Chapitre 42




Enzo inspira profondément sa première bouffée d'oxygène et fut amèrement en colère de sentir cette odeur nauséabonde. Il haïssait l'hôpital, il maudissait le son des machines autour de lui. Il poussa un grognement lorsqu'il tenta de bouger son épaule tout en ouvrant les yeux difficilement. Il avait l'impression d'avoir dormi depuis des semaines. Sa première pensée fut pour June. Il s'était battu essentiellement pour elle et ne regrettait pas les balles qu'il avait reçu. Il ne regrettait rien.

Mâchoires serrées pour endiguer la douleur, Enzo balaya des yeux cette chambre triste et morbide alors qu'un sentiment de solitude l'envahissait peu à peu. Cette sensation ne lui était pas méconnue. Il se souvenait de toutes les fois où il s'était réveillé à l'hôpital, seul, isolé et dépourvu de toutes les forces qui faisaient de lui ce qu'il était aujourd'hui. Néanmoins, aujourd'hui tout semblait bien différent de toutes les autres fois. À chacune de ses respirations Enzo pouvait sentir une odeur sucrée puis une chaleur l'envelopper peu à peu.

- Bonjour, murmura une voix douce.

Enzo tourna la tête vers cette voix alors que des pas se rapprochaient du lit. Elle lui apparut tel un ange dans cette sombre chambre. Enzo nota dans ses yeux une immense fatigue physique et moral et pourtant...elle souriait.

- J'avais...dit à Izario de...

- De me laisser attendre toute seule à la villa que tu reviennes comme si rien ne s'était passé ?

Elle glissa sa paume de main sur sa joue, les yeux larmoyants. Enzo tenta d'enfermer au tréfonds de son être l'immense émotion qui le submergeait de la voir ici, à son chevet. Enzo prit sa main dans sa sienne en la serrant aussi fort qu'il le put.

- Ton opération s'est bien passée, murmura-t-elle. Les médecins disent que tu as eu beaucoup de chance.

- Comme toujours, murmura-t-il en lui souriant.

- Vous êtes fou monsieur Lazzari, chuchota-t-elle les yeux brillants.

- Je suis fou de vous mademoiselle Farell, répliqua-t-il en déposant un baiser dans sa paume de main.

Elle secoua de la tête en esquissant un léger sourire.

- Izario t'a tiré dessus j'espère que...

- Izario m'a tiré dessus parce qu'il fallait à tout prix en finir. Francesco était retranché dans son bureau. Il fallait trouver un moyen de le faire sortir. Son bras droit me tenait devant lui. Izario n'avait pas assez de visibilité pour lui tirer dessus.

- Je sais, murmura-t-elle en inspirant profondément. Izario m'a expliqué.

Enzo tenta de bouger son épaule blessée.

- Tu vas devoir garder cette attelle pendant trois semaines, autrement dit je t'annonce officiellement que je suis ton infirmière personnelle.

- J'ai hâte mia cara, dit-il d'une voix rauque en glissant sa main dans ses cheveux.

June ouvrit la bouche puis la referma quand le chirurgien entra dans la chambre.

- Monsieur Lazzari, comment vous sentez-vous ?

- J'ai connu mieux.

June se leva du lit pour le laisser l'examiner. Le revoir éveillé l'emplissait de soulagement. Elle avait eu si peur qu'elle n'avait pas dormi depuis deux jours.

- Vous pouvez remercier le ciel d'avoir une femme aussi merveilleuse monsieur Lazzari, elle n'a pas bougé de cette chambre depuis que vous êtes remonté du bloc opératoire.

Le regard du mafieux se tourna vers elle. Il était féroce et à la fois débordant de tendresse.

- J'ai beaucoup de chance en effet, murmura-t-il d'une voix douce en lui décrochant un sourire qui valait mille mots.

June le dévisagea, le regard flou à cause des larmes qui roulaient sur ses joues. Malgré l'opération il semblait aussi solide que l'acier. Sa barbe avait poussée, ce qui rendaient ses traits ciselés encore plus sombre. June prit soudainement peur car pendant qu'il dormait, June avait appris une nouvelle qui risquerait de le bouleverser. Elle avait si peur qu'elle se retourna vers la fenêtre pour masquer l'angoisse qui la tenaillait.

- June ? Est-ce que ça va ? Demanda-t-il quand le médecin quitta la chambre.

Devait-elle lui dire tout de suite ou attendre leur retour à la villa ?

- Je vais bien, mentit-elle en essuyant son visage avant de se retourner.

Son regard se ferma tandis qu'il la scrutait l'air soucieux.

- Nous sommes ensemble depuis assez longtemps June, je sais quand il se passe quelque chose. Dis-moi immédiatement ce qu'il se passe avant que je le découvre par mes propres moyens et crois-moi un bras immobilisé ne m'arrêtera pas.

June sentit ses mains devenir moites alors qu'il lui lançait des regards menaçants. June s'approcha du lit en décidant de le confronter maintenant. C'était difficile voire terrifiant.

- Tu te rappelles le jour où nous avons fait l'amour avant que je te quitte ?

- Comment pourrais-je oublier ce jour-là June, répondit-il rictus aux lèvres.

Elle se racla la gorge en fuyant son regard.

- Ce jour-là, j'ai fait une terrible erreur.

- En effet oui, tu m'as quitté et je suis tombé dingue pendant trois longues semaines. Quelle autre erreur aurais-tu pu commettre June ?

Les lèvres sèches, June crut s'évanouir avant de pouvoir finir ce qu'elle s'apprêtait à lui dire.

- J'ai...enfin...j'ai oublié de prendre ma pilule et je...j'étais tellement angoissée, j'avais tellement de peine ce jour-là que j'ai oublié de la prendre et les autres jours qui ont précédé celui-ci n'ont pas été très glorieux non plus, lâcha-t-elle d'une voix tremblante alors que des larmes s'échappaient de ses yeux rouges.

La respiration coupée, June posa enfin son regard sur lui. Son expression était grave, il semblait réfléchir ou plutôt il semblait peu à peu comprendre son énigme.

- Tu penses que tu es enceinte ? Demanda-t-il d'une voix qui la troubla tant elle était à la fois dure et tourmentée.

June fit un pas en arrière...un pas qui le fit réagir sur l'instant. Vif comme un prédateur, il se redressa sans prendre en compte de son épaule et prit son poignet pour la tirer vers lui.

- Réponds-moi June, insista-t-il d'une voix plus amène. Est-ce que tu penses...

- Je ne le pense pas Enzo, je le suis, le coupa-t-elle en passant le revers de sa main sur son visage.

Sa prise sur son poignet perdait de sa raideur. Une lueur indescriptible passa dans ses yeux alors qu'il la fixait sans rien dire.

Était-ce le choc ? Le début de la fin ? June savait qu'il n'avait aucun désir d'enfant quant à elle, ce désir elle l'avait, mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il se concrétise si vite. D'autant plus que l'homme en face d'elle luttait contre ses démons et n'était toujours pas parvenu à lui exprimer son amour.

- Hier je n'allais pas bien, j'ai été prise en charge par une infirmière qui m'a fait une prise de sang et je...

- Depuis combien de temps ? La coupa-t-il sans lui exprimer la moindre émotion.

- Enzo, ce qu'il se passe est de ma faute, je savais pertinemment les risques que je prenais chaque fois qu'on faisait l'amour. Si tu veux me chasser, si tu es en colère, si tu ne veux pas de ce bébé je ne t'en voudrais pas.

- Te chasser ? Répéta-t-il d'une voix furieuse. Comment peux-tu croire une seconde que je serais capable de faire ça ? Bon sang June ! Viens t'asseoir immédiatement !

Son ton péremptoire suffit à la dissuader de prendre la fuite.

- Depuis combien de temps June ? Répéta-t-il d'une voix impatiente.

- Depuis cette fameuse nuit, voilà bientôt huit semaines.

Il abaissa son regard sur son ventre en le fixant pensivement.

- Je n'ai jamais voulu avoir un enfant, lâcha-t-il sur un ton circonspect.

- Je sais, murmura-t-elle en baissant les yeux.

- Relève tes yeux, je t'interdis d'avoir honte, je t'interdis de penser une seule seconde que tu es en faute, gronda-t-il en lui prenant le menton. Tu n'imagines pas à quel point de je suis en colère June. Je suis en rage de savoir que depuis tout ce temps tu étais enceinte et que je t'ai exposé au danger.

Décontenancée, June cligna des yeux en avalant péniblement sa salive.

- Tu n'es pas en colère contre moi ?

- Non mon ange, je suis sous le choc et j'essaye de comprendre comment j'ai fait pour ne rien voir.

- Tu viens de dire que...

- Que je ne voulais pas d'enfant en effet, je ne voulais pas en avoir jusqu'à ce que je te rencontre.

Il glissa sa paume contre sa nuque pour l'attirer contre lui.

- Je t'aime June Farell, j'ai réalisé trop tard que j'aurais dû te le dire plus tôt. J'étais enfermé dans les réminiscences du passé et j'ai perdu beaucoup plus que je ne l'aurais crû.

June ferma les yeux en sanglotant. Enfin il lui disait ce qu'elle attendait depuis des jours voire des semaines.

- Quand Izario m'a tiré dessus, ma seule et unique pensée était pour toi. Je veux cet enfant, je veux tirer un trait sur mon passé et construire l'avenir avec toi.

D'une seule main, il prit ses joues pour qu'elle le regarde droit dans les yeux.

- En me quittant, tu m'as fait réaliser que je n'avais rien dans la vie avant toi.

Il captura ses lèvres langoureusement puis essuya avec son pouce les larmes qui roulaient sur sa joue.

- J'ai eu si peur, lui confia-t-elle en posant son front contre le sien.

- Dès demain, nous partirons en Russie, je veux que tu sois en sécurité, je veux que nous restions dans mon appartement seuls, rien que nous deux jusqu'à ce que j'en décide autrement, dit-il en caressant son visage.

- Est-ce un ordre ? Demanda-t-elle en souriant légèrement.

- Non, c'est un souhait, un désir, répondit-il en glissant son pouce sur ses lèvres. Je veux déposer les armes jusqu'à ce que mon bras se rétablisse. Je veux être exclusivement avec toi. Je veux pouvoir capturer chaque souvenir et lorsque j'irais mieux, je deviendrais un homme infernal, autoritaire, terrifié à l'idée qu'il t'arrive le moindre mal.

June se mit à rire en secouant de la tête.

- Êtes-vous prête mademoiselle Farell à partager le reste de votre vie avec un mafieux doublé d'un homme dangereusement fou ? Demanda-t-il d'une voix rauque.

June sentit son cœur palpiter.

- Oui, je suis prête, murmura-t-elle posant sa main sur son torse à la recherche de ses battements de cœur.

- Il n'a jamais battu aussi fort pour quelqu'un, confia-t-il d'une voix cette fois-ci émue.

Enzo sentait son cœur battre partout dans son être. Il avait l'impression de revivre. Jamais il n'avait connu une sensation aussi puissante. L'amour ne rendait pas faible au contraire.

Il n'avait jamais été aussi fort qu'aujourd'hui.

Il était temps pour lui de mettre fin à des années de souffrance, à des années de culpabilité. Grâce à cette femme, Enzo était enfin parvenu à trouver ce qu'il cherchait depuis une éternité.

Il avait enfin trouvé la paix...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top