CHAPITRE 16
CHAPITRE 16
Je n'ai pas le temps d'assimiler les évènements de cette courte matinée que déjà, je me retrouve dans le hall du lycée pendant la pause de dix heures. Adossée aux casiers comme d'habitude, Lewis et Ashley à mes côtés, nous parlons de tout et de rien.
— Je crois que j'ai raté le contrôle de français, gémit Lewis en secouant tristement la tête.
— Tu dis toujours ça, et après tu as la meilleure note, je lâche doucement, sans pour autant le regarder.
Ashley approuve mes paroles d'un bref hochement de menton sans décrocher les yeux de son portable et je soupire : ils n'ont pas l'air très enclin à la discussion aujourd'hui.
Un peu ennuyée, je jette un bref regard circulaire autour de moi. Soudain, mon cœur effectue une violente looping quand je distingue Andreas du coin de ma vision. Appuyé à un mur à l'autre bout de l'espace plein à craquer de lycéens boutonneux, un casque noir mat sur les oreilles et les yeux clos, il écoute probablement de la musique. Sa tête acquiesce lentement au gré du rythme et son pied droit tapote le sol avec une cadence plutôt aléatoire.
Il me faut réfléchir quelques secondes pour comprendre qu'il écoute probablement un morceau de piano et que son pied appuie sans doute sur une pédale imaginaire.
Mes yeux remontent le long de ses jambes plutôt fines mais admirablement tournées pour un garçon, enroulées dans un jean noir serré et troué aux genoux. Je pince les lèvres en découvrant son perpétuel sweat à capuche trop grand, qui dissimule l'intégralité de son torse pourtant tellement plaisant.
Je secoue la tête, dubitative. Il essaye d'inventer un style ? Laissez-moi rire. Pourtant, aux côtés de ces jeunes enragés, il semble se démarquer à sa façon. Lui, banal ? Mon œil ! Le moment où je le trouvais ordinaire et sans intérêt me parait tellement loin maintenant.
Ashley me fait sursauter lorsqu'elle m'offre une petite tape dans le dos en guise d'encouragement. Surprise, je relève les yeux vers elle et elle me gratifie d'un sourire des plus lumineux. Je fixe un moment celui-ci pour m'assurer qu'il est vrai, celui-là, et elle se fige pendant une demi-seconde en remarquant mes suspicions. Mais elle cligne des yeux et reprend son air jovial presque instantanément.
Finalement, je ne suis pas la seule à porter un masque.
— Le moment est enfin venu ! Notre petite Heaven déploie ses ailes pour quitter le nid familial !
Elle fait semblant de pleurnicher et se réfugie contre le torse de Lewis qui ne comprend rien de la situation, mais qui a l'air tout de même heureux de se retrouver collé à Ashley.
Mon amie lui indique d'un signe de la tête qu'elle lui expliquera plus tard et je pousse un long soupir pour vider entièrement mes poumons.
— Je vais y arriver, je me murmure à moi-même.
— Tu vas y arriver, complète-t-elle.
— Je voulais lui dire quoi, déjà ?
Je rigole nerveusement et triture mes ongles mais elle m'attrape violemment par les épaules pour me secouer comme un abricotier.
— Tu ne vas tout de même pas abandonner !
Je comprends que ce n'est pas une question, et j'acquiesce comme un militaire sur le point de s'envoler pour le Vietnam. Je serre les poings et me défais de son emprise. Puis, je lisse mes vêtements et passe ma main dans mes cheveux avant de fermer les yeux quelques secondes pour rassembler mes idées et me donner du courage. Ainsi, je me dirige d'un pas chancelant vers Andréas, mon stress me faisait même oublier le livre de partitions que je m'étais promis de lui rendre.
Je dois lui parler. Savoir si c'est bien lui le Dredre qui hante mes pensées. Je dois le faire. Je peux le faire. Ce n'est pas si dur après tout. Il me suffit d'ouvrir la bouche, faire sortir un son depuis mes entrailles et articuler en lui demandant si quelqu'un auparavant l'appelait « Dredre », ou quelque chose comme ça. Mais si ce n'est pas le cas ? S'il me prend pour une folle et qu'il appelle la police ? Ou pire ! S'il ne me répond pas parce qu'il est...muet ! Impossible, il m'a déjà traité de perverse. Je frémis à cette pensée. Et s'il me déteste déjà, sans même me connaître ? Et si...
Bouffée de chaleur.
Je secoue la tête avec rage. Je ne ferai pas de crise d'angoisse avant de lui avoir parlé. Ce petit plaisir, je me le réserve pour juste après, quand je me serai enfermée à double tour dans les toilettes. Mais seulement après.
Le cœur palpitant, je bombe le torse et m'avance à grandes enjambées. Mais plus je me rapproche, plus je ralentis.
Ce n'est pas le moment de te dégonfler ! Courage, Heaven !
Je le fixe de mes prunelles couleur noisette aux reflets caramel sucré salés, avec une pincé de cannelle et une cuillère de miel, et il lève enfin les yeux vers moi.
Quand il croise mon regard, une décharge électrique parcourt ma colonne vertébrale. Mes jambes s'engourdissent et mes doigts se mettent à trembler. Je déglutis. Le couloir ne m'a jamais paru aussi long.
Je marche sur un tapis roulant ou ça se passe comment ?
Alors que je ne suis plus qu'à quelques mètres de lui, je commence à réaliser qu'il fait probablement une tête de plus que moi. Voire deux. Ou peut-être trois.
On fait comment pour respirer déjà ?
Ses pupilles ne me quittent pas et me jaugent en silence. J'y lis une sorte d'appréhension et d'espoir ; un mélange de sentiments peu commun. Mais son expression réveille en moi une réaction chimique dont je n'aurais jamais soupçonné l'existence : une explosion.
Avec la puissance d'une baleine qui fait un plat monstrueux dans l'océan, un désir de me rapprocher tout en voulant m'enfuir au plus vite me retourne l'estomac. Une contradiction confond mes sentiments emmêlés et brouille presque ma vision déjà naturellement éméchée. Enfin, un picotement d'une violence divine chatouille mon corps tout entier alors qu'il ne me quitte pas des yeux.
Ça doit bien faire trois secondes qu'il me fixe comme ça. J'ai le droit de porter plainte pour harcèlement, non ?
Soudain essoufflée, je peine à reprendre ma respiration. J'y suis presque, ça y est. Le moment est venu. Plus que quelques pas et je pourrai enfin savoir la vérité. Être libérée des chaines du mystère et m'envoler telle une colombe vers le paradis de la connaissance. Et toute cette histoire de rêve bizarre ou de surnom débile ne sera qu'un lointain souvenir à raconter à mon reflet dans le miroir.
J'entrouvre la bouche tout en parcourant les derniers pas qui nous sépare au ralenti. Il faut que je prenne un air menaçant, ou plutôt sûre de moi. Respire...1...2...3 !!!
— Eh, toi là-b...
Je n'ai pas le temps de finir que je me prends les jambes dans...mes pieds, et que je me casse la figure de la manière la plus disgracieuse du monde entier. Emportée par l'élan de ma chute, je fais même une roulade avant, avec la grâce et la légèreté d'un éléphant. Je m'écrase donc sur le sol de linos, sous le regard moqueur des lycéens ici présents.
Bien sûr, tout le monde éclate de rire et je vire au rouge cramoisi, les larmes aux yeux en découvrant mes lunettes écrabouillées sous mes fesses.
C'est officiel : Mes parents vont me tuer.
Et bien sûr numéro deux, quand je relève les yeux, il est déjà parti. Disparu. Un gout amer vient serrer violemment ma gorge et je baisse la tête, totalement dégoutée.
C'est une blague ?!
A suivre...
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