•Chapitre 27•
Je ne voulais pas descendre du rebord de la fenêtre malgré les nombreuses fois ou Gideon m'avait proposé de le faire. L'idée que tout disparaisse si nous quittions notre perchoir me terrifiait. Ça me faisait mal de simplement imaginer que les étoiles m'arracheraient celui qu'elle m'avait elles-mêmes mit dans les bras pour me sauver. Si Gideon disparaissait maintenant, il serait plus destructeur que la destruction elle-même. En relevant la tête je constatai que de gros nuages gris obscurcissaient le ciel et un frisson me parcourut le corps.
-Rentrons. Déclara le brun en me plaquant d'autorité contre son torse, je ne me débattis même pas et laissa aller ma tête aller contre son épaule. Habilement, en continuant de me serrer contre lui, le psychopathe nous fit repasser dans ma chambre en évitant méticuleusement chacun des bouts de verre éparpillé sur le sol. J'étais presque assise sur ses genoux lorsqu'il se saisit avec douceur de mon bras tailladé, je m'attendais à un mouvement de recul, à une grimace mais il n'y eut rien. Rien si ce n'était ses doigts neigeux soutenant mon bras. Je finis par descendre de ses genoux mais ne m'éloignai pas de plus de trois centimètres. Nos deux épaules étaient collées et nos jambes semblaient s'happer l'une vers l'autre. L'hématophobe qu'il y avait en Gideon se réveilla lorsqu'il approcha plus encore ses yeux de mes bras. Je le senti se tendre face à mes coupures saignantes. Pour le préserver, je voulus récupérer mon membre, mais d'un regard appuyé il me fit comprendre qu'il ne fallait pas que je bouge.
-Pourquoi t'es-tu coupée ? Me demanda le garçon des roses en réprimant une grimace. C'était une question que je lui avais moi-même posé, il n'y avait pas si longtemps.
Parce que je ne te mérite pas...
-Pour oublier.
-Pour oublier quoi ? S'enquit le psychopathe en replaçant avec douceur l'une de mes mèches rebelles derrière mon oreille.
-Oublier que je souffre. Avouais-je d'une petite voix en tendant à mon tour la main vers son visage sculpturale.
-Pourquoi souffres-tu Katherine ?
- Parce que je... je ne suis pas quelqu'un de bien... Avouais-je en hoquetant, juste avant de m'enfermer dans un mutisme honteux. Il ne bougea pas sa tête et ne chercha pas à me tirer de mon silence. Doucement, ses doigts tremblants remontèrent le long de mes coupures rouges et boursouflées, la chaire de poule me prit quand je le sentis suivre du bout de l'index les traces qu'avait laissées le verre froid dans ma chaire.
-Je ne vais pas te dire que le mal n'existe pas. Affirmait-il finalement.
-Ça serait bien trop beau, mais je ne vais pas te mentir Katherine. Les gens ne sont jamais aussi heureux aujourd'hui que quand on leur ment. Ils ne veulent qu'une chose : qu'on leur affirme que le bien l'emporte toujours. Que les héros gagnent constamment. Mais non ! Le mal n'existe pas ! Les méchants ne sont pas de vrais méchants, le bien les séduits eux-aussi ! S'exclama Gideon d'une voix nasale et ironique.
- On veut tellement se persuader que le mauvais n'existe pas qu'on va jusqu'à écrire des livres sur des vampires amoureux et sur des démons en crises existentielles. Mais toi Katherine... toi, tu es différente et tu n'as pas besoin de mensonges pour voir la laideur et la beauté du monde. Alors oui. Oui le mal existe, mais toi... Toi, Alice Katherine Evelyne Langford, toi qui dessine merveilleusement bien, toi qui me rejoins tous les soirs pour te moquer de moi et de mes roses, toi qui m'as fait accourir paniqué dans ta chambre à vingt-une heures trente, tu es tout sauf mauvaise. Son visage toujours posé contre ma main me semblait plus doux encore qu'à l'habitude, plus beau aussi et ses joues semblaient même un peu rougies. Je m'autorisai à approcher encore plus mon visage du sien, cette proximité réaffirmée entraîna l'emballement de mon cœur. De son côté, le jeune homme posa avec la plus grande des douceurs, mon bras scarifié sur le sol et d'une main entrelaça ses doigts aux miens.
Je ne sais combien de temps nous restâmes ainsi, l'un en face de l'autre. Durant ce même laps de temps je me pris à me demander si Gideon ne venait pas de me faire une sorte de déclaration à demi-mot. Avant que j'eus le temps de le questionner à se sujet, il se pencha vers moi -frôlant mes lèvres entrouvertes, puis la courbe de mon cou dans un geste doux- et me souffla au creux de l'oreille de sa voix de velours :
-Et puis...c'est l'une de ces nombreuses choses que j'aime chez toi, ta folie et tes failles emplies de démon que parfois tu me laisses entrevoir. Mais ne t'en fais pas Katherine, un jour ils ne seront plus là, tu les auras chassés puis tués et je trouverai quelque chose d'autre à épier. Son discours me rendit heureuse autant qu'il me serra le cœur. Il avait dit qu'il aimait de nombreuses choses en moi, mais ma folie en faisait partie. Je repensais alors au l'une des phrases prononcée par Cristal quelques heures plus tôt : "et si l'un de vous -par miracle- arrive un jour à quitter Hallow et bien la séparation sera inévitable.". Voilà donc un dilemme rappelé : ma raison ou Gideon. Évidement, après qu'il m'ait sauvée la vie, la réponse s'imposait d'elle-même. Il ne fallait pas me demander ce que je lui trouvais, je ne le savais pas et ne l'avais jamais vraiment compris je crois .Tout ce que je savais c'était qu'il avait toujours été à mes yeux quelqu'un de spécial. Un être complexe qui bouleversait - un peu plus à chaque fois- ma vie tandis que je peinais à comprendre la sienne. Gideon était intriguant- c'était même un euphémisme- et fascinant, souvent il lui arrivait de dire ou faire des choses que je ne comprenais pas et parfois je me demandais même si lui-même savait ou il voulait en venir. Néanmoins, même dans ces instants incertains, il n'était jamais maladroit. Ce soir- là fut donc exemption à la règle. Une malhabileté touchante se fit entendre dans sa voix lorsqu'il dit :
-Tu te rends compte que je suis en train de tomber amoureux de toi n'est-ce pas ?
A l'entente de cette phrase, ma raison m'abandonna, me priant de lui choisir Gideon. Mon cœur tira sa révérence dans un dernier sursaut en m'affirmant que je n'avais plus besoin de lui vu que je pouvais m'appuyer sur le brun et je sus. Je sus immédiatement qu'il détenait dans sa présence la clef du bonheur et que tout en lui était infiniment plus précieux que tout ce à quoi j'avais pu m'attacher plus tôt. Mes mains quittèrent son visage et sa paume pour venir enlacer son cou et le serrer le plus fort possible contre moi. Je voulais m'imprégner de son odeur, de sa présence et de toute cette situation qui avait basculé sous le coup d'une phrase. Sur le coup d'un rien, de pas grand-chose, qui avait rapproché nos deux cœurs. Rien n'était plus pareil, puisque tout était bien plus beau. D'abord surpris, le psychopathe du chêne ne répondit pas tout de suite à mon étreinte, puis il sembla se dégeler et m'enlaça à son tour sans faire remarquer mon absence de réponse verbale. Mais le mot « amour » n'était presque pas assez fort.
Avec quelqu'un d'autre, ça m'aurait fait peur d'aimer si profondément, mais avec Gideon, je n'avais pas la peur de ne pas être autant aimée en retour. J'étais sûre que ça finirait par arriver, un jour.
Tandis que nous étions l'un dans les bras de l'autre, Cristal se rématerialisa sur mon lit, morte de peur face à son regard brûlant de haine je raffermis mon étreinte autour de Gideon qui –inconscient de ma détresse- me demandait une réponse verbale et claire :
-Tu es bien trop gentille pour me mentir Ali... Katherine. Se reprit-il rapidement, alors que la joie m'envahissait. Qu'il m'appelle par mon premier prénom sur un ton aussi sentimental, rendait notre affection réciproque plus réelle, cette appellation nous éloignait du jeu de découverte qui nous avait rapproché plus tôt... Il nous détacha quelques peu l'un de l'autre, pris mes deux mains entre les siennes et colla son front au mien avant de reprendre incertain :
-Si tu n'as aucune affection pour moi –autre que l'amitié, si je puis dire- dis le moi avant que ma tendresse et mon désir à ton égard ne s'accroissent. J'aimerais te dire que notre amour pourrait vaincre toutes les difficultés, que rien ne pourra nous résister si nous sommes ensembles. Mais c'est faux, tout continuera de nous faire souffrir, et peut-être que nous souffrirons en plus à cause de l'autre, et je suis d'accord ça fait peur. Mais il faut toujours faire ce qui nous fait peur non ?
-Oui. Toujours. Confirmais-je en relevant les yeux vers son visage opalin, il me sourit timidement et approcha doucement mes lèvres des siennes. Avant qu'il ne concrétise ce baiser, Cristal me rappela sa présence en étouffa un hoquet de surprise. Je m'attendais à ce qu'elle hurle et brise des choses, mais à la place et me sourit et disparut sur un « Adieu vous deux » à peine audible. Je ne compris rien à la situation, mais n'usa pas vraiment mes capacités mentales pour la comprendre me contentant de blottir ma tête au creux de l'épaule de mon psychopathe.
***
Des minutes- ou des heures- plus tard, l'attitude de Gideon changea brusquement, nous rappelant à tout deux où nous étions : en hôpital psychiatrique.
Entrant dans une transe que je ne saurais expliquer, le psychopathe propriétaire de la serre aux roses rouge s'empara de mon poignet (que j'avais déjà bien abîmé) et le serra au point de faire blanchir ses propres jointures. Lorsque je relevai les yeux vers les siens, je croisai des prunelles que je ne lui reconnu pas. Ses iris argentés s'étaient comme solidifiés.
-Reste. Murmurait-il d'une voix pleine de sanglots.
-Je suis là Gideon. Lui assurais-je en tentant de retirer moi-même sa main crispée sur mon- avant bras brûlant d'une main tout en usant de l'autre pour caresser le plus tendrement possible -en tentant de cacher mes tremblements- son visage qui venait de prendre une teinte cadavérique.
-Restes. Ne me laisse pas. Pitié. Pitié Gideon; Pitié. Supplia le brun en plein délire. Ses doigts se resserrèrent de plus en plus leurs prises sur ma peau meurtrie. Je quittai des yeux une demi –seconde mon poignet douloureux et observa son visage et profita de ce laps de temps pour fouiller ses iris. Une sorte d'ombre tentait de conquérir son visage d'Adonis. Je finis par crier son nom pour qu'il me lâche enfin en sursautant, comme si quelqu'un l'avait giflé. Le jeune homme recula la tête et s'éloigna le plus possible de moi, sur l'une des paumes qu'il levait en l'air en signe d'innocence et constata avec horreur que la main qui m'avait tenue était tachée de sang. Ses yeux fondirent et reprirent leurs apparences de pierres précieuses hypnotisantes . Durant les cinq minutes suivantes, nous restâmes l'un en face de l'autre. Moi, tentant de comprendre ce qui venait de se passer et lui, cherchant sûrement comment me l'expliquer.
-Pardon... Je... Je ne voulais pas te faire du mal Katherine... Je t'en prie, pardonne moi... Me pria t-il d'une voix tremblotante. Tout son corps était parcouru de frissons et de sanglots étouffés. Je tendis la main vers lui, espérant le rassurer par un nouveau contact, mais à peine frôlais-je sa joue qu'il sursauta et s'éloigna de moi en m'adressant un regard désolé.
-Je vais y aller et te laisser dormir. Assura le brun, mal à l'aise en hochant la tête.
-Non ! Attends ! Restes. S'il te plait... Lui demandais-je, alors que sa difficulté à faire un choix se lisait sur ses traits.
-Tu dois dormir Alice. Fit-il remarquer d'une petite voix tandis que je me levais pour venir lui prendre les mains.
-Et toi aussi. Alors restes, il y a suffisamment de place. Dis-je en serrant ses mains dans les miennes étonné que cette fois ce soit moi qui le pousse à prendre une décision.
-ça ne serait pas correct.
-Mais... et si j'ai envie de m'enfuir ? Tu ne voudrais pas m'accompagner ? Être là, au cas où je décide de sortir par cette fenêtre cassée ? Le charriais-je en le tirant à ma suite pour le traîner jusqu'à mon lit sans qu'il ne marque une grande résistance malgré ses belles paroles.
Finalement, après une négociation de plus de dix minutes, nous nous allongeâmes l'un à côté de l'autre sur mon lit. Juste avant de totalement s'installer, Gideon disposa un petit objet noir sur ma table de nuit, je me promis d'observer de quoi il s'agissait le lendemain. Nos jambes s'entremêlèrent pour nous permettre de tenir tous les deux sur le lit, des éclats de rires nous échappèrent alors que chacun cherchait comment s'installer sans déranger l'autre. Une fois que nous eûmes trouvé lesdites positions, nous ne bougeâmes plus et je fixai le brun sans plus rien dire. Quelques temps plus tard, le regard planté dans le mien, Gideon souffla :
-Katherine, arrête de me regarder et dort.
-Gideon, arrête de m'admirer et dort. Répliquais-je en souriant d'un air narquois. Peu à peu pourtant, mes paupières devinrent lourdes et j'eus de plus en plus de mal à tenir le regard du jeune homme au visage angélique. Mon combat contre le sommeil fit raisonner le rire cristallin du garçon des roses qui semblait avoir oublié sa crise de toute à l'heure.
-Alice ? M'appelait-il en passant l'une des ses main sur ma joue et en resserrant son étreinte dans mon dos de l'autre.
-Mmh ? Répondis-je, remarquant –avec un temps de retard- qu'il m'avait appelé par mon premier prénom.
-Rien. Articulait Gideon entre deux éclats de rires insonores, il fit glisser sa main sur ma joue jusqu'à mes cheveux qu'il caressa de longue minutes puis, il s'arrêta de bouger. Sa poitrine soulevée par sa respiration, était le seul moyen de faire la différence entre lui et une statue de marbre.
Le miracle avec cette soirée, c'est qu'elle m'avait rendue belle à vie. Ses mains m'avaient redessiné par leurs caresses et ses mots m'avaient parés des plus beaux bijoux.
Au milieu de la nuit, dans la pénombre déchirée par la lueur de la lune, j'avais ouvert les yeux et avait eu la satisfaction de le voir endormi, blotti contre moi autant que je l'étais contre lui. Tout en regardant son visage, j'eus une pensée pour un passage du Petit Prince, la scène des adieux entre le Petit Prince et sa Rose. Mon père m'avait tant lu ce livre quand j'étais petite que je connaissais ce passage par cœur :
« Le petit prince arracha aussi, avec un peu de mélancolie, les dernières pousses de baobabs. Il croyait ne jamais devoir revenir. Mais tous ces travaux familiers lui parurent, ce matin-là, extrêmement doux. Et, quand il arrosa une dernière fois la fleur, et se prépara à la mettre à l'abri sous son globe, il se découvrit l'envie de pleurer.
– Adieu, dit-il à la fleur.
Mais elle ne lui répondit pas.
– Adieu, répétât-t-il.
La fleur toussa.
Mais ce n'était pas à cause de son rhume.
– J'ai été sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon. Tâches d'être heureux.
Il fut surpris par l'absence de reproches. Il restait là tout déconcerté, le globe en l'air. Il ne comprenait pas cette douceur calme.
– Mais oui, je t'aime, lui dit la fleur. Tu n'en as rien su, par ma faute. Cela n'a aucune importance. Mais tu as été aussi sot que moi. Tâches d'être heureux... Laisse ce globe tranquille. Je n'en veux plus.»
Immédiatement, mon cœur- qui avait timidement reprit sa place- se serra et une boule grossit dans ma gorge au point d'empêcher l'air de passer. Venions-nous de vivre nos adieux sans que je ne le sache ? Étais-ce la première et dernière fois que j'entendais Gideon me parler distinctement d'amour ? Je chassais vivement ces idées et caressa la joue du garçon endormi. Non. Bien sûr que non.
-Ne pars pas. Ne pars jamais. Le priais-je d'une voix enrouée. M'endormir par la suite me sembla impossible. J'avais peur qu'il ne disparaisse si je clignai des yeux et j'étais insatiable de l'observation de son visage.
Je vous en supplie que ça ne soit pas un Adieu...
"Bien sûr que je t'aime même si je ne te l'ai pas encore dit !"
-Mais oui, je t'aime... Déclarais-je finalement à son visage endormi, des sanglots dans la voix.
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