•Chapitre 13•

Après avoir vu le psychopathe brun dans la serre j'avais très envie de le rejoindre, juste pour ne pas être seule. Juste pour avoir quelqu'un avec qui parler. Même si ce quelqu'un avait une case en moins.

Parce que toi, tu es très saine d'esprit, c'est connu. Me railla ma conscience en me forçant à poursuivre ma route. J'avais donc fini par rejoindre le chêne sous lequel je m'assis.

L'immense parc me serrait dans ses larges bras de verdures pendant que le silence m'assommait.

Mon livre était ouvert devant moi mais je n'avais pas envie de lire, pas envie d'être seule... Pas après être restée seule dans ma chambre si longtemps. J'étais presque sure que le brun ne serait pas contre de passer du temps avec moi mais d'un autre côté je ne voulais pas qu'il pense que je m'intéressais à lui. Son égocentrisme était déjà presque maladif, inutile que j'en rajoute en le laissant croire que je pensais à lui d'une quelconque manière.

Ma tête était rejetée en arrière et mon front touchait presque l'écorce de l'arbre. Une moue boudeuse barrait mon visage alors que je considérais de nouveaux désagréments que je n'avais pas vraiment pris en compte lors de mon arrivée ici.

La Solitude et l'ennui.

Elia ne m'avait jamais autant manqué...

Elia...

Je me demandai subitement comment ces deux dernières semaines s'étaient passées pour elle.

Le psychopathe -encore caché dans la serre- m'avait dit que nous étions lundi, je n'avais pas ma montre, mais j'imaginais qu'il était aux alentours de seize heures, elle devait donc encore être au lycée. Pensait-elle à moi ? Avait-elle parlé avec Samuel depuis que j'étais partie ? Lui avait-elle avoué que je n'étais pas dans un pensionnat privé comme mes parents l'avait dit au lycée pour leur expliquer mon départ précipité ? Avec qui mangeait-elle le midi ? Attendait-elle encore quelqu'un à l'arrêt de bus ? Allait-elle venir me voir comme elle l'avait promis ? Une larme coula le long de ma joue, je l'essuyai d'un geste brusque et secouai la tête pour chasser ma meilleure amie de mon esprit.

Si je voulais être forte, si je voulais m'en sortir le plus vite possible, sortir le plus rapidement possible de cet enfer! Il ne fallait pas que je pense à mes amis d'avant, ni à ma famille. Je devais accepter à ma réalité, celle que je connaissais maintenant, pas celle que j'avais pu connaitre. J'étais sur le point de me lever, j'avais rendu les armes et avais décidé de me précipité près de ce psychopathe qui me ferrait la conversation et me fascinerai au point de m'en faire oublier -momentanément- tout le reste. Mais, mes plans furent modifiés lorsqu'un timbre masculin se mit à réciter d'une voix de plus en plus proche :

- Adieu Camille, retourne à ton couvent, et lorsque l'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées; le monde n'est qu'un égout sans fond ou les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange... Euh... Ah Oui! Mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux...On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime et quand on est au bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit: J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui est vécu et non pas un être factice crée par mon orgueil et mon ennui.

Durant un instant fugace, en entendant tant de mot être débité de manière aussi parfaite par une voix masculine, j'eu l'espoir de le voir apparaître. Mais une fois que cette même voix se fut trompée dans son texte et eu hésité à deux reprises, le voile de l'espoir se releva et un coup d'œil vers la serre – toujours habitée par une ombre- suffit à confirmer ce que j'avais déjà compris : Le garçon qui récitait la tirade de Perdican n'était pas le psychopathe du chêne.

C'était un autre malade assurément.

Comme toi. Chuchota ma conscience

Comme moi. Affirmais-je mentalement

-Je suis presque impressionné. Déclarais-je en me tournant dans un mouvement saccadé vers celui qui s'était assis à cinq centimètres de moi. Il sentait la vanille. Il embaumait tellement que je faillis m'étouffer.

Son visage m'était vaguement familier... Mais je n'arrivais à mettre le doigt sur le souvenir qui était rattaché à son visage poupin. C'était un jeune homme d'environ dix-sept ans, ses cheveux blonds-qui avaient dû être coiffés au début de la journée- étaient tout en désordre. Ses grands yeux bleus étaient fixés sur moi et son visage était figé dans une expression d'admiration enfantine.

Ça me change de ce malade et de son constant sourire de séduction.

-Seulement presque ? S'étonnait-il d'une voix qui trahissait sa gentillesse. Ses yeux s'étaient légèrement plissés alors qu'il cognait gentiment mon épaule.

-Tu as quand même hésité deux fois si j'ai bien compté. Répliquais-je en souriant à mon tour, heureuse d'avoir quelqu'un avec qui discuter.

Quelqu'un qui discutait avec moi avant toute autre chose !

-Je te trouve bien sévère. Dit-il juste avant de rire de bon cœur. Son rire n'était pas un mélange de plusieurs émotions, ce n'était pas non plus un rire de moquerie. Le rire du blond était un rire d'enfant, le genre de rire qui donne envie de s'esclaffer à son tour. Évidement, je ne résistais pas à la tentation alors je pouffais. Savourant les éclats qui s'échappaient de ma gorge. Toute la solitude et la souffrance que j'avais ressenties plus tôt s'évadèrent un peu avec mon rire. Je me sentis tout de suite un peu plus légère. Je me sentis durant l'espace d'un instant comme je me sentais lorsque j'étais avec Elia. Entourée. Presque Normale.

-En tout cas, je te ferais remarquer que tu m'as raconté la fin. Déclarais-je en lui montrant le livre que j'avais refermé sur mes genoux.

-Désolé! Répondit-il entre deux éclats de rires.

-Bah ! Pas grave ! Je détestais déjà Perdican de toute manière.

-Et Camille ?

-Bien sûr. Affirmais-je comme s'il était totalement évident de me voir détester ce personnage.

Il resta silencieux durant plusieurs secondes puis je tournai vers moi et me garantit que nous étions des âmes sœurs. Je ris d'abord nerveusement, puis en l'entendant rire à son tour, je fus tout de suite plus sereine. Ce n'était pas la nouvelle version du psychopathe du chêne. De nos rires s'ensuivit une conversation - sur les (idiots)  personnages de On ne badine pas avec l'amour- à la fin de laquelle je me rappelai (finalement) de son prénom.

Finn.

C'était le garçon que j'avais vue observer la serre de rose le premier jour, le blond en tee-shirt blanc. Celui qui allait à son cour de peinture lors de la visite que mes parents et moi avions faite lors de mon arrivée.

-Ton nom c'est Finn pas vrai ?

-Affirmatif, Finn De Large, pour vous servir Mademoiselle Alice Langford. Se présenta t-il en faisant un clin d'œil à mon air surpris.

-Docteur Molinaro ? Le questionnais-je en penchant ma tête sur le côté.

-Non. Madame Graham. Me certifia t-il d'une voix aimable.

- Laisse-moi deviner. "A Finn, il y a une petite au quatrième étage, elle est tellement mal au point. Ah mon grand, tu es si gentil tu ne veux pas allez la faire rire un peu ?" Énonçais-je en imitant la voix de notre cuisinière. Secrètement amère.

-Oui... c'est à peu près ça. M'avoua t-il en baissant légèrement la tête, perdant son sourire par la même occasion. Mon sourire disparu dans le même temps. Il n'était pas comme Elia... On lui avait demandé de venir me voir...

Le psychopathe du chêne avait plein de défauts, mais au moins il était venu de lui-même. Il était sincère. D'une sincérité parfois déconcertante d'ailleurs.

-Félicitation Finn De Large. Tu as réussi, j'ai ri. Dis-je d'une voix acide en me levant d'un geste brusque, me laissant aller à ma frustration. Il tenta de me retenir par le bras, mais je me détachais d'un geste brutal.

-Alice attend ! Tenta-t-il de me retenir, un air désolé sur le visage.

-A plus Finn. Le saluais-je toujours aussi froidement, sans me retourner. Mes jambes me portaient presque d'elle-même jusqu'à la serre. Lorsque j'arrivai devant elle, je remarquai la présence d'un cadenas sur la porte. Mon visage collé à la paroi, je constatai qu'il n'y avait plus personne. Le brun avait du fermer après être sorti.

Mais qui ferme à clef une serre remplie de rose ? M'interrogeais-je en levant les yeux au ciel, me trouvant bien simplette de continuer de me poser des questions aussi vaines quand il s'agissait de lui.

Je me tournai vers le blond, puis ressentis encore un pincement au cœur lorsqu'il m'envoya un petit signe de la main depuis le bas du chêne.

Ça aussi on lui avait demandé de le faire ?  Pensais-je, touchée dans mon ego.

Je décidai de rentrer à l'intérieur de Hallow. Les marches n'émirent aucun cri lorsque je les grimpai deux à deux. Une fois devant ma chambre, je poussai le battant de bois rouge et repartis m'effondrer sur mon lit.

Depuis ma place, j'observai ma valise qui patientait toujours dans un coin de ma chambre. Prise d'une pulsion que je ne saurais décrire, je me dirigeais vers elle, l'ouvrit et en sortit tous les vêtements que je jetais sur le sol. Je les observais, longuement, me demandant ce que les ranger signifierait.

Cela signifiera que tu acceptes enfin de vivre. Annonça ma conscience d'une manière si douce que je fus à deux doigts de fondre en larme.

Après avoir plié les vêtements, je les rangeai, par couleur, dans l'armoire à ma disposition, je fus étonnée de voir ma robe de dentelle noire étendue sur le parquet de ma chambre. Je le fus plus encore lorsque je ne surpris aucune émotions me serrer le cœur pendant que je pliai la robe. Le soir, je mangeai goulûment tout ce que je fus capable d'ingurgiter sur mon plateau, sous l'œil ravi de Madame Graham- à qui je n'arrivais pas à en vouloir parce que je savais qu'elle avait voulu bien faire- puis, j'avalais docilement mes doses de Valium prête à m'abandonner au sommeil qui allait s'emparer de moi après que le médicament eut fait effet. On ne badine pas avec l'amour retrouva sa place dans ma bibliothèque de laquelle je sortis -pour la énième fois- mon exemplaire défraîchi d'Orgueil et Préjugés que je posais sur ma table de nuit, m'imaginant déjà le lire sous le chêne par un jour ensoleillé où dans la salle commune par une journée pluvieuse. Une fois que je fus dans mon lit et prête à dormir, je souris juste avant de fermer les yeux. J'acceptais enfin de vivre. Pas pour faire plaisir à mon père. Pas pour rendre fière ma mère. Pas pour contredire Paul qui me considérait comme une cause perdue. Pas pour Elia. Pas pour Basil. Ni même pour Sam. J'acceptais enfin de vivre pour moi. Parce que je le voulais, parce que je pensais le mériter.

Même si Hallow n'était pas à la vie que je rêvais d'avoir, ça n'en reste pas moi une vie. Mais c'est la définition même d'un rêve, être irréalisable. Me rappela ma conscience qui s'était tue durant un laps de temps bien inhabituel. Même sa remarque ne vient pas à bout de ma joie soudaine.

***

Postée, derrière ma fenêtre, je m'ennuyais. Il y avait très peu de chose à faire dans un hôpital psychiatrique, à cinq heures du matin. Lorsqu'on n'arrivait pas à dormir.  Cela faisait donc un peu plus de quatre heures que j'épiais le monde extérieur -le parking de l'hôpital (silencieux et vide)- depuis ma vitre close. J'avais tiré les lourds rideaux noirs ce qui permettait, à la lumière blanche de la lune de s'infiltrer dans ma chambre. L'ombre que me dessinait la lumière de l'astre était la plus gracieuse qu'il ne m'eut jamais été donné de voir pour ma propre personne. Je m'amusais -tel une enfant- de ma forme dans le clair-obscur,  puis, je m'allongeais à même le parquet en me demandant ce que j'allais faire jusqu'à neuf heures.

Je n'avais pas été réveillée par un bruit venant du plafond ou un cauchemar qui m'avait terrorisé au point de me retirer toute trace de sommeil. J'avais simplement été prise d'une chose qui ne m'avait pas saisi depuis longtemps : l'insomnie. La fatigue refusait de s'emparer de moi –malgré la prise de Valium- et mon esprit tournait au quart de tour sur des sujets tous plus débiles les uns que les autres. Des sujets tels que Lui...

Une idée me parvient, lorsque son (beau) visage s'imposa à ma mémoire. Son splendide visage tout entier me suggérait l'idée qui m'était venue en tête alors que j'essayais de me convaincre qu'elle n'était pas correcte. A savoir : fouiller le bureau du Doc pour gagner le pari. Ses incroyables iris argentés me défiaient pendant que je me levai et me dirigeai vers la porte que j'ouvris sans grande difficulté vue qu'elle n'était –à mon grand étonnement- pas fermée à clef.

Une fois que je fus sur le seuil de ma chambre, j'entendis les discutions des veilleuses de nuit et compris que descendre, feuilleter un dossier-censé être confidentiel- allez être plus difficile que prévu. Retirant mes chaussons et les laissant devant la porte, je descendis sur la pointe des pieds, grimaçant à chacun des bruits de craquement produits par la vieille bâtisse, cherchant (désespérément) une excuse à mon comportement.

J'arrivai au rez- déchaussée sans rencontrer la moindre veilleuse. Encouragée par cet exploit, je souris de toute mes dents et courus presque jusqu'à la porte du bureau du Doc. Un faisceau lumineux ainsi que des voix provenant des escaliers me firent de suite sursauter. Ne sachant pas où aller je commençai à tourner en rond, puis je constatai que la porte de la salle commune n'était pas fermée, la porte était même grande ouverte. La pièce se apparut dans mon esprit comme un eldorado tandis que la panique me faisait transpirer comme un porc. Je rampais sous le piano et les entendis passer alors qu'elles étaient en pleine conversation :

-Il est encore sortit de sa chambre ! Rouspétait l'une d'entre elle d'une voix agacée.

-Évidement qu'il s'est encore sauvé ! C'est l'un des plus dangereux et on lui donne la clef pour sortir ! Des fois je me demande ce que le chef a dans la tête. Répliqua la seconde sur le ton de celle qui en a vu d'autres.

-Je te jure... parfois j'ai peur de venir travailler ! Et pour le Doc, c'est normal, il y a des rumeurs qui disent qu'il l'aurait adopté depuis...

-Ce sont des rumeurs Angie. Rien de plus que des rumeurs. La coupa la seconde, visiblement agacée de s'entendre raconter les bruits de couloir. Et, n'aies pas peur, tu as vingt cinq ans et toute ta tête, lui n'en a que dix-sept et... et bien il est là... Il ne peut pas te faire grand chose. Assura-t-elle à sa collègue qui répondit par un hoquet d'approbation.

Elles passèrent toutes deux devant moi sans qu'aucune ne me remarque. Mon cœur battait la chamade et mes paumes étaient moites alors que je me demandais de qui, elles parlaient. De qui la prénommée Angie avait si peur ?

Une fois que je les eus entendues remonter les escaliers, je me sortis de ma cachette et me redirigea vers le bureau du doc. Ma main se posa sur la poignée que je tentai de tourner mais rien n'y fit, la porte était fermée à clef.

-Il la ferme tous les soirs lorsqu'il part, et puis il met la clef dans la poche de sa sacoche de cuir noir. Il n'a pas confiance -avec raison si tu veux mon avis- en ces fouineuses d'infirmières. Cracha une voix voluptueuse au creux de mon oreille. Sa voix voluptueuse. Les poils de mes bras ainsi que ceux de ma nuque se hérissèrent et un frisson parcourut mon échine.

Je l'avais reconnu, ce qui m'avait évité de hurler, mais le reconnaître ne m'avait pas empêché de faire une mini crise cardiaque. Sentant sûrement mon trouble, il se saisit de mon coude, enfonça la clef dans la porte, la tourna et me fit asseoir sur le même fauteuil bordeaux que celui sur lequel je m'étais installée le jour de mon arrivée. Après m'avoir assise, je le vis -pour la première fois- hésiter. Il me regarda, regarda le fauteuil à ma gauche, puis le siège noir du doc, son regard revient vers moi qui m'était calmé et il fit –quand même- le choix de tirer la chaise bordeaux pour se poster plus près de moi encore.

Comment était-il arrivé là sans que je ne m'en rende compte ? Était-ce lui que les veilleuses cherchaient ? Était-ce de lui qu'Angie avait si peur ? Me demandais-je en le regardant par-dessous mes cils alors qu'il se glorifiait en me servant son plus éblouissant sourire :

-Heureusement que j'étais là, sinon tu te serais effondrée dans le couloir.

-Justement, c'est toi qui m'a fait peur, c'est toi la cause de tout ça ! Répliquais-je en me désignant.

-Ravie de savoir que je continu à avoir cet effet sur toi. Sa voix me fit lever les yeux au ciel alors qu'il s'approchait encore un peu plus. La moue séductrice présente sur ses lèvres me fit trembler.

-Cependant, ne prend pas tes rêves pour des réalités. Le désapprouvais-je en posant une main sur sa joue (dieu qu'elle était douce !) pour le repousser gentiment, loin de mon visage.

Comment tu as eu cette clef ? Demandais-je finalement, faisant mine de ne pas remarquer qu'il me foudroyait du regard. Visiblement, il n'était pas habitué à être repoussé. Il allait finir par prendre le pli !

-Je suis un excellent voleur.

Avant même que j'ai le temps de penser à une réponse, il posa sa main sur ma bouche. Forçant les sourcils je m'apprêtai à le rabrouer après l'avoir repoussé, mais le brun me fit signe de se taire en posant un doigt sur ses propres lèvres. Après qu'il eut retiré sa main, il se dirigea vers la porte qu'il ouvrit un peu. Immédiatement, une raie de lumière et des voix nous parvinrent. Je l'entendis jurer à mi-voix puis ce psychopathe me tendit sa main et sans même observer ma réaction où mes possibles objections, s'empara de ma paume et me tira à sa suite jusqu'à la salle commune.

C'est lui qu'on cherche. Saisis-je en observant son dos pendant qu'il s'affairait à nous choisir une cachette pour deux dans la pièce à la porte violette.

Une fois que nous, nous fûmes dissimulés à plat ventre derrière le canapé d'angle blanc. Le brun me fit jurer à mi-voix -un air très sérieux sur le visage- de me taire pendant qu'il allait fermer la porte du bureau et poser la clef dans l'un des tiroirs de la secrétaire. Je hochais docilement la tête et le regardai sortir de notre cachette puis de la salle avec l'élégance et la souplesse d'un chat. Lorsqu'il fût de dos à guetter qu'il n'y avait personne, depuis l'entrebâillement de la porte,  je pus l'observer à loisir sans craindre qu'il ne s'en rende compte. Ses cheveux noirs étaient encore plus en bataille que la dernière fois que je l'avais vue, il venait surement de sauter du lit. Ses épaules, plus visibles dans ce pyjama que dans son manteau était plus carré et sa musculature était bien plus développée que ce à quoi je m'attendais, si bien que durant une minute ou deux je me surpris à rêvasser. Sa tenue de nuit était composée d'une chemise de flanelle bleue et d'un bas de la même couleur. Lui non plus n'avait pas de chaussures, ses pieds étaient aussi pales que sa figure. J'en vins donc à la conclusion que toutes les parties de son corps étaient blêmes. Il disparut à la minute même ou j'eu fini mon observation...

Il l'avait fait exprès, il savait.

Une fois qu'il eut disparu de mon champ de vision, je constatais qu'il avait laissé un dossier sur le sol. La pochette du dossier était d'un noir profond, avant de l'ouvrir je l'observais sous toute les coutures me demandant Pourquoi ? Pourquoi il m'avait donné son dossier aussi facilement, son dossier –supposais-je- qui révélait tout. Pourquoi voudrait-il tout me révéler alors qu'il s'était donné tant de mal à inventer ce jeu ?

J'étais sur le point de l'ouvrir quand il déboula dans la pièce, il sauta presque sur le dossier et le retient contre son cœur comme pour le protéger. Il me lança un regard noir, qui s'adoucit bien vite.

Tu en fais trop....Je sais que tu as fais exprès de le laisser là !

Cependant, je ne dis rien, voulant voir jusqu'où toute cette mascarade allait nous mener.

Une nouvelle fois, l'Inconnu se saisit naturellement de ma main et m'emmena jusqu'à la serre. Serre devant laquelle il s'arrêta le temps de sortir un trousseau de clefs de sa poche. Si j'avais bien compté, il y avait dix clefs, toutes de taille différente.

Les clefs. Remarquais-je alors que les paroles de l'une des infirmières me revenaient en mémoire : « on lui donne la clef pour sortir ». Tous les indices menaient à lui et pourtant... Quelque chose en moi était contre la réponse qui s'imposait d'elle-même.

La plus petite clé se trouva être celle qui ouvrait le cadenas de la serre.

-Pourquoi un cadenas ? Le questionnais-je

-Parce que cet endroit m'appartient. Répondit-il à voix basse en me reprenant la main pour me mener jusqu'au fond de la petite serre dans laquelle nous ne pouvions -ni l'un ni l'autre- tenir debout.

- Tu sais, je sais marcher. Assurais-je en désignant du menton sa main qui tenait toujours la mienne.

-Je sais. Mais, j'aime bien. Confessa-t-il en haussant les épaules. Je sommai à mon cœur de ne pas prendre en compte cette dernière phrase, je lui ordonnai de garder un rythme normal. Évidement, mon ordre fut royalement ignoré... Nous nous assîmes tous deux en tailleurs à l'endroit même ou je l'avais vu plus tôt dans la journée.

-C'est toi qu'elles cherchent ? L'enquérais-je d'une voix cassée et rauque que je me reconnu à peine.

-Non... C'est toi. Dit-il d'un ton blasé tout en caressant les pétales d'une rose rouge fraîchement plantée.

-Ah.

Je n'y croyais pas le moins du monde. Nous savions tout deux ce qu'était la vérité, mais elle ne fut pas abordée. Le silence s'installa jusqu'à ce que je le brise en demandant ce qu'il y avait dans cette pochette que j'avais failli ouvrir. Le sourire ce réinvita sur ces lèvres alors qu'il me tendit religieusement l'objet.

Sous ses yeux pétillants d'impatience, j'ouvris d'une main tremblante la pochette qu'y ne contenait que l'impression d'une feuille de cahier. Une écriture -presque illisible- de médecin noircissait la page, je tentais de déchiffrer les lignes lorsque le brun prit la parole:

-Je la connais par cœur. Je l'ai tellement lue, relue et relue encore. Je peux t'en faire la récitation si tu le souhaite. J'ai cru comprendre que tu étais sensible à ce genre... d'art. Son ton était cassant lorsque je relevai la tête vers lui, un éclat inconnu passa dans ses pupilles.

Il est jaloux Finn ! Pensais-je immédiatement alors que le brun commençait à débiter mot pour mot ce que je crus déchiffrer sur la feuille.

-Alice, Katherine, Evelyne Langford. Née le 24 décembre 2001 à la clinique Saint Joseph de Lyon. Fille de Charles Langford et de Catherine Langford, née Baldin. Ainée d'une fratrie de deux. Frère : Paul, Timothie, Charles Langford.

Mes mains se mirent à trembler alors que je comprenais peu à peu ce qui était en train de se passer...

-Atteinte de schizophrénie aiguë et d'une nervosité extrême. Alice présente des hallucinations visuelles, auditives et sensorielles. Continua-t-il

Ma vue se brouilla alors qu'il poursuivit d'une voix terne, presque éteinte :

-Tentatives de suicide : quatre. Présence de scarification. A subit un harcèlement scolaire durant quatre ans. Internement après deux crises violentes l'ayant blessée et blessé autrui le même jour. Suivie précédemment par le Docteur Arthur Richardson. Entrée a Hallow le 24 décembre 2017, suivie désormais par le Docteur Philipe Molinaro. L'Inconnu n'avait surement pas tout dit mais il s'arrêta. Peut-être parce qu'il vit mes larmes. Peut-être parce qu'il ne se souvenait plus de la suite.

D'un œil embrumé je le vis lever la main pour venir essuyer l'une de mes larmes. Je le repoussai violemment et me reculai jusqu'à me trouver adossée à la structure du jardin d'hiver. Sans le vouloir, j'écrasai l'une des roses et brisa sa tige verte sous ma paume. Un cri étouffé lui échappa lorsqu'il vit le cadavre de la fleur.

-Pourquoi... Pourquoi tu fais ça... Demandais-je des sanglots dans la voix alors que les larmes continuaient de couler.

-Pourquoi je fais quoi ? Soudainement il paraissait las et fatigué, comme si des tas d'années et d'actions pesaient sur ses épaules. Peut-être étais-ce la lumière pâle de l'astre lunaire, les larmes ou bien l'atmosphère étouffante de la serre mais durant un instant ce psychopathe brun me sembla terriblement vulnérable.

-Pourquoi tu me fais ça ? Qu'est-ce que je t'ai fais pour que tu te montres si monstrueux envers moi ? Je ne te connais même pas ! Lui crachais-je à la figure alors qu'il fixait la pauvre rose qui gisait entre ses doigts. L'un des pétales rouges de la fleur –qui avait été si belle, si parfaite- se détacha de la plante pour flotter et se poser avec la légèreté d'une plume sur son genou. Ses yeux argentés, qui s'étaient faits plus sombres, fixèrent ce pétale alors que je bafouillai d'une voix étranglée :

-D'abord tu m'embrasses comme ça, sans aucune raison valable,  puis tu m'embrouilles avec tes jeux et maintenant tu fais la liste de tous mes.... Tout mon passé ! Tu aimerais qu'on te fasse ça ? Je ne crois pas ! Alors pourquoi tu me le fais à moi ? Tu ne crois pas que je souffre pas assez d'être ici ? Tu ne crois pas que je paye assez ? Tu ne vois pas que j'essaye de m'en sortir ? Ma voix s'était essoufflée au point que je ne fus même pas sûre qu'il ait entendu ma dernière phrase.

- Réveille-toi ! Me cria t-il presque d'une voix courroucée après qu'un long silence ce fut étendu entre nous. Sa phrase sembla ricocher contre les parois de verre avant de s'écraser contre moi. S'écraser en plein cœur.

-Tu es... Tu es ... Tu es belle. Reprit-il après avoir avalé une grosse goulée d'air humide. A bien des égards tu es très belle ... malheureusement. Soupira-t-il en secouant la tête de droite à gauche. Malheureusement... Répéta le brun d'une voix étouffée. La colère et la tristesse semblait s'être alliées et appuyaient tellement sur sa cage thoracique qu'elles le faisait bégayer Durant un instant, je crains qu'il ne soit en plein délire. Ma crainte redoubla lorsqu'il approcha son visage du mien. Je ne supporterais pas un nouveau baiser vide de sens. Pensais-je alarmée alors que sa main douce et pâle venait, dans un geste tendre, essuyer les larmes qui glissaient encore sur mes joues. Puis il posa son front contre le mien, ses pupilles s'étaient faites tellement sombres et profondes qu'elles tiraient plus sur la teinte noire de l'ardoise que sur l'argent brillant auquel j'avais commencé à m'habituer. Ses iris devenues graves continuèrent de me fixer tandis qu'il chuchotait entre deux inspirations difficiles :

-Malheureusement, tu es de ce monde ou les plus belles choses on les pires destinées.

Il semblait si désolé que durant un instant, je voulus le prendre dans mes bras. L'empêcher d'avoir mal, lui retirer sa peine au risque de la prendre pour moi.

-Malheureusement tu es de ce monde ou l'on n'échappe pas à sa destinée. Ses derniers mots étaient presque morts sur ses lèvres tant ils les avaient prononcé à voix basse. Le brun se sépara de moi aussi rapidement qu'il s'était approché. A la lumière de la lune, je crus voir ses yeux s'éclaircir jusqu'à retrouver cette couleur argentée qui était la leur.

Une ombre lugubre flottait sur ses traits. Une nouvelle fois, je voulus le prendre dans mes bras. Le serrer si fort, que tous les petits bouts de son être brisé se recolleraient. Les yeux du psychopathe brun étaient fermés, il avait la même expression que celle d'un prince endormi qui avait perdu tout espoir d'être un jour réveillé...

Tout espoir d'être un jour aimé... Soupirais-je intérieurement en me retrouvant dans cette peine que je lui prêtais. Sur un coup de tête, oubliant toutes les étrangetés passées, je m'approchai de sa joue opaline et y plantai un baiser bref. Il sembla surpris de mon geste mais me sourit d'une toute nouvelle manière que je n'arriverais pas à décrire. C'était un tout petit sourire. Un petit sourire de garçon perdu et reconnaissant. Un petit sourire de cœur brisé quelques peu réchauffé. Pas réparé, mais au moins réchauffé. Un sourire que jamais je n'aurais voulu voir disparaître...

-Tu es l'une de ces belles choses toi ? L'une de ces belles personnes ? Lui demandais-je une fois que j'eus retrouvé ma place et que j'eus ravalé la boule qui bloquait ma gorge.

Il me tendit la rose à la tige cassée. Je ne fis aucun geste pour la récupérer. Son sourire – à mon grand dam- disparut vite remplacé par l'une de ses expressions séductrices, bien connues.

-Oh non !Rit-il d'une voix grave, puis il se reprit et confessa :

-J'ai été beau, il fut un temps. Magnifique même. Mais, c'était dans un temps très ancien ! Maintenant je suis laid. Que dis-je ? C'est un euphémisme ! Il n'y a pas de mot assez fort pour décrire la laideur qui s'est emparée de moi. Je suis... comme ces roses, j'ai été beau, mais une fois que le soleil à disparu, je me suis fané, ratatiné sur moi-même... Je n'avais pas de serre pour me protéger de la pluie et du vent qui m'ont fait si mal. Mais ne t'inquiètes pas, ça ne t'arrivera jamais. Me jura le brun sans me regarder. C'était presque une promesse.

Tu es tout sauf laid crois moi! Pensais-je bêtement en regardant son profil qui brillait sous la Lune. Je crus voir une larme couler le long de cette joue que j'avais embrassée, mais quand je regardai après avoir cligné des yeux, je ne vis plus rien.

J'avais dû rêver. Ou il l'avait rapidement essuyée d'un revers de la main quand je ne regardais pas...

Il me tendit un peu plus la rose que je refusai:

-Je n'aime pas les roses rouges.

-Tu es stupide.

-Elles font l'apologie de l'amour cliché. Je n'aime pas l'amour. Prétendis-je d'une voix qui sonna fausse à mes propres oreilles. Et encore moins l'amour cliché.

-Tu es stupide. Répéta-t-il d'un ton catégorique en enterrant la rose d'une main délicate.

***

Au milieu de cette sombre et froide nuit, l'Inconnu laissait sa tête reposer contre le verre d'une paroi de la serre. Le brun avait fermé les yeux et pour une fois, il n'avait pas son rictus habituel.

Sur son visage flottait l'ombre d'un sourire étrange qui oscillait entre l'assurance et le désarroi.

Il était très beau.

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