l'entente du nom « Eros », l'image du dossier puis de la partition de musique me revient en mémoire. Que j'étais stupide ! Eros n'était pas un titre ! C'était le nom du compositeur ! Depuis le premier soir j'avais la réponse à l'énigme qu'était EROS ! Sans plus me faire prier, je quittai le cinquième étage. Alors que j'étais sur le point de dégringoler les escaliers métalliques, je l'entendis hurler mon nom puis l'homme de l'autre côté de la porte, tapa si fort contre le battant que les chaînes de métal en furent ébranlé et tintèrent contre le bois.
En arrivant devant le bureau du psychiatre, je tombais nez à nez avec mon ami qui sortait de la petite salle à la porte noire.
-Il s'appelle Eros. L'informais-je d'une voix bien plus calme que ce dont je me pensais capable.
-Eros. Tu veux dire que c'est le même prénom que l'autre ? S'étonna Finn en arquant un sourcil, comme s'il n'était pas certain de la véracité de mes propos.
-Ce n'est pas la chose la plus étrange avec lui je t'assure. Affirmais-je d'une voix ou perçait ma tristesse. J'étais tellement nostalgique d'une époque pourtant pas si lointaine...
-Le fantôme de Hallow est donc un être vivant. Chuchota mon ami en replongeant dans les cartons bruns qui encombraient la salle à porte noire.
-Il semblerait surtout qu'il ne soit pas si fantomatique ! Je crois qu'il souffre d'un TDI. L'informais-je en repensant douloureusement à ma rencontre avec la seconde personnalité de celui que j'aimais.
-Qu'est-ce que c'est qu'un TDI ? Me demanda Finn, les sourcils froncés sur ses yeux azurs. Je levai les yeux au ciel, comment pouvait-on être internés dans un hôpital psychiatrique et ne pas connaitre les principales maladies psychiatriques.
-C'est un trouble dissociatif de l'identité. Double personnalité si tu préfères. Expliquais-je d'une voix lasse. Pour toute réponse, Finn me regarda, leva les yeux au ciel bougonna un « excusez-nous Madame-je-sais-tout » agacée. Je lui souris d'un air gentil et me mit à lui déballer tout ce que j'avais appris au cinquième étage.
-Tu veux dire que tu as parlé avec la partie de ce type qui se prend pour son frère psychotique, satanique et surtout mort depuis trois ans ! S'étrangla Finn, le visage rouge.
-Oui, Gideon... Enfin Eros quand il n'est pas en crise, doit croire qu'il est un danger pour les autres, ça expliquerait les chaines autour de sa porte, je me demande s'il les enlève quand il va bi...
-Il est dangereux pour les autres Alice ! Ce n'est pas une croyance ! C'est un fait. Me coupa le blond, le visage plus rouge que la dernière fois que j'avais relevé la tête des cartons débordant de dossier de patient atteint de maladie psychiatrique.
-Arrête de fouiller. Il est là. M'indiqua mon ami, en me tapant gentiment l'épaule avec le bout d'un dossier noir. Je le pris à pleine main et tomba sur le visage souriant du garçon des roses. Il était si beau que ça m'en coupa momentanément le souffle.
-Merci. Soufflais-je à Finn qui, une moue triste aux lèvres me regarda d'un air attendri. Je suis désolée Finn, je ne sais pas ce que ça vaut, mais je suis vraiment désolée de t'embarquer dans toute cette histoire...
-Ba... Ne t'inquiète pas ! On ne choisit pas de qui on tombe amoureux... Je sais de quoi je parle. Il voulu ajouter quelque chose mais s'en abstient et dit :
-Aller, va dormir, on n'ira chercher Docteur Jekyll demain ok ?
Je hochai la tête, hésitai à le prendre dans mes bras, mais finis par me contenter d'un sourire et quittai la pièce. Depuis le couloir, je crus l'entendre jurer entre deux sanglots.
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