CHAPITRE 24 (3)
Chapitre 24 (3)
Souvenirs_
Les rêves se rapprochent parfois plus de la vérité, que le monde réel lui-même. Et c'est à moi de décider si je préfère me réveiller, ou sommeiller encore un peu. Parce que les draps de mon matelas sont si moelleux et que dehors il fait tellement froid.
Cependant, rester enchevêtrée dans mon lit dans le confort de mon quotidien et de ma situation actuelle, cela se résulte à demeurer dans l'ignorance jusqu'à la fin de ma misérable existence. Cela signifie que je renonce définitivement à mes souvenirs. A la « Heaven » d'autrefois et à ma relation avec Andréas avant la fissure dans le verre. Avant la perte de la page la plus importante du livre. Avant l'égarement de la tige qui maintenait jusque-là les pétales de la rose ensemble. Jusque-là. Mais depuis quand ? Où ça ? Comment et pourquoi ? Et surtout, quoi ?
Je ne suis pas journaliste ni même enquêtrice. Je ne sais même pas par où commencer. En plus, tous les débuts de réponses que j'ai amassées se sont transformées en une boule de fils qui s'emmêlent chaque jour un peu plus. Me voilà bien embêtée, puisque je déteste la couture.
Mais peut-être que c'est mieux ainsi, non ? Aux côtés d'Andréas, j'ai appris à devenir une personne meilleure. J'ai cessé de prendre les gens de haut et je les regarde désormais droit dans les yeux.
Il est vrai que je continue à profiter de chaque jour comme si c'était le dernier. De même, j'ai toujours quelques pulsions divinatrices dues à mon passé de pseudo princesse du monde.
Malgré cela, je me plais à croire que je deviens peu à peu une version améliorée de moi-même. Tout comme un tiramisu, je deviens plus goûtu avec le temps.
Alors que va-t-il se passer quand j'apprendrai la raison de mon oubli ? D'ailleurs, il se peut que la « moi » d'avant ne veut pas que je me souvienne. Pire encore, il est possible que j'eusse volontairement effacée mes souvenirs à coup de baguette magique et de poudre blanche.
Si tel était le cas, cela serait abominable. J'en viens même à voler la notion de dilemme à Don Juan. Savoir ou ignorer ; telle est la question.
J'aimerais que quelqu'un soit dans la même situation que moi et que cette personne sache me guider et m'aider à choisir la bonne réponse. Mais y a-t-il seulement une solution plus respectable qu'une autre ? Ou même une interrogation à ce problème ?
Cependant, face à cette question sans réponse, me voilà seule.
Des indices. Il y a des indices partout. J'en suis certaine.
Mon aversion pour les hôpitaux. Ma santé un peu fragile. La cicatrice sur mon genou qui m'empêche de jouer au volley comme avant. Celle sur le torse d'Andréas. Le fait qu'il ne se déplace qu'en vélo ou à pied. Sa peur des véhicules motorisés. Nos crises de panique. Une souffrance commune dont je n'avais même pas conscience.
Deux artistes. Un pot de peinture qui se renverse. Une toile à jamais souillée.
Un flash me revient ; le craquement des os qui se brisent. Un autre ; la torsion involontaire de mon corps face à la gravité qui me joue des tours. Encore un ; les éclats de verre qui explosent devant mes yeux. La projection des perles rouges autour de moi. La contorsion de l'acier et l'odeur métallique du sang. De la neige. De la mort. De nous.
Nous. Andréas et moi.
Des petits fragments de temps défilent sous mes paupières telles des paroles d'une chanson poétique sur l'écran d'un portable. Cependant, je suis comme paralysée. Spectatrice de cette scène que je ne comprends pas et que je ne parviens pas encore à analyser.
Pourtant, elle est la clé de la perte de mes souvenirs. Elle est la première et la dernière page de mon histoire.
Les pages du livre de ma vie sont jaunies, froissées, tâchées de café et même déchirées pour certaines. Mais c'est comme ça qu'il est. Comme ça qu'il vit.
Il n'est pas construit de ma plus belle écriture. Ratures, bavures, mots effacés ou ajoutés. Il est brouillon et maladroit. Il est loin d'être fini, il fait peur à voir. En d'autres termes, il est différent.
C'est fou ce qu'il me ressemble.
Chaque phrase en italique, surtout celles en fin de chapitre, sont des indices considérables dont je n'ai pas pleinement conscience. Pourtant, c'est bien eux qui font et feront bientôt toute la différence.
Il faut savoir lire entre les lignes pour démêler une histoire.
Il faut parvenir à freiner et à tourner assez vite pour éviter le choc de l'élément déclencheur.
Après cette secousse psychique d'une force phénoménale, une plénitude inattendue détend peu à peu mes membres. Elle m'enfonce avec malice dans les profondeurs de mes songes, comme on s'engloutirait dans du caramel mou.
C'est ça qu'on ressent quand on meurt ?
D'abord lointain puis aussi proche qu'un moustique près de mes lobes, un long sifflement retentit dans mes tympans et s'étire comme un nouveau-né après une bonne sieste. Il se met à faire des vagues et me donne le tournis. Cela serait presque agréable. Mais la douleur arrive après coup et elle remonte le long de ma colonne vertébrale avec la vitesse et la force d'une famille de fourmis rouges assoiffées de sang.
La douleur physique est atroce mais finit par disparaitre, parce que la plaie se referme avec le temps, même si elle laisse parfois une cicatrice. Comme celle sur mon genou. La souffrance psychologique, elle, est éternelle. Comme celle dans mon cœur.
Tout à coup, mon cauchemar s'achève lorsque qu'il se heurte au monde réel avec trop de brutalité.
En effet, un cri déchirant pourfend la quiétude de la maison endormie et parvient à mes oreilles.
Prise d'un violent sursaut, j'émerge et me redresse sur mon lit d'un seul geste. Un peu étourdie, je regarde autour de moi mais c'est pour rencontrer le brouillard de noirceur qu'offre ma chambre en cette heure tardive. Parce que c'est au plus profond de la nuit que les ténèbres naissent, que parfois vers minuit elles ressurgissent.
Je fronce les sourcils et me rappelle avoir laissé Andréas se reposer sur le canapé dans le salon, tandis que j'ai décidé de dormir seule dans ma chambre. En outre, je ne me sens pas encore prête à assumer une grossesse non désirée à 16 ans.
Quelque peu agacée de m'être réveillée pour rien, j'attends tout de même quelques secondes afin de m'assurer que je n'ai pas rêvé.
Seul un calme énigmatique me répond. Génial. Si le silence est d'or, ce soir, je suis riche. Toutefois, c'est souvent dans la plus profonde des quiétudes que surgissent les cris muets les plus ravagés.
Lassée, je pousse un soupir et me laisse de nouveau choir dans mes draps si moelleux et confortables. Là, j'entreprends de me rendormir en me disant que cette vocifération n'était que les prémices d'un songe imminent.
Ou plutôt, le malicieux rappel d'un cauchemar éternel.
Mais je ne saisis pas l'occasion de fermer mes mirettes à temps que déjà, une exclamation fait de nouveau trembler les murs, suivie de près par un fracas assourdissant.
Un meuble renversé. Du verre brisé. Une âme bousillée.
Le cœur battant, je saute sur mes pieds et traverse le couloir à toute allure, si vite que mes épaules ricochent contre les murs telles des balles de pingpong. Puis, je déboule les escaliers dans le noir. Une fois arrivée dans le séjour, j'écrase ma main contre l'interrupteur et les ténèbres laissent place à un chao bien plus impressionnant. Plus terrifiant.
Dans le noir ; on est aveugle, on appréhende, on se fait des illusions. Sous le feu des projecteurs ; il n'y a pas d'échappatoire possible. C'est la réalité pure et dure.
Sur mon visage ; un hoquet de surprise suivit d'un mouvement de recul. Dans mon cœur ; un ouragan de torpeur.
On dit qu'il suffit d'être épris d'une âme pour avoir la chance ou plutôt la peine de ressentir ses sentiments. En quelques sortes, c'est un effet miroir. Cette observation n'a jamais été aussi vraie.
Je découvre Andréas assis à même le sol, le dos appuyé contre le canapé et les jambes étendues devant lui. Ses cheveux sont humides de sueur, ses joues baignées de larmes et sa poitrine monte et descend trop rapidement. Dans le coin de ma vision, je remarque que sa main droite est enserrée autour d'une bouteille de Get.
De l'alcool. Il ne manquait plus que ça.
J'ai eu l'occasion de découvrir de nombreuses facettes d'Andréas. Mais celle de lui soul, je ne la connais pas encore et je dois avouer que je l'appréhende particulièrement.
Je sursaute quand son reniflement raisonne dans le silence de la pièce. Il agonise dans une douleur que je ne connais pas. Que je ne comprends pas. Une souffrance monstrueuse qu'il dissimule si bien.
Si moi, je me cachais derrière un masque en papier mâché qui a fondu avec mes larmes, lui, il disparaît derrière un déguisement en béton armé. Il titube en le traînant avec lui, partout où il va, même quand il est avec moi. Et ça, ça me déchire.
Une charge si lourde qu'il trimballe sur ses épaules, qu'il se brise peu à peu la colonne vertébrale. S'il continu ainsi, bientôt, il ne pourra plus ignorer la douleur et avancer sur le sinueux chemin de la vie.
Il suffit de perdre l'équilibre un peu trop longtemps pour basculer de l'autre côté. Dans le vide qu'offre la mort.
Ma vision passe en revue le désastre du séjour autrefois chaleureux et désormais lugubre. Les flûtes en cristal ont apparemment volé dans tous les sens et ont explosé sur le sol comme des boules de neige, dans des étincelles de verre brisé. Une chaise s'est vue démembrer en un claquement de doigt et le craquement du bois a probablement dû raisonner dans l'espace. Le vase rempli de roses rouges se trouve désormais écrasé contre mur et sur le sol, et les gouttelettes folles glissent et se hâtent en direction du parquet.
Andréas a été pris d'une rage folle. Ses joues sont tellement rouges. Ses yeux sont ruisselants. Son regard n'est qu'un océan de torpeur.
Je frissonne d'appréhension en ne sachant pas si le calme après la tempête est réellement plus soulageant. Mon cerveau ne sait pas comment réagir, mais mon cœur semble en avoir la connaissance. Alors, à l'image d'un dresseur de tigres qui se retrouve face à un minuscule chaton apeuré, je m'approche avec précaution et m'accroupis devant lui.
Avec le bruit du froissement de mon pyjama licorne, son menton se relève, sa bouche s'entrouvre et ses prunelles rencontrent les miennes.
Une pluie d'étoiles dans son regard, un éclat de larmes sous ses paupières.
-Drédré...
-Hev'...
Nous avons parlé en même temps.
Tout comme on aurait passé son doigt sur le trait gras d'un crayon de papier, il esquisse un bref sourire, qui s'estompe aussitôt.
Et les larmes ressurgissent. Et le chagrin revient.
Alarmée, je balbutie maladroitement des paroles qui se veulent réconfortantes tout en posant mes mains sur ses épaules.
-Andréas, je suis là. Tu n'as pas besoin de te mettre dans tous ces ét...
-Ta gueule.
J'ai un bref soubresaut, mais connaissant un peu les différentes personnalités d'Andréas, j'en déduis que je ne m'y prends pas de la bonne façon.
Je pousse un profond soupir afin de rassembler mes idées, me mets en tailleur en face de lui et pointe du doigt la bouteille qu'il serre désormais contre lui comme un ours en peluche.
-Où-as-tu trouvé ça ?
Il cligne plusieurs fois des mirettes, abaisse lentement son regard vers la bouteille puis plisse les yeux comme un enfant à qui on demande combien font six plus neuf.
-Dans le placard de la cuisine, idiote.
Le muscle de ma mâchoire tressaute. Reste calme, Heaven. Calme.
-Et tu avais réellement besoin de mettre le désordre dans ma maison et de tout casser pour la trouver ?
Il hausse les épaules avec nonchalance et essuie son visage du dos de la main.
-Non...
Sa voix est fluette, rauque. Comme si je venais de le gronder. Pour confirmer mes dires, il renifle et sa moue paraît tellement chagrinée qu'elle m'enserre le cœur.
-Andréas, pourquoi tu pleures ?
Ses épaules se crispent, il se renfrogne.
-Dit, tu veux jouer au Mono... ?
-Non, je l'interromps sur la défensive. Et n'esquive pas mes questions s'il te plait.
Il me tire la langue avec une gaminerie que je ne lui connaissais pas.
-Méchante sorcière.
-Stupide crétin.
Les éclairs dans nos yeux crépitent et il finit par détourner le menton dans un geste théâtrale.
Je souffle et me masse les tempes tandis qu'il s'amuse à éviter avec beaucoup de soin ma vision prédatrice. Je me mords l'intérieur de la joue puis ajoute :
-Je croyais que tu ne buvais pas.
Andréas semble soudain s'intéresser à ce que je lui raconte car il se redresse presque immédiatement.
-Je n'ai jamais dit ça.
Je m'incline légèrement en avant.
-C'est vrai. Mais tu m'as dit la dernière fois que tu n'étais pas du genre à passer du temps à une soirée. J'en ai déduit que tu ne buvais pas d'alcool. Et puis, tu n'es pas en âge de toute façon, pas vrai ?
Ironie du sort, étant donné que je suis loin de l'être moi aussi.
Pris en flagrant délit, il dissimule maladroitement la bouteille dans son dos.
-Avoir 19 ans, c'est toujours mieux que 16 pour essayer de boire. Nah !
J'abaisse mon menton et murmure de façon presque inaudible :
-J'étais persuadée que tu n'avais que 18 ans.
-C'était vrai jusqu'à aujourd'hui, ou plutôt hier. Le dixième jour de printemps, c'est mon anniversaire.
Hein ? Deux ?! TROIS ?!
Prise au dépourvu, je me redresse d'un bond et manque de tomber à la renverse. Face à mes yeux de merlan fris, Andréas éclate de rire et brandi de nouveau sa bouteille.
-Joyeux anniversaire à moi-même !
Sur ses mots, il apporte le goulot à sa bouche et avale langoureusement trois longues gorgées. Une goutte de boisson mentholée s'échappe et se coince un instant sur sa commissure avant de glisser le long de sa mâchoire puissance. Sa pomme d'Adam monte et descend dans un mouvement saccadé et je déglutis, la gorge sèche.
Mais je fronce les sourcils pour me recentrer devant sa festivité et m'installe de nouveau convenablement.
-Et pourquoi tu ne me l'as pas dit ?
Andréas a dû remarquer mon instant de flottement car il se retrouve lui aussi figé, la bouteille en suspens à quelques centimètres de sa bouche. Ses pupilles sont dilatées et il se lèche les lèvres avec gourmandise en déposant avec délicatesse le flacon en verre par terre. A priori, il semble tout à coup concentré sur tout autre chose que notre conversation actuelle.
-Par exemple là tout de suite, j'ai très, très envie de jouer au Monopoly avec toi.
Le hoquet de surprise qui fait tressauter mon thorax se transforme en quinte de toux forcée, et ses babines roses et désormais luisantes me semblent aussi appétissantes qu'une dinde un soir de Noël.
Le Get est une liqueur au gout mentholé, non ? Après l'amertume du café, la fraicheur de la menthe. J'ai une petite soif tout à coup.
Heureusement pour moi et mes pensées salaces, mon ésprit me raisonne et il dicte mes paroles.
-Tu ferrais mieux de te rapatrier sur les Play mobiles, car dès que le soleil sera levé, je ferrai brûler tous les jeux de Monopoly du monde. Pervers.
Un petit ricanement fait trembler ses épaules et il soupire.
-Très bien. Je trouverai un autre jeu alors. Que dis-tu de Action ou Vérité ?
Je hausse un sourcil inquisiteur mais secoue la tête.
-Non Andréas, n'essaye pas de me distraire. Je te rappel que tu n'as toujours pas répondu à ma question. Pourquoi étais-tu dans cet état ?
Tout comme une tâche de sauce tomate aspergée de javel, son sourire disparaît d'un coup et l'huître se ferme totalement.
Quelle idiote ! J'aurais dû profiter encore un peu de sa joyeuseté avant de tout gâcher et de précipiter les choses. Mais voilà, faire durer l'échéance n'en changera pas le dénouement.
Soudain particulièrement pâle, un voile de larmes recouvre ses pupilles et il enserre ses bras autour de lui-même comme pour se rassurer.
-Je ne veux pas en parler.
Sa lèvre inférieur tremble et sa voix en fait de même. Les battements de mon organe vital accélèrent avec les secondes tandis que l'appréhension me donne des sueurs froides.
J'ai peur de ce qu'il va me dire. Ce qu'il va m'apprendre.
-Andréas...
-Je ne suis pas prêt à te le dire et tu n'es pas prête à l'entendre. Point final.
Ma mâchoire se contracte et un chagrin soudain me fait mal au cœur.
-Peut-être que ça te ferait du bien de me raconter.
Il relève la tête si brusquement que deux grosses larmes s'échappent de la prison de son regard.
-Mais ça n'enlèvera pas cette vision que j'ai encrée à jamais sous mes paupières. Cette image que j'ai moi-même dessiné. Je suis le pire des artistes.
Je secoue le menton et pose ma main sur sa joue pour en chasser les sanglots.
-Ce n'est pas vrai ! Tu es le plus incroyable des artistes. Jamais je n'ai été aussi touchée face à la composition de quelqu'un. Jamais avant toi. Tu as tout changé pour moi.
Il vient poser sa paume contre la mienne et ce petit geste fait croitre en moi un espoir infime.
-Et j'ai tout détruit, Heaven. J'ai tout foutu en l'air. Ta vie. La mienne. Tout.
Sa main est posée sur la mienne, mais c'est pour en retirer mes doigts.
-Ce n'est pas vrai, tu...
Il m'interrompt en me repoussant pour que je m'écarte et que je le laisse respirer. Sa voix désormais si forte et brisée fait contraste avec le silence de la nuit et la quiétude du vent au dehors.
-Si tu dis ça c'est parce que tu as oublié ! Mais si tu t'en souvenais, tu me détesterais de tout ton cœur !
Ses pommettes se colorent de nuances pourpres, la colère laisse rapidement place à la douleur, et sa mâchoire se contracte plusieurs fois quand il essaye en vain de ravaler sa torpeur.
A l'intérieur, je hurle d'effroi. J'ai peur. J'en suis paralysée. Comment quelque chose peut autant lui faire de mal ? Comment cet évènement qui m'est étranger a-t-il détruit catégoriquement un jeune homme aussi incroyable qu'Andréas ?
Il est encore temps de faire machine arrière. De fuir comme j'ai l'habitude de le faire. De me boucher les oreilles.
Mais je prends une prends une profonde inspiration et tente de reste calme en apparence.
-Raconte-moi Andréas.
Voilà. La bombe est lâchée. Reste à savoir si elle va seulement tout détruire ou si elle nous aidera à nous reconstruire.
Nous nous dévisageons en silence longtemps. Très longtemps. C'est à se demander s'il veut savoir à quel point ma patience est chose limitée. Le tictac régulier de l'horloge est la seule indication du temps qui passe, mais la figure immobile d'Andréas qui se bat contre lui-même silencieusement me persuade qu'il est disloqué.
C'est quand j'arrive à ma limite qu'il ouvre la bouche pour la refermer aussitôt. Il papillonne des yeux, passe sa main dans ses cheveux, puis revient à moi.
-Tu n'es pas là.
Je fronce les sourcils et m'apprête à rétorquer quand il continue.
-Je te cherche partout et tu n'es pas là.
Il se lèche les lèvres quand une autre goutte salée glisse le long de sa joue.
-Je me débats longtemps. Quelque chose...non. Quelqu'un me retient. Un vigile. Mais je parviens à m'enfuir, je ne sais plus comment. Et je cours. Je cours. Je te cherche partout.
Il ferme les yeux un instant et sa voix est de plus en plus fébrile. La carapace se brise peu à peu, pierre par pierre. Regret après regret.
-Tout est blanc. Tout est silencieux. Tout a une odeur...chimique. Mais je sais que tu es là. Derrière cette porte.
Sa respiration se fait difficile, la mienne en fait de même en écho.
- « Opérations d'urgence ». Voilà ce qui est écrit. Je pousse la porte. Et je te vois. Tu es là. Les yeux fermés, allongée sur ce brancard. Tellement de bleus. Tellement de sang. Tu es si pâle. J'ai affreusement peur que tu ne te réveilles pas. Que je ne puisse plus jamais te taquiner. Te dire que tu es trop petite. Te faire comprendre que je t'aime, parce que je ne savais pas que je n'en aurais plus jamais l'occasion.
Je t'aime. Je n'aurais jamais cru que ces mots m'auraient autant fait souffrir. Autant donné envie de hurler, de tout balancer, de disparaître.
Je ne respire même plus. Les choses autour de moi ont disparues. La tiédeur des larmes sur mon visage s'efface. Les palpitations de mon cœur sont mortes. Seule la voix d'Andréas raisonne avec les images qu'elle créer.
Il continue, alors que je veux qu'il arrête. Finalement, je ne veux pas savoir.
-Il y a des brancardiers autour de toi. Ils s'activent, se dépêchent, ils ne me voient pas tout de suite. L'un d'eux pose quelque chose sur ta poitrine. Tout ton corps se soulève. « Deuxième choc », c'est ce qu'ils disent. Je veux venir te prendre dans mes bras. Te dire que tout ira bien. Que tout, absolument tout est de ma faute. Que je suis tellement désolé.
Je secoue la tête et me recroqueville. Qu'il se taise. Qu'il arrête.
-Je voulais te dire que nous n'aurions jamais dû faire un road trip et que j'aurais dû faire une pause comme tu me l'avais suggéré. Mais je n'en ai pas le temps. Le vigile revient. Il me tire en arrière. J'ai la tête qui tourne. Je n'ai pas la force de résister.
Je plaque mes paumes contre mes oreilles mais il est trop tard. Bien trop tard.
-La dernière chose que j'entends, c'est « on la perd ». Et tout devient noir.
C'est lui qui est en sueur, mais c'est moi qui ai le tournis. La bile remonte dans ma gorge comme de la lave et je parviens je ne sais comment à atteindre le lavabo pour vomir tout ce que j'avais mangé plus tôt.
Le choc après coup est tellement violent que la douleur de l'ignorance était une douce caresse en comparaison.
Je me souviens de tout maintenant. Absolument tout. Et je ne sais pas si cela signifie que la rose est de nouveau rougeoyante et fleurie, ou si elle vient tout juste de perdre son dernier pétale.
Mais maintenant, je sais.
Il y a deux ans, Andréas et moi avons eu un grave accident de voiture.
Voilà pourquoi j'ai oublié.
OMG!!!!!!
VOILA ENFIN LA GRANDE RÉVÉLATION!!!
ET c'est aussi l'un des derniers chapitres d'ERASER...
Qu'en pensez-vous?
Avez-vous reconnu la scène du prologue dans l'histoire d'Andréas? Vous vous y attendiez?
On approche bientôt la fin de ce 1er tome!
Ça passe tellement vite!
On ce retrouve le week-end prochain pour la suite!
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7DreamUniverse
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