CHAPITRE 24 (1)

CHAPITRE 24-Partie 1
Souvenirs_

Des flocons de pollen flottent dans un souffle à l'odeur floral et je souris en réalisant que le printemps est déjà là.

Je passe ma main dans mes cheveux désormais coupés au carré au-dessus de mes épaules et consulte une nouvelle fois ma montre porte-bonheur avec nervosité.

Je constate donc qu'il est bientôt quinze heures de l'après-midi et après avoir jeté un énième coup d'œil à mon portable, je remarque aussi que je n'ai aucun nouveau message.

Un peu, beaucoup, passionnément impatiente, je pince les lèvres et regrette d'être venue si longtemps en avance. En plus, je déteste attendre. Je me mets donc en tailleur sur le banc sur lequel je suis assise depuis une vingtaine de minutes, puis observe d'un œil absent la figure floue des attractions tout autour de moi qui s'élancent sur les rails solides de la Coney Island.

Les cris et les exclamations joyeuses coïncident à la perfection avec l'odeur de churros et de nougatine. Les feuilles verdoyantes des arbres qui se tordent au-dessus de ma tête comme pour effectuer des exercices de yoga, dansent au gré d'un vent encore frai.

Andréas m'a donné rendez-vous ici un peu après la fin des vacances d'hiver et il m'a promis qu'il répondrait à mes questions.

Alors voilà, nous y sommes enfin. Le dixième jour de printemps. D'ailleurs, pourquoi cette drôle de date en particulier ?

Mon estomac frétille à cause du stress de nous savoir bientôt rien que tous les deux et je me félicite de n'avoir rien avalé de la journée. En effet, je sais que mon anxiété m'aurait fait vomir des paillettes. Ou alors, au contraire, je me serais jetée sur la moindre once de nourriture sans pouvoir m'arrêter, jusqu'à en être malade et ainsi rester clouée sur la cuvette des toilettes pour le reste du week-end.

Pas cool.

Je prends une profonde inspiration et ne peux m'empêcher de mâchouiller mes ongles et de tripoter mon genou droit d'une main nerveuse.

Bordel, depuis quand est-ce que je me mets dans tout ces états pour un garçon ? Ou même, pour un être humain en général ?!

Je suis allée chez le coiffeur pour l'occasion, j'ai sorti mes Dr Martens préférées et j'ai pris le temps d'assortir mon jean noir serré avec un pull ocre pour changer. J'ai même failli me laisser tenter par le rouge à lèvres que m'a proposé Maman.

« Mets des couleurs pour une fois ! » m'a-t-elle dit hier soir, moulée dans une robe multicolore Desigual. La bonne blague.

Je pousse un profond soupir et me masse les tempes, un peu fâchée contre moi-même de m'être autant prise au jeu. En plus, connaissant Andréas, il serait très bien capable de me poser un lapin sans aucun scrupule.

Et si ce qu'il m'apprend me blesse ? Et si je m'étais trompée depuis le début et que nous ne nous sommes en réalité jamais connus ? Et si tout ça n'était qu'une illusion et que je vais me réveiller dans un hôpital psychiatrique, les mains attachées dans le dos ?

Et si Andréas n'était rien pour moi et que je n'étais rien pour lui ? Si c'était réellement le cas, je serais dévastée.

Je secoue la tête et claque mes paumes contre mes joues. La douleur chasse mes mauvaises pensées et je prends une profonde inspiration d'un air humide et orageux. Un peu de positivité Heaven ! Si tel était vraiment le cas, alors je créerais de nouveaux souvenirs inoubliables avec lui. Qu'il soit consentant ou non, peu m'importe.

Tandis que je commence à inventer un drôle de scénario dans ma tête, probablement réservé aux adultes, deux bras viennent m'enserrer par derrière et une tête se niche dans le creux qu'offre ma nuque.

-Salut, princesse.

Un frisson vient parcourir ma colonne vertébrale comme un milliard de fourmis qui feraient leur footing et je retiens une exclamation de stupeur.

-Tu...tu es en retard Andréas.

Je le sens sourire et prendre une profonde inspiration dans la naissance de mes cheveux.

-Non, c'est toi qui est en avance. Pour une fois.

La vibration de sa voix contre ma peau si sensible à son contact me donne la chair de poule et je me lève d'un bond pour m'écarter de lui. Je me retourne et croise son regard. Nous nous faisons face quelques secondes en silence, le banc en bois faisant office de barrière entre nos deux corps.

Il porte des converses abimées par le temps ainsi qu'un pantalon trop grand un peu délavé et troué de partout. Bien sûr, pour ne pas changer, il est habillé comme à son habitude d'un sweat-shirt trop grand.

Mais qu'est-ce que ça lui va bien.

En revanche, quelques petites différences accrochent mon regard. Comme la casquette de baseball vissée sur sa tête ou encore la barbe de trois jours qui couvre en partie ses joues et qui me fait réaliser à quel point il semble adulte et mature comparé à moi.

Mais je n'en ai rien à faire, parce que je suis une princesse. Et même si j'ai rétrogradé, ce terme me désigne bien mieux que celui d'aspirante à devenir la reine du monde.

Coupant court à mes pensées, Andréas enjambe le banc avec agilité et emprisonne ma main dans la sienne. Si grande. Si rugueuse. Si chaude.

Si...lui.

-Tu viens ? On a pleins de choses à faire !

C'est dans un éclat de rire qu'il me tire avec lui en direction des différentes attractions et stands que propose la place.

Étonnée de découvrir cet Andréas particulièrement enfantin et surexcité -malgré son apparence contradictoire- je me laisse prendre au jeu et hoche vivement la tête.

Il n'y a que lui. Que moi. Deux taches de peinture insignifiantes sur une toile gigantesque. Mais d'un pigment qui se complète. Qui s'assemble.

La magnifique couleur d'une rose transparente.

Quelque part au fond de moi, je sais que c'est probablement la dernière fois que je le verrai comme ça. La dernière fois que je le verrai tout court.

Cours Heaven. Cours, plus vite. Sinon il sautera, et tu n'auras pas le temps de l'en empêcher.

Sinon, tu le perdras à jamais.

•••

-Fichtre ! Il n'était point censé pleuvasser avant demain !

Andréas ricane d'un air moqueur tandis que nous tournons à gauche :

-Tu t'essayes au langage soutenu maintenant ?

Je lui tire la langue avant de répondre :

-Je fais simplement sortir la princesse qui sommeille en moi, je halète à bout de souffle.

-Eh bien elle a dû avaler une bonne dose de somnifères parce que je ne l'ai encore jamais vu.

Notre éclat de rire se perd dans les claquements de nos pieds sur le sol ruisselant et les bourrasques gorgées de pluie frappent nos corps sans aucune pitié. Nous nous élançons dans la pénombre qu'offre le soudain orage depuis une bonne vingtaine de minutes et je vacille quand un point de côté frappe ma cage thoracique de plein fouet.

-Abritons-nous là ! propose-t-il en pointant de son index un abribus.

Nous trottinons jusqu'à celui-ci et je laisse mon dos se heurter contre la paroi en verre afin de reprendre ma respiration, heureuse de pouvoir enfin échapper aux rafales de gouttelettes glacées sur mon visage. Andréas, pas essoufflé du tout, étudie les horaires de bus sur la fiche plastifiée avec beaucoup d'attention. Mais il secoue la tête avec gravité et pose ses poings sur ses hanches.

-On vient de rater celui de cette heure-ci. On devra attendre un peu plus d'une heure si on veut avoir le prochain.

Je pousse un long soupir et chasse les mèches gorgées d'eau de ma vision.

-Autant rentrer à pied dans ce cas. On ne pourra pas être plus mouillé qu'on ne l'est déjà de toute façon.

Il acquiesce en silence et oriente son regard en direction de la violente averse qui fait trembler la végétation et qui a rapidement chassé les rayons de soleil.

-J'aurais dû venir à vélo, dit-il simplement d'un air absent.

Je hausse les épaules et frotte mes mains l'une contre l'autre, mal à l'aise et dégoutée de devoir déjà nous dire au revoir. Avant même d'avoir pu découvrir plus de choses sur lui. Sur moi. Sur nous.

Mais je ne vais pas me plaindre. Nous avons passé quelques heures à nous chamailler comme des enfants, à partager une pomme d'amour, à gaspiller notre monnaie dans des jeux d'argent arnaqueurs et à parier qui de nous deux crierai le moins dans les montagnes russes.

J'ai gagné haut la main.

Je souris de nouveau mais mon amusement s'estompe quand je me dis que cette après-midi enchanteresse touche déjà à sa fin. De plus, le Andréas que j'ai côtoyé aujourd'hui est de loin mon préféré.

Comme il est dur de m'en séparer...

-Bon et bien...

-Merde !

Il m'interrompt tout en fouillant activement dans ses poches, puis me lance finalement un regard désolé.

-Je crois bien que j'ai oublié mes clés.

Je hausse les sourcils, étonnée de le découvrir tête en l'air.

-Et...tes parents ne sont pas chez toi ?

Il secoue la tête et retire sa casquette pour faire courir ses longs doigts dans ses boucles châtain foncé.

-Ma mère est partie pour travailler après mon départ.

-Ton père ?

Il papillonne des yeux et avale sa salive avec difficulté en détournant le menton.

-Ma mère est partie travailler.

Il me répète cela sur le même ton, mais un peu moins fort que la première fois. Je pince les lèvres et me balance d'un pied à l'autre.

Bizarre.

-Dans ce cas...tu veux venir chez-moi ?

Nom d'une fougère enragée, qu'est-ce qui me prend de lui demander ça ? C'est super bizarre comme demande ! Et puis, avec la façon dont s'est terminée notre entrevue du nouvel an, je ne suis pas sûre que cela soit une bonne idée.

Pourtant, en écho, son regard change. Ses prunelles s'assombrissent. Tel un automatisme des plus enjôleur, il passe le bout de sa langue sur ses lèvres afin de les humidifier et s'approche de moi tel un lion en chasse. Bien sûr, c'est encore moi la proie.

Il serait peut-être temps que j'investisse dans une carabine afin de me débarrasser de ce vilain prédateur, non ?

-Tu en es sûre ?

La tessiture de sa voix est devenue plus grave et il appuie son coude droit contre la paroi en verre, pour ainsi s'incliner au-dessus de ma tête.

Je me sens tout à coup minuscule et bien trop à l'étroit dans cet abribus. La chaleur semble être montée d'un cran et la mélodie de la pluie ajoute un côté charnel à la situation.

-Ou...oui, j'en suis sûre. On pourra jouer au Monopoly si tu veux.

Il se mord la lèvre pour s'empêcher de laisser s'étendre son sourire et il lui faut un coup d'œil vers le ciel sombre pour se recentrer.

-Un Monopoly tu dis ?

Il hausse un sourcil d'un air taquin quand j'acquiesce, les yeux bloqués sur sa fossette. Avec un doigt, il vient tirer sur l'encolure de mon pull pour dégager ma nuque.

-Dans ce cas, j'ai hâte de faire avancer mon pion de quelques cases.

Le bout de son nez gelé chatouille mon cou tandis qu'il dépose un baiser sur ma clavicule.

-Une...

Un deuxième.

-Deux...

Un troisième.

-Et de trois.

Sa langue se met à lécher le lobe de mon oreille par à-coups et je me mords l'intérieur de la joue, le souffle court.

-Oups, je suis tombé sur une propriété qui t'appartient déjà. Mais je n'ai rien sur moi pour payer.

Sa voix faussement embarrassée m'arrache un sourire qui se transforme en gémissement quand sa main au-dessus de moi se pose finalement sur ma taille afin de me presser contre lui.

Le froid du verre humide contre mon dos et la chaleur de chaque parcelle de son anatomie collée à la mienne provoque en moi une explosion de sensations. Le mélange est divin.

-Il y a peut-être...il y a peut-être une autre façon de te faire acquitter, je parviens à articuler tant bien que mal.

Mes mains viennent se poser sur ses joues pour le forcer à me regarder et mes pouces caressent langoureusement ses pommettes.

Intrigué, il remonte ses prunelles vers les miennes et incline sa tête sur le côté, lorgnant finalement sur mes lèvres avec appétit.

-Ah oui ? Laquelle ?

Prise de cours par sa demande, je ne sais pas vraiment quoi répondre alors je rassemble tout le courage présent dans mon corps. Je me hisse donc sur la pointe des pieds comme une danseuse étoile retraitée afin de claquer un baiser timide sur le coin de sa bouche.

Surpris, il m'offre un sourire incrédule tandis que je deviens aussi rouge qu'une sauce tomate ratée.

-Je ne crois pas que ce sera suffisant pour que je me sente gracié, Miss LONDON.

Pour appuyer ses paroles, il m'attrape par les hanches, se penche en avant et pose un baiser sur mes lèvres. Je n'ai pas le temps de profiter de son odeur enivrante que déjà, il s'écarte trop vite. Ses yeux restent fermés un instant, comme s'il essayait de se retenir d'aller trop loin.

Frustrée, j'essaye de l'attirer contre moi en me collant un peu plus à lui, mais il ne bouge pas d'un millimètre.

-Andréas...embrasse-moi.

Ma plainte le fait réagir. Ses prunelles d'une teinte surnaturelle rencontrent finalement les miennes et un éclat qui m'est inconnu les fait briller.

-Hev', j'ai peur de...si je t'embrasse, je ne suis pas sûr de pouvoir m'arrêter.

Les battements de mon organe vital accélèrent d'un coup, tout comme la température de mon organisme.

Peu m'importe que nous soyons trempés jusqu'aux os, dehors dans un abribus. Que la pluie et l'orage fasse fuir le reste des habitants de New-York.

Le voir soudain si hésitant me tétanise. M'embrase. Me fait tomber encore plus profondément dans ses bras.

-Dans ce cas, ne t'arrête pas.

Un éclair pourfend le ciel en même temps que mes paroles et c'est le feu vert.

Avec toute la volonté et la détermination qui lui a fait défaut il y a quelques secondes de cela, il presse ses lèvres contre les miennes de toutes ses forces. Avec toute son âme. Moi de mon côté, j'y mets tout mon amour. Et je n'en ai rien à faire si je suis la seule de nous deux à avoir de tels sentiments.

Ses cheveux sont humides quand je viens passer ma main dedans, et ses gestes d'habitude si maîtrisés sont pressants et brutaux. Mais j'aime ça.

Ses grandes mains agrippent mes fesses sans retenue et il me hisse sur ses hanches dans une danse endiablée.

Il me presse tellement fort contre le mur derrière-moi que j'en ai presque mal, mais la sensation est divine. Quelle délicieuse douleur.

Nos respirations ne font plus qu'une, nos odeurs se mélangent, nos gémissements s'unissent, et nos mouvements de hanches involontaires se font de plus en plus explicites.

Il pousse un grognement de frustration qui se répercute dans mon corps tout entier et je suis parcourue de violents frissons.

Il y a bien trop de tissu dans cette histoire.

Je suis tellement dans un état second que je n'entends même pas le cliquetis répétitif de ses clés dans la poche de son jean.

Soudain, nous sommes interrompus par une voiture qui passe par là à toute vitesse. Ses pneus soulèvent alors une gerbe d'eau gigantesque qui vient claquer nos corps en ébullition pour les refroidir d'un coup.

On peut dire que c'est la douche froide.

Surpris, Andréas me lâche et s'écarte brutalement de moi pour me tourner le dos.

Mes épaules montent et descendent très rapidement et j'éprouve énormément de mal à revenir sur Terre.

-On devrait peut-être... relancer les dès plus tard, je murmure à bout de souffle.

Il comprend que je fais allusion au fait de rentrer nous abriter chez moi et hoche la tête, toujours dos à moi.

-Ouais, donne-moi juste une seconde...pour me calmer.

Bouffée de chaleur.

Ce gars va finir par me faire exploser comme un ballon de baudruche. Dans tous les sens du terme.

Et une chose est sûre : je ne verrai plus jamais le Monopoly de la même façon.

•••

À suivre dans la partie 2...

Hello les gens! Désolée pour l'absence de chapitre la semaine dernière: l'application que j'utilise pour écrire n'arrêtait pas de planter alors impossible d'écrire un chapitre!

Mais me voici de retour!

Que pensez-vous de ce chapitre? Personnellement, je me suis éclatée à l'écrire!

J'espère avoir bien perturbé votre image du Monopoly, MOUHAHAHAHA!!!

Et qu'avez vous pensé de cette "danse" sous la pluie?

On se retrouve donc la semaine prochaine pour la suite!

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7DreamUniverse

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