Chapitre 12 : Un pardon vaut mille pansements


Bonjour, bonjour. Nouveau vendredi, nouveau chapitre. Je vous avoue que le moral n'y est pas aujourd'hui, mais j'ai tout donné pour ce chapitre et j'espère sincèrement qu'il vous plaira. A vendredi prochain. Bonne lecture. 

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Alec avait toujours bien supporté les gueules de bois, tout du moins de manière générale. Les premiers temps où il s'était mis à boire, le Chasseur d'Ombre se réveillait toujours entre deux eaux, malade comme un chien et la tête prise dans un étaux. A force de pratique, ses gueules de bois étaient passées d'agonie à simples migraines, pour finir par disparaître presque entièrement. Les rares fois où elles se faisaient sentir malgré son fort alcoolisme, c'était quand le noiraud faisait des mélanges dans les alcools qu'il consommait. Souvent, il se contentait donc de rester sur une même base. Les premières fois où le noiraud avait commencé à boire jusqu'à plus soif, Alec s'était contenté d'alcool faible : bière, vin rouge, et autres cocktails sucrés que Magnus vendait à ses clients au Pandémonium. Le problème était que, à force de consommer sa toxine liquide, le Chasseur d'Ombre s'était habitué aux effets et, l'euphorie passée, de moins en moins efficace pour oublier ses malheurs, il avait commencé à jouer dans la cour des grands pour noyer son chagrin. Whisky, rhum, gin, cognac, vodka. Le critère était simple : tout ce qui arrivait à lui brûler la gorge était accepté, même si, parfois, il se laissait aller à consommer un peu de tequila. C'était Magnus qui lui avait fait goûter la première fois, et Alec s'était retrouvé rond à peine au bout du premier verre. Cette fameuse restait encore confuse dans son esprit, mais il se souvenait encore avoir fait l'amour avec son époux alors qu'ils s'étaient sifflé la bouteille à tous deux. D'une certaine manière, cet alcool le rapprochait de son défunt mari. A la pensée de l'Indonésien, le Nephilim aux cheveux noirs gémit douloureusement et se prit la tête entre les mains. Les souvenirs de la veille lui revenaient par flash aveuglants et il commençait à avoir la nausée. Il y avait bien longtemps qu'il ne s'était pas mangé une gueule de bois aussi fameuse et il regrettait déjà amèrement le comportement qu'il avait eu. Enfin, non, il ne regrettait pas tout. Pas ce qui concernait Magnus, tout du moins. Alec savait que c'était une décision difficile qui lui coûtait beaucoup, son cœur brisé pouvait en témoigner. Malgré tout, il ne pouvait pas se permettre de regretter ses gestes et ses paroles. Il devait le laisser derrière lui, il savait qu'entre eux ça n'aurait pas pu continuer plus longtemps, ils étaient d'ailleurs même allé trop loin déjà, et il savait que Jace, Ragnor, et même Asmodée comprendraient son choix. Après tout, n'était-ce pas dans son propre intérêt ? Et le noiraud savait que ses trois amis, qui composaient tout ce qui lui restait de famille en dehors de sa petite sœur, étaient prêts à tout pour son bonheur.

Inspirant et soufflant pour tâcher de faire le point, l'aîné des Lightwood tenta de s'asseoir au bord du canapé sur lequel Ragnor, sans doute, l'avait allongé pour passer la nuit. Après plusieurs tentatives infructueuses, le Chasseur d'Ombre parvint tant bien que mal à trouver la bonne position mais à peine s'était-il mit à la verticale que son estomac commença à faire des saltos arrières et des loopings. Fermant les yeux à s'en fendre les paupières pour tenter de calmer la vague de nausée qui l'envahit, Alec se pencha en avant et tâtonna près du sol pour trouver...ah ! Un faible soupir de soulagement mêlé d'une déglutition difficile lui échappa lorsque ses doigts squelettiques se refermerent sur le bord de la bassine déposée là, sans doute encore par son beau-père et ami. Alors que ses épaules étaient secouées de soubresauts et que son corps se tendait vers l'avant, le Chasseur d'Ombre eut tout juste le temps de ramener la bassine sur ses genoux qu'il y vidait le contenu de son estomac dans un gargouilli humide écoeurant. Des larmes brûlantes comme des coulées de lave dévallèrent ses joues et il continua à purger l'alcool de son organisme en vomissant dans la bassine, le front fiévreux mais le corps glacé. Sa tête commençait à tourner, et malgré ses yeux clos, le noiraud avait l'impression que le monde n'avait de cesse de vaciller sous ses pieds. Génial, il ne manquerait plus qu'il fasse un malaise et il pourrait finir étouffer par son propre vomit. L'image accentua ses nausées et des sanglots lui échappèrent alors qu'il se concentrait pour ne pas s'écrouler à même le sol. Une seule pensée l'accompagnait face à cet enfer subit : mourir. Au moins, s'il mourrait, il arrêterait de ressentir toute cette souffrance, aussi bien physique que mentale. Peut-être qu'il pourrait se laisser étouffer finalement ? Alors que l'idée devenait de plus en plus tentante dans son esprit embrumé et confus, Alec sentit une vague de fraîcheur l'envelopper au niveau du visage et de l'estomac, permettant à ses nausées de se calmer momentanément. Ses paupières, lourdes et pesantes, s'ouvrirent faiblement et le noiraud crus distinguer une tâche verte et floue dans son champ de vision. S'agissait-il de Ragnor ? L'hypothèse se confirma lorsque deux mains glacées se posèrent sur ses joues et retinrent ses cheveux en arrière. Il n'y avait que le britannique pour rester impassible face à ce genre de situation : Jace était toujours malade à son tour et même Asmodée fuyait la pièce à toute jambe. Être un grand démon supérieur, oui, mais voir quelqu'un être malade ? Hors de question !

- Rag'...,commença le noiraud avant d'être pris d'une nouvelle vague de nausées.

- Économise tes forces, ne parle pas, recommanda le sorcier d'un ton un peu trop brusque selon Alec.

L'ancien directeur de l'Institut de New York força sa vision à se stabiliser et il déglutit difficilement alors que le visage de son aîné se faisait plus net. Si Alec avait appris une chose au fil des années passées avec Magnus et des mois qui s'étaient écoulés après la mort de ce dernier, c'était que Ragnor ne se mettait jamais en colère ou presque. L'asiatique avait toujours mis ce fait sur le flegme britannique de son père, mais le noiraud avait constaté de par lui-même que, de façon naturelle, Ragnor n'était pas prompt à la rancune, à la violence et aux accès de colère. La seule fois où il l'avait réellement vu énervé, c'était quelques semaines plus tôt, quand il avait menacé de briser le bras d'Isabelle, lorsqu'elle avait émis l'idée de s'en prendre à Magnus. Pourtant, alors, le sorcier à la peau verte s'était contenu dans sa rage. Là, c'était totalement différent. Ses yeux étaient froids, glacials, son regard noir. Les traits de son visage n'exprimaient rien, neutre de toute expression, mais Alec le connaissait suffisamment pour sentir la tension dans chaque muscle de son corps. Son cœur se pinça lorsqu'il réalisa que ce mécanisme était le même que celui de Magnus lorsqu'il était contrarié. Il tenait bien de son père, visiblement. L'expression impassible de l'ancien professeur d'Académie changea brièvement pour une inquiétude mêlée de peine lorsque le noiraud, bien qu'inconsciemment, fit une tête de chiot abandonné, mais il se ressaisit et se contenta de l'aider à calmer sa nausée en silence, retenant ses cheveux en arrière jusqu'à ce que son estomac se soit entièrement vidé. Alec fut encore malade plusieurs fois, de moins en moins violemment cependant, et il finit par se laisser retomber dans le dossier du canapé tandis que le sorcier nettoyait la bassine d'un claquement de doigts avant de la replacer au sol, dans le cas où son cadet en aurait encore besoin dans les minutes à venir. Le Chasseur d'Ombre encore tremblant et épuisé leva une main fébrile devant lui pour essuyer ses yeux pleins de larmes qui n'avaient de cesse de noyer ses joues et il se sentit minuscule face au regard inquisiteur de son aîné. Il avait l'impression de n'être qu'un insecte sous le microscope d'un scientifique qui attendait la meilleure occasion pour le réduire en bouillie. Et il savait que, face à la magie de Ragnor, il ne ferait pas le poids. Déglutissant difficilement, il se prépara au déluge qui menaçait de déferler sur lui. S'il s'était attendu à des reproches, il n'était pas prêt à ce qui allait pourtant suivre.

- Tiens, c'est pour toi, lança le plus vieux en tendant un trousseau de clé à son cadet.

- Qu'est-ce que c'est ? S'enquit fébrilement Alec qui ne savait pas à quoi s'en tenir.

- Les clés de mon appartement, pour le hall, la porte d'entrée et la boîte aux lettres. Les deux autres sont pour le Pandémonium : la première est pour l'ouverture du club, la seconde pour la réserve. Tout est à toi.

- Pour moi ? s'étonna Alec en secouant la tête. Je...je ne comprends pas...Ragnor, tu t'en vas ? S'enquit-il en sentant la panique monter en lui.

- Je vais rejoindre Asmodée, à Edom, l'informa l'immortel cornus. On a été séparés trop longtemps, et maintenant que Magnus n'est plus...Il est temps qu'on se retrouve...

- Non, attends, tu ne peux pas partir maintenant, je...Qu'est-ce que je vais faire sans toi ? Tu ne peux pas me laisser maintenant !

- Quelle différence ça ferait, Alec ? J'ai beau faire tout ce qui m'est possible de faire pour t'aider, rien n'est ni ne sera jamais assez, je l'ai bien vu hier soir. Regarde dans quel état tu es ce matin, alors que j'ai fais ce que je pouvais pour t'aider à faire en sorte que ça ne se produise plus...Tu n'as pas besoin de moi, pire, tu refuse qu'on t'aide, alors j'arrête de perdre mon temps, et le tient visiblement par la même occasion.

Le noiraud fixa son aîné sans mot dire, sous le choc. C'était donc ça ? C'était donc le fait qu'il ait fait demi-tour loin de la séance du groupe de parole, qu'il ait bu jusqu'à se retrouver au bord du coma éthylique, qui mettait Ragnor dans cette colère ? Certes, il avait abusé sur la boisson, comme trop souvent d'ailleurs, mais il ne pouvait pas lui en vouloir pour l'entièreté de la soirée, tout de même ? C'était absurde, il l'avait fait justement dans leur intérêt à tous. Le noiraud se souvenait vaguement de la présence de son beau-père alors qu'il hurlait toute sa peine et sa colère pour se débarrasser de Magnus. Il ne pouvait tout de même pas lui en vouloir pour avoir pris la direction qu'il lui indiquait depuis si longtemps maintenant, tout de même ! Secouant la tête, le Chasseur d'Ombre releva ses yeux de chien battu vers le sorcier qui l'observait toujours d'un air glacial, prêt à lui arracher le cœur à mains nues s'il le pouvait.

- Je ne comprends pas, répéta Alec en déglutissant difficilement. Je...je pensais que ça te ferait plaisir..., avoua-t-il en jouant nerveusement avec ses mains squelettiques.

- Plaisir ? S'étrangla Ragnor en écarquillant les yeux. Alec, en quoi tout ce qu'il s'est passé pourrait me faire plaisir, tu peux me le dire ? Où est le plaisir dans le fait de te voir disparaître des heures, de devoir te chercher dans la ville en priant Lilith que tu ne sois pas à l'hôpital, ou pire même à la morgue ! et à te retrouver ivre mort dans une ruelle à hurler comme un dément. Tu peux me dire ce qui aurait dû me faire plaisir dans tout ça ?!

- J'ai...j'ai fais ce que tu m'as dit..., souffla le Nephilim en sentant sa lèvre inférieure trembler et ses larmes couler faiblement. J'ai chassé Magnus...Je pensais que tu serais fier de moi..., chuchota-t-il alors, ressemblant à un petit garçon penaud.

- Fier ? Mais enfin, Alec, qu'est-ce qui t'es passé par la tête ? S'emporta le britannique, son ton comportant plus de peine et d'inquiétude que de colère, cependant. Tu as chassé Magnus, tu lui as sorti les pires horreurs possible, tu lui a dit qu'il devait te foutre la paix : en quoi ça doit me rendre fier, alors que tu as exclu de ta vie la seule chance que tu avais d'être de nouveau heureux ?! Tu te perds en toi-même pendant des mois à supplier de rejoindre Magnus, et quand la vie te le rend enfin, tu fous tout en l'air ! Où est la fierté dans tout ça ?

Le noiraud, plus perdu que jamais, écarquilla les yeux sans comprendre. Exclure Magnus de sa vie ? Non, bien sûr que non ! Il voulait le garder dans sa vie, c'était justement pour ça qu'il avait...Ou alors...

- Ce...Ce n'était pas mon hallucination, hier ? Comprit-il en retenant une flopée de nombreux sanglots. Rag'...Magnus était réellement là...?

- Oui, Alec, et maintenant il est parti. Et je pars aussi, annonça-t-il en se levant pour tourner le dos à son ami.

- Je t'en prie, reste, supplia le plus jeune en tombant à genoux, ses sanglots débordant déchirant sa poitrine et ses larmes dévalant ses joues, toujours plus nombreuses, alors qu'il tendait vainement sa main en direction de l'immortel à la peau verte. Je...je te le jure, je n'ai jamais voulu ça je...Oui, j'ai fuis c'est vrai, je suis désolé...Et j'ai bu, je sais que je n'aurais pas dû mais...Mais je voulais simplement me débarrasser de Magnus...Pas notre Magnus, celui de ma tête ! Je...Asmodée et toi vous me répétez qu'il n'est pas réel alors...J'ai voulu qu'il disparaisse...J'ai fais ça pour être avec le vrai Magnus...Mon Magnus...Je t'en supplie, je ferais ce que tu veux, j'arrêterai de boire, j'irai à toutes les réunions que tu veux, par pitié ne m'abandonne pas...

- Tu veux t'en sortir, Alec ? Tu veux retrouver ta vie ? Demanda le sorcier sans pour autant se retourner.

- Oui !! Hurla le Chasseur d'Ombre en désespoir de cause, tremblant de toutes parts sous la force de ses pleurs, se recroquevillant à même le sol pour s'abandonner, la joue contre le parquet. Je veux m'en sortir...Je veux retrouver Magnus...Je t'en supplie...

Les larmes aux yeux, Ragnor se retourna et s'agenouilla pour prendre Alec dans ses bras, le noiraud se lovant dans son giron alors qu'il lui caressait les cheveux. La Chasseur d'Ombre pleura plus fort encore, comme si son corps n'était fait que d'eau exclusivement, et, bientôt, d'autres bras l'enlacèrent, et il ne mit pas longtemps à reconnaître la présence de Jace et d'Asmodée qui l'entouraient de leurs magies pour les immortels, et de leur lien parabatais pour le blond au regard de miel. Les trois hommes bercèrent leur ami effondré et Alec sentit son cœur s'apaiser quelque peu, en dépit du désespoir qui l'habitait d'avoir tout gâcher encore une fois. Dans son esprit, l'idée de disparaitre définitivement, de mourir enfin, était toujours présente, et il serait idiot de croire qu'elle disparaitrait du jour au lendemain. Pourtant, elle ne prenait pas toute la place, et la sincérité de son aveux était plus puissant encore : il voulait s'en sortir, il voulait aller mieux, il voulait retrouver Magnus et être heureux à ses côtés, quand bien même ce serait dûr, il ne voulait pas baisser les bras. Fort de cette détermination, le Nephilim aux cheveux corbeaux essuya fébrilement ses larmes, tâchant de se montrer fort pour prouver à ses proches qu'il était prêt à se battre pour son bonheur, quand ses yeux cobalts se posèrent sur le trousseau de Ragnor qu'il confia à son époux qui le prit avec un clin d'oeil discret. Il n'en fallut pas plus au noiraud pour comprendre que la réaction de Ragnor, cette apparente colère, n'avait été qu'une vaste mise en scène pour lui faire prendre conscience du comportement dont il avait fait preuve la veille au soir. Alec aurait pu en être rancunier et leur en vouloir à tous trois de cette supercherie, mais, en réalité, il ne pouvait qu'être d'accord avec eux et se ranger de leur côté. Même si le stratagème avait été fourbe, il n'en restait pas moins efficace et le Chasseur d'Ombre prenait enfin conscience qu'il ne pouvait passer le reste de sa vie à fuir les mains qu'on lui tendait. Il soupira donc intérieurement de soulagement de ce dernier espoir qu'ils lui offraient malgré eux et il se redressa en position assise, les yeux clos, pour permettre à ses idées de se remettre en place. Ragnor rapprocha la bassine, juste au cas où, et, voyant le geste de son époux, Asmodée écarquilla les yeux et, dans sa tentative de fuite pour ne pas voir son cadet vomir, bascula en arrière, s'écroulant de tout son long sur le parquet dans un grognement sourd. Jace ne manqua pas d'éclater de rire, forçant son parabatai à rouvrir les yeux, et Alec lâcha un faible gloussement lorsque le Démon Supérieur se saisit du blond par le col pour le faire basculer à son tour.

- Personne ne se moque d'Asmodée Bane, râla le Prince d'Edom en retenant prisonnier dans un enchevêtrement de jambes et de bras qui firent rire un peu plus Ragnor et Alec.

- Tu devrais peut-être le relâcher avant qu'il n'étouffe, Cintaku, pouffa gentiment le britannique en secouant la tête. Je n'ai pas vraiment envie d'avoir un canard mort au milieu du salon.

- Canard ? Répéta le démon en interrogeant son époux du regard. Parce que ce morveux blond est métamorphe, par dessus le marché ? Tu aurais pu trouver une autre bestiole qu'une volaille pour te transformer..., maugréa-t-il en faisant la moue.

- Tu sais que je me transforme en phénix, chéri ? Lui rappela Ragnor en haussant un sourcil inquisiteur, les bras croisés sur son torse.

- Oui mais toi tu es une volaille noble, Kacang Saya ! Rétorqua le plus vieux avec un clin d'œil. Un canard, on aura tout vu..., marmonna-t-il en relâchant cependant son détenu.

Frissonnant, Jace se redressa le rouge aux joues et si Alec crut que c'était dû à la force d'Asmodée qui avait dû le comprimer un peu trop, le noiraud comprit que l'origine du problème de son meilleur ami se trouvait légèrement plus au sud. Haussant un sourcil surpris, le Chasseur d'Ombre échangea un regard entendu avec Ragnor qui en était venu à la même conclusion que lui et Asmodée, saisissant la perche, fit un sourire et un clin d'oeil charmeur à un Jace qui retint un gémissement avant de fuir la pièce, ses mains plaquées sur la déformation à l'avant de son pantalon. Visiblement, il était tombé au bon endroit, littéralement. Les époux immortels éclatèrent de rire et Alec vit briller dans leurs yeux une lueur d'envie commune, un échange muet pour déterminer s'ils étaient ou non sur la même longueur d'onde. De son avis, les deux hommes ne pouvaient qu'être d'accord et il sourit quelque peu. Il connaissait Ragnor et Asmodée depuis des années, il savait que leur couple, sans être libre dans le sens commun, était ouvert aux nouvelles expériences et ajouter un partenaire à leur relation n'avait apparemment pas l'air de les déranger, bien au contraire. Et bien, il souhaitait bonne chance à Jace s'il se retrouvait dans leur lit. Déjà qu'avec Magnus il avait pris l'habitude de régulièrement côtoyer les étoiles, il ne doutait pas qu'avec le Démon Supérieur de la Luxure en personne, son frère de cœur irait carrément voyager dans une autre galaxie. Malgré l'amusement que cette pensée pouvait lui procurer, Alec sentit une vague de tristesse l'envahir et son sourire fana peu à peu jusqu'à disparaître. Le Chasseur d'Ombre baissa les yeux et laissa quelques larmes couler. Lui ne pourrait plus aller voir les étoiles avec Magnus, il ne pourra plus jamais avoir de plaisir dans ses bras, parce que Magnus était partit, et c'était entièrement sa faute. Il avait tout gâché, une fois encore. Lui qui n'avait eu qu'un seul désir, enfin avancer vers l'avenir et le bonheur, se retrouvait plus malheureux que jamais. Peut-être n'était-ce pas une bonne idée, finalement, de s'en sortir ? Même Magnus refuserait de le voir, maintenant qu'il lui avait dit toutes ces horreurs. Il était seul, plus seul que jamais. Peut-être que, une fois la nuit tombée, il pourrait sortir de l'appartement et aller piquer une tête du haut du pont de Brooklyn ? Au moins, là, il ne ferait plus de mal à personne...

- Va le voir, conseilla Asmodée en posant une main sur son épaule, le tirant de ses pensées. Il n'est jamais trop tard, Alec. Fais moi confiance, vas lui parler, explique lui ce qu'il s'est passé et il t'écoutera. Je connais mon fils, et même s'il est Terrestre maintenant, je sais qu'il ne refusera pas d'entendre ce que tu as à lui dire.

Reniflant tristement, le noiraud hocha la tête, bien que peu convaincu par les paroles de son beau-père. Ragnor, à son tour, lui sourit doucement et acquiesça, comme pour lui donner le courage de retrouver l'homme qu'il avait perdu et de se battre encore une fois pour le retrouver. Après tout, il n'avait pas passé ces derniers mois à traverser l'enfer pour ne pas en être récompensé comme il se devait. Alec se prépara sommairement, enfilant juste un blouson par-dessus ses vêtements trop grands, et il traversa le Portail ouvert par Ragnor pour rejoindre la boutique de Magnus. De l'autre côté, le Chasseur d'Ombre se retrouva dans la rue piétonne qui comportait divers magasins en tous genres, dont celui de l'Indonnésien. Au loin, il pouvait même apercevoir la brasserie dans laquelle ils avaient mangé par deux fois avec l'asiatique. Le Nephilim soupira et, tournant la tête, aperçut son propre reflet dans la vitrine d'une échoppe. Le bon qu'il fit le surprit lui-même et il porta une main à son cœur qui battait la chamade dans sa poitrine. Alec avait l'impression de se voir pour la première fois depuis des mois. Ses articulations ressortaient de sous sa peau, menaçant presque de la transpercer, et sa masse musculaire avait fondu comme neige au soleil. Lui autrefois si fort et musclé, grâce à ses nombreux entraînements et à sa dextérité au tir à l'arc, n'était désormais pas plus épais qu'un cure-dent qu'on aurait raboté. Son visage était triste, ses traits tirés, et ses yeux s'enfonçaient dans son crâne, l'impression de maigreur exacerbée par les cernes sombres qui soulignaient ses yeux délavés. Ses vêtements, qui étaient pourtant les siens, étaient aujourd'hui trop larges pour lui, lui donnant le sentiment de porter trois tailles au dessus, au moins. Le nœud de son jogging, car il avait cessé de porter des jeans, était tiré au maximum et, pourtant, il tombait encore sur ses hanches saillantes. Mêmes ses mains calleuses étaient squelettiques, et Alec doutait de pouvoir encore tirer une flèche sans se briser les doigts au passage : c'était à peine s'il parvenait à ne pas s'écrouler à la moindre bourrasque de vent. Le Chasseur d'Ombre n'avait rien mangé de solide depuis plus de trois mois, il s'en rendait compte à présent, pas plus qu'il n'avait avalé de véritables repas consistants et nutritifs, malgré les nombreuses tentatives de Ragnor pour qu'il s'alimente. Quant au reste de son apparence, Alec préférait ne pas y penser : des cheveux noirs qui ressemblaient à de la paille noircie par le feu, une barbe de quelques semaines qui lui mangeait les joues et la peau d'une douteuse teinte grisâtre. Non pas que le noiraud ait arrêté de se laver, mais il devait de plus en plus difficile, aussi bien physiquement que moralement, de prendre un temps soit peu soin de lui.

Le Chasseur d'Ombre inspira donc et souffla pour garder un minimum de calme avant de se diriger à pas lents vers la boutique de l'Indonésien. Heureusement pour lui, le panneau "ouvert" était affiché et, lorsqu'il ouvrit la porte, la petite sonnette signalant un nouveau client s'activa. De là où il se trouvait, Alec distinguait la silhouette de l'asiatique qui lui tournait le dos. Les épaules basses, Magnus se tenait dans l'embrasure de la porte qui menait à sa réserve, là où il rangeait sa marchandise et ses surplus de stock, ainsi que quelques réservations que lui faisaient certains clients, lui avait-il expliqué un jour. Sa tête était basse et ses épaules frissonnantes. Déglutissant difficilement, le Nephilim fit un pas sur le côté et son cœur manqua un battement lorsqu'il constata que le Terrestre aux yeux d'ambre avait le souffle court et que de minuscules gouttes salées parsemaient ses joues. Il n'y avait personne dans le magasin, ils n'étaient que tous les deux, et l'aîné des Lightwood comprit tristement que Magnus s'était caché dans la réserve pour pleurer avant qu'il ne le rejoigne. Mais ce n'était pas le plus douloureux, non, pas plus que de savoir qu'il était à l'origine de chacune de ses larmes, non. Le plus difficile à vivre pour le noiraud fut de voir l'amour de sa vie se retourner comme si de rien n'était et, en dépit de ses yeux rouges, boursouflés et remplis de larmes, sourire à son visiteur pour rester professionnel en toutes circonstances.

- Bonjour, bienvenu à l'Happy Hour, si vous avez besoin de quoi que ce...Oh..., souffla-t-il en reconnaissant le noiraud. C'est toi...

- Je...Je me doute que tu n'as aucune envie de me voir, ni de me parler après ce que j'ai fais hier, commença le Nephilim en tordant nerveusement ses doigts. Tu dois me détester, mais crois moi tu ne pourras jamais me détester autant que je me déteste...Je...Tu sais que j'ai perdu mon mari il y a quelques mois ? Tu vas sans doute penser que je suis fou mais...Je le vois...

Face à lui, Magnus haussa un sourcil et secoua la tête avant de se détourner. Silencieusement, le commerçant attrapa un carton plein de sous son comptoir caisse et il en déballa le contenu qu'il disposa sur les étagères derrière lui sans plus prêter attention au noiraud, comme s'il ne se trouvait même pas dans sa boutique en ce moment même. Alec baissa les yeux et serrant les poings de défaite, prêt à partir, quand les paroles d'Asmodée lui revinrent en tête. Magnus écouterait ce qu'il avait à dire, malgré les apparences. L'ancien directeur de l'Institut de New York resta donc dans la petite boutique de son compagnon et il s'installa dans un coin, assis à même le sol, son dos reposant contre le montant solide d'une armoire en bois. De toute manière, il se sentait épuisé. Il n'avait pas pris sa dose d'alcool le matin même, dont il avait besoin malgré sa gueule de bois, et il n'était pas sûr de pouvoir tenir sur ses jambes un peu plus longtemps. Relevant ses yeux délavés vers l'asiatique qui rangeait toujours ses bibelots, les organisant selon ses goûts pour appâter les clients, il commença ses explications avec l'impression de donner un coup d'épée dans l'eau.

- Le soir où on l'a enterré, mon meilleur ami m'a emmené dans un bar, pour boire à sa santé...Je n'ai jamais bu beaucoup, avoua-t-il en laissant sa tête reposer en arrière contre l'armoire. Pourtant, ce soir-là, la brûlure de l'alcool était si bonne...J'avais l'impression de sentir toutes mes plaies se refermer...Alors j'ai bu jusqu'à m'écrouler sur le comptoir. Quand je me suis réveillé j'avais la gueule de bois, j'ai vomis mes tripes et j'ai passé la journée à dormir. Et j'étais heureux, parce que pendant vingt-quatre heures j'ai arrêté de penser à la douleur; confia-t-il honteusement en laissant ses larmes couler silencieusement sur ses joues creuses pour venir se perdre dans sa barbe.

Derrière son comptoir, Magnus gardait le silence mais ses gestes étaient plus lents, ses épaules tendues, et Alec, comprenant qu'il prêtait effectivement attention à ses paroles, trouva la force et le courage de continuer.

- Les soirs suivants, j'ai recommencé à boire et à me mettre minable. Je finissais en coma éthylique presque à chaque fois. C'est là que ça a commencé à foirer avec ma sœur...Elle m'a chassé de l'Ins...de la maison, de corrigea-t-il brièvement. Elle ne veut plus me parler. Après la première semaine à boire, j'ai arrêté d'avoir des gueules de bois, et je me sentais de mieux en mieux. J'ai commencé à me sentir mal uniquement quand je ne buvais pas d'alcool, alors je ne me suis jamais arrêté. C'est là que j'ai compris que j'étais alcoolique, avoua le Chasseur d'Ombre en reniflant piteusement. Je ne me suis jamais menti à moi-même, je sais depuis le début que j'ai touché le fond, mais je m'en foutais, parce que j'ai commencé à le voir...

" Un soir, je suis rentré et il était là, sur le canapé, en train de se faire les ongles...J'ai discuté pendant des heures avec lui cette nuit-là. C'était inespéré, mon mari était en vie...Puis au matin, il avait disparu. J'ai rapidement comprit qu'il était là uniquement quand je buvais et, grâce à l'alcool, j'oubliais en plus qu'il n'était qu'une hallucination. Alors j'ai bu, encore et toujours plus...Je pensais que je pourrais vivre le reste de ma vie comme ça, enfin..., gloussa-t-il tristement en baissant les yeux sur son corps,...tout du moins les mois qui me reste à vivre. Mais tu es arrivé, Magnus. Tu es arrivé et je ne veux plus vivre dans une hallucination : je veux vivre avec toi...J'ai merdé, hier, pleura-t-il plus franchement en secouant la tête. Mais ce n'est pas à toi que je voulais dire tout ça, c'était à lui, à mon hallucination...Qu'il me laisse tranquille pour que je puisse être heureux avec toi...Je suis tellement désolé de t'avoir fait souffrir, mais c'était tout le contraire que je voulais..."

Fondant en larmes, le noiraud sentit son cœur se briser en constatant que le mortel ne faisait toujours aucun geste ni signe dans sa direction. Magnus le croyait-il même seulement ? Après tout, il était en droit de croire qu'il ne s'agissait là que d'une histoire à dormir debout sur laquelle il prenait appuie pour excuser son comportement de la veille. Recroquevillé contre le meuble, le corps tremblant sous la force de ses sanglots, Alec se laissa à pleurer, seul, avec l'impression d'être en plein cauchemar. Pourtant, son tourment était loin d'être terminé, puisqu'une vois qu'il ne connaissait que trop résonna à son oreille, le forçant à ouvrir les yeux.

- Bien essayé, Alec, mais tu vois bien qu'il ne te croit pas ! En même temps, m'utiliser comme excuse, tu sais très bien que tu es le seul responsable de cette situation, Alexander...

De l'autre côté de la pièce, installé dans la même position que lui, Magnus lui faisait face. Pas le Magnus mortel, non, son Magnus, le Magnus de son esprit, son hallucination qu'il avait cru chasser la veille au soir. Vêtu de sa tenue de Grand Sorcier qu'il arborait toujours lors des réunions de l'Enclave, l'immortel aux yeux de chat arborait un sourire presque mesquin qu'Alec ne lui avait jamais vu. Pour une fois, il ne se faisait pas les ongles mais jouait avec une amulette à son poignet. Alec l'avait déjà vu, Magnus lui avait expliqué qu'elle servait à repousser les démons mineurs et, sans qu'il ne sache pourquoi, le noiraud eut l'impression que cette mise en garde lui était destinée. "Ne m'approche pas, démon", semblait lui dire silencieusement son époux décédé.

- Fiche moi la paix, va-t-en..., souffla le noiraud en refermant ses bras autour de son corps maigre comme pour se protéger. Laisse moi tranquille, tu dois t'en aller...S'il te plait...

- Et te laisser ? Tu crois vraiment que tu vas te débarrasser de moi, Alec ? Tu crois que tu vas pouvoir aller avec lui ? Tu ne mérites pas qu'on t'aime, la seule personne qui t'ai jamais aimé c'est moi ! Tu entends ? Personne d'autre ne t'aimera jamais plus. Je te l'ai déjà dit, rejoins moi, personne ne veut de toi ici, mais moi je t'attends. Tu sera tellement mieux avec moi, rejoins moi !

- Non ! Hurla le noiraud en pleurant plus fort encore, jetant en travers de la pièce une bougie à vendre qui passait à portée de main. Fou le camp de ma vie ! Tu es mort, je veux plus te rejoindre !! Je veux rester ici, avec Magnus !!

- C'est moi, Magnus, arrête de jouer au con, Alec ! Gronda l'hallucination en se redressant, sa magie bleue crépitant du bout de ses poings serrés. Tu vas venir avec moi, que tu le veuille ou non !!

- Magnus !!! Hurla Alec en sentant la panique le gagner. Magnus, je t'en supplie, je suis désolé, Magnus !!!!

Tandis que son hallucination se rapprochait de plus en plus et que son coeur battait si fort qu'il avait le sentiment qu'il pourrait lâcher à tout instant, Alec sentit deux bras musclés l'enlacer subitement et il se retrouva blottit contre le torse tiède du Terrestre qui venait de le rejoindre en deux enjambées rapide, inquiet au possible face aux hurlements de désespoir du noiraud. Alec fondit en larmes une nouvelle fois de soulagement et s'accrocha au corps de l'asiatique comme un bébé koala à sa mère, tremblant comme une feuille, fragile comme s'il était fait de verre. Magnus, lui, le berça contre son cœur en lui chuchotant à l'oreille que tout allait bien, qu'il était là, qu'il le protégeait. Malgré tout, il devait lui dire tout ce qu'il avait sur le cœur avant de perdre son courage alors, au prix d'un immense effort, il prit en coupe le visage du noiraud et le releva pour plonger ses yeux dans les siens, eux aussi baignés de larmes.

- Tout va bien, Alexander, il est partit, je te protège, tout va bien, répéta-t-il comme un mantra pour l'ancrer dans la réalité.

- Magnus..., pleura Alec en tâchant de retrouver une respiration convenable.

- Tu m'as blessé, Alexander, et ne crois pas que je vais te pardonner aussi rapidement, prévint-il avant de laisser ses lèvres effleurer les siennes dans un geste aussi naturel qu'inattendu. Mais je t'aime, et je refuse de t'abandonner à tes démons. Alors écoute moi bien, parce que je ne me répéterai pas : je te soutiendrais, je ne te lâcherais pas, mais nous deux ce n'est qu'un essaie. Montre moi que tu veux t'en sortir, vas aux réunions, diminue tes doses quotidiennes d'alcool, et on avancera ensemble, mais refais ce que tu as fais hier et nous deux ça n'ira jamais plus loin, tu comprends ?

- C'est promis, chuchota le noiraud en tremblant de tous ses membres. Comment...Comment je peux me faire pardonner ? Il n'y a pas de réunion avant la semaine prochaine...

- Et bien...Tu pourras accepter d'aller boire un verre avec moi, proposa innocemment l'asiatique avec un maigre sourire.

- Un verre ? Mais...Je croyais...

- Il y a un excellent bar à jus de fruits qui vient d'ouvrir un peu plus loin, rétorqua le commerçant. Celui à la goyave et framboise est une vraie tuerie, si tu veux mon avis. Alors, qu'est-ce que tu en dis ?

Alec eut un rire étranglé mêlé d'un sanglot soulagé. Il en disait qu'il en serait plus que ravis, et qu'il ne s'était jamais senti aussi soulagé d'avoir une deuxième chance qu'en cet instant. Magnus était une bénédiction, et il ne doutait pas que son idée de jus de fruit, non seulement de le détourner de l'alcool, était aussi un moyen de lui faire avaler un peu de sucre naturel, et il en avait bien besoin. Et c'est au cours de cette soirée, en sirotant son cocktail pamplemousse rose et mangue, qu'Alec comprit que oui, il pouvait s'en sortir, enfin. 

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Des avis, théories ? A vendredi. 

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