Prologue.

Les Lymbes, il y a 1000 ans.

Les cris résonnent dans ma tête autant que sur les parois de la cellule. Glaçants, irritants et emplis d'une telle douleur que j'ai mal pour son propriétaire. Qui que ce soit, il passe un très mauvais moment.

Les murs froids et humides suintent d'une matière visqueuse. Elle ressemble à du sang noir et contaminé par le mal. Ça fait trop longtemps que je suis ici, le soleil me manque, l'air frais n'est plus qu'un souvenir et la pureté des nuages, du vent dans mes ailes un faible rêve qui étaient dans mon âme.

La douleur lance et vrille. Elle traverse mes ailes, cassées et brisées, remonte entre mes omoplates tendues à l'extrême pour retenir mes membres attachés aux murs par ces chaînes maléfiques. Mes muscles sont tétanisés, comme pris dans un étau de métal fondu et de lave. Je ne ressens plus rien dans mes mains et poignets. Mes ongles arrachés ne sont qu'une infime partie des souffrances que je connais depuis ma capture. Rien ne parvient vraiment jusqu'à mon cerveau. Il est saturé d'informations nerveuses. Au-delà de la douleur, il y a la mort à petit feu. Le sang coule lentement et tombe sur les dalles descellées par le temps et les locataires qui m'ont précédé dans cette cellule. Mes ailes sont si imbibées de mon sang qu'elles sont lourdes et pendent douloureusement vers le sol. Mes épaules me font souffrir en permanence, au point que cette sensation s'est logée sous ma peau comme un cancer. La peau autour des attaches de mes ailes se déchire peu à peu et suppure d'un liquide chaud qui me brûle comme un acide. Des pointes de douleurs me traversent par intermittence, écrasant ma souffrance en un murmure à peine audible. je me crispe par réflexe, des spasmes me secouent et provoquent un balancement léger de mes chaînes. Les maillons grincent et ce bruit accompagne le plic-ploc régulier des gouttes de sang tombant sur le sol recouvert de pourriture.

Les rayons de leur lune rouge illuminent d'une lueur glauque le sol sordide et gluant. Un cri plus long, plus aigu me parvient. Mon cœur se serre, en empathie totale avec ce malheureux.

Mes tortionnaires ont quitté la cellule quand je me suis évanoui. Je ne suis pas fier de ce fait, mais mon corps n'a pas résisté aux tortures à répétitions. Ces démons ne trouvent aucune joie à continuer leur besogne si je ne suis pas suffisamment conscient pour apprécier leur travail.

Ça fait longtemps que je suis leur hôte, tellement que j'ai perdu le compte des jours. Il est déjà difficile de se situer en Enfer ou dans les Lymbes, mais être enfermé et questionné dans un donjon n'arrange rien. Mes seuls repères temporels sont mes séances d'interrogatoire. Je ne parlerai jamais, je tiendrai jusqu'à la fin. Si je dois mourir, je serai fier d'avoir gardé le silence. Pourtant, cette perte est l'un de mes points faibles. J'ai besoin de connaître le passage du temps pour me sentir normal. Mes gardiens m'ont, il semblerait, oublié. Les heures passent, peut-être des jours, et mon corps est de plus en plus faible.

Je tente de bouger ma jambe, de la replier vers moi. Le genou ne guérit pas aussi vite que d'habitude. Mes facultés de régénération deviennent de jour en jour moins efficaces. J'ai tellement serré les dents que ma mâchoire est devenue dure comme du béton. Malgré la douleur, je me force à ouvrir la bouche. Ma langue est desséchée et gonflée par le manque d'eau.

Il arrivera le moment où je deviendrai mortel. Mes prières montent vers le Créateur.

— Ne me laisse pas renier ma foi, donne-moi la force de rester debout, que je n'incline pas la tête devant ce mal. Donne-moi la force de mourir dignement en ton nom.

Des rires éclatent soudain, un raclement lugubre, une porte claque dans un fracas métallique. Une lumière crue éblouit mes pupilles quasi aveugles. Un corps est jeté contre les barreaux qui me sépare de la pièce voisine. Les bras se tordent dans une position anormale et sûrement douloureuse. Les habits en lambeaux recouvrent la silhouette. Je ne peux distinguer mon nouveau colocataire, découvrir qui ou ce qu'il est. Les démons continuent à le maltraiter en riant et en parlant dans leur langue infâme. Des coups de pieds se perdent, mais leur victime ne réagit pas. J'essaie de ne pas montrer ma curiosité aux gardes, gardant un visage serein et blasé. Au travers des barreaux, ils me lancent un quignon de pain, rassi ou moisi, je dirai à l'odeur. Il tombe juste devant moi, mais un tout petit peu trop loin. Encore une torture. Attaché, je ne peux me nourrir même de ce morceau que je n'offrirai pas à mon pire ennemi si j'en avais l'occasion.

Ils se marrent et sortent. Crachant des injures que j'ignore.  Un son misérable attire mon attention. Je croise un regard vide et morne.  Noir comme le plus profond des puits. Une petite main munie de griffes recourbées agrippe les lambeaux de tissus et les rapproche de son corps brisé. La créature ferme les yeux, me coupant de son âme blessée et laisse couler ses larmes silencieuses. C'est une femelle démon. Pourquoi est-elle ici ? 

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