•Chapitre 29•

Mes parents tinrent à me raccompagner jusqu'à l'intérieur et je ne m'y opposai pas. Une fois que nous fûmes arrivés dans le couloir qui menait au bureau du Doc puis vers le hall, ils me sourirent, me prirent dans leurs bras puis repartirent main dans la main. En souriant je les regardai s'éloigner jusqu'à ce qu'ils disparaissent derrière les portes vitrées automatiques. Alors que mon poing allait rentrer en contact avec la porte noire, je remarquai qu'elle était entrouverte. En glissant mon œil dans la fente, je pus voir le Doc penché sur une sorte d'interphone posé sur son bureau dans lequel il déclamait avec ferveur :

-Peu m'importe !

Silence.

- Tu dois sûrement paniquer pour rien.

Nouveau Silence. L'interlocuteur devait répondre.

-Je sais. Je sais. Tu dois te faire des idées. La conversation se termina là puisque le Docteur Molinaro venait de me remarquer, il me fit un signe de la main pour m'encourager à entrer, éteignant son objet de communication sans saluer celui qui était au bout du fil. En m'asseyant, je me mis à imaginer que l'interlocuteur mystère pouvait être Gideon, puis je me rappelais que les pensionnaires n'avaient pas le droit que disposer de matériels permettant la communication. Finalement, j'entrai dans la pièce et m'assis à ma place habituelle. Durant toute la séance, le doc me demanda (évidement) ce qui m'avait poussé à briser une fenêtre et à hésiter à faire le saut de l'ange. Comme je ne trouvai pas de réponse à lui donner, il se lança dans un monologue :

-Personne ne te blâme Alice, nous savons que parfois les émotions sont trop fortes Tu n'es pas la première à avoir des idées sombres, à ne plus supporter ta vie ici. Mais, heureusement tu t'en sors. Je ne saurais retranscrire ce qu'il a dit ensuite, puisque j'avais arrêté d'écouter, me réfugiant dans ma galerie d'image mentale.  Finalement, notre rendez-vous pris fin lorsqu'il prit son stylo et écrivit quelque chose sur une page vierge de mon dossier. Pour répondre à mon regard interrogateur il dit :

-J'ai augmenté ta dose de Diazépam puis j'ai ajouté des antidépresseurs à ta dose de médicament quotidienne. Est-ce que tu dors bien ? Me demanda le psychiatre alors que je tentai de calculer si ce couplage de médicaments ne risquait pas de me tuer par une surdose. J'abandonnai bien vite cette occupation, ce n'était pas avec mes médiocres qualités de mathématicienne que j'allais réussir...

-Non... Répondis-je distraitement tandis qu'il ajoutait sur le champ des somnifères à mon traitement. Mon cœur se serra alors que j'envisageai –sérieusement- de subir une surdose, le Docteur Molinaro dut percevoir ma tension puisqu'il me rassurait en m'assurant que les doses seraient calculées puis revérifiées. Ainsi s'acheva ma séance post tentative de suicide.

***

Durant les deux semaines qui suivirent, j'eus l'impression que tout l'hôpital me surveiller. Mes rendez-vous avec le Doc ressemblaient plus à des interrogatoires qu'à des visites chez un psychiatre. Madame Graham fouillait ma chambre chaque fois qu'elle me déposait un repas et l'équipe médicale venait maintenant deux fois par jour pour vérifier ma tension mais aussi mes scarifications qui (fort heureusement) ne s'étaient pas infectées. Les employés de Hallow n'étaient pas les seuls à venir me voir plus qu'à l'habitude, mes parents venaient tous les trois jours. Elia –que je n'avais pas revu depuis nos adieux de décembre- avait enfin décidé de se présenter devant moi, le visage tiré et la queue piteusement entre les jambes. Elle m'avait supplié de lui pardonner mais c'était presque au dessus de mes forces et je lui avais demandé de partir. Une visite. Je ne demandais que ça et elle me l'avait promit. Les promesses qu'on me faisait semblait être prédestinées à mourir dans l'œuf...

Les derniers jours de février s'écroulèrent et il ne revint pas. Les premiers temps, il ne me manqua que très peu –où alors j'arrivai superbement bien à m'en convaincre. Mars s'écroula tout aussi vite. Les oiseaux revinrent chanter et les cumulus décidèrent de quitter le ciel qui se teintait de bleu. Je trouvais cela d'une injustice sans nom ! Tout devenait beau alors que je pourrissais depuis l'une des chambres de Hallow et que lui refusait de revenir. Plus le temps passait, plus mon cœur se serrait et plus j'avais envie de le revoir. Étrangement, ses roses. Roses qu'il avait tant chéries et à qui il avait donné une partie de lui-même ne mourraient pas de son absence. Un beau jour, j'avais collé mes yeux aux vitres sales du jardin d'hiver et avait eu la surprise de voir les fleurs se pavaner dans leurs beautés rouges, depuis l'autre côté des parois de verre. Magnifiques, comme elles l'avaient toujours été. Un espoir fugace était alors né en moi, mais après de longues nuits sans sommeil passées à épier la serre sans le voir apparaître, je m'étais vue obliger de réduire en cendres ces bougeons d'espoirs.

Finn revient vers moi, dans le même temps, comme si nous ne nous étions jamais disputés. Le blond était redevenu, le jeune homme plein d'entrain qui parlait sans cesse et avait toujours le visage parsemé de croûtes de peinture flamboyantes. Je devais même dire que de le voir se comporter comme un petit chiot heureux me donnait parfois envie de le gifler. Sa joie constante pris fin quand je trouvais enfin le courage de lui parler du garçon de la serre.

Nous étions le cinq avril,  notre cour d'art venait de prendre fin et le kiosque (depuis lequel notre professeur d'art avait décidé de nous faire travailler)  se désemplissait peu à peu lorsque je dis :

-Finn, il y a quelque chose dont je dois te parler, quelqu'un dont j'aurais dû te parler depuis longtemps déjà. Quelqu'un que... j'aime. C'était étrange de le dire à voix haute à quelqu'un d'extérieur à ma situation. C'était comme faire rentrer mes sentiments dans le monde réel.

-C'est le garçon fantôme pas vrai... Celui dont Cristal nous à parlé. Celui qui l'a poussé à se suicider. Sa dernière phrase était pleine de colère et d'amertume , je voulus le contredire, lui dire que Gideon m'avait sauvée quand moi je voulais sauter du haut de ma fenêtre, mais je ne dis rien. Je n'avais aucune preuve qui prouvait qu'il n'avait pas participé à la mort de Cristal, alors je me contentais de hocher la tête.

-Et, est-ce que tu est-ce que tu es sûre que tu l'aimes ? Me demanda timidement le blond.

-Oui. Acquiesçais-je, consciente que certaine chose ne devait pas être confirmée par un hochement de tête.

-Comment tu le sais ? Sa question me laissa sans voix un instant. Comment je le savais ? Je ne savais pas comment.

-Comment on sait qu'on aime Alice ? Reformula Finn, qui ne me regardait plus comme si mon visage était devenu un souvenir bien trop douloureux à affronter. Des tas d'explications se bousculèrent dans mon esprit, des choses que j'avais entendues à la télé, des affirmations que j'avais lues dans des livres. Entre toutes ses possibilités de réponse il y avait son visage.

Lumineux. Sculpturale. Splendide. Son visage qui me manquait tant.

-C'est lorsque... Commençais-je mal-assurer en me tordant sur mon petit tabouret de bois.

-C'est lorsque, l'existence de cette personne si spéciale signifie plus que tout le reste. C'est lorsque tu donnerais n'importe quoi, absolument n'importe quoi pour la revoir. C'est une chaleur particulière que tu ressens de l'intérieur de ton cœur jusqu'au bout de tes doigts chaque fois que tu la sens te regarder. C'est lorsque tout a plus et moins de sens à la fois quand la personne est là.  C'est chaque parcelle de ton corps, chacun des bouts de ton âme qui hurle son nom pour attirer son attention. C'est le moindre contact que tu chéris en priant n'importe quelles divinités pour qu'il y en ait un autre, plus long, plus tendre, plus porteur de sens. C'est une incertitude constante quant à la réponse que la personne te donnera à la question « et toi, m'aimes-tu ? ». C'est l'horrible sensation d'être incomplet quand l'autre n'est pas là. Tu sais... tu sens, corrigeais-je, que tu aimes quand tu souhaites que ton existence soit à jamais reliée à la sienne, quand tu veux toujours que la personne soit là, près de toi jusqu'à ce que tu disparaisses. C'est l'envie d'être deux et que la deuxième sa soit elle. L'amour c'est l'espoir fou, le rêve douloureux de croire qu'elle veuille la même chose.

"Tu te rends compte que je suis en train de tomber amoureux de toi n'est-ce pas ?" Oh Gideon, pourquoi ?Pourquoi m'avoir menti sur quelque chose de si important ? Pourquoi me torturer avec ce stupide sentiment...

-Alice, ça va ? M'interrogea Finn, je répondis oui juste avant de noter les larmes qui me coulaient sur les joues. Je les essuyai en vitesse et souris de toutes mes dents alors que le blond marmonna :

-Tu dois vraiment l'aimer cet abrutit.

-Gideon. Le corrigeais-je plus sèchement que je ne l'aurais voulu. Il s'appelle Edward Gideon Gray.

-Et où est-il ? Demanda t-il en faisant écho à mes propres interrogations.

-Justement, je ne sais pas... Chuchotais-je

-Alors ton âme crie son nom en ce moment ?

-Si fort que je me demande si je ne vais pas devenir sourde. Plaisantais-je tristement tandis que Finn m'envoyait un sourire compatissant.

-Il a dit qu'il était entrain de tomber amoureux de moi, puis il a disparu. Avouais-je alors que le silence commençait à nous étreindre.

-Ok. Répondit d'abord Finn, puis il ajouta d'une voix sûre d'elle :

-On va le retrouver et le forcer à s'expliquer alors. Ce soir, je viendrais te chercher et on ira fouiller ces foutus dossiers à la recherche de ton Gideon chéri. Le blond se levit bien avant que je n'ais le temps de l'enlacer pour le remercier. Il était sur le point de quitter le kiosque lorsque je murmurai, inquiète :

-Finn, et s'il n'était pas réel, et si c'était dans ma tête ?

-Alors nous le découvrirons et puis, tes sentiments eux sont réels Alice. Me rassura le blond en souriant d'un air contrit.

***

L'après-midi même, alors que je lisais sous le grand chêne - très peu concentrée sur la ligne que je relisais sans cesse- le Docteur Molinaro et Madame Graham vinrent tous deux me chercher pour me faire part de la présence de deux visiteurs. M'attendant à voir mes parents, je me relevai d'un air las et traînai la patte jusqu'à la salle commune ou j'eus la surprise de tomber nez à nez avec Basil avachi sur le fauteuil noir et Sam qui –les épaules tendues- se tenait droit près du piano noir. Je restais sans mots, ne sachant que dire à ces fantômes masculins de mon passé.

-Salut. Dis-je platement à l'intention de la minuscule assemblée qui se tourna immédiatement vers moi.

-Alice ! S'exclama Sam en courant vers moi. En trois pas il avait parcourut la distance qui nous séparait et se tenait à trois centimètres de moi, les bras légèrement écartés comme s'il me demandait la permission de me prendre dans ses bras. Avant que je n'acquiesce d'un signe de tête, le grand roux avait poussé mon ancien camarade de lycée et me serrait dans ses bras. Mon nez était collé à son torse. Basil avait toujours la même odeur, celle du vieux papier. Je le sentis bouger, il dût faire un signe au châtain puisque dix secondes plus tard, les bras de Sam s'ajoutèrent à notre étreinte. Il sentait l'adoucissant, quelques choses de frais, de normal et de réconfortant. Son parfum me rappelait le produit lavant qu'utilisait ma mère. En souriant à travers mon étreinte avec mes deux amis je me demandai si ma génitrice allait acheter notre adoucissant dans le même supermarché que celui de la mère de Sam.

-Alice ? M'appela doucement Basil, me faisant constater que c'est moi qui les serrer fort le plus fort. Les larmes me montèrent aux yeux, je les ravalais d'autorité, refusant de succomber –cette fois- à la puissance de mes souvenirs de ma vie en dehors.

-Tu nous manques au lycée. Lâcha Sam, alors que nous cherchions tous trois –gênés- un endroit où nous asseoir. Finalement, je m'assis sur le tabouret de piano,  Basil reprit place sur le fauteuil noir et l'autre garçon s'immobilisa sur un coin du canapé d'angle blanc.

-Ne me mens pas Sam, je sais bien que c'est faux. Le contredis-je en prenant soin de ne pas croiser son regard. Des sentiments très forts pour un garçon étaient suffisants, je n'avais pas besoin de me souvenir avec nostalgie du léger (en comparaison) coup de cœur que j'avais eu pour mon ancien camarade. 

-Tu nous manques à moi et à Elia. Corrigeait-il

C'est pour ça que vous avez décidé de vous mettre en couple, histoire de me pleurer deux fois plus... Pensais-je amèrement.

-Et moi donc ! S'exclama le roux à lunettes qui devait sentir la tension de la conversation.

Ce bâtiment est tellement plus ennuyeux sans toi que ça en est presque criminel !  Je ris jusqu'à ce que Sam ne me demande ce que j'avais de neuf à lui raconter

-Je suis en hôpital psychiatre alors à part te dire que j'ai bien pris ma dose quotidienne de Valium je ne vois pas ce que je pourrais te dire. Crachais-je en me concentrant sur Basil qui masquait un rire derrière une quinte de toux fictive.

-Hum, je ... oui désolé... Bredouilla t-il en piquant un far.

-Cher Samuel, je meurs de soif, tu aurais la gentillesse de partir demander de l'eau et peut-être quelques choses à grignoter à la gentille secrétaire qui nous a amené jusque là. Tu serais adorable. Déclara mon ancien voisin en volant au secours du pauvre Sam qui était en train de se liquéfier sous nos yeux –amusés.

-Mais, je ne crois pas que...

-Tout de suite. Lui ordonna le roux en faisant les gros yeux. Le châtain s'exécuta et à peine eut-il franchi le pas de la porte que Basil me gronda comme si j'avais cinq ans et lui cinquante :

-Alice ! Quand je dis, « reviens nous vite » ça veut tout dire sauf SAUTE DE LA FENÊTRE DU QUATRIÈME ÉTAGE DE L'HOPITAL DANS LEQUEL TU ES INTERNÉE DANS LE BUT DE TE SUICIDER ! Je finis par le couper dans ses hurlements en demandant d'une voix qui se voulait innocente :

-Si j'ai une bonne excuse est-ce que ça t'empêchera de hurler encore ?

-NON ! Rugit-il si fort que j'eus l'impression que le piano en fût ébranlé. Je lui expliquai tout de même que j'avais voulu faire le grand saut parce que je pensais que ça serait préférable pour tout le monde, je lui parlais même de Gideon qui était peut-être un fantôme ou une hallucination ou un être humain et dont j'étais éperdument amoureuse. A l'entente de cette toute nouvelle histoire, Basil se laissa retomber sur le fauteuil noir qu'il avait délaissé durant sa crise de cris.

-Alice... Gémit-il. Toujours une histoire de garçon. Quand ce n'est pas Sam que tu tabasses, c'est ce Cupidon sans visage que tu poursuis ou encore ce Gideon accro aux roses, déserteur et sauveur de jeune fille suicidaire à ses heures perdues... J'ai toujours été franc avec toi et là, j'ai l'impression d'être l'ami d'une héroïne d'une série B.

Je m'attendais à avoir le cœur brisé par sa remarque, surtout après que je lui ai parlé de Gideon, mais à la place je fus prise d'un énorme fou rire qui me tenait encore lorsque Sam reveint avec – à notre grand étonnement- de la citronnade et des biscuits. Les garçons restèrent avec moi jusqu'à ce que dix-sept heures trente ne sonne, nous avions rit et je ne fus pas triste de les voir partir. Juste avant de reprendre la route vers ma chambre je fis une halte devant la serre de roses. Avant Gideon, je n'avais jamais connu le tendre drame de l'absence. L'absence c'était tout un tas de choses.

C'était un regard qui n'avait pas de regard à croiser. C'était une main qui n'avait pas de main pour la recouvrir. C'était une épaule sur laquelle aucune tête ne venait se poser.

L'absence c'était une larme qu'aucun doigt ne venait sécher. L'absence c'était un corps qu'aucun corps ne venait étreindre. L'absence c'était une voix qui disait à une serre vide :

-Tu me manques.

Sans qu'aucune voix ne lui réponde :

« Tu te rends compte que je suis entrain de tomber amoureux de toi n'est-ce pas ? »

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