CHAPITRE 13
CHAPITRE 13
C'est seulement après de longues minutes que je finis par me calmer. Les yeux gonflés et le souffle court, je rejette la tête en arrière pour pouvoir prendre une profonde inspiration. Avoir pleuré toutes les larmes de mon corps m'a fait réaliser une chose. En effet, cela fait longtemps que je fais semblant d'être quelqu'un que je ne suis pas et c'est grâce à cela que je me suis faite des amis. Si je redeviens celle que j'étais avant, je perdrai tout ce que j'ai construit et je me retrouverai de nouveau seule. Il en est hors de question.
Je préfère souffrir mais être entourée, plutôt que de souffrir et d'être seule.
Il me suffit donc de redevenir la fille uniforme et parfaite, qui n'est pas à la recherche de l'amour. En me redressant, je décide de relativiser et me répète que je suis encore jeune et que des échecs de ce genre, je vais en avoir. Et puis, de toute façon, puisque je serai bientôt sacrée la reine du monde, mon prince charmant sur son cheval blanc ne devrait pas tarder à arriver, pas vrai ?
Je m'essuie rageusement le visage à coup de revers de manche, bien consciente de la tête de morte vivante que je dois afficher. Là, j'attrape mon sac pour le hisser sur mon épaule. Il n'est pas trop tard pour arriver en sport à temps et ce n'est pas en restant cloitrée ici que les choses vont avancer. Je me donne deux baffes, déterminée à profiter de chaque nouveau jour comme je m'efforce à le faire depuis bientôt deux ans. J'ai de la chance d'être en vie. Je dois en prendre conscience.
Avant de sortir de la pièce, j'ouvre en grand les épais et vieux rideaux. Un petit sourire vient se glisser sur mes lèvres quand j'aperçois les rayons d'un soleil blanc qui percent comme un gruyère les nuages d'orages. La tempête s'est calmée et il ne pleut plus. C'est parti !
Il ne me faut pas longtemps pour gagner le gymnase. J'entre dans les vestiaires féminins d'un pas assuré. Ceux-ci sont déjà vides de population, mais remplis de sacoches et de vêtements abandonnés sur les bancs en bois installés de part et d'autre de la pièce. J'éternue plusieurs fois, surprise par la forte senteur de déodorant à la vanille qui flotte dans les airs.
Là, je pose mes affaires dans un coin encore libre de la salle. Je me change rapidement pour troquer mes habits sages avec un legging serré et un T-shirt de sport trop grand qui s'arrête au milieu de mes cuisses.
Ensuite, je me présente au-dessus du lavabo et asperge mon visage d'eau froide. Cependant, j'ai un mouvement de recul lorsque je découvre mon reflet dans la glace tachée de marques de rouge à lèvres. En effet, mes yeux sont rouges et bouffis, et mon teint est particulièrement pâle. Afin de réveiller mes sens, je pince mes joues avec force et celles-ci se colorent immédiatement d'une teinte pourpre.
Masochiste, n'est-ce pas ? Comme quoi, une part de Lewis se trouve dans chacun d'entre nous...
Je me fais deux tresses collées et m'observe silencieusement. Ce n'est pas la première fois que je tire une tête pareille et probablement pas la dernière. Malgré cela, il n'est pas question que j'essaye de cacher mes émotions sous une couche de maquillage. Je préfère encore passer pour une fille fragile que Mademoiselle fausse et en chaleur.
Une fois prête, je prends une profonde inspiration pour me donner du courage et bombe le torse. Je suis la meilleure. Je suis la plus belle. Les autres ne sont que des figurants et je suis supérieure à eux.
Remontée à bloc, je rejoins ma classe dans le stade surchauffé utilisé en cas d'intempéries. Mes camarades, si je peux les appeler ainsi, forment un cercle autour d'un sac de ballons et je me joins discrètement au groupe. Notre professeur de sport fait comme s'il n'avait pas remarqué mon léger retard et tape dans ses mains pour réclamer le silence.
— Aujourd'hui, comme vous avez pu le remarquer, les intempéries ont trempé les terrains de baseball dehors. Du coup, exceptionnellement, on va faire un petit tournois de volleyball avec les élèves de terminales, filles et garçons confondus, explique-t-il d'une voix rauque à cause des nombreuses cigarettes qu'il a dû inhaler durant sa jeunesse.
Les élèves de ma classe, heureux de ne pas avoir à sortir par ce temps, poussent une exclamation enjouée.
Mes épaules s'affaissent et j'étouffe un juron. J'aime beaucoup le volley. J'en ai même fait pendant quelques années avant de me casser le genou pour je ne sais plus quelle raison. D'ailleurs, à cause de ça, j'ai aujourd'hui une jolie cicatrice en forme d'éclair sur celui-ci. En plus, maintenant je dois m'abstenir des activités qui demandent autant de prouesses dans les airs. Malgré tout ça, je garde ce sport dans mon cœur.
Cependant, aujourd'hui, j'aurais vraiment préféré lancer de toutes mes forces la balle de baseball dans la tête de mes gentils camarades, plutôt que de faire équipe avec eux.
Dépitée, j'attrape un ballon de volley et commence à m'échauffer à l'aide du mur : je l'envoie dessus pour qu'elle rebondisse et la réceptionne avec facilité. Avec un peu de chance, je ne serai pas dans l'équipe de Lewis, sachant qu'il est en terminale et moi en première.
Plongée dans mes pensées, je ne remarque pas tout de suite que tout le monde s'est mis par deux pour l'échauffement.
— Trouve-toi un partenaire Miss DAWSON, et que ça saute ! piaille l'entraineur dans mon dos avant de s'éloigner aussi vite qu'il est arrivé.
Je sursaute si fort que j'en lâche mon ballon et celui-ci roule à quelques pas de moi. Je me baisse pour le ramasser quand quelqu'un le fait à ma place. Mon sixième sens s'enclenche comme une alarme stridente et mes oreilles picotent : Alerte, scène clichée en approche !
Accroupis, je relève doucement la tête vers celui qui a osé toucher à ma propriété. Persuadée que mes yeux lancent des éclairs, les battements de mon cœur accélèrent soudainement et ma bouche s'ouvre en grand. En effet, en face de moi se trouve le garçon aux prunelles vertes. J'avale ma salive avec difficulté. C'est la première fois que je le vois d'aussi près.
Ses cheveux semblent encore plus ébouriffés que ce matin et je remarque qu'ils sont plus courts sur les côtés. Ses oreilles un peu décollées lui ajoutent une sorte de charme enfantin étonnant. En revanche, ses traits durs et ses sourcils fournis contrastent totalement avec la première impression que j'ai eue de lui. Le gamin fragile est en fait un jeune homme mature, mais barricadé. Je ne peux m'empêcher de dévier vers sa bouche rougeâtre qui se trouve être dessinée avec perfection. Je suis persuadée qu'elle est parfaite pour embrasser.
Perdue dans mon examen, je remonte doucement vers ses prunelles et imprime chaque parcelle de son visage banal. Tout à coup, je remarque que ses yeux inexpressifs ne me lorgnent même pas. Il scrute le vide derrière moi, sans rien dire, attendant sûrement que j'arrête de le dévisager avec une insistance malpolie. Je déglutis.
Soudain, il ne jette même pas un coup d'œil vers moi lorsqu'il se redresse d'un mouvement souple et habitué, puis qu'il s'en va en tenant un ballon d'une seule main. Mon ballon.
— Perverse.
C'est tout ce que je l'entends marmonner. Si finement que je me demande si j'ai rêvé. Le premier mot qu'il m'aurait adressé. Super.
Les bras ballants, je considère ce qui se déroule autour de moi. Les matchs ont déjà commencé et le crissement des baskets neuves sur le parquet fraichement ciré raisonne. De plus, les éclats de joie des adolescents qui m'entourent comblent le silence dans lequel je m'étais plongée. Je fronce les sourcils. Le temps ne s'est pas arrêté ?
D'un pas mal assuré, je rejoins une équipe dont il manque un joueur. Je ne m'attarde pas sur le fait que je me retrouve dans le même groupe que Lewis et j'évite sans le vouloir son regard inquiet –même si celui-ci se détourne rapidement pour se moquer d'un de ses camarades qui vient de se casser la figure. Toujours bloquée dans ce qui vient de se passer, je me repasse encore et encore la scène pour comprendre l'incompréhensible. Mon visage est rouge, ma gorge est sèche et mes mains tremblent. Pour finir, mon cœur martèle fiévreusement ma poitrine, si fort que je peine à respirer correctement.
Cette énième rencontre n'était pas prévue dans le programme de ma journée, saperlipopette !
Je sais mieux que personne que je lui ai dit de ne même pas oser poser ses yeux sur moi, mais il y a une limite à l'ignorance ! J'aurais presque douté de mon existence ! Et ça rime !!!
Je m'ébouriffe rageusement les cheveux, ce qui a le plaisir de détruire mes tresses pour me transformer encore un peu plus en zombie. Cela n'échappe pas à mes coéquipiers qui ne se dérangent pas pour se foutre ouvertement de moi. Mais je ne réagis pas, trop tourmentée par des questions sans réponses.
Comment un garçon que je ne connais même pas peut ainsi me faire oublier tous mes précieux principes, en un claquement de doigts ? Et puis, actuellement, c'est Lewis mon problème. Pas ce géant aux yeux d'extraterrestre.
Je secoue la tête et essaie un minimum de me concentrer dans le match. Mais, plusieurs fois, je me fais des croches-pattes toute seule, je me heurte à mes coéquipiers et je me retrouve emmêlée dans le filet. Lewis rit tellement qu'il se retrouve à genoux par terre, en s'étouffant avec sa salive.
Pourtant, moi, je ne rigole pas. Finalement allongée en position étoile de mer par terre après avoir chuté une énième fois, je me contente de regarder les néons du plafond, avec une seule pensée qui ricoche dans ma petite boîte crânienne : aurai-je la chance d'apprendre son prénom, avant de devenir complètement folle ?
A suivre...
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