CHAPITRE 17
CHAPITRE 17
Ainsi, les heures ont passé, une à une, avec la lenteur d'un escargot handicapé qui porte une brique sur sa coquille. J'ai dû rester bloquée dans l'événement traumatisant de ce matin, car je sursaute brusquement en me rendant compte que je me trouve assise à une table dans le self de l'école, un plateau devant moi, Lewis et Ashley à mes côtés.
— Oh aller ! Il faut absolument que tu viennes samedi ! me hurle Ashley dans les oreilles pour la cinquantième fois tout en me secouant comme un bananier.
Ça me revient maintenant. Cela fait environ une demi-heure que nous sommes assis dans la cafétéria pour la pause de midi et qu'elle me propose de venir avec eux à la fête de samedi soir, pour me faire oublier mon échec cuisant et honteux. Comme s'il allait s'effacer de ma mémoire à coup de baguette magique.
Rien que de repenser à ma gamelle monumentale, devant non seulement plus de la moitié des lycéens de l'établissement – donc mes prochains subalternes – mais aussi et au grand surtout, devant lui, je ne peux m'empêcher de me sentir nauséeuse.
Mais qu'est-ce qu'il m'a pris ? Je me suis crue dans un film ou quoi ?!
La situation échappe à mon contrôle et je déteste ça. Depuis que je connais ce garçon, c'est-à-dire depuis près de cinq jours, tout va de travers. Et ça fait déjà plusieurs fois que je passe pour une attardée mentale, encore plus que d'habitude. Tout est de sa faute.
Je grogne de frustration en picorant dans ma part de tarte aux abricots, consciente que mes deux amis me fixent en silence. Gênée, j'essaye de détourner l'attention qu'ils me procurent.
— Et sinon, côté amour, ça donne quoi de votre côté ?
Je suis particulièrement surprise lorsqu'Ashley rougit tout à coup. De ce fait, je m'apprête à rebondir sur sa réaction anormale quand Lewis se redresse sur sa chaise, les yeux pétillants.
— Je suis bien content que tu le demandes, parce que j'ai justement quelque chose à vous annoncer !
Un immense sourire illumine son visage mais cette fois, je n'ai aucune envie de rire. Je ne veux pas entendre ce qu'il a à dire et Ashley encore moins, à la vue de son visage décomposé. Alors, j'essaye de le devancer.
— Tu es enceinte ?
Ashley s'étouffe avec sa pomme – ces fruits sont vraiment des êtres maléfiques ma parole ! – et Lewis secoue la tête en rigolant.
— Non, non, je suis un homme je te rappelle. Non, je voulais dire que je...
— Que tu as décidé de laisser tomber le sado-masochisme ?
Il laisse tomber ses couverts sur la table.
— Jamais de la vie ! s'enquit-il en me foudroyant du regard. Et laisse-moi finir ma phrase, s'il te plaît.
Je me renfrogne sur ma chaise et abandonne.
— Je crois que j'ai enfin trouvé la bonne ! lance-t-il finalement avant que je n'aie le temps de trouver une autre excuse pour l'intercepter.
Un silence aussi épais qu'une crème anglaise ratée traverse notre table comme un courant électrique dans un câble défectueux. Avec hésitation, je passe ma main tremblante dans mes cheveux.
— La...la bonne quoi ? je me risque finalement.
— La bonne fille ! éclate-t-il comme si c'était une évidence.
De nouveau, un lourd mutisme s'ensuit et je jette un coup d'œil inquiet à Ashley pour le regretter aussitôt : elle semble avoir beugué. Sa figure putréfiée me fait mal au cœur et sa fourchette plantée dans un quartier de pomme s'est figée à mi-chemin entre son assiette et sa bouche depuis une bonne minute.
Alarmée, je cherche mes mots, regrettant d'avoir décoché le sujet.
Quelle mauvaise archère je fais !
— Je croyais que tu étais bisexuel ! je dis rapidement en attrapant mon verre d'eau.
Il plante son regard océan dans le mien et plisse les yeux.
— Oui, et c'est justement pour ça qu'aujourd'hui, je vous annonce que je craque pour une fille. Ça aurait pu être un garçon, j'aurais ressenti la même chose. Tu sais, Heaven, que ce soit une meuf ou un gars, une âme reste une âme, et c'est pareil pour la personnalité...En plus, être bisexuel, je te promets que ça double le nombre de rencontres que je fais tous les jours !
Il jette de nombreux coups d'œil en direction d'Ashley, comme s'il scrutait sa réaction. Et puisque, justement, elle ne cille pas, il ajoute avec sagesse :
— Mais sortir avec des gars, ça m'est un peu passé maintenant... et j'aimerais bien trouver une mère pour mes enfants.
Je recrache mon eau par le nez et m'étouffe bruyamment tandis qu'une violente toux me fait presque vomir mes poumons. De son côté, Ashley devient encore plus pâle que le vampire et son couvert retombe finalement dans son assiette vide dans un bruit métallique.
— Te...tes quoi ? je bégaye à bout de souffle, en reposant mon verre loin de moi pour me passer l'idée d'essaye de boire de nouveau.
— Mes enfants. Vous avez beau penser ce que vous voulez, un jour, moi, j'aimerais en avoir. Et ce n'est pas avec un mec que je vais en concevoir.
— Tu n'es pas...un peu jeune ?
La voix étonnement mal assurée d'Ashley me surprend et je croise son regard effaré. Ses yeux humides sont plissés et rouges de vaisseaux sanguins, alors que son visage aux nuances café au lait semble avoir pris une teinte rougeâtre. Sa mâchoire est serrée et son expression douloureuse me prend aux tripes.
Lewis hausse les épaules, nonchalant, et remonte ses lunettes sur son nez à l'aide de son index.
Parfois, je déteste réaliser à quel point il peut négliger les sentiments de ceux qui l'entourent.
— Le temps passe vite vous savez. Mieux vaut tôt que jamais ! Et puis, je ne parle pas de maintenant, mais dans quelques années ce serait cool !
Il nous décoche son sourire spécial deux fossettes et je baisse les yeux vers ma tarte écrabouillée sous ma cuillère, pour ne pas me faire envouter.
Trop choquées par cette révélation, Ashley et moi n'ajoutons rien. Alors, il continue sur sa lancée en faisant craquer ses doigts.
— Revenons donc à nos moutons. Pour être sincère, il y a une fille qui me plaît. Qui me plaît vraiment. On ne s'est pas parlé beaucoup de fois mais j'ai éprouvé un truc que je n'avais jamais eu avant. C'est la première fois que je ressens ça. Je ne sais pas comment l'expliquer... En bref, elle est...spéciale.
Ouch. Ça fait mal. C'est bien la première fois que je vois Lewis, pourtant si confiant d'habitude, perdre ses mots pour une tierce personne.
— Elle s'appelle comment ? j'enquiers, hésitante.
Il me fait un sourire malicieux que je n'arrive pas à interpréter quand la sonnerie retentit. Si ce n'est pas un parfait timing !
Étonnée, je regarde autour de nous. En effet, la cantine est déjà vide de population et quelques femmes de ménage commencent à nettoyer les tables. Je n'ai pas vu le temps passer.
Lewis se lève, son plateau en main.
— Bon, les filles, ce n'est pas que je ne vous aime pas, mais j'ai cours à l'autre bout du bâtiment maintenant. On reprendra cette discussion plus tard.
Il nous fait un clin d'œil, puis il s'éloigne avec assurance. J'aurais même juré l'entendre siffloter. Je me tourne vers Ashley.
— Tout compte fait, j'ai bien envie de venir à cette soirée. Faut que je me saoul un bon coup, sinon je vais devenir complètement timbrée !
Mon ton trop jovial sonne aussi faux qu'une chanteuse lors d'un playback raté, mais je m'en contrefiche.
— Ouais..., acquiesce-t-elle mollement en détournant les yeux.
Ainsi, nous débarrassons nos plateaux et nous partons en direction de notre prochain cours d'un pas trainant.
Tellement de choses se bousculent dans ma tête que je ne veux pas y penser. Je me contente de me dire que je me pencherai dessus demain. Ça semble plus facile vu comme ça.
Récemment, l'état d'Ashley me préoccupe plus que de raison : il est très rare de la voir aussi déprimée. Je me promets intérieurement que j'irai lui demander de me raconter ses problèmes le plus vite possible.
Ensuite, pour ce qui est d'Andreas, je ne peux rien faire de plus pour l'instant. S'il m'évite avant même que je n'arrive à l'atteindre, je ne vois pas comment je pourrai lui parler. Mais penser au fait que j'ai perdu avant d'avoir eu la moindre chance d'essayer, me démoralise. Alors, je tente de méditer sur autre chose.
Après tout, si le destin est contre notre rencontre, je laisserai tomber. Oui, ça semble plus facile comme ça.
Abandonner.
Sans que je ne puisse les retenir, les larmes me montent brusquement aux yeux et je m'arrête de marcher en reniflant. Ashley ne s'en rend pas compte et s'éloigne dans le couloir. Bientôt, ma vue brouillée m'empêche de la distinguer et je baisse la tête, espérant que mes cheveux cachent mon visage écarlate.
Andreas WALKER, je te déteste.
A suivre...
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