•Chapitre 26•
Mon cœur eut un raté et mes poils se hérissèrent tandis que son souffle chaud courait dans mon cou. Je le remerciais intérieurement d'être là, presque autant que je le détestais de me compliquer la tâche par sa présence. Ses paroles me firent sourire, il n'y avait que lui pour dire une tel chose dans un tel moment...
-Gideon. Le saluais-je d'une voix tremblante après avoir ravalé la boule d'angoisse qui obscurcissait ma gorge et qui tomba lourdement dans mon estomac. Comme s'il l'avait senti, Gideon appuya la pression de ses mains sur les miennes. Ses doigts remontèrent le long de mes bras, c'était agréable jusqu'à ce que –maladroitement- il appuya trop fort et érafla l'une de mes toutes fraîches coupures. Dans un réflexe, je fis un demi bond en avant, oubliant le temps de cinq secondes l'endroit où je me tenais. Immédiatement, les bras du brun lâchèrent mes bras pour se saisir de ma taille qu'il colla à son torse. Son cœur cognait contre mon dos. Mes larmes avaient séché sur mes joues et un sourire les avait remplacé. Sans me détacher de son étreinte je lui demandais ce qu'il faisait là. Il prit du temps avant de me répondre, respirant plus vite qu'à l'habitude, de manière un peu plus saccadé aussi, son visage enfoui dans mes mèches brunes. Alors que j'allais réitérer ma question, il répondit :
-Je passai dans le coin, j'ai entendu du verre brisé et des cris alors je suis venu vérifier que tu ne t'étais pas enfuie sans moi.
-Tu passais par là ? Répétais-je quelques peu moqueuse. Mon sourire s'évanouit immédiatement lorsque mon regard se perdit dans l'observation du vide au dessus duquel je pendais. Je relevais la tête vers les étoiles, cherchant en ces boules de gaz le comportement que je devais adopter, le choix que je devais faire. Devais-je le laisser me sauver ou devais-je au contraire sauter pour le sauver lui ?
-Je voulais vérifier que tu n'étais pas partie sans moi.
-Parce qu'on avait prévu de s'enfuir ensemble ? M'étonnais-je sans grande conviction, la joie que j'avais ressentie lors de son arrivée, venait de retomber comme un soufflet et les larmes se précipitaient de nouveau au bord de mes yeux. Décider de partir pour laisser vivre quelqu'un était bien plus simple quand ladite personne n'était pas collée à vous. Tout était forcement plus simple quand les cheveux du brun ne me chatouillaient pas le cou, quand son cœur ne battait pas contre l'échine de mon dos et que ses bras ne retenaient pas ma taille tandis que j'étais assise sur le rebord d'une fenêtre brisée.
- Regarde-moi Katherine. Demandait-il, soudainement en relevant son visage du creux de mon cou. Je secouai véhément la tête, paniquée à l'idée de regarder son doux visage et de regretter de ne pas avoir quitté la terre comme je m'étais ordonnée de le faire plus tôt.
-Katherine. Me rappelait-il d'une voix qui raisonna comme suppliante à mes oreilles. Craignant qu'il ne parte, je me tournais un peu (et très lentement) de manière à avoir le cadre de la fenêtre dans le dos. Gideon ne dit rien et se contenta de me regarder longtemps, un étrange éclat allumé dans ses prunelles d'argents.
-Tu as pleuré. Fit-il remarquer, en passant sa main droite sur mon visage, essuyant une à une toutes les larmes qui n'avaient pas encore séché. Ce geste me donna envie de pleurer trois fois plus tant sa peau contre la mienne était douce et me donnait encore plus envie de me laisser sauver. D'un regard je constatai que sa main et le bord de sa chemise blanche étaient tachés de mon sang. Surprenant mon regard il lâcha ma joue et cacha son bras dans son dos avec le même geste que celui d'un enfant pris en faute.
-Pour répondre à ta question, Reprit-il en remontant consciencieusement ses manches presque immaculées sur ses avant-bras entourés de nouvelles bandes blanches bien propres. Nous devrions nous enfuir de cet asile ensemble parce que c'est ce que font les gens qui... Il laissa sa phrase en suspend, comme s'il n'osait pas la finir. Or Gideon osait tout. Même embrassé des filles dont il ne connaissait pas le nom... Je l'encourageais à poursuivre par un « qui ? » couiné. Avant de me répondre, le garçon des roses s'installa tout près de moi sur le rebord de la fenêtre, ses longues jambes pendaient dans le vide et l'une de ses chaussures de vieillard vient cogner la mienne. Un sourire moqueur s'installa sur ses lèvres, signe qu'il voulait m'embêter. Les rayons clairs de la lune se reflétaient dans ses yeux orageux, parfois je me demandais s'il ne faisait pas exprès de toujours se placer dans l'axe des astres solaires ou lunaires. Je souris et tapai à mon tour dans sa chaussure de grand-père, j'étais sûre qu'il en était capable ! Son regard se perdit dans les étoiles alors qu'il répondit à ma question précédente :
-Les gens qui se regardent comme, nous le faisons et qui se rejoignent, eux aussi, dans une serre de roses rouges une fois la nuit venue. Après sa tirade, je m'attendais à ce qu'il me regarde, mais il n'en fit rien. Se contentant de fixer le ciel comme s'il était en plein duel de regard avec l'une des étoiles. Peut-être était-ce dut à ma vue ou bien à l'obscurité qui nous entourait, mais je crus voir ses joues rosirent. Je hochai la tête, c'est vrai que nous faisions tout cela. Tout cela c'était nous... Qu'il en parle voulait-ce dire que ça avait une sorte d'importance à ses yeux ? Ma poitrine se gonfla d'espoir, du moins jusqu'à ce que la voix de Cristal –que je croyais pourtant disparue- me ramena sur terre ; ou plutôt au dessus du sol...
Alors ce saut ? Ne te laisse pas avoir par ses belles paroles.
Je voulus la chasser, profiter de ce moment, descendre et tenter de me convaincre que Gideon n'aurait pas mal à coté de moi ; et que même si un jour il en souffrait, c'était parce qu'il avait décidé de rester, parce que son cœur lui dictait de me garder. Mais mon illusion d'amour s'effondra devant -le restant- de raison qui me commandait de mettre fin à cette mascarade. Gideon ne pouvait pas m'aimer, quand moi-même je ne savais pas comment mon cœur avait pu s'éprendre des bouts brisées qui le formaient. Je ne pouvais pas exiger –même en rêve- qu'il s'adonne à éprouver cet amour parfois si douloureux. Nos âmes s'étaient effleurées, s'étaient frôlées puis caressées du bout des doigts, emportant aux creux de leurs paumes une passion dont je ne nous pensais pas capable...
-En dehors de cela, puis-je savoir pourquoi tu as brisé cette fenêtre durant la nuit la plus froide de février ! S'exclama l'objet de mes pensée. Comme si le ciel avait entendu sa remarque, un vent glacial vient nous gifler. Je fus secouée d'un frisson, le psychopathe de son coté, jeta nonchalamment au sol un morceau de verre qui s'était coincé dans un pli de son pantalon. Le garçon des roses accepta enfin de tourner ses iris magnifiques vers moi, je photographiai son visage dans ma mémoire, me promettant que quoi qu'il arrive je me souviendrais de ses traits divins et de chacune de ses expressions.
Ce monde était laid, il était empli de vulgarité, d'hypocrisie, de mensonge et de monstres tels que moi. La beauté y était si éphémère et si rare que quand elle se présentait, on s'y accrochait de toutes ses forces pour ne plus avoir peur des monstres ou de la laideur. Quand on était un monstre, on s'y accrochait trop fois plus fort, pour essayer de se défaire de sa propre nature difforme. Gideon était une beauté éphémère que j'aurais toujours voulu garder avec moi, or malheureusement il était aussi un monstre et je n'avais pas la vénusté nécessaire pour le guérir.Je n'étais pas à la hauteur.
-Je ne pensais pas que tu viendrais. Je m'attendais plutôt à une infirmière. Dis-je en fixant les étoiles, priant pour qu'il ne remarque pas mes yeux brillants.
-Bah ! Ces veilleuses sont sourdes et aveugles, tu le sais bien ! Mais moi, je suis les oreilles de Hallow. Surtout quand ça te concerne Katherine. Répliqua le brun en m'adressant une œillade et en posant sa main sur la mienne. Je me contrôlais -difficilement- pour ne pas lui sauter au cou et continuer de regarder le ciel brillant, le cœur battant la chamade et les joues brûlantes. Les étoiles n'avaient pas de nom humain et pourtant je cherchais celle qui pourrait porter le sien. La plus belle, la plus lumineuse, la plus voyante.
Je tentais d'oublier, durant une seconde, que je pensais à mourir. Oublier, le temps d'un souffle, que j'avais tenté de me noyer dans mon propre sang car je ne savais pas comment vivre, car je ne savais pas comment échapper à ma folie. Je voulais pacter avec le diable, pour avoir l'inatteignable : goûter au bonheur avant de commettre l'irréparable.
Depuis le diagnostique, j'avais toujours pensé que je finirai par sombrer dans les ténèbres à cause des hallucinations, des regards désolés ou de mon esprit fracturé. Mais jamais, je n'avais imaginé que ça serait à cause de cette brèche dans mon cœur, de cette faille par laquelle il s'était infiltré.
Je ne pouvais pas regarder éternellement les étoiles, il fallait que je fasse un choix. Que je le regarde. Qu'il voit mes bras écorchés. Il fallait que je laisse ses yeux se planter dans les miens. Il fallait qu'il voit mon cœur qui battait plus fort, mon âme abîmée et mon esprit au bord de la rupture. Mais j'avais peur, peur de Cristal qui reviendrait, peur de mes cauchemars, peur de mon subconscient, peur de ma propre conscience et peur de toutes ces fausses peurs qui me pourrissaient l'existence.
-Je veux sauter Gideon. Lâchais-je d'une voix de mourante, alors que je relevais doucement les yeux vers lui.
-Tu veux sauter ? D'accord. Sautes. Je te dirais si tu as fais un beau plongeon. Ironisa le garçon des roses, il n'y avait pas la moindre trace de tristesse dans sa voix.
-C'est de la psychologie inversée que tu me fais là ? Le questionnais-je en retirant prestement ma main de sous la sienne. Le brun étouffa un rire, puis reprit d'une voix ou subsistait des traces d'amusement en se désignant :
-Est-ce que j'ai la tête de quelqu'un qui use de psychologie inversée ! Voyons Katherine, sautes si tu le veux mais ne m'accuse pas de telle chose !
-Tu veux dire... que tu ne vas pas m'empêcher de sauter ? M'étonnais-je d'une voix faiblarde en sentant mon cœur se serrer. Il se moquait bien de mon sort, il voulait simplement être aux premières loges pour admirer le spectacle de ma chute. Pourquoi cela m'étonnait-il ? Avant de me répondre il tritura les boutons de sa chemise puis posa brusquement sa main entre mes deux omoplates et me poussa légèrement en avant.
-ATTENDS ! Hurlais-je, tandis que le néant nocturne me renvoya mes cris.
-Tu ne voulais pas sauter ? Fit-il mine de s'étonner en roulant des yeux, sa main froide irradier –paradoxalement- dans mon dos.
-Pourquoi tu ne m'empêches pas de sauter Gideon ? Son expression amusée disparut, remplacée par un air chagriné qui me fendit le cœur, il baissa la tête et indiqua d'une voix chevrotante :
-Ça ne changera rien. Si tu en as vraiment envie. Aucun de mes mots ne te fera fléchir. Finalement, il releva des yeux tout embrumé vers moi et me demanda :"pourquoi". Sa question me figea sur place, les mots me manquèrent. Mon cœur débordait d'explications mais ma bouche me paraissait, sèche, pâteuse et incapable de prononcer la moindre syllabe. Comment lui dire que je l'aimais au point de me moquer de savoir s'il était réel. Comment lui dire que je ne voulais pas qu'il se perde lui-même en tentant de m'aimer en retour ? Comment exprimait-on l'amour, la folie et la peur dans une telle situation ? Comment l'exprimer surtout à un garçon tel que lui ? Quels mots choisir pour retranscrire ce mélange de tendresse, d'admiration, d'angoisse et de tant d'autre chose à Gideon. Comment tenter de faire naître dans son cœur ce que sa personne faisait naître dans le mien ? J'y renonçai avant même d'essayer. Inutile de lui dire tant de chose au risque de le voir ne pas comprendre ou ne pas répondre, alors je pris une grande inspiration et j'avouai avec plus de sincérité possible :
-J'en ai assez Gideon, assez de cette folie qui m'étouffe. J'en ai marre de douter de la réalité de tout à chacun, j'en ai marre de toujours douter de ta réalité ! La gorge serrée, les mains tremblantes, les joues glacées et les yeux piquants, je relevai la tête vers son visage. Ses yeux grisants me fixaient et me firent perdre momentanément le fil de mon explication, que je finis par reprendre :
-Depuis mes premières crises, mon entourage n'a jamais cessé de me faire comprendre que j'étais différente, que j'étais folle. Alors pourquoi ne pas en finir, arrêter de me battre contre moi-même et leur donner raison une bonne fois pour toute. Ma folie m'a ôté ma vie alors, Gideon, dis-moi, pourquoi je ne m'ôterai pas la vie ?
-Katherine... Soupirait-il en secouant la tête de droite à gauche. Tu dis que ta folie t'a séparée du monde que tu avais toujours connue, de la vie et des gens que tu aimais tant... Mais moi, je sais que ce n'est pas totalement vrai et, au fond de toi, tu le sais aussi. Ici, dans notre univers, c'est notre folie qui nous unit tous les deux et c'est en courant après la lucidité que tu vas nous séparer Katherine. L'entendre répéter mon nom, m'emplissait d'une douce chaleur.
- Alors viens Katherine... M'appela le psychopathe du chêne en me tendant sa paume ouverte. Prends ma main et allons tous les deux rejoindre notre monde de fous si c'est ainsi que tu veux l'appeler... Ses prunelles brillaient d'une flamme de tendresse qui me fit rougir tant elle était sincère. Mon cœur rata un battement puis repartit en trombe. Le monde entier semblait, à cet instant, dépendre de ses yeux argent. Le brun ne m'avait pas confirmé sa réalité, mais je me saisis tout de même de sa paume. Cette fois, pas parce que j'avais peur qu'il disparaisse, mais parce que j'avais incroyablement envie de sentir ses doigts s'entrelacer aux miens.
Ce fut la première fois que je voulus avouer mes sentiments au garçon des roses. Il est certain qu'il aurait été plus romantique de penser à le dire dans la serre quand il m'avait offert une rose où la nuit lorsque je l'avais vu jouer du piano et ou rien n'avait semblé plus beau. Mais non, les mots « je t'aime » avaient commencé à me brûler les lèvres, juste après qu'il ne m'ait sauvée de moi-même ; à sa manière. Mais peut-être que le penser maintenant n'était pas si fou, après tout, être amoureux c'était se tourner autour jusqu'à s'écraser l'un contre l'autre.
En souriant, je posai ma tête sur son épaule et je sentis son menton se poser sur le sommet de mon crâne. Nous restâmes longtemps, ainsi sous le regard amusé de la Grande Dame de la Nuit et de sa cour éblouissante. Gideon déposa un doux baiser sur le sommet de mon crâne sans rien ajouter.
Assis sur un rebord de fenêtre, quatre étages au dessus du sol, nous vivions la plus belle de nos nuits.
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