CHAPITRE 21
CHAPITRE 21
Doucement, mes paupières s'ouvrent et je me redresse. Ce n'est qu'après quelques secondes, quand je porte mes mains à mon visage, que je sens une larme tiède et humide qui dévale langoureusement ma joue gauche. Je renifle sans comprendre et appuie ma paume sur mon genou droit ; une sorte d'automatisme à chaque fois que quelque chose ne va pas. Je me sens...vide. Aussi vide que ce matin-là, lorsque je me suis réveillée à l'hôpital.
Ma mère entre en trombe dans ma chambre et je sursaute. Dans son empressement, elle se fait un crochet-patte toute seule et s'étale sur mon tapis. J'en profite pour essuyer hâtivement mon visage d'un revers de manche. Elle se relève avec difficulté et époussette sa robe Desigual de toutes les couleurs, en étouffant un juron.
— Tu n'as pas vu l'heure, Heaven ?! s'égosille-t-elle en ouvrant d'un coup sec les rideaux.
Les rayons du soleil qui percent à travers ma fenêtre me brûlent les rétines et je me frotte les yeux avant de jeter un coup d'œil à mon portable.
— Sept heures quarante-cinq ? Déjà ?! je m'étrangle en me levant d'un bond. Pourquoi tu ne m'as pas réveillée ?!
Mon indignation fait trembler ma voix et ma mère soupire en secouant la tête. Sa crinière couleur flamme vient fouetter son visage avec élégance, tel un brasier valsant dans une somptueuse cheminée.
— Qu'est-ce que je viens de faire à ton avis ? s'agace-t-elle.
Elle remonte ses poings sur ses hanches développées en haussant un sourcil accusateur. Je souffle, résignée, et lui claque un bisou sur la joue, là où trône d'innombrables taches de rousseur. Je me rue dans la salle de bain.
Une fois présentable, je dévale les escaliers et attrape mon sac à la volée. Ensuite, je pose un pied dehors et le soleil blanc vient caresser ma peau. Entre le ciel gris et l'épaisse brume environnante, le temps semble être figé.
Je passe le vieux portillon grinçant et m'apprête à me mettre à courir. En effet, je sais d'ores et déjà que Maman ne pourra pas m'emmener au lycée, parce que Papa est parti avec la voiture ce matin, et qu'elle travaille souvent à la maison, en tant que critique d'art.
Je veux me mettre en route, mais un vélo se gare devant moi et me barre la route. Je frôle la syncope.
— Monte.
Andreas. D'un coup de menton, il m'intime de m'installer sur le porte-bagage, sans prendre la peine de me regarder dans les yeux. C'est vrai qu'avec les récents événements, il était exactement la personne que je voulais voir là, tout de suite.
— Alors là, plutôt crever que de monter sur ce vélo avec toi.
C'est bien beau de me traiter de tous les noms, de me menacer de me détruire ou je ne sais quoi et de se moquer de moi, si c'est pour jouer au prince charmant juste après. Je n'ai pas besoin d'un Mr. Darcy dans ma vie.
Ennuyé, il jette un coup d'œil à sa montre et revient à moi d'un air impassible.
— Tu vas être en retard.
Merci Captain Obvious. Je croise les bras sur ma poitrine dans une position qui se veut arrogante, et je hausse un sourcil.
— Et en quoi ça te regarde, hein ? Tu te fichais bien de ma santé lorsque tu m'as abandonné dans une rue que je ne connaissais pas, samedi soir, alors que je t'avais poliment demandé de m'aider.
Incrédule, il lève les yeux au ciel et se mord la lèvre pour s'empêcher de sourire.
— J'ai bien envie de te rappeler la réelle définition du mot « poliment », mais je t'avoue que je suis un peu pressé. Alors c'est soit, tu la fermes, tu mets ton égo surdimensionné de côté, et tu viens. Soit, je te laisse te débrouiller et tu arrives en retard.
Je décide de camper sur mes positions. Il est hors de question que je cet homme me rende un quelconque service. Je refuse de lui être redevable.
— Pas besoin de perdre ton temps, parce que je n'ai aucune intention de suivre le même gars qui m'a embrassé de force, traité comme une idiote et humilié. J'ai peut-être un égo démesuré, mais je ne suis pas stupide. Alors si tu veux bien m'excuser, moi, je vais y aller.
J'ajuste mon sac sur mon épaule et passe devant lui d'un air sûr de moi, pour me mettre en marche. Je l'entends pousser un grognement agacé dans mon dos, et je lui jette un coup d'œil par-dessus mon épaule. Ses yeux passent en revue les courbes de mon corps et je respire profondément, afin de garder mon calme. Son regard croise le mien et j'y lis une soudaine envie de défi. « Tu veux jouer ? On va jouer ». Je m'arrête.
— Très bien, souffle-t-il avec ce même sourire espiègle qui m'a hanté tout le week-end.
Il pédale un peu afin de me rejoindre et passe la main dans ses cheveux avec nonchalance, après s'être arrêté à ma hauteur.
— Dans ce cas, tes parents seront ravis d'apprendre qu'à la soirée de samedi, tu as enchaîné les shots de vodka et que juste après, tu as dansé en soutif-culotte avec ta pote dans le salon.
Mes joues, mes oreilles et même mon cou deviennent si rouge, que les picotements insupportables me font penser à un milliard de piqures d'abeille, en même temps.
— Tu...Comment sais-tu...Tu n'oserais pas !
Mon exclamation incrédule ressemble plutôt à une question, et les palpitations dans mon corps redoublent d'intensité lorsqu'il m'offre un sourire malicieux.
— Ne tente pas le diable, articule-t-il avant de me tirer la langue.
C'est dégueulasse de me menacer de cette manière. En plus, il n'a rien à y gagner dans cette histoire, que je sache. Mon sang bout dans mes veines, mais je refuse que mes parents apprennent ce que j'ai fait ce week-end, sous l'emprise de l'alcool. Ils me laissent déjà aller en soirée alors que je suis mineure, donc je refuse de détruire leur confiance.
A contre-cœur, je suis obligée de céder.
— C'est bon, je suis là, t'es content ?! Tu as intérêt à être honoré d'avoir une reine en devenir à tes côtés.
Je m'empresse de prendre place sur le porte bagage derrière-lui et mon cœur ne décélère pas. Un éclat de rire fait trembler ses omoplates.
— Tu vois, quand tu veux !
— Je te déteste, je te déteste, je te déteste, je répète comme une incantation. J'espère que tu te coinceras le petit orteil dans le coin d'un meuble.
Il rigole et se met à pédaler. Je suis obligée d'entourer mes petits bras autour de sa taille, pour ne pas tomber, et d'appuyer mon front contre son dos. Je me mords la lèvre pour ne pas perdre pied quand son odeur propre et sensuelle vient chatouiller mes narines. Il sent le café et le gel-douche masculin. Je ferme les yeux. Ce gars va finir par me rendre folle.
Un vent glacial me fait tressaillir et je me concentre sur les battements irréguliers de mon cœur pour me calmer. Andreas ne semble pas très enclin à la conversation et moi non plus d'ailleurs. Après tout, comment peut-il me proposer de m'emmener au lycée, alors que l'avant-veille, il m'a demandé de l'oublier ? Soit il est schizophrène, soit il lui manque quelques boulons. Probablement les deux.
— Je suis content, j'ai fait ma bonne action de la journée, roucoule-t-il de sa voix bien trop grave et naturellement sensuelle en s'arrêtant à un panneau stop.
Je secoue la tête et mon nez se frotte contre son dos tellement large comparé au mien. Je le sens se contracter un peu à ce contact.
— Si tu crois que ça va te racheter pour ton abandon de samedi soir, tu t'enfonces le doigt dans l'œil jusqu'à la rétine mon pauvre. Si je suis sur ce vélo avec toi, c'est seulement parce que je me sers de toi pour mon propre intérêt. Rien de plus.
— A vos ordre, Majesté en carton !
Il ricane et se remet à pédaler très vite pour nous faire dévaler une pente à toute vitesse. Le vent frais fouette mon visage bouillant et j'en inhale une pleine bouffée.
— C'est marrant, je sens ton ventre qui gargouille, pouffe-t-il en tournant un peu la tête dans ma direction pour me lorgner du coin de l'œil.
Je me fige et il continue.
— La princesse aurait-elle sauté le petit déj' ? T'es au régime ? Quoique, ça ne m'étonne pas. D'après ce que j'ai vu samedi, ton corps manque de...finesse.
Je rougis si fort que mon sang bout dans mes veines comme du magma, et j'ai la gorge sèche. Mon égo vient d'en prendre un coup, mais je décide de feindre l'ignorance. Je me redresse, rentre le ventre et plante mes ongles dans le sien.
— Ma vie privée ne te concerne pas, je minaude à mon tour en renforçant ma prise et en frottant de nouveau mon nez contre ses omoplates. Et puis c'est bizarre... je ne sens pas non plus les abdos parfaitement dessinés qui devraient se trouver sur ton abdomen.
Ma voix volontairement aguicheuse lui arrache un soupir et il gémit.
— Mmm humm.
C'est tout ce qu'il parvient à répondre d'une voix étranglée. Heureuse de l'effet que je lui procure, je m'écarte soudainement et pince les lèvres.
— Tu sais quoi ? Ferme-là.
Il a un sursaut et le vélo fait quelques zigzagues avant de se remettre à rouler droit.
— Attends, quoi ? Mais j'ai rien d...
Son exclamation troublée me fait jubiler et je l'interromps.
— Je ne sais pas trop pourquoi mais...ta voix m'agace, je siffle en passant ma langue sur mes gencives, fière de moi.
Bam, dans les dents mon petit gars ! C'est ce que j'appelle un retour à l'envoyeur !
Alors que j'effectue une danse de la victoire dans ma tête, ses épaules se crispent, ses doigts se resserrent sur le guidon, son ventre musclé -oui, je suis une menteuse- se contracte, et il explose de rire. Comme un feu d'artifice éclorait, telle une fleur multicolore dans un ciel asphalte. Comme un tas de poussière d'étoiles sur lequel on soufflerait et qui retomberait à l'image de confettis, illuminant ainsi la brume de ce lundi d'automne. De ce genre de rire qui se grave à jamais dans la mémoire.
Ce sont ceux qui affichent le plus éclatant des sourires, qui s'avèrent être ceux qui ont le plus soufferts.
Le souffle court, charmée malgré moi, je me mords la lèvre et attends silencieusement qu'il ait finit. Inconsciemment, mes doigts s'enroulent dans le tissu de son perpétuel sweat trop grand.
— Dis-moi, Andreas WALKER...Pourquoi es-tu si bizarre ? Si tout ce que tu veux, c'est intégrer la « team décalée », il suffit de demander. Tu n'as pas besoin de jouer le rôle du méchant, tu sais.
Le crépitement des feuilles séchées sur lesquelles nous passons est ma seule réponse, et je fais la moue. Il ralentit légèrement et lève la tête vers le ciel voilé de nuage.
— Il va bientôt neiger, avoue-t-il avec un certain chagrin.
Je soupire de frustration face à ce changement de sujet beaucoup trop soudain pour passer inaperçu, et je fais rouler mes épaules endormies afin d'encaisser le choc. De tous les hommes du monde, il fallait que je tombe sur celui-là. Sur un mec totalement timbré. Encore plus que moi.
Je soupire.
— Il ne peut pas encore neiger, je lance avec une pointe d'arrogance et un soupçon de supériorité. On est au milieu de l'automne.
Je l'entends sourire, comme s'il s'attendait à ma réponse.
— Je n'aime pas la neige. Tu sais pourquoi ?
Agacée, je fronce le nez.
— Tu écoutes ce que je te d...
— Parce que dans la neige, le sang devient beaucoup plus visible.
Je m'étouffe et manque de nous faire chuter tous les deux. Je suis tombée sur un tueur en série ma parole ?! Il est complètement malade !
Un frisson parcourt ma peau et me donne la chair de poule, tandis qu'une grimace horrifiée passe sur mon visage. J'ouvre la bouche pour répondre, mais ses freins crissent quand il s'arrête devant le lycée. Il se tourne légèrement vers moi.
— Maintenant, va-t'en. Parce que c'est pas que je ne veux pas qu'on te voit avec moi au lycée, mais presque.
Eh bam. Il me décoche de nouveau son sourire confus, comme si ça pouvait excuser les insultes qu'il me balance de sang froid en pleine face.
Je me lève brusquement et le foudroie du regard.
— Vas crever ! je hurle si fort, que quelques têtes curieuses se tournent dans notre direction.
Je fais volte-face et commence à marcher vers le portail de l'établissement, quand je crois l'entendre murmurer :
— Ne t'en fais pas pour ça.
Mais quand je me retourne, il n'est plus là. Me voilà une fois de plus trempée dans un océan de mystères plus incompréhensibles les uns que les autres. Plus j'essaye de me débattre pour y échapper, plus je m'enfonce dans les profondeurs de l'ignorance. Mais la vie est un jeu. En naissant, j'ai accepté d'y participer.
Tu veux jouer, Andreas ? Ne t'inquiète pas mon grand, on va jouer. Mais c'est moi qui vais placer les règles. Et je peux t'assurer, que c'est moi qui vais gagner cette partie d'échec grandeur nature.
Mais à cet instant précis, je ne savais pas encore à quel point j'avais raison.
A suivre....
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