CHAPITRE 16 (2)
CHAPITRE 16 - Partie 2
Mélodie_
Après être restés à même le sol pendant plus d'une dizaine de minutes, nous nous installons sur un banc dans le couloir, juste en face de la porte d'entrée de la Grande Salle.
Matthew qui n'a toujours pas dit un mot, m'apporte finalement un chocolat chaud dans un gobelet en plastique blanc et il s'appuie sur le mur en face de moi pour m'observer en silence, bras croisés.
-Tu...tu as l'intention de m'expliquer ce qui s'est passé pour que tu te retrouves dans cet état ? s'aventure-t-il finalement en évitant mon regard.
Sans rien dire, je bois une longue gorgée du liquide trop sucré puis me racle la gorge.
-Parle-moi d'Emily...s'il te plaît.
Ses prunelles inquisitrices me jaugent quelques secondes puis il soupire et enfonce ses mains dans les poches de son pantalon.
-Je connais Emily et Laury depuis que je suis enfant. Nous allions au même cours de musique. Depuis mon plus jeune âge, c'est moi qui accompagnais Emily au piano alors qu'elle jouait du violon. Mais quand nous sommes arrivés à la Golden Académie, elle est tombée amoureuse d'un gars plutôt discret et...mystérieux. Bref, tu vois de qui je parle.
Je hoche la tête en silence et essaye tant bien que mal d'ignorer la douleur dans ma poitrine. Il me scrute un instant comme pour interpréter les moindres de mes réactions et continue.
-Un mois après la rentrée de seconde, elle s'est déclarée. Elle qui était du genre enfant pourrit-gâté et pleurnicharde, elle a osé se déclarer. Tu y crois, toi ?
Le regard incrédule de Matthew change soudainement et un triste sourire apparaît sur son visage. Il prend une profonde inspiration.
-Malgré tous ses efforts, elle a été rejetée. Mais elle ne s'est pas découragée et elle a fait tout son possible pour se rapprocher de lui. Alors finalement, après plus d'un an elle s'est de nouveau déclarée. Depuis, je sais juste qu'ils ne sortent pas ensemble mais ce qui est sûr, c'est qu'ils sont bien plus que de simples amis. La suite, tu la connais.
Je hoche lentement la tête puis relève les yeux vers lui.
-Et pourquoi acceptes-tu de me raconter tout cela sans opposer de résistance ? De ce que je sais, tu n'as rien à y gagner.
Un rire nerveux s'échappe de ses lèvres et il s'ébouriffe hargneusement les cheveux. Puis, il relève ses prunelles dans ma direction et une fois de plus, son regard change.
-Au contraire. Si tu veux tout savoir, ça m'arrangerait bien qu'Andréas me rende complètement Emily. Comme je te l'ai déjà dit, je la connais depuis le jardin d'enfants alors j'ai pris du temps à le réaliser. Mais c'est quand elle a commencé à passer moins de temps avec moi pour courir après ce gars que j'ai compris que je ne voulais pas qu'elle parte. Mais je m'en suis rendu compte trop tard.
Il prend une profonde inspiration et je déglutis.
-J'aime Emily. Et j'ai bien vu comment tu regardes Andréas. J'ai l'impression de voir en toi mon plus parfait reflet.
Mon cœur accélère et mes joues s'empourprent.
-Comme on dit, l'Homme veut ce qu'il ne peut pas avoir, je lâche dans un murmure.
Il acquiesce avec graviter quand un tonnerre d'applaudissements provenant de la Grande Salle nous fait tous deux sursauter.
-C'est probablement au tour d'un des derniers duos de la journée, s'exclame Matthew les yeux soudainement pétillants. Envie d'y assister ?
J'acquiesce vivement et nous poussons les portes battantes pour pénétrer dans une salle immense à la lumière tamisée. Une forte odeur de poussière chaude me prend au nez et je renifle tout en m'avançant. Nous nous trouvons sur un balcon juste au-dessus de la scène sombre encadrée de rideaux bordeaux et je m'approche de la rambarde pour découvrir avec émoi un immense piano à queue noir vernis ainsi qu'un magnifique violon en bois lustré endormis sur la scène.
C'est alors que mon cœur s'emballe quand je découvre Andréas et Emily s'avançant d'un pas assuré vers les instruments.
Je capte le coup d'œil pas très discret que jette Matthew dans ma direction et je comprends qu'il savait que c'était leur tour, aux vues du programme qu'il vient de fourrer dans sa poche arrière.
Mon sang ne fait qu'un tour et mon corps se met à trembler d'impatience : Je vais les voir jouer ensemble mais surtout, je vais le voir jouer. Pour de vrai. Pour la première fois.
Je peux sentir Matthew me lancer un regard oblique mais je ne parviens pas à détacher mes yeux d'Andréas et inconsciemment, je croise les doigts.
Avec habitude et professionnalisme, ils se placent tous deux devant leur instrument respectif après avoir brièvement salué le public ainsi que le juré et je retiens ma respiration.
Après de longues secondes qui m'ont semblé être une éternité, ils se mettent enfin à jouer.
Mais je suis immédiatement déçue.
C'est lent, académique, normal. Cela ne sort pas du lot, mais c'est probablement ce que le juré veut entendre. Le public semble charmé et même Matthew à mes côtés paraît subjugué. Pourtant, je suis persuadée d'une chose ; ce n'est pas le Andréas que je connais. Ou plutôt, celui que je crois connaître.
Celui qui innove.
Celui qui reste égal à lui-même.
Celui qui est le plus beau des artistes.
C'est cet Andréas là que je voudrais voir.
Je m'attarde un instant sur son visage. Ses yeux sont plissés et il fixe le vide devant lui d'un œil absent sans pour autant s'arrêter de jouer. Il semble...s'ennuyer profondément.
Ma gorge se noue. Ce n'est pas ce genre de prestation que je voulais voir. Je voulais de nouveau avoir la chance de découvrir celui qui nous a cloué sur place lors de la dance battle contre Lewis. Celui qui se moquait de moi parce que je suis trop petite alors que c'est lui qui est bien trop grand. Celui qui m'a défendu à la cantine devant tout le monde pour ensuite...pour ensuite vouloir m'embrasser.
Andréas ne peut pas jouer comme ça, pas après m'avoir montré toutes ces facettes de sa personnalité. Il ne peut pas jouer comme tout le monde. Comme une personne normale.
C'est impossible. Je ne veux pas le croire.
Je commence à me ronger les ongles en pensant qu'il pourrait faire tellement mieux...j'en suis sûre.
S'il te plaît Andréas, joue. Comme si personne ne te regardait, ne te jugeait. Joue comme si aujourd'hui était le dernier et que demain ne viendra probablement jamais.
Joue comme je t'ai entendu le faire dans mes rêves.
Alors, d'un coup, comme s'il avait entendu mes prières, il a un sursaut et la mélodie change totalement. Car soudain, il se met à jouer pour de vrai. Si vite que l'on a l'impression qu'une troisième main le suit. A travers la mélodie, son cœur hurle.
Le piano crie tous ces mots qu'il ne me dira jamais.
Emily s'arrête de jouer pendant une demi-seconde pour jeter un œil à sa partition et froncer les sourcils, puis elle hasarde finalement à tenter de le suivre. Malheureusement, elle n'égale même pas de moitié la puissance du jeu d'Andréas et ne constitue qu'un faible et bancal fond sonore.
A travers les notes qu'il martèle, Andréas semble enfin nous dévoiler ses sentiments les plus profonds. Quelques mèches de ses cheveux tombent finalement sur son front et il prend à peine le temps de respirer. Les larmes lui montent aux yeux et en écho, mon cœur se serre.
Ainsi, il paraît tellement vulnérable.
Et brusquement, alors que le public est plus captivé et émerveillé que jamais, il s'arrête de jouer. Sans prévenir, au beau milieu de la partition. Le silence laisse place à des murmures frustrés ainsi que des exclamations désapprobatrices tandis qu'Andréas reste bloqué sans bouger, les mains levées en suspens au-dessus de son clavier de noir et de blanc vêtu.
Alors, il porte ses mains à sa bouche comme s'il allait vomir, se lève d'un bond tout en renversant son tabouret, puis s'enfuit en courant, suivi de près par une Emily bouleversée.
Parce que c'est comme ça qu'est Andréas.
Tellement de visages qu'on ne sait plus lequel est le vrai.
Les roses sont mes fleurs préférées et sans le savoir, c'est parce qu'elles me font penser à lui.
Au premier abord, il est un jeune homme tout à fait normal, quelque peu timide et discret, un peu comme tout le monde. Et puis tout à coup, la rose éclot et ses épines détruisent tout sur leur passage. Et sans prendre la peine de réparer les dégâts, il disparaît.
Il s'efface.
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