CHAPITRE 18
CHAPITRE 18
Aujourd'hui, nous sommes mercredi. Le ciel placide est percé de crevasses bleu acier et les violentes bourrasques de la veille semblent avoir pris un jour de congé.
Hier, à mon grand soulagement, je n'ai pas revu Lewis à la suite de notre discussion dans la cafétéria. Ou plutôt, je l'ai évité comme la peste. Il n'a donc pas pu me raconter la fin de son histoire, ni me divulguer le nom de l'heureuse élue qui a su faire chavirer son cœur de pierre et son âme de dragueur né. J'admets malgré tout que je n'ai pas vraiment envie de l'apprendre ; cela me rajouterait un prénom sur ma liste noire. Et Dieu sait qu'elle est déjà pleine à craquer.
Après les cours de la matinée, nous avons l'après-midi de libre. Je me retrouve donc installée dans un petit café en compagnie d'Ashley, après avoir sinué les magasins afin de nous dégoter une tenue convenable pour la soirée de samedi.
Le bistrot dans lequel nous nous trouvons est l'un de nos préférés. Avec son faux parquet lustré, ses murs en imitation de briques et son odeur ambiante de chocolat chaud, il a de quoi rendre n'importe qui au comble du bonheur.
Comme presque chaque semaine, nous sommes confortablement assises dans les fauteuils en cuir mordoré de notre place attitrée ; la table ronde en face de la baie vitrée, qui mène à la terrasse peu utilisée en cette froide saison.
Un jeune serveur que je n'avais encore jamais vu nous ramène nos commandes, accompagnées par quelques sachets de sucre. Lorsque je croise son regard par mégarde, il m'offre un clin d'œil amical. Avec ses cheveux brun foncé et rasés de près sur les côtés, et ses grands yeux noisette, il me fait un peu penser à... Alexander, alias mon ex petit-ami, à cause de qui j'ai perdu quelques précieux pétales.
Je frémis et le remercie d'un bref hochement de tête pour qu'il puisse disposer. Il me sourit, ajuste son tablier et s'éloigne.
Déstabilisée, je reporte mon attention sur Ashley tout en enlaçant mon chocolat chaud de mes doigts. Mes paumes sont immédiatement réchauffées et je soupire de contentement. Je hausse un sourcil pour l'intimer silencieusement à lancer un sujet de conversation, comme elle sait si bien le faire, mais elle ne réagit pas.
Au contraire, elle reste silencieuse, et ce, pendant de longues minutes. Ses prunelles sont perdues dans un monde que je ne connais pas et elle n'a toujours pas touché à son unicorn cupcake ; chose extrêmement rare et particulièrement alarmante.
Face au silence de marbre de ma meilleure amie, je porte ma boisson brulante à mes lèvres pour en humer les effluves sucrés. Je me demande quel sujet la fait autant réfléchir, et comment l'aborder. Après tout, il y a quelque chose qui cloche dans son comportement absent et mon instinct me dit que ce n'est pas chose futile.
Décidée à mettre un terme à ce silence aussi langoureux qu'un baiser en lune de miel, je dépose ma tasse et souffle un bon coup, tout en retirant mes lunettes afin d'en essuyer la buée. J'imagine qu'ainsi, je ressemble un peu à une psychologue d'âge mur, face à un patient tourmenté.
- Tu voulais me parler de quelque chose, je crois, je lance finalement, ne sachant pas quoi dire d'autre pour la faire s'exprimer.
Elle prend une profonde inspiration et hausse les épaules.
- On peut dire ça, oui, souffle-t-elle d'un air songeur.
Elle triture les petites décorations en sucre coloré de son cupcake sans grande conviction et je pince les lèvres. Les secondes passent. J'attends. Elle cogite. La voir aussi indécise et étonnamment taciturne me rappelle un douloureux souvenir, quand son père était entre la vie et la mort après un grave accident à l'usine, l'année dernière. Aujourd'hui, il a perdu l'usage de ses jambes et il peine parfois à trouver ses mots, traumatisé par le phénomène.
Je déteste voir Ashley dans cet état.
- Je..., elle commence dans un murmure, peu sûre d'elle. Je vais peut-être déménager.
La cuillère que je tenais du bout des doigts pour touiller mon chocolat fumant retombe en fracas dans ma tasse. Mes poumons se compressent si vigoureusement que je suffoque, le souffle coupé.
Je m'attendais à tout, sauf à ça.
- Ma mère voudrait qu'on aille vivre avec ses parents. Ils ont une grande maison sur sous-sol, alors ce serait beaucoup plus simple pour mon père de se déplacer et...
- Où habitent-ils ? je l'interromps, la gorge serrée.
Je sais qu'Ashley n'aurait pas été aussi bouleversée si ce déménagement avait été dans la rue d'à côté. Et je sais aussi que sans elle, je ne suis qu'un tas de cendre.
Elle relève les yeux vers moi et ceux-ci sont couverts d'un voile humide. Une fois de plus, elle abaisse le regard vers son cupcake désormais en piteux état. Je déglutis.
- Au Brésil. Je suis désolée, Heavy'.
Un frisson aussi violent qu'un coup de tonnerre remonte le long de ma colonne vertébrale. Aussitôt, une ribambelle de larmes me picote le nez si fort que je me demande s'ils n'ont pas ajouté trois cuillères à soupe de moutarde à mon chocolat.
- Et...quand partirais-tu ?
Mais je n'ai pas envie de savoir la réponse. Ça n'aurait pas dû se passer comme ça. Pas déjà.
- Pendant les vacances d'hiver, je crois. Et je n'ai encore rien dit à... à Lewis.
Sa voix se brise et je me lève brusquement pour la prendre dans mes bras. Les clients autour de nous nous offrent un regard interrogateur, que j'ignore délibérément. Je me mords la lèvre et ferme les yeux pour retenir mes sanglots.
- Je ne veux pas partir, pleurniche-t-elle dans mon cou. Je voulais entrer dans l'internat du lycée, mais ça coute beaucoup trop cher. En plus, je ne peux pas abandonner ma famille qui a besoin de moi. Je ne sais pas quoi faire, Heaven. Mais je ne veux pas vous laisser, Lewis et toi. Je...je suis tellement, tellement désolée.
Je ne dis rien, le cœur serré, déchiré, piétiné. Quand nous nous sommes rencontrés dans ce même café, il y a un peu plus d'un an, Ashley, Lewis et moi, nous nous étions promis de finir nos études ensemble. Ensuite, nous aurions pris un appartement en colocation tous ensemble, dans le New Jersey aux Etats-Unis.
Ashley aurait chanté les compositions de Lewis, et celui-ci aurait dansé dans nos clips vidéo. Moi, je me serais occupée des affiches, ou quelque chose comme ça. Nous aurions vécu heureux jusqu'à la fin de nos jours, enroulés dans une douillette simplicité.
C'est cette candeur qui nous unit et nous protège de l'adversité de la vie. Cette innocence qui a pour nom « Ashley OLIVEIRA ». Sans elle, Lewis et moi ne sommes plus rien. Moi qui l'imaginais comme une fille forte et inébranlable, comme une deuxième Maman, comme un rayon de soleil invincible qui s'étale tel du beurre sur les façades d'un bonheur éternel, aujourd'hui, je tombe d'un immeuble de cinquante étages sans parachute, en comprenant qu'elle aussi, elle connait la tempête.
C'est insupportable de voir son mentor s'écrouler sous ses yeux, et d'être impuissant devant cet affreux spectacle.
Après de longues minutes à pleurer sans retenue, nous finissons par nous écarter, les yeux bouffis et le visage fatigué. Je me racle la gorge pour parler.
- On a encore un peu de temps à passer ensemble, alors il ne faut pas dramatiser. Par exemple, il y a cette soirée samedi et la semaine d'après on pourrait se faire un cinéma et après...
- Merci, me coupe-t-elle en souriant à travers ses larmes.
Ma lèvre inférieure tremble et je détourne les yeux pour ne pas craquer une seconde fois. Je déteste avoir le rôle de celle qui réconcilie l'autre. Ce n'est pas dans mes cordes. Mais je lui dois bien ça. Je ne la remercierai jamais assez pour tout ce qu'elle fait pour moi, sans se poser de questions. Je me dois de la rembourser en souriant à mon tour, comme-ci demain n'existera jamais, avec la force du désespoir.
Celui qui est léger comme la plume d'un ange. Celui qui ne fait pas attention aux grains de sable qui glissent inlassablement dans le sablier. Celui qui est beau et aussi sûr de lui qu'une rose écarlate. C'est lui, qui est libre.
Ensemble, soyons libres, Ashley. Libres des chaines du passé et de l'incertitude du futur.
Mais à force de m'évertuer à souffler sur les nuages des autres afin de les éloigner, je ne remarque pas le violent ouragan qui se prépare à mon insu.
Celui qui arrachera les derniers pétales, sans aucune pitié.
A suivre...
Hey! Le chapitre vous a plu? Personnellement, c'est l'un de mes préférés.
Si vous avez des remarques, des critiques constructives ou des questions, n'hésitez pas à m'en faire par en commentaire ou en privé ! ^^
P.S. : Pour ERASER j'essaye de publier 2 fois par semaine, le MERCREDI et le WEEK-END.
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7DreamUniverse
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