Chapitre 1
― Un autre, s'il vous plaît.
Le serveur prend le verre d'Adam et lui prépare un nouveau cocktail, sous les yeux du jeune soldat. Il ajoute les ingrédients un par un, puis nettoie une autre coupe pour servir son client. Ce dernier le remercie simplement d'un sourire alors que le barman s'éloigne vers d'autres consommateurs, bien plus joyeux et fêtards que le brun.
N'étant pas en service à ce moment, Adam garde tout de même son badge de militaire dans la poche intérieure de sa veste, prêt à intervenir s'il se passe quoi que ce soit. Il ne serait même pas étonné qu'il y ait des débordements dans ce genre d'endroit, avec ces différentes espèces qui ne veulent que s'amuser, parfois un peu trop. Le jeune homme peut ainsi continuer son boulot, dans lequel il se réfugie depuis des années, en dehors de ces heures de service. Jamais il ne quitte entièrement son travail, c'est un moyen pour lui de laisser de côté sa vie privée difficile. Son travail, c'est son alcool, sa drogue.
Son coéquipier, Grant Muñoz, le lui reproche assez souvent, lui qui a l'habitude de faire beaucoup la fête et de séparer nettement son travail de sa vie professionnelle. C'est pourquoi il a attiré le jeune soldat dans ce bar, afin de trinquer ensemble. Bien qu'il sait qu'Adam a l'habitude de se réfugier de ses problèmes personnels dans l'alcool, ça lui a semblé être la meilleure solution. C'est déjà mieux que le voir faire un burn-out...
― Allez, ça va te faire du bien ! lui a dit Grant.
Adam maudit son coéquipier. Il se maudit aussi lui-même d'avoir accepté. Ce n'est pas qu'il n'apprécie pas la musique proposée par le club, mais il ne se sent pas à l'aise parmi cette foule - surtout que Grant l'a abandonné quelques minutes plus tôt pour aller boire avec de jolies filles. Il aurait largement préféré rentrer chez lui ou faire un peu de sport, non pas rester seul accoudé à ce bar. Tout ce monde qui danse, boit, se pousse, lui donne le vertige. Il n'a jamais été à l'aise en public, Adam est plutôt le genre de personne solitaire, qui préfère rester seul pour se libérer de ses pensées.
Le jeune homme tourne la tête vers son coéquipier, à l'autre bout du bar. Celui-ci rit aux éclats avec une jeune Jocastienne. Ils enchaînent plusieurs verres, bien plus qu'Adam ne peut avaler. Le soldat n'est encore qu'à son second cocktail, et il n'est pas prêt d'arrêter à ce nombre si son coéquipier ne le rejoint pas rapidement. Sinon, il s'en ira, sans que Grant ne le remarque avant un bon moment.
Adam apporte son verre à ses lèvres lorsque son regard est entraîné à sa droite. Une jeune femme commande le même cocktail que lui. Grande et jolie, elle est tout à fait le genre de fille qui attire les regards des hommes de toutes les races extraterrestres, et ce n'est pas ses oreilles pointues - caractéristique de son espèce - qui fera peur à ses prétendants. Cependant, ce n'est pas du tout le cas de Adam, qui lui adresse simplement un sourire respectueux, avant de se concentrer à nouveau sur sa boisson et ses pensées.
― Savez-vous que la recette originale de ce cocktail provient de ma planète ? intervient la jeune femme.
Le brun relève la tête vers elle, surpris qu'elle s'adresse à lui. Il n'est pas l'unique client dans ce club qui manque de compagnie, et d'autres personnes sont bien plus charmants que lui pour capter l'attention d'une si belle femme. Prenant une bonne inspiration pour ne pas bégayer, il répond naturellement :
― La planète Yonsi, n'est-ce-pas ?
La jeune femme fait signe de la tête que oui. Bien que le soldat ne s'y connaisse pas vraiment entre les millions d'espèces différentes qui se croisent sur Jocaste, il connaît les Yonsi car il a déjà eu à faire à certains d'entre eux. Ceux-ci sont agréables, ne cherchant pas de problèmes, ils sont plus ceux que les soldats de Jocaste viennent aider. Ce sont les charmeurs de la station spatiale, ceux qui ne veulent que séduire sans briser de cœurs, les Cupidons de Jocaste.
La Yonsi lui sourit à pleines dents, tout en se tenant d'une façon séduisante afin d'essayer de draguer le jeune homme. Celui-ci n'est pas à l'aise, mais il ne veut pas paraître désagréable. Il boit alors une gorgée de son cocktail en même temps qu'elle, tandis qu'un léger silence rend le début de leur conversation longue. Tendu, Adam ne trouve aucun sujet de discussion intéressant. Contrairement à lui, elle semble dans son élément. Elle secoue même les épaules au rythme de la musique tout en lui parlant.
― Vous devez être un soldat de la Tour, si je ne me trompe pas ? l'interroge-t-elle.
Adam fronce les sourcils, intrigué qu'elle lit en lui si facilement.
― Exactement. Puis-je savoir comment vous l'avez deviné ?
― Votre coiffure, avoue la jeune femme avec un léger rire. J'ai lu dans un livre que les anciens militaires de la Terre avaient l'habitude de se couper les cheveux de cette manière. Certains Terriens qui travaillent à la Tour ont gardé cette caractéristique.
Le brun ne peut retenir son sourire. On lui dit souvent qu'il est sûrement le plus Terrien de tous les Jocastiens, avec ses connaissances et ses manières d'agir. Bien qu'il n'a jamais connu la planète bleue - celle-ci détruite il y a des centaines d'années à cause du surpeuplement et des conséquences de l'Homme sur l'environnement -, il a étudié son histoire. Cette catastrophe a tout de même du bon : c'est grâce à ça que la station spatiale de Jocaste a été créée petit et à petit avec les avancées technologiques, puis améliorée par les diverses races extraterrestres qui ont apporté leur aide et qui s'y sont maintenant installés. Elle est à présent la plus importante création technologique et le centre de l'univers, le carrefour interstellaire entre les différentes espèces.
La jeune femme s'assied sur le tabouret à côté d'Adam. Comme si elle est passionnée par lui, elle pose un coude sur le comptoir pour retenir sa tête, ne quittant pas des yeux le militaire. Elle l'inspecte de haut en bas, le dévorant du regard.
― Et je dois dire aussi que c'est évident avec votre façon de vous tenir, ajoute-elle.
Cette dernière ne quitte pas une seule seconde Adam. Cette fixation gêne le jeune homme, mais il n'ose pas l'avouer de peur d'être prit pour un idiot. Il lui adresse simplement un sourire.
― Vos yeux sont d'un bleu intense... admet-elle, fascinée. Ils sont magnifiques et captivants ! Je n'en ai jamais vu d'aussi beau.
― Oh... et bien merci.
Les yeux bleus du jeune homme est la partie la plus complimentée de son corps. Perçants et brillants, il possède un sublime regard, et c'est en particulier avec cette couleur. Le bleu clair de ses iris est vif, il est difficile de décrocher de son regard. Adam ne sait même pas pourquoi il a les yeux ainsi, tandis que sa mère les avaient marrons, peut-être une caractéristique de son père ?
Les minutes passent et Adam répond de moins en moins à la jeune femme. Alors que ses techniques de dragues ne semblent pas fonctionner sur lui, elle décide de le quitter après l'avoir salué chaleureusement, puis remercié de ce verre partagé. Le brun en est sûre, elle a passé un moins bon moment qu'elle veut le faire croire. Il faut dire qu'il n'était pas à l'aise, et qu'il est difficile de converser avec une inconnue quand on est du genre très solitaire.
Rassuré d'être à nouveau seul, Adam boit une gorgée de son cocktail pour finir son verre. Alors qu'il appelle le barman pour en avoir un troisième, le soldat soupire en sentant quelqu'un s'installer à nouveau à ses côtés. Un sentiment d'agacement lui prend alors qu'il préfère sentir un peu d'espace dans ce lieu bondé de monde. C'est à peine s'il peut respirer correctement avec ces dizaines de personnes qui le poussent pour passer derrière lui, tous serrés et ne laissant aucun passage pour entrer ou sortir du club. La politesse manque dans ce genre d'endroit où les gens discutent, rigolent et flirtent au milieu du chemin, et c'est ce qui agace Adam. Non pas qu'il est agoraphobe, mais presque...
Cependant, il oublie rapidement ses pensées lorsqu'il reconnaît le visage carré et les cheveux foncés de son coéquipier. Celui-ci fixe aussi son ami, d'une façon plus insistante que la jeune femme précédemment, mais cela gêne beaucoup moins Adam, lui qui connaît Grant depuis quelques années.
― Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? lance-t-il d'un air agacé.
Grant fait mine de ne pas faire attention à ce ton désagréable. D'ordinaire, il lui aurait fait une remarque, comme un père à son fils, mais la jeune femme avec qui il était auparavant a su apaiser ses tensions. Ou serait-ce peut-être cette musique bien trop forte qui le transporte dans un autre monde, aidé sûrement des shots qu'il a enchaîné.
Il rigole simplement, tout en commandant un énième verre. Le barman hésite à lui servir ce shot en sachant que ça allait être le verre de trop, mais il lui en prépare un car ça allait lui donner plus de monnaie. Même dans n'importe quelle galaxie, l'argent est primordiale pour certaines personnes.
― Je rêve... Comment tu as fais pour attirer son attention ? interroge Grant, ébahi.
C'est au tour d'Adam de rire avant de plonger son regard dans son verre à moitié vide. Il glisse son index sur le dessus de son verre sous le regard de son coéquipier.
― Aucune idée. D'habitude, c'est toi qu'elles viennent voir en premier.
Grant opine en regardant les jolies jeunes femmes qui passent à côté d'eux, le regard charmeur. Un sourire en coin, il leur fait un signe de la tête avant de se souvenir que son ami est à côté.
― En effet. Ça doit être à cause de tes yeux, suppose-t-il.
Le soldat jalousait le regard d'Adam. Tout le monde est fasciné par le bleu de ses yeux, une couleur presque inhumaine. La plupart des êtres, toutes espèces confondues, souhaiterait avoir un tel regard, des yeux magnifiques. Avec ceci, Grant pourrait attirer encore plus de femmes et les séduire en masse, mais cette particularité a été donnée au brun. Lui-même ne savait pas d'où venait cette couleur, il était sûr que ce n'était pas génétique. Parfois, il en a marre des compliments de tout le monde, des regards des inconnus alors qu'il n'aime pas attirer les attentions.
― Pourquoi tu n'as pas sauté sur l'occasion ? demande Grant en buvant son dernier verre.
― Pour ?
― Pour tenter ta chance avec elle, imbécile.
Adam secoue activement la tête de droite à gauche. Le terrien ne se sent pas prêt d'entamer une quelconque relation en cette période. Il préfère se concentrer sur lui-même et son travail.
― Tu sais très bien que je ne veux pas de relation en ce moment.
― Même pas un coup d'un soir ?
― Non.
Le jeune homme aurait dû s'en douter que son coéquipier n'allait pas le laisser ainsi. S'il a réussi à l'emmener ici, c'est pour lui faire changer les idées - objectif non accompli à cet instant. Il allait donc encore insister, comme à chaque fois en dehors de leurs services.
Grant lui montre la jeune femme plus loin d'un mouvement de la tête. Celle-ci est assise, sirotant son cocktail. Approchée par d'autres personnes qui désirent la séduire, elle ne quitte pas du regard Adam accoudé au bar.
― Elle est encore là, tu sais, tu peux encore tenter ta chance. Elle ne te lâche pas du regard...
― Je te dis que non, à la fin, s'énerve Adam.
Le sourire de Grant disparaît lentement pour laisser place à une mine plus sérieuse. Il repousse son verre et fixe son ami, qui ne décroche toujours pas ses yeux du comptoir.
― Pourtant ça te ferait du bien, Adam.
― Lâche moi, s'il te plaît, termine-t-il en regardant la jeune femme. Va plutôt la draguer, toi. Je sais que tu en meurs d'envie !
Grant ne peut pas le nier, si la jeune femme l'aurait choisi lui plutôt que son ami, il se serait fait une joie de lui offrir un verre et lui raconter des blagues dans son oreille pour la séduire. Elle aurait probablement rit de ses bêtises, ils auraient danser ensemble tout au bout de la nuit, avant d'aller jusqu'au petit matin dans une chambre et se quitter pour ne plus jamais se revoir.
― Quoi ? Tu es sûr ?
― Je t'ai dis que je ne veux pas sortir avec elle, alors vas-y !
Ce dernier s'apprête à se lever pour la rejoindre, mais il s'abstient au dernier moment. En observant attentivement la jeune femme, il prend conscience - tardivement à cause de l'alcool ingurgité - qu'elle ne voudra pas de lui, comme les autres hommes qu'elle repousse.
― Non... elle n'a d'yeux que pour toi, soupire-t-il, attristé.
Adam lève les yeux au ciel tandis que son absence lui aurait permit de quitter le club.
― Comment tu fais pour pouvoir coucher avec toutes ces filles ? s'interroge-t-il. Tu n'as jamais songé à entamer une relation sérieuse ?
― J'attends juste la femme de ma vie. Pendant ce temps, je profite de mon célibat ! s'exclame Grant.
Aussitôt, le jeune homme se lève et part rejoindre la Jocastienne avec qui il était au début de la soirée. Cela fait rire Adam, profitant qu'il s'éclipse pour sortir de la boîte de nuit, dans le dos de son ami. Il ne m'en voudra pas, songe le brun, il a l'habitude.
En poussant la porte du club, Adam se retrouve dans les rues bondées de Jocaste. Il a lu dans un livre que l'ancienne grande ville de New York était ainsi, toujours envahie de monde - et c'est pour cela qu'elle a été surnommée la ville qui ne dort jamais. Jocaste pourrait être la même, mais plutôt la station spatiale qui ne dort jamais.
Adam monte dans une navette qui traverse la totalité de Jocaste à grande vitesse. Celle-ci est en direction de la partie Est de la station, l'endroit où se situe toutes les habitations, maisons, appartement, et même hôtels. Bien que certains Jocastiens vivent dans la section Centre, où Adam se situe actuellement, la quasi-totalité des personnes logent là-bas. Au Centre de la station se situent tous les lieux de regroupement. C'est ici que tous les échanges se font et où les boutiques, commerces, sont installés. La vie ne s'arrête jamais dans ce bloc, il y a toujours la foule dans la rue, même au plein milieu de la nuit.
De la vitre de son wagon, Adam grimace en ne voyant aucune note de verdure. Bien sûr, quelques personnes osent mettre des plantes sur leur balcon, mais pas assez selon lui. Une petite touche de verdure n'aurait pas fait de mal, pense-t-il depuis longtemps, ça aurait favorisé le bien-être de tout le monde. Le jeune homme n'a jamais aimé l'architecture de la station. Celle-ci est composée de plusieurs niveaux à des hauteurs aléatoires entre lesquels les vaisseaux peuvent circuler, ce qui donne une impression d'encombrement encore plus impressionnant. En levant la tête, il aperçoit par le toit transparent des wagons dessus lui chaque niveau, qui ressemblent à des ponts. Ce sont de gigantesques allées construites les unes sur les autres avec les bâtiments, tous desservis par des ascenseurs à libre service.
Chaque navette se déplace prestement à chaque section et niveau, tel un métro. En seulement vingt minutes, Adam arrive dans la partie Est de la station. Malgré l'immensité de Jocaste, les navettes permettent d'arriver à destination sans trop d'attente. Avec la population imposante, c'est un grand avantage. Le jeune homme descend avant que les portes se referment après son passage, puis la navette repart promptement.
Il marche dans les allées bien plus vides que le Centre bondé de monde afin de rejoindre son logement. Celui-ci se situe dans l'une des grandes tours à l'entrée de la section. Il utilise l'ascenseur pour arriver à son étage, l'un des plus hauts de son immeuble. Comme à ses habitudes, le jeune homme retire sa veste et ses chaussures avant de se diriger vers son petit balcon qui donne sur une bonne partie de la section et de Jocaste, et même l'au-delà, l'espace. Les couleurs y sont impressionnantes, le bleu se mélange aux rayons orangés du soleil qui viennent percuter les façades de la station. Quelques rayons rouges font de temps en temps leur apparition, ce qu'adore le brun. Le meilleur reste la nuit où les étoiles scintillent et où la lune, qui tourne encore autour de la Terre détruite à la surface, est bien plus proche et magnifique vu de Jocaste, que la lointaine boule ronde perçue de la Terre dont les photographies parcourent les livres d'astronomie.
Bien que Adam aurait aimé connaître la Terre, il ne se lassera jamais de cette vue.
☆
Havoc traverse les allées de son palais d'un pas nerveux. Tremblant légèrement des mains, il essaie les cacher en serrant du poing. Ses veines ressortent sur son front lorsqu'il contracte les muscles de son visage, signe de sa colère. Visage fermé et mine tirée, il avance rapidement sans prêter attention à la silhouette qui court derrière lui pour tenter de le rattraper, aussi bien que mal.
― Mon Prince ! Monsieur, non ! hurle la voix dans son dos.
Tout à coup, Havoc s'arrête au milieu du couloir. Cet arrêt brutal surprend le second homme qui manque de foncer sur la carrure imposante du prince. Il se stoppe juste à temps, puis pose ses mains sur ses hanches afin de reprendre sa respiration. Bien que l'effet de l'âge ne se voit pas extrêmement sur son visage, l'homme le ressent profondément, au contraire du prince qui a encore une santé d'acier avec ses cinquante printemps.
― Plutarque, je vous ai dit de ne pas vous mêler de ça, lâche Havoc d'une voix calme bien que la colère émerge en lui.
― Mais, mon Prince, mon rôle de bien vous conseiller intelligemment, proteste son interlocuteur.
Havoc lève les yeux au ciel avant de se retourner vers lui. Retardé par Plutarque tandis qu'il n'a qu'une idée en tête, il se retient de ne pas lui crier dessus et de le sortir de force du palais.
― Je le sais, Plutarque, c'est bien la quatrième ou cinquième fois que vous me le répétez. Devrais-je vous rappeler que je suis libre de mes propres choix ? C'est même vous qui me l'avez appris !
― Havoc, je suis votre précepteur depuis bien des années, et votre conseiller ! Il est en mon devoir de ne pas vous laisser faire de mauvais choix et de vous aider.
― Et il est en votre devoir d'obéir à mes ordres ! s'écrie Havoc, de plus en plus agacé. Allez plutôt préparer mon prochain cours d'astronomie ou je ne sais quoi, mais oubliez moi un instant !
Surprit par cette exclamation, Plutarque baisse la tête devant son prince, penaud. Il se tait quelques instants, afin de ne pas le contrarier une nouvelle fois.
― Retournez dans la bibliothèque, et laissez moi faire ce que j'ai à faire. Je ne veux pas vous lier à ça.
Aussitôt, Plutarque se soumet à ses ordres et le quitte, sans aucune autre protestation. Sachant consciemment ce que son élève de longue date allait faire, il le laisse agir comme il le veut, bien que ses idées sont totalement contre cela. Au fond, il ne souhaite pas non plus voir cette scène, ni même l'entendre de la bouche de quelqu'un. Il préfère aller profiter de quelques instants de repos avant de voir ce que cela va engendrer et les dures conséquences pour le futur.
Havoc poursuit son chemin et arrive devant une grande issue en métal parmi ce château de pierre et de roche. Sans plus attendre, il presse la poignée et pousse la lourde porte. Devant lui se dresse un gigantesque trône sur lequel est assis un homme plus âgé que lui. Entouré de deux imposants gardes pour sa sécurité, le roi ne prête attention à personne d'autre que lui, ni même au confort minime de son précieux siège. En effet, celui-ci est sculpté dans de la pierre blanche non très agréable. Toute la pièce est entourée de murs en roches, retenant la fraîcheur dans le palais. Heureusement, les fenêtres sont entourées d'amples tentures de velours qui protègent les hommes et femmes du froid.
D'ordinaire, Havoc se serait agenouillé devant son roi - qui est aussi son père -, mais son humeur n'est pas à se soumettre devant lui. Il avance vers le trône surélevé avant de se tourner vers les deux gardes. Ceux-ci baissent légèrement la tête comme signe de politesse, puis remettent une main sur leur épée dans leur fourreau, comme ils doivent le faire à chaque instant.
― Sortez, je dois parler en privé à mon père.
― Nous avons l'ordre de ne pas quitter notre roi, admet l'un des hommes.
― Je suis votre prince ! hurle Havoc.
Les deux gardes sursautent de ce ton dont ils n'ont pas l'habitude. Aussitôt, ils sortent de la pièce après avoir lancé un regard de confiance à leur roi. Celui-ci n'a pas réagi d'un battement de cils à ce cri, il fixe simplement Havoc.
― Mon fils, puis-je savoir pourquoi tu t'adresses à eux de cette manière ?
― Je n'ai plus dix ans, ne me prenez plus pour un enfant !
Le roi rigole doucement alors que son fils sera toujours pour lui un enfant qu'il doit éduquer, peu importe son âge. Qu'il ait cinq ou soixante-dix ans, il trouvera toujours un moyen de lui donner des reproches et des leçons.
― Que veux-tu ? s'informe le roi, sans bouger de son trône.
― Je sais tout.
Havoc fronce les sourcils alors que son père soupire bruyamment.
― Explique moi mieux que ça. Tu sais que j'ai horreur qu'on n'aille pas droit au but, grogne-t-il.
D'un air de défi, Havoc avance lentement vers lui, sans le quitter du regard. Cela intrigue le roi qui retient de rappeler ses gardes afin de le faire sortir de la salle. N'ayant pas le temps de s'occuper du mauvais caractère de son fils, il se passerait volontiers de cette visite.
― Je sais que vous avez assassiné ma mère ! Est-ce assez clair pour vous ?
Tout à coup, son père comprend bien mieux le comportement étrange de son pauvre fils. Levant la tête vers le plafond, il hoche ensuite la tête de bas en haut avant de se concentrer sur Havoc, l'air grave.
― Et puis-je savoir d'où tu sors cette information ridicule ?
― "Ridicule" ? Est-ce ridicule de plaisanter sur la mort d'un être cher ?
La voix de Havoc commence à s'emporter. Il hausse le ton, se retenant de ne pas crier afin de ne pas alarmer les gardes à l'extérieur. Il serre alors du poing, de plus en plus fort, se faisant même mal jusqu'à se faire saigner. Cependant, il ne se préoccupe pas de sa douleur physique, juste psychologique.
― Plutarque m'a tout avoué. Vous ne pouvez pas nier.
― Quel idiot... murmure-t-il. J'ai toujours su que je n'aurais jamais dû le choisir... Tu ne devrais pas lui faire confiance.
― Descendez alors de ce trône et dites moi en face que c'est faux.
Prenant ces paroles tel un défi, le roi se lève doucement, tout en lançant un sourire hypocrite à son fils pour lui faire plaisir. Il descend ensuite et vient se mettre droit devant lui, le fixant dans les yeux. Le cœur de Havoc bat de plus en plus fort tandis qu'il attend les aveux de son père. Il savait qu'il joue avec lui, mais tout ce qu'Havoc souhaite, est que son paternel le dise de sa propre bouche, bien qu'il connaît déjà la vérité.
Quelques secondes passent alors qu'ils ne se quittent pas du regard, avant que le roi brise le silence.
― C'est tout à fait vrai, admet ce dernier dans le plus grande des calmes.
Havoc ressent soudainement la colère monter en lui, prenant le dessus sur sa profonde tristesse. Plusieurs émotions se mélangent, à tel point que les larmes lui montent aux yeux. Il baisse la tête pour ne pas que son père le remarque, pour ne pas lui donner une autre raison de lui faire des reproches.
― C'est pour toi que je l'ai fait. C'est grâce à moi si tu pourras monter sur le trône un jour, tu pourras suivre ce que j'ai accompli.
― Vos accomplissements ? s'étonne Havoc en criant. Vous l'avez tué pour obtenir le pouvoir et ce trône !
― En quoi est-ce mal ? C'est la loi du plus fort, mon fils.
Le roi semble joyeux, ce qui agace de plus en plus Havoc. Ce dernier tourne la tête mais son père la relève vers lui, laissant découvrir les larmes sur ses joues.
― Les plus faibles ne pourront jamais diriger un tel royaume, poursuit le roi. Nous, nous le pouvons. Tu pourrais être un puissant roi, si tu arrêtes de pleurnicher un peu ! Soit un peu plus...
Son gémissement de douleur résonne dans la pièce alors qu'il ne termine pas sa phrase. Le roi baisse la tête vers son ventre où il découvre un poignard ensanglanté, tenu par son fils. Le visage de celui-ci est totalement transformé : ses yeux rouges à cause de ses larmes sont devenus absolument haineux, ses dents serrées et sa respiration saccadée. Il ne lâche pas le couteau, et profite même de le tourner dans la plaie afin de faire décrocher de nouveaux cris de douleurs de son père. Il ne sourit pas de le voir ainsi, bien qu'il soit soulagé au fond de pouvoir venger le meurtre de sa mère défunte. Néanmoins, il ne quitte pas du regard une seconde de ce spectacle qui lui fait du bien.
Havoc rapproche son visage de celui de son père. Horripilé, il lui chuchote à l'oreille les paroles dont il a toujours rêvé de lui dire.
― Cela fait des années que j'attends ici de devenir roi, que je suis votre éducation stricte pour vous plaire, que j'essaie d'être à votre niveau, mais ça ne vous suffit jamais ! Vous souhaitez que j'ai un grand destin, et bien le voilà !
Il retire d'un coup sec le poignard puis le jette à côté du trône vide. Le roi tombe brutalement au sol dans un bruit sourd. Les pavés deviennent rapidement ensanglantés alors que le sang se répand jusqu'au trône. La blessure est bien trop importante pour être guérie immédiatement, mais le roi tente tout de même de presser sa plaie avec la dernière énergie qui lui reste.
Dans un dernier souffle, il murmure ses dernières paroles destinées à son fils qui ne se préoccupe plus de lui.
― Tu te plains que... j'ai tué ta... m-mère... mais tu n'es pas mieux...! Tu es... toi... toi aussi... un ass... assassin..., celui d-de ton p-p-père...
― Mais suis-je aussi un assassin si je tue un meurtrier ?
Havoc enjambe la mare de sang tandis que son père n'est plus qu'un corps inerte. Il part s'asseoir pour la première fois sur le trône, précédemment celui de son père, mais à présent le sien.
― Il était temps de renverser le pouvoir.
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