✺ | 1 | Let's be alone together
𝐿𝑜𝑛𝑒𝑙𝑖𝑛𝑒𝑠𝑠, ou Alina découvre l'immortalité.
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En deux-cent ans des nations naissent et s'effondrent, des peuples disparaissent et des religions se créent. C'est un temps assez long pour que l'histoire de Sankta Alina ait rejoint ce groupe de mythes dont on doute l'authenticité.
C'est un temps assez long pour qu'elle-même ait commencé à en douter.
La mémoire humaine n'est pas faite pour stocker tant de souvenirs, et son enfance était déjà perdue quelque part dans les brumes de son cerveau. Alors que les années défilaient, de plus en plus semblables, de plus en plus rapides, Alina peinait à savoir ce qu'elle avait rêvé, ce qui s'était vraiment passé. Les bruits et les sentiments restaient, joie, terreur, inquiétude sans fin, sons d'armes et musiques de voix. Mais les petits détails, les visages, les conversations, lentement, se noyaient dans le flux incessant de nouveaux souvenirs qui se créent.
Être une légende n'est pas aussi exaltant que ce qu'on pourrait penser. L'invocatrice de lumière avait vu ses amis mourir, et leurs enfants, et les enfants de leurs enfants, plusieurs fois déjà. Zoya avait été la dernière à s'éteindre, Reine de Ravka, ayant construit un dynastie, s'en allant paisiblement rejoindre dans la tombe son époux reposant depuis déjà une trentaine d'années. Elle aurait été fière de savoir qu'un siècle et demi plus tard sa lignée maintenait toujours la paix depuis le trône.
Les arrières petits-enfants de Nikolai avaient parfois dans les yeux cette expression malicieuse qui rappelait tant à Alina son ami défunt, mais rien ne pouvait jamais se substituer à ceux qu'elle avait perdu. Plus personne sur toute la surface de la terre ne la connaissait vraiment. Personne ne savait qui elle avait été avant de devenir l'éternelle sainte, porteuse d'espoir, rayon de lumière guidant Ravka comme un phare sauve un bateau égaré.
Il n'existait plus en ce monde une seule âme qui n'ait pas grandi bercée des exploits de Sankta Alina, pas une qui ne la voie pas d'abord comme une figure mythique avant d'être humaine.
Personne.
Sauf lui.
Il l'avait connue quand elle luttait encore pour accepter ses pouvoirs, trahie quand elle avait montré trop de naïveté, due à son peu de vécu d'alors. Il était peut-être la seule constante dans ce monde au rythme effréné, une ancre, ou plutôt un boulet à ses chevilles dont le poids au fil des ans était devenu un compagnon sans lequel elle n'était pas sûre d'encore savoir marcher.
Les siècles avaient révélé sa philosophie exacte. Il n'était pas de valeurs, pas de conscience morale assez fortes pour résister à l'épreuve du temps et de l'éloignement du reste du monde allant de pair.
Alina ne se souvenait pas jamais avoir tant souffert que durant ce siècle de complète solitude qu'elle venait de passer. Incapable de nouer la moindre relation avec un autre être humain, incapable de leur faire comprendre les horreurs de l'immortalité, elle ne s'était jamais sentie aussi clairement mise à part, et pourtant elle ne savait que trop bien ce que cela faisait d'être celui qui sort du lot.
Mais il y avait un gouffre entre être simplement différent et être autre. Elle l'avait appris difficilement, mais enfin elle comprenait.
Et si le Darkling faisait toujours se dresser les cheveux à la base de sa nuque, si elle s'opposait toujours à ses méthodes trop cruelles, elle ne pouvait que reconnaître qu'il pouvait parfois dire des choses sensées.
Les semblables appellent les semblables, et ils étaient deux faces d'une même pièce, condamnés à observer la vie mortelle leur glisser entre les doigts.
C'était sûrement pour échapper à cette solitude, après réflexion, qu'elle avait décidé se raccrocher au lien qui existait entre eux. Qu'elle l'avait invité dans ses draps, pour tenter de ressentir autre chose que cette sensation omniprésente d'isolement. Pour éprouver quelque chose, tout simplement, après cent années de vide.
Dire que cela avait fonctionné était un euphémisme. Elle avait senti un nouveau sursaut de vie lui être insufflé, et il n'avait pour une fois pu lui tourner la tête. Désormais Alina avait également les avantages de plusieurs vies et elle était loin de l'adolescente malléable qui un jour s'était sentie inéluctablement attirée par la quantité absurde de pouvoir que dégageait le Darkling.
Il s'était tenu là, solide sous elle, et dans ses yeux elle avait vu de l'hostilité, la réaction la plus gratifiante qu'elle pouvait lui tirer. Comme en toutes choses ils étaient opposés, mais aussi terriblement synchrones. Elle aurait rit à l'idée de la réponse que cette réalité aurait tirée à son soi passé, si celle qu'elle était devenue ne prenait pas une trop grande satisfaction à savourer l'immuable.
Parce que ceci était quelque chose que rien ne pourrait jamais altérer, pas même l'impitoyable rouage du temps, et dans leurs éternelles existences, ils ne possédaient pas beaucoup de ces moments.
Ils avaient fait de ces heures de cessez-le-feu leur plus grand secret, car aucun livre d'Histoire ne devait jamais apprendre que les plus célèbres adversaires au monde trouvaient l'un en l'autre un réconfort trop étrange pour être mis en mots.
Peut-être qu'il y avait quelque chose de répulsif dans la manière dont aucun d'eux ne semblait vouloir s'avouer vaincu, après un demi-millénaire. Peut-être que s'ils avaient vraiment fait passer leur cause au-dessus de tout ils se seraient éliminés depuis longtemps.
Mais ils étaient tous deux des créatures égoïstes, et rien ne pouvait leur faire abandonner ce bref répit qu'ils trouvaient en se perdant l'un dans l'autre pour quelques instants.
Hérétiques ayant perdu depuis longtemps la foi que quelque chose ait un jour été sacré, rien pour eux ne pouvait être plus précieux que cette certitude d'appartenir à quelque chose de plus grand qui soudain revenait quand leurs yeux se croisaient.
Parce qu'après tout ce temps et malgré tout ce qui les amenait à s'affronter périodiquement, malgré l'incompréhension évidente qui avait toujours régné entre eux, Alina ne pouvait plus ignorer qu'ils avaient été créés l'un pour l'autre.
Pour se déchirer éternellement dans un conflit jamais résolu, peut-être. Pour marquer à tout jamais de leur opiniâtreté ce continent pour lequel ils se battaient sans fin, certainement.
Mais plus que tout pour se servir de bouée mutuelle dans ce flot de millénaires sans fin qui menaçait de les engloutir.
Parce qu'ils étaient prêts à beaucoup de sacrifices pour la victoire, il n'en demeurait pas moins qu'ils étaient chacun ce qui se tenait entre l'autre et la solitude la plus complète.
Alors ils s'accrochaient l'un à l'autre dans le maelström d'heures qui les assaillait, et ils s'affrontèrent, et ils s'aimèrent, mais toujours ils se tinrent liés.
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