CHAPITRE 10 (1)

CHAPITRE 10-Partie 1

Égaré_

Je pousse avec fureur les portes du lycée, si fort qu'elles claquent sur les murs à leurs côtés et que tout le monde s'arrête quelques secondes dans ses activités pour me lorgner. D'un pas lourd et pressé, je traverse le hall. Je regarde droit devant moi, le visage fermé, le dos droit et le menton haut, alors que mes yeux lancent des éclairs. Je le vois, je le tue. C'est aussi simple que ça.

-Eh, toi là-bas ! appelle une voix que je ne connais que trop bien derrière moi.

Mais je ne m'arrête pas et, au contraire, j'accélère le pas. Je n'ai pas que ça à faire.

-Eh ! la rouquine !

Je me retourne brusquement pour faire face à un Lewis hilare.

-Je ne suis pas rousse ! je rugis, les joues en feu.

-Alors t'es quoi ? rigole-t-il sarcastiquement. Blonde vénitienne aux reflets sauce ketchup crudité sans oignons peut-être ?

Il se tord de rire en se tenant le ventre et je commence à partir.

-Très drôle et surtout très mature Lewis, je glisse sèchement.

Il trottine pour se placer devant moi et écarte les bras en grand pour ainsi arrêter ma marche folle.

-Toi, tu t'es levée du mauvais pied.

-Non.

Il plisse les yeux et examine méticuleusement ma figure tel un détective à la recherche d'une nouvelle enquête. Soudain, il se redresse et claque des doigts tandis qu'il semble avoir compris quelque chose.

-Je sais ! tu n'as pas mangé tes céréales, c'est ça ?

Je fronce les sourcils, étonnée par sa drôle de déduction.

-Euh...non...enfin, je ne mange pas de céréales le matin de toute façon, Lewis.

Il fait un grand pas en arrière, main sur le cœur et yeux écarquillés, profondément choqué par ma révélation.

-Eh bien tu devrais ! Parce que leur gout sucré viendra caresser tes papilles et ainsi réveiller tes sens tandis que l'aurore se lèvera dans un ciel multicolore. De plus, leur senteur caramélisée...

-Lewis !

Il se fige, se racle la gorge et se redresse tout en jouant à l'aide de sa langue avec son piercing à la lèvre, soudain embarrassé.

-Oui euh...pardon.

Je soupire et passe ma main dans mes cheveux.

-À la base, je n'étais pas de mauvais poil, si c'est ce que tu veux savoir. C'était même le parfait inverse. Mais quelqu'un a fait...ou plutôt n'a pas fait quelque chose qu'il aurait dû faire. Qu'il avait l'obligation de faire mais qu'il a quand même ignoré de faire sans penser à moi qui pensais qu'il allait le faire.

Il hoche doucement la tête.

-Heu...je n'ai pas tout compris mais je suis de tout cœur avec toi ! se réjouit-il en levant ses pouces vers le haut.

Je soupire et passe encore ma main dans mes cheveux, chose que je fais beaucoup depuis ce matin.

-J'ai plein de trucs à faire Lewis. Je dois aider à accueillir les visiteurs dans le gymnase pour l'exposition et probablement servir de guide toute la journée. Alors si tu n'as rien d'important à me dire, moi, je vais y aller.

En effet, pendant ce mois d'exposition qui précède les vacances d'hiver, les cours sont remplacés par des travaux manuels et des animations artistiques en tout genre organisés par les élèves avec l'aide des professeurs. C'est une sorte de journée portes ouvertes qui s'étend sur quatre semaines. Après tout, étant donné la renommée mondiale de l'école, nous sommes obligés de faire les choses en grand.

-Justement, je voulais te dire un truc méga important. Ça ne peut pas attendre.

Je souffle et mets mes poings sur mes hanches en pensant qu'il va m'avouer vouloir se réconcilier avec Ashley.

-Je t'écoute.

Il perd tout à coup son assurance et baisse les yeux vers ses chaussures noires, elles aussi.

-Je voulais te dire...qui était la fille dont je t'avais parlé. Celle que je trouvais...spéciale.

Il s'empourpre à vue d'œil et mon pouls accélère. C'est la première fois qu'il semble aussi inoffensif.

Je plante mon regard curieux dans le sien et fronce les sourcils.

-Alors ? Qui est la charmante demoiselle dont tu disais qu'elle était différente des autres ? je demande avec une voix presque tremblante.

Il pousse un profond soupire pour ainsi vider l'air présent dans ses poumons et retire ses lunettes pour les nettoyer avec son T-shirt, ce qui me laisse entrevoir son ventre parfaitement musclé. Je détourne les yeux en rougissant.

-En fait, pour être clair, je n'ai aucune chance avec elle. Elle est déjà folle amoureuse d'un autre, lâche-t-il en me lançant un regard rempli de sous-entendus.

Je me balance d'un pied à l'autre et me racle la gorge.

-Si tu ne veux pas me dire comment elle s'appelle, dis-moi au moins qui est le garçon qu'elle aime. Je le connais ?

Sa mâchoire se contracte alors qu'il replace ses lunettes sur son nez dans un geste involontairement sexy.

-Oh que oui, tu le connais.

Je prends une profonde inspiration et essaye de me concentrer sur les battements irréguliers de mon organe vital pour me calmer.

-Et il s'appelle ? je dis avec hésitation.

Après un court silence, il relève doucement les yeux vers moi et je déglutis avec peine.

-C'est le mec dans ma classe dont je t'avais déjà parlé et qui a fait un malaise il n'y a pas si longtemps. Andréas. Il s'appelle Andréas ERASER.

Cette fois, je ne peux empêcher mon cœur de se déchainer et mes joues s'enflamment. Cela veut dire que la fille qu'il aime c'est...moi ?! Il y a quelque temps, je me serrais probablement réjouie plus que de raison à cet aveu. Mais aujourd'hui, tout me semble totalement différent. J'en viens même à me demander comment le rejeter gentiment sans altérer notre amitié, déjà quelque peu ébranlée par son éloignement soudain avec Ashley.

Mais quand je rassemble mes mots et relève les yeux vers lui, il me fixe avec un regard indescriptible. Une sorte de compassion se retranscrit dans ses prunelles céruléennes et j'avale ma salive laborieusement.

Lewis a probablement remarqué mon désarroi car il me sourit tristement et qu'il inspecte tout à coup un point fixe derrière moi.

-Et ouais, toi et moi, on est dans le même pétrin.

J'incline ma tête sur le côté, persuadée qu'un point d'interrogation flottant vient d'apparaitre au-dessus de mon crâne. Que veut-il dire par là ?

Alors, mon cerveau se réveille et je commence à comprendre sans le vouloir. Mon corps tout entier se met à trembler et j'arrête de respirer. Lentement, très lentement, mes yeux suivent le regard douloureux de Lewis et je me retourne tout à fait. Et ma cervelle avait raison.

En effet, à quelques mètres de nous, appuyé sur le mur en face des casiers comme à son habitude, Andréas. Les mains dans les poches de son pantalon baggy aux motifs militaires porté très bas sur ses hanches et les écouteurs enfoncés dans les oreilles, il observe le vide. Ne me dites pas que Lewis est amoureux d'Andréas ?!

Non, c'est impossible. Il parlait d'une fille. Une fille qui serait amoureuse de cet idiot sans cœur. Andréas serait en réalité une fille ?!

Je secoue vivement la tête. Arrête de divaguer, Heaven. Personne ne voudra jamais d'une reine timbrée.

A priori, de tout le lycée, je suis sûrement la seule à avoir remarqué l'existence des plus discrètes d'Andréas. Alors qui d'autre pourrait...tomber sous son charme ?

Mon cœur accélère de plus belle. Il est là, nonchalant, alors qu'il m'a brisé le cœur en m'envoyant dans la face le plus gros râteau de son jardin. Il m'énerve.

Je sursaute quand le concerné relève les yeux vers nous et que ses prunelles s'accrochent dans les miennes. Il enlève ses écouteurs et se redresse. Moi, je reste paralysée, comme d'habitude. Après tout, je suis en colère contre lui. Terriblement en colère. Enfin, je suppose.

Il commence à bouger et je prends du temps pour comprendre qu'il a entrepris de venir dans ma direction. Mais moi, je ne veux pas lui parler. Pas encore. Parce que je retomberais dans son piège s'il venait maintenant. Je ne suis pas encore assez forte pour lui résister.

Et comme si le ciel avait entendu ma prière silencieuse, je sursaute de nouveau et détourne les yeux quand une jeune femme aux longs cheveux dorés me bouscule pour passer. Je manque de tomber et me réceptionne de justesse en m'accrochant au bras de Lewis alors qu'elle fait volte-face.

-Oh excuse-moi ! je suis vraiment désolée, je ne t'avais pas vu. Tout va bien ? s'enquiert-elle en me jaugeant de ses prunelles obsidiennes.

Son sourire guilleret allège le poids qui s'était installé sur mon cœur et mes épaules s'affaissent. Avec son léger gloss rose bonbon et son grain de beauté sur la pommette, elle est sublime.

Je hoche vivement la tête pour la rassurer.

-Tout va bien, ne t'en fait pas. Tu m'as à peine effleuré.

Elle m'offre un sourire soulagé tellement sincère que je ne peux que lui sourire en retour. Ainsi, dans un nuage de parfum qui me rappelle aussitôt l'odeur des fleurs, elle s'écarte en sautillant. Elle est adorable.

Mais deux choses me sautent aux yeux alors que mon monde se fige.

La première, Lewis, toujours à mes côtés, fixe avec ardeur la lycéenne qui s'éloigne avec grâce et ferveur. Je comprends directement que c'est elle qui a fait chavirer son cœur.

La deuxième, elle se met finalement à trottiner puis à courir. Et elle se jette avec légèreté dans les bras d'Andréas en criant un puissant « Drédré !!! ». Après l'avoir serré fort pendant de longues -beaucoup trop longues- secondes, elle s'écarte légèrement et se met à la pointe des pieds pour poser ses lèvres sur les siennes. Il ne la repousse pas, au contraire. Ils s'embrassent. Là, maintenant, tout de suite, devant tout le monde. Devant moi.

Alors il avait déjà quelqu'un.

Colère, indignation, tristesse, trahison, humiliation. Tous ses sentiments se déchainent en moi sans que je puisse faire quelque chose pour les chasser.

J'aimerais relever mes mains vers mon visage pour me frotter les yeux et effacer ce rêve. Ce cauchemar. Mais je n'y arrive pas. Mon corps ne répond plus aux commandes. Si bien, que je ne réalise pas que les larmes déferlent sur mes joues et brouillent ma vision. Pour moi, le temps s'est arrêté. Une fois de plus.

Pourtant, les élèves continuent leurs activités. Les grilles sont finalement ouvertes aux visiteurs et un grand nombre d'individus qui me sont inconnus traverse le hall, guidés par des lycéens volontaires.

Des animations artistiques débutent un peu partout dans les salles de classe et le hall est utilisé comme pièce de réception pour ceux qui veulent avoir une visite personnalisée. Certains se dirigent vers le gymnase pour l'exposition d'automne, d'autres restent dans la cour pour prendre des photos. Ils discutent, rigolent, se chamaillent, posent des questions, apprennent...vivent.

Et moi, je reste là, les bras ballants. Mon âme a quitté mon corps. C'est un milliard de fois plus douloureux que ce que j'avais tenté d'imaginer. Je me sens souillée, trahie et surtout, affreusement stupide.

Je voudrais lâcher un rire sans joie, lui faire un doigt d'honneur et partir en courant me jeter dans les bras du premier venu. Mais je ne peux pas. Comme je l'ai si bien dit à Lewis, j'ai du travail. Les gamineries, il faut arrêter. Et tomber amoureuse de lui était la plus grosse erreur de toute ma vie.

Dans un geste automate, je me retourne et m'en vais. J'ignore les appels de Lewis, le regard persistant des gens qui se demandent ce qui me met dans cet état. Avec hargne, j'essuie rageusement mon visage. Sans essence, sans esprit, je rejoins le gymnase et commence à guider les visiteurs pour l'exposition. Telle une marionnette dénuée de volonté. Qu'ils soient heureux et aient beaucoup d'enfants, moi, je n'en ai plus rien à faire.


A suivre dans la partie 2...

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