•Chapitre 30•
En reprenant la route qui menait à ma chambre après être restée jusqu'à dix-neuf heures devant le jardin d'hiver, je croisai Madame Graham qui-en sueur- se tenait à la poignée de son chariot métallique. Dans un premier temps je voulus faire comme si je n'avais rien vu, mais je n'y arrivai pas et partis à sa rencontre :
-Tout va bien Madame ?
-Oh ma petite ! Je suis débordée ! Tellement débordée ! Les repas devraient déjà être distribués mais j'ai tellement mal au dos ! Ma pauvre carcasse n'y survivra pas ! Se plaignit-elle d'une voix enrouée.
-Je comprends... Me contentais-je de répondre, peu concernée en louchant sur les pommes de terre qui attendaient, encore chaudes dans les assiettes. Soudain, l'idée que je puisse la remplacer me parut lumineuse
-Je pourrais peut-être distribuer les repas à votre place ! Proposais-je mine de rien alors que je jubilais déjà à l'idée de retrouver la chambre de Gideon. Après tout, lui aussi devait manger ! La cuisinière sembla hésiter à me confier la tâche des repas, pour la convaincre j'ajoutai que je pourrais ainsi me dégourdir les jambes et me défaire de cet ennui qui se nourrissait de ma créativité.
-Les après-midi et les soirées de Finn sont maintenant consacrées à l'élaboration de la fresque et être seule à ne rien faire n'a jamais été chose facile pour moi ! Avec un sourire attendri, Madame Graham accepta ma proposition et me tendis le chariot métallique.
-Tu toques à une chambre, tu te présentes, tu poses le plateau et tu t'en vas ok ?
-Ok. Acquiesçais-je en prenant en mains le chariot que je commençais déjà à pousser en direction des portes de l'accesseur. "Réservé au personnel " était-il écrit sur une petite feuille blanche qu'on avait scotchée sur le rebord gris de l'ascenseur. L'employée de cuisine arriva en traînant la pâte derrière moi, puis elle passa son badge sur un réceptacle prévu à cet effet. Immédiatement, le petit bouton se cercla de rouge et les portes s'ouvrirent devant nous. Je m'engouffrai à l'intérieur sous le sourire- inutilement- fière de Madame Graham et appuyai sur le bouton noté « 1 » qui sous la pression de mon doigt se cercla de vert. Les portes se refermèrent, la cabine monta jusqu'au premier étage puis s'arrêta dans un bruit sourd.
***
La répétition des gestes à faire avait quelque chose d'étrangement rassurant : Toquer à la porte. Me présenter. Expliquer que Madame Graham ne se sentait pas bien et que je la remplaçais momentanément. Poser le plateau quelques parts dans la chambre. Sortir sans avoir entendu la voix de l'autre.
Les quatre étages se firent très facilement et rapidement et cela malgré le temps d'arrêt que je marquais pour scruter les noms qui étaient inscrits près des portes.
Je vus, des Anna -beaucoup- des Clarisse -qu'on comptait par dizaine- et même un Tristan mais pas de Edward, Gideon Gray. Une fois que je fus arrivée au bout du quatrième étage (et que je me fus rendue compte que je ne connaissais vraiment personne en dehors de Finn et Gideon) je constatai qu'il ne me restait un plateau qui traînait sur le dernier compartiment du chariot. Sans prendre plus la peine de réfléchir je me que je pensais à ma déception de ne pas avoir trouvé Gideon en attendant que les portes métalliques s'ouvrent devant moi, mon regard glissa sur les marches d'un minuscule escalier d'acier qui était coincé entre un tableau naturaliste et l'ascendeur que j'attendais.
Le soi-disant débarras... C'était tellement évident que je me maudissais intérieurement de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le jour de mon arrivée, j'avais vu de grand rideaux blancs se gonfler sous la force du vent qui entrait par la fenêtre ouverte, et puis il y avait cette statue qui trônait sur le rebord. Cela paraissait si évident ! Il n'y avait que Gideon pour habiter un tel endroit, pour réussir à avoir tant de liberté dans un endroit qui prônait la sécurité par les fenêtres clauses. Je repensais à toutes ses nuits ou je m'étais fait réveillée par des bruits venant de l'étage supérieur et je me mis à me demander comment il savait quand me faire sortir de mes songes sombres...
Ne montes pas Alice. M'ordonna ma conscience tandis que je m'engageai sur l'escalier qui grinçait, le plateau dans les mains. Je le tenais si fort que mes doigts m'en faisaient mal.
Le couloir du dernier étage était à l'opposé de tout le reste de l'hôpital. Il était étroit, dépourvu de tout ornement, presque sinistre. Comparé aux autres parties de Hallow qui était composé d'une cinquantaine de chambres habitées, le cinquième avait quarante sept pièces vacantes et seules les trois dernières chambres étaient portes clauses. Prenant mon courage à deux mains je traversai le couloir, lançant des regards effrayés chacune des portes ouvertes. Les chambres étaient toujours les mêmes : Un lit et une commode toutes deux recouverts de draps blancs. La pièce était toujours enfermée dans une pénombre produite par des volets clos. Sans me poser plus de questions je poursuivis mon avancée dans l'étage abandonné et atterrit devant la porte de numéro 537. Je cognai contre le battant, personne ne me répondit alors, je pris la poignet en mains et ouvrit la porte. La pièce me semblait bien plus petite que ma propre chambre, elle sentait le renfermée, illustrant le fait que personne n'habitait plus là depuis bien longtemps. Les murs bleus abordaient pourtant encore des posters et, sur la commode près d'un lit aux draps bleus et blancs il y avait un cadre –couvert de poussière- qui avait été dépossédé de la photo qu'il abritait. Les rideaux se mirent à onduler dans mon dos, craignant de revoir apparaître Cristal ou un autre fantôme je pris mes jambes à mon cou et rejoignis la chambre d'à coté. Le numéro qui avait été attribué à cette pièce était maintenant invisible, totalement recouvert par un autre papier blanc sur lequel était noté : « 666. »
Les poils de mes avants bras se hérissèrent alors que je tentais vainement de me souvenir la signification de ce nombre...
En suivant la même routine que lors de mon passage dans les autres pièces, je toquai et attendis une réponse qui ne vient pas. Alors, d'autorité je me saisis de la poignée et la tournai. Malheureusement, ça ne marcha pas plus et je fus obligée de prendre de l'élan et de forcer la porte avec mon épaule pour accéder à l'intérieur. Encore une fois, il n'y avait personne, une odeur de brûlé me pris au nez jusqu'à m'empêcher de respirer. Un frisson me secoua de nouveau désagréablement le corps tandis que je repensais à la suie sur le bas de la robe blanche de Cristal. Prise de panique, je m'apprêtai à rebrousser chemin, quand, soudainement, mon talon rentra en collision avec un objet qui se brisa dans un bruit de verre. En coinçant habillement le plateau entre mon coude et ma hanche je me penchai pour récupérer l'objet. Je venais de briser un cadre qui contenait encore une photo, je la sortis et l'approcha de mes yeux. Le cliché était presque invisible sous la couche de cramé qui le surplombait mais en grattant du bout de l'ongle je constatai que –miraculeusement- la photo était presque intacte une fois débarrassée de sa couche de résidu noir. Un bruit sourd venant du couloir me fit relever les yeux et mon regard croisa, dans l'obscurité de la chambre, celui de mon reflet depuis un miroir autour duquel un plastique avait fondu. Un cri de terreur m'échappa alors que je quittai la pièce, manquant de perdre mon plateau par la même occasion.
Une fois dans le couloir (maintenant silencieux), je me trouvai bien stupide d'avoir paniqué à cause d'un simple reflet. En convoquant tout le calme que j'avais en stock je me dirigeais donc vers la dernière porte. Le numéro de chambre premier –soit, le 540- était parfaitement visible puisqu'il avait été soigneusement barré, à même le bois de l'encadrement de la porte, l'auteur du trait avait écrit au feutre noir indélébile : « 666B ». La signification du nombre 666, me revient en mémoire avec la brusquerie d'un coup de massue. Le chiffre du diable.
Une goutte de sueur dégoulina le long de mon échine tandis que mon regard glissa le long de la porte, dont l'entrée était fermée par de grosses chaines de métal. Je toquai à la porte, pleine d'hésitation, aucune réponse ne me parvient. J'étais persuadée que c'était la chambre de Gideon. Il ne pouvait être nulle part ailleurs. Mais cette fois je ne pouvais pas forcer la porte, il fallait simplement qu'il consente à m'ouvrir.
-Gideon.C'est moi, Katherine... Dis-je en collant presque ma bouche au bois de la porte. Pour seule réponse me parvient un long cri étouffé digne du plus horrifique des films. Les larmes me montèrent aux yeux, l'idée qu'il souffre, me serrait le cœur. L'idée qu'il se fasse mal (car il n'y avait pas d'autre explication) me donnait l'impression de mourir un peu.
Un cri m'échappa à mon tour et le plateau restant –celui de Gideon- me glissa des mains lorsque je sentis une main m'agripper l'épaule. Madame Graham prit d'abord le temps de me calmer puis me demanda sévèrement ce que je faisais là. Je bégayai une réponse incompréhensible d'où s'échapper l'idée « Il est là dedans ! » tout en désignant avec les gestes d'une hystérique la porte recouverte de chaînes.
-Là ? S'étonnait-elle sans prendre la peine de relever mon « Il ».
C'est un simple dépotoir, ça fait des années que je dis qu'il faut le vider ou quelqu'un va finir par se blesser.
-Mais...
Et les chaines ! ET LE CRI ! Hurlaient à l'unisson toute les voix dans ma tête sans que je n'arrive à les contrôler.
-Tu as dû rêver. Me coupa t-elle sèchement, puis, elle reprit d'une voix plus douce : Tu es affreusement pale, ce n'était peut-être pas une si bonne idée, vient je te raccompagne à ta chambre ma petite. Elle me prit d'autorité le coude et je ne me fis pas prier pour la suivre. Avant que nous descendîmes pour de bon les escaliers métalliques, je lançais un dernier regard vers la porte close et murmurais aussi bas que possible :
- Reviens-moi, par pitié reviens.
-C'est un débarras. Insista la vieille cuisinière tandis que je tremblais dans la cabine d'ascenseur descendante. Je voulais croire qu'il s'agissait d'un débarras mais je n'y arrivais pas. Un nouveau frisson me parcourut le corps quand le cri raisonna de nouveau dans ma boite crânienne.
Dans la poche de mon jean noir, la photo carbonisée que j'avais emportée me brûlait.
***
Je m'étais glissée dans mon lit sans même prendre le temps de me changer. La nuit était tombée et j'avais mangé assez rapidement sous l'œil attentif de Madame Graham qui en avait profité pour me répéter un nombre incalculable de fois que la pièce du haut était un débarras. A ma question « pourquoi des chaines sur un débarras ? » elle avait dit en gloussant d'un rire fictif : « Pour ne pas que des pensionnaires trop curieux se blessent avec toutes les bêtises qui y sont stockés ». C'était un argument qui tenait la route alors je n'avais pas répliqué. Dans mon lit, je me tortillais, sentant le poids de la photo dans ma poche ; une partie de moi voulait s'en débarrasser –de peur de ce qu'on allait y trouver- quand l'autre me supplier de la garder et de l'observer. Pour mettre fin à ce duel intérieur, je laissais mon esprit divaguer sur autre chose en attendant de m'endormir.
J'attendais. Encore.
J'attendais constamment sans savoir ce que j'attendais vraiment, quelque chose ? Ou peut-être quelqu'un.
L'oubli de son visage ? Les réponses à mes nombreuses questions ? Le soulagement ? La déception ? La tristesse ? Ou peut-être simplement son retour...
Était-ce la preuve que j'étais éperdument amoureuse de lui ? Sûrement, puisque je l'attendais. Celui qui n'aimait pas n'attendait jamais. Je me souviens avec douleur des premiers jours qui avaient suivi sa disparition. Je me souviens de ses quelques semaines où j'avais joué à celle qui n'attendait pas. J'avais tenté de ne plus me poster quotidiennement sous le chêne, de ne plus guetter la serre ou encore de ne plus glisser des regards larmoyants au piano. Mais à ce jeu là, je perdais toujours, puisque je finissais par retrouver ma constante attente. Je supposais qu'il s'agissait là du rôle de l'amoureuse transite. Elle était là et elle attendait...
Un coup, frappé à la porte vient me sortir de mon insomnie, aux alentours de vingt et une heure, sautant sur mes pieds je rejoignis en deux sauts le battant que j'ouvris à la volée. Je ne pus retenir un soupir déçu quand je reconnu Finn dans l'entrebâillement de la porte.
-Et non désolé ce n'est que moi. S'excusa ironiquement mon ami qui avait dû lire ma déception sur mes traits.
-Ne le prends pas mal... Tentais-je de me justifier bien que le blond n'y accorda que très peu de crédit. Il me prit la main et nous traversâmes tout deux le couloir jusqu'à l'escalier de bois qui menait au bureau du docteur Molinaro. Alors que nous étions sur la dernière marche, cette histoire de bureau fermé à clef me revient en mémoire et j'en parlai à Finn qui fronça les sourcils et secoua la tête dans un signe négatif. Lorsque nous arrivâmes devant le bureau, le poignet ne montra aucun signe de résistance et nous pûmes entrer facilement. Un sourire fier aux lèvres, le blond partit s'installer dans le fauteuil à roulettes du Doc et me regarda fouiller dans les dossiers arc-en ciel. Sur le haut de la pile il y avait un dossier rose avec le nom de mon ami, un tout petit peu plus bas, mon propre dossier parfaitement rangé dans sa pochette rouge attendait. Je détaillais le moindre des noms qui me tombaient sous les yeux sans trouver celui de Gideon. Finn partit en recherche du coté de la bibliothèque puis il ouvrit la porte peinte en noire et s'engouffra dans la petite pièce. En prenant à mon tour place derrière le bureau j'ouvris le moindre tiroir.
-A quoi il ressemble ton fantôme au juste ? Demandait Finn depuis la pièce du fond.
-Grand, brun, avec des yeux gris. Et ce n'est pas un fantôme !
-Ce n'est peut-être pas un fantôme. Rectifia le blond que j'entendais décrocher quelque chose. Je levai les yeux au ciel et alors que j'allais répliquer, le Docteur Molinaro arriva devant moi, les sourcils froncés et les lèvres serrées. En bref, l'air en colère.
-Je peux savoir ce que tu fais ici Alice ?
-Je... Je...
-Ce n'est pas en me chapardant ton dossier que tu vas partir d'ici plus vite tu sais. D'un geste du menton il désigna la pochette rouge que je tenais. Je la reposai gentiment sur le bureau, me levis et me dirigea vers la porte. Finn était toujours dans la salle à la porte noire mais je comptais sur lui pour s'en sortir sans mon aide.
-Tu n'es pas la première à agir comme cela Alice. Cependant, le dernier à s'être comporté de la sorte et maintenant dans un état lamentable.
-C'est celui qui est dans la chambre 666B ? Un instant, je crus voir le docteur Molinaro blêmir, mais la minute d'après il avait retrouvé son visage impassible. Il me répondit froidement:
-J'ai en effet appris que tu étais montée là haut, la prochaine fois, il faudrait que tu t'en abstiennes ou nous serrons obligés de prendre des mesures.
Je crus m'étouffer avec ma salive lorsque je me rendus compte qu'il tentait de me faire peur.
- Quelles mesures ? Vous allez m'enfermer dans une pièce oubliée ? Me cacher aux yeux du monde comme si j'étais un monstre de conte pour enfant ! Criais-je en sentant que je perdais pied. Du coin de l'œil je vis Finn qui observait la scène depuis l'entrebâillement de la porte noire.
-Alors qui est-ce que vous gardez ? Un psychopathe ? Un serial-killer peut-être, ou un animal ! Est-ce un animal ? Est-ce que c'est Gideon ? Dites-moi que c'est Gideon... Le suppliais-je d'une voix pleines de sanglots. Allez dites-moi ! DITES-LE-MOI ! Hurlais-je d'une voix plus aiguë que la normale. Le doc resta calme alors que je ne me contrôlai plus et que je cognai ou renversai tout ce qui me tombait sous la main. Les cadres valsèrent, les dossiers multicolores s'écrasèrent au sol, les livres dégringolèrent des étages de la bibliothèque tandis que je répétais toujours plus fort « OU EST-IL ! OU EST-IL ?! »
-Alice, je vais venir t'aider à t'asseoir sur ce fauteuil. Tu dois me laisser t'aider... M'indiqua le psychiatre en se levant doucement, les paumes tendues vers moi. J'arrêtai de gesticuler et le laisser s'approcher, les yeux débordants de larmes. Puis quand il fut à un mètre de moi, je me levis dans un sursaut et me remis à crier en me tenant la tête :
-NON ! NON ! Vous allez m'enfermer ! Vous l'avez enfermé lui ! vous aller M'ENFERMER ! Je vis le docteur Molinaro battre en retrait et appuyer sur un bouton du téléphone que je n'avais pas jeté à terre. De mon coté je poursuivis :
-Vous l'avez enfermé... mais moi, moi je peux l'aider ! Réflexion faite j'ouvris la porte et courut avec l'impression de voler. Je montais les marches quatre à quatre histoire d'arriver plus vite possible au cinquième étage. Au détour d'un couloir, j'eus la vision d'un couple se tenant la main. Lui portait une chemise blanche et un pantalon noir –les vêtements habituels de Gideon. Elle, tout habillé de blanc ressemblait à une jeune mariée –de dos elle ressemblait à Cristal. La pression de leurs mains l'une dans l'autre se fit plus forte puis ils disparurent dans une odeur âcre de brûlé.
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