Chapitre 15
Le petit groupe s'était réuni à part, dans le bureau de Lando. Ils avaient extrait toutes les données possibles de la pièce dissimulée du bureau de Yuthura Ban. Du moins en ce concernait les fichiers non cryptés. Le cryptage étant trop avancé pour le casser en quelques minutes, Crail décida de son plan sans en tenir compte. Han et Lando étaient sceptiques, mais Leia les poussa à écouter l'agent jusqu'au bout. Anakin milita pour l'initiative de Crail, arguant que c'était le seul moyen qu'ils avaient pour sauver Alana. Han accepta, plus par loyauté envers sa femme que réelle confiance pour Crail.
— Tout le monde est prêt et sait ce qu'il a à faire ? demanda Crail une fois les explications terminées. Alors en selle !
— Han, je peux te voir un instant ? demanda Lando.
Ils se mirent tous les deux légèrement à l'écart, loin de l'imposant bureau. Cela faisait trop longtemps que Lando voulait un moment pour parler à son ami. Il ne savait pas si Han lui en voulait. Le connaissant, ça n'allait certainement pas être le cas. Mais il avait besoin de partager son mal être. Surtout qu'il n'avait aucune idée de savoir si l'occasion d'en reparler face à face se présenterait à nouveau. Lando ne se faisait pas d'illusion. La prochaine fois qu'il reverrait Han, si cela arrivait, ce serait lorsque son ami viendrait lui rendre visite en prison.
— Mon vieil ami, je suis désolé de la tournure qu-
— Lando, arrête de culpabiliser, l'interrompit Han.
— Comment veux-tu ? La plus grande corporation de la planète abritait un membre important d'une organisation responsable de plusieurs attentats horribles. Et je suis le responsable de cette corporation. Comment ai-je fait pour être si aveugle ? Yuthura était comme une petite sœur pour moi. Après tout ce que j'ai fait pour elle...
— Bon dieu Lando arrête ça ! lâcha fermement Han.
Han soupira longuement. Il prit conscience que s'énerver ainsi n'allait rien arranger. Il devait trouver quelque chose à ajouter alors qu'il reprenait son calme. Il avait fuit la conversation au moment de partir la dernière fois. Il n'allait pas y couper cette fois. L'ancien contrebandier accepta de s'ouvrir à son ami. Car cette fois, il voyait à quel point Lando se sentait mal.
— Ecoute... Il y a des années, quand j'étais dans une très mauvaise passe, quelqu'un m'a dit un jour que la culpabilité empêchait d'aller de l'avant. Que se faire du mal, à soi-même, ne mène nulle part. Ces paroles m'ont touchée. Bien sûr, ça ne suffit pas, il en faut plus pour se relever. Mais dans les moments difficiles, on se souvient de ce genre de choses. Ca aide. Plus tard, cette même personne m'a même offert un poste de consultant dans sa corpo, alors que plus personne ne voulait de moi, déclara-t-il, Lando rejoignant le regard de son ami en saisissant l'allusion.
Han réussit à arracher un sourire léger mais sincère à son vieil ami. Les paroles d'Han semblaient avoir redonné un peu d'aplomb au PDG de LandoMilitech.
— Mais si tu veux absolument faire quelque chose, veille sur Leia, reprit-il. Elle s'inquiète déjà pour Alana. Son mari et son fils font en plus le choix d'aller au devant du danger...
— Tu peux compter sur moi, affirma-t-il sur un ton de parole d'honneur.
Les deux hommes se rejoignirent dans une embrassade forte et virile, ponctuée de plusieurs tapes dans le dos.
— Je te fais confiance pour ça, mon ami.
— Je crois que je vais devoir te laisser parler à ta femme, conclu Lando en apercevant Leia approcher.
Lando s'éloigna, et fit un signe de tête vers Leia lorsqu'il passa devant elle. Elle rejoignit son mari d'un pas qui ne laissait pas de place au doute sur son ressenti.
— Ca avait l'air plutôt sérieux tout ça, commenta Leia d'un air faussement détaché.
— Non, ne t'en fais pas. Il a juste du mal à digérer tout ça.
Elle soupira en baissant la tête. Elle ne pouvait avoir l'esprit. à se changer les idées. Elle avait beau avoir appuyé l'initiative de Crail, elle se doutait de ce que l'enlèvement d'Alana impliquait. Han ne serait jamais resté sur la touche.
— Pourquoi il faut toujours que tu me quittes pour aller prendre des risques insensés...
— Parce que tu es tombée amoureuse du vaurien le plus courageux de la galaxie. Viens par ici, ajouta-t-il quand il vit l'inquiétude sur son visage, la prenant longuement dans les bras. Cette fois, je n'abandonne pas ma famille chérie, je vais la sauver.
— Et tu as intérêt à revenir, sinon...
— Sinon quoi ? ironisa-t-il.
Elle ne savait pas quoi ajouter. Parce qu'il n'y avait rien à ajouter qui ne changerait la donne.
— Je n'en sais rien, dit-elle d'une voix empruntée.
— Je la ramènerai, fit-il avec sérieux retrouvé et plein de conviction. Alana, et notre aussi fils. Je te fais la promesse qu'il ne leur arrivera rien, et qu'ils reviendront.
Elle ne put s'empêcher de frissonner en entendant ces mots. Ils s'embrassèrent, longuement, avant que Leia ne presse sa tête contre la poitrine de son mari. Il n'agissait pas comme d'habitude. Il n'avait plus besoin d'être rassuré. La perspective de se lancer dans la contrebande l'avait crispé. Mais les évènements l'avaient poussé à se montrer à la hauteur. Et à peine de retour, c'était de nouveau le cas. Leia craignait de comprendre ce qui motivait l'amour de sa vie. Ce besoin qu'il avait, de tenter de se faire pardonner, après tout ce temps. Elle avait beau avoir tenté de le déculpabiliser à de maintes reprises, rien n'y faisait. Même s'il le vivait mieux, Han continuait de s'emparer de chaque évènement susceptible d'effacer son ardoise. Mais effacer son ardoise pour quoi d'ailleurs ? se demandait souvent Leia. Pourquoi ne pouvait-il pas simplement vivre le reste de sa vie paisiblement... Mais cette fois, Leia était trop anxieuse pour le faire s'ouvrir à ce propos, ni même pour l'aborder. Cette fois, c'était elle qui avait besoin d'être rassurée. Ils restèrent ainsi longtemps, moment suspendu dans le temps, bref instants de plénitude. Elle allait lui dire qu'elle l'aime, mais il la devança.
— Je t'aime, fit-il doucement.
C'était la première fois qu'il la devançait. Elle mit du temps à lui répondre, encore sous le coup de l'émotion.
— Je t'aime moi aussi.
Il était bientôt temps pour les préparatifs du départ, et ils durent se séparer. Anakin attendait à plusieurs mètres d'eux pour pouvoir parler à sa mère avant le départ. Ensuite, juste avant de se quitter, Han attira Leia une dernière fois vers lui, et lui posa un bref baiser sur le front, avant de se retourner et se diriger vers le reste du groupe. Une fois qu'Anakin eut fini de parler avec sa mère, elle s'adressa au groupe entier avant leur départ.
— Que la Force soit avec vous !
*****
Cela faisait deux jours qu'Han et le reste du groupe arpentaient la zone cible, sans succès. Ce n'était pas de tout repos. Leur seul moyen pour repérer la station spatiale était un vulgaire balayage visuel. Dans la préparation de leur plan d'attaque, ils s'étaient séparés en deux binômes. Han demeurait dans le Faucon Millenium, en compagnie d'un Chewbacca à peine remis de ses blessures. Ils disposaient d'un brouilleur de fréquence pour passer inaperçus, cadeau de Lando. Le second binôme était composé de Crail et d'Anakin, tous les deux à bord d'un prototype de chasseur LandoMilitech de la même gamme que celui que Kyrsta avait utilisé pour s'échapper.
Le plan était simple. Il consistait à ce qu'une fois la station repérée, Crail et Anakin aillent se poser dans le hangar. Ils devaient passer inaperçus, grâce à la couverture qu'une navette estampillée LandoMilitech leur accorderait, ainsi que le plan de vol qui y était enregistré. Crail avait eut l'idée de programmer un plan de vol en provenance de Jakku, pour ne pas paraître suspect. Une fois à bord, leur objectif serait de nettoyer le quai, permettant ainsi au Faucon d'atterrir sans se faire abattre par le comité d'accueil. Une fois réunis, ils ne leur resteraient qu'à progresser dans la station à la recherche d'Alana.
— Je sais que je me répète, grommela Han via son comlink. Mais j'ai vraiment un mauvais pressentiment avec ce plan.
— Papa, tu ne vas pas t'y remettre...
— Si ! Parce que c'est peut-être ingénieux pour s'infiltrer dans la station, mais imaginons qu'elle soit immense, et pleine à craquer, on fait quoi ? On est que quatre !
— On se débrouillera papa.
Han n'avait pas cessé de questionner le plan durant tout ce temps. C'en était trop pour Crail. Le vétéran pouvait bien être sous tension. Mais ils l'étaient tous, alors ce ne pouvait constituer une excuse pour légitimer un tel comportement. Lui aussi n'avait de cesse de songer à Alana, et au traitement qui attendait la jeune femme aux mains des hommes de l'Aube Rouge. Sa discipline lui offrait au moins l'avantage de maitriser ses émotions. Mais elle ne pouvait être utilisée sur plusieurs sujets à la fois. Le moment était opportun pour calmer Han Solo.
— N'avez-vous pas vous-même fait l'expérience de genre de configuration ? l'interrogea Crail.
— Qu'est ce qu'il me raconte, celui là ? fit Han d'un air agacé en regardant Chewbacca.
— Vous avez déjà attaqué des bases fortifiées en sous-nombre, et vous vous en êtes sortis, non ? Cette station devrait être moins dangereuse qu'une Etoile de la Mort...
— Tu comptes aussi rédiger ma biographie gamin ?
— En petite escouade commando à quatre, on peut se déployer, frapper et avancer plus rapidement qu'un détachement de vingt soldats. Leur nombre ne comptera plus dans une station spatiale.
— Crail n'a pas tort papa, appuya Anakin.
Les arguments du jeunot n'étaient pas mauvais, il devait l'avouer. Mais Han ne pouvait lui donner raison, ni même admettre qu'il avait une fâcheuse tendance au défaitisme.
— J'aimerais avoir la même assurance que vous, les jeunes...
— Han, nous sommes tous les deux rompus à ce genre d'opérations, maintint Crail. Sans compter que nous disposons d'un Jedi, plus un guerrier wookie vétéran. Je pense que nous avons largement nos chances.
— Le wookie, il n'est pas en grande forme, rétorqua Han, ce qui poussa Chewbacca à un grognement de mécontentement. Ben quoi, t'es à peine remis Chewie ! Moi, j'suis plus tout jeune. Et notre Jedi n'a pas tellement d'expérience de ce genre de combat.
— Bonjour la confiance... lâcha Anakin.
— Fiston, tu sais que j'ai confiance en toi. Tout ce que je dis, c'est qu'on a des raisons de s'inquiéter. Encore faudrait-il la trouver cette station...
Ce vieil aigri était impossible à raisonner. La discussion ne servait aucun but, si ce n'était à davantage agacer Crail. Alors l'agent prit une décision plus sage.
— Nous allons arrêter là pour le moment, coupa Crail. Reposons-nous, nous reprendrons d'ici quelques heures.
— Très bien, on te suit. Puisqu'apparemment c'est toi le chef des opérations...
*****
Quelques heures s'étaient écoulées depuis leur dernière conversation, mais Han ne parvenait toujours pas à calmer ses inquiétudes et ses réserves quant au plan. De même pour le fait que son fils avait tant insisté pour soutenir Crail. Crail... Le bougre avait le don de l'agacer... Il tenait à parler de tout cela avec son fils.
— Fiston, t'es réveillé ? demanda-t-il.
— Oui, impossible de dormir, chuchota Anakin.
— Ecoute, je pense toujours qu'on devrait essayer de demander du soutien à Lando.
Il fallait que son père revienne à la charge.
— Papa, on en a déjà parlé, rappela le jeune homme avec un ton fatigué.
— Je sais ! Mais ça, c'est l'avis de notre nouveau super chef. Il nous faut plus de soutien.
— Et les risques de compromission des hommes de Lando ? rappela-t-il.
— Je suis sûr qu'on ne risquerait rien, balaya nonchalamment Han. On l'aurait su autrement.
— On ne peut pas se permettre ce risque là.
Han avait l'impression d'entendre cet agent parler à travers son fils...
— C'est ton avis que je veux fiston ! J'ai l'impression de parler à ton nouveau meilleur ami, Crail la débrouille ! Qu'est-ce qu'il peut me taper sur le système cet arriviste...
— L'arriviste aurait bien aimé profiter d'un peu de repos, grommela l'intéressé.
Han se retrouvait pris au dépourvu, et se sentit stupide.
— Je ne savais pas que tu étais éveillé, bredouilla Han.
— La transmission passe dans toute la navette, lâcha Crail avec une telle évidence, teinté d'un mépris à peine dissimulé. Ecoutez, vous ne m'aimez pas, ce n'est pas grave. Moi-même, je ne fais pas parti de vos admirateurs. Rien ne nous pousse à bien nous entendre. Mais ne laissez pas votre scepticisme mettre en péril ce que nous tentons d'accomplir ici.
Pendant qu'il parlait, Han avait commencé une grossière imitation de Crail en silence, en train de faire un discours engagé, inspirant et ridicule. Chewbacca secoua la tête devant la puérilité dont son ami faisait preuve.
— Attendez, coupa brusquement Anakin. Je crois avoir senti quelque chose.
— Qu'y a-t-il ? demanda son père.
— Silence, que je me concentre...
*****
Kyrsta eut une légère hésitation lorsqu'elle vit le visage tuméfié d'Alana. Deux jours après son arrivée, Brogus l'avait laissée telle quel après ses entrevues. Il n'y était pas allé de main morte, même si elle savait celui qu'elle considérait parfois comme un grand frère aurait pu aller bien plus loin. Elle alla chercher de quoi nettoyer ses blessures, et lui permettre de se réhydrater. La jeune femme se réveilla lorsqu'elle sentit la twi'lek soigner ses blessures.
— Et voilà la troisième de la bande, grogna-t-elle. Ton numéro de traitresse repentie va réussir à m'amadouer ?
— Tu préfèrerais rester dans cet état ? fit-elle agacée, mais Alana ne répondit pas. C'est bien ce que je pensais... Alors tais-toi, et ne bouge pas.
Alana avait l'arcade ouverte, et la lèvre inférieure fendue en plus de marques profondes de strangulation. Sans oublier une pommette probablement fracturée au vu de l'hématome foncé qu'il s'y trouvait. C'était seulement pour les blessures visibles sur son visage, car le titan cuirassé était friand des frappes au corps. Et visiblement, Brogus avait retenu ses coups. Elle savait parfaitement de quoi le titan cuirassé était capable. Elle avait des images de sa jeunesse où elle avait vu ce qu'il restait de ses victimes. Elle avait même assisté à une de ces séances une fois. Elle avait mis un temps avant de chasser ces images de ses rêves. Kyrsta nettoya délicatement l'arcade ouverte, puis le reste du visage. Elle aida ensuite son ennemie à boire dans un verre d'eau. Alana se contenta d'un regard tendu en guise de remerciement.
— Alors, à quel traitement vais-je avoir droit cette fois ?
— Bon c'est fini oui ? s'impatienta-t-elle.
Alana n'en était qu'au commencement. Cette traitresse agissait comme si elle devait se montrer reconnaissante. Reconnaissante de quoi ? D'avoir été manipulée ? D'avoir été agressée et torturée ? Le culot de cette twi'lek... Il ne restait plus rien de la compassion et de la bienveillance qu'elle éprouvait à l'égard de Yuthura Ban. Elle n'était que mensonges, et ne méritait pas sa considération.
— Oh pardon, qu'est-ce qui me prend de vous en vouloir ? Surtout après ce que tes amis m'ont fait ? Ca ne te plait pas, ça se lit sur ton visage.
— Peut-être, admit-elle. Je ne cautionne pas la torture physique. Elle ne sert pas notre but. Mais tu la regretteras peut-être, après une session avec moi.
Malgré son agacement, Alana pu sentir un conflit naissant chez Kyrsta. C'était presque imperceptible, diffus, obscur... Mais le fait était qu'elle n'approuvait effectivement pas les manières de cette brute colossale auquel elle devait son état actuel traduisait quelque chose. Peut-être y avait-il matière à creuser... Alana décida de la confronter plus concrètement, plutôt que de simplement laisser parler sa rancœur. La Force se faisait peut-être lointaine, mais il n'en demeurait pas moins qu'elle parvenait à faire preuve de discernement, même dans de telles circonstances. Ce simple fait lui donna plus d'assurance.
— Je regrette déjà ta simple présence face à moi, commença-t-elle avec le même ton hostile, avant de l'abandonner tout doucement. Comment as-tu pu vivre avec des gens qui te faisaient confiance, qui t'ont acceptée et ont tant fait pour toi, et leur tourner le dos ainsi ?
— Je n'ai jamais tourné le dos aux gens qui m'ont réellement tendu la main, objecta la twi'lek en révélant plus que ce qu'elle pensait.
— Cette organisation, tu dois te rendre compte à quel point ils sont mauvais !
— Tu ne peux comprendre, toi qui as eu une vie paisible, entravée par une existence étriquée.
Elle marqua une pause, pour constater qu'elle avait gagné l'attention de la jeune femme. Elle avait bien cerné Alana lors de leur échange à cette soirée de gala. Kyrsta avait sentit la jeune Jedi sincère dans ses mots et ses intentions. Elle n'avait aucune idée de ce dont elle parlait. Mais c'était légitime qu'elle lui témoigne cette rancœur, après qu'elle lui ait menti sur son identité. Sans parler de ce qu'elle lui avait infligé... Et après tout, ce n'était pas totalement sa faute si cette Jedi vivait dans un monde déconnecté de la réalité. C'était la faute de Luke Skywalker, son père... Elle allait lui permettre de s'assumer pleinement, et de prendre conscience d'un monde libéré du joug de ce Jedi.
— C'est seulement lorsque l'on a tout perdu qu'on est vraiment libre de faire ce que l'on veut. Mais je ne t'en veux pas, je vais t'aider à comprendre.
Cette twi'lek, peu importait son nom, vivait bien en dehors des réalités. Comment une endoctrinée comme elle pouvait l'accuser de ne rien savoir ? Alana avait compris de ce dont il s'agissait. Kyrsta était victime de ce zabrak. Ce serviteur du côté obscur, dont la puissance était aussi désarmante qu'elle était immensément profonde. Ce n'était de toute façon pas le moment de se préoccuper de lui. Celle qu'il nommait sa fille devait être son point faible. Il devait être possible de tenter quelque chose à son sujet. Seulement, Alana devait retrouver une meilleure connexion avec la Force. En attendant, elle demeurait impuissante.
— Je n'ai pas besoin d'aide, grogna-t-elle.
Kyrsta s'approcha de la jeune femme. Elle leva sa main à hauteur du front d'Alana, à quelques centimètres, tout en fermant les yeux en se concentrant. La jeune femme expérimenta une vague immatérielle envahir son corps, et pénétrer son esprit. Elle ne pouvait résister. Elle était trop faible, son lien avec la Force trop affaibli.
*****
— Papa, je peux te poser une question ?
— Bien sûr ma fille.
— Elle est où ma maman ? demanda une très jeune Alana.
Luke Skywalker ne put dissimuler son étonnement quand à la question de la petite Alana. C'était la première fois qu'elle abordait la question, depuis les six années passées sur Ahch-to, plus tard rebaptisée New Alderaan, en hommage à la planète homonyme détruite par l'Etoile de la Mort. La fillette avait grandit paisiblement. Luke s'était toujours réjoui qu'elle n'ait pas subi de manques ou de troubles liés à l'absence de sa mère.
— Pourquoi cette question ? demanda le maître Jedi.
— Quand on va à la maison d'Ani, on va voir sa maman, Leia qui est ma tata. J'ai demandé à Ani pourquoi on ne voyait pas son papa. Il m'a dit c'est parce qu'il est parti pour le travail. Ma maman aussi est partie pour le travail ?
Visiblement, sa fille avait creusé le sujet. Le temps n'était pas à des demi-réponses. Il ne l'avait jamais fait, et il ne comptait jamais le faire. Il devait lui dire la vérité. Le tout était de la rendre accessible pour une petite fille.
— Non, pas vraiment. Viens près de moi, ma puce.
La petite Alana s'approcha de son père. Ils s'assirent tous les deux sur un rocher, face au magnifique panorama composé d'océans et de falaises, sublimées par les rayons du soleil qu'offrait une des côtes de New Alderaan.
— Ta maman et moi étions très heureux de t'avoir. Mais au moment de ta naissance, il y a eu un souci. Tu sais comment les bébés viennent au monde ?
— Oui, tante Leia m'a dit que les bébés sortent du ventre de la maman.
— C'est ça. Eh bien tu n'arrivais pas à sortir, et ta maman avait très mal. Je t'ai aidé à sortir. Mais malheureusement, ta maman... Elle est ensuite tombée malade. Elle est... Elle ne fait plus qu'un avec la Force.
Malgré les années, mettre les bons mots sur cette tragédie lui coûtait toujours autant. Il avait réussi à tourner la page, et se focaliser sur d'autres choses. Mais avait-il réellement fait pleinement son deuil ?
— Ca veut dire quoi ? s'interrogera sa fille. Je la verrai jamais ?
— Ca veut dire que tu la reverras un jour, mais pas tout de suite, dans très longtemps.
— Je voulais la voir maintenant...
La demande de sa fille était légitime. Manifestement, il était encore trop tôt pour parler de certaines choses plus concrètes à ce sujet. Elles viendraient dans les prochaines années.
— Je sais, moi aussi, avoua naturellement Luke. Elle me manque, tu sais. Mais moi aussi je la reverrais un jour. Mais pas encore.
— Je crois que j'ai compris papa, répondit-elle après l'avoir observé, touchée par la sincérité de ses sentiments.
— J'en suis sûr, ma puce.
Ils contemplèrent sagement le paysage, lorsqu'Alana relança rapidement la conversation.
— Et puis tante Leia, c'est un peu comme une maman aussi non ? relanca-t-elle.
— Oui, on peut dire ça si tu veux.
— Et Ahsoka ? proposa-t-elle plus enjouée. Ca pourrait devenir ma maman sinon ?
— Euh, je ne sais pas, répondit-il en riant. Mais tu peux discuter avec elle si tu veux.
— D'accord. Je lui demanderais si elle veut bien.
Luke senti monter une légère vague d'émotions. L'évocation de sa femme, morte en couche, lui était visiblement toujours difficile. Le drame avait été difficilement digéré. Le maître Jedi avait été contraint de passer par un pèlerinage, pour ensuite réussir à la gérer. Mais c'était surtout la vision de sa fille épanouie malgré cela qui le rendait ému. Le fait qu'elle ne semblait pas souffrir de l'absence d'une mère. Il en était infiniment reconnaissant. Et heureux de savoir sa fille curieuse. Le tout allait être de concilier son rôle de père et celui de maître. Pour l'instant, les choses s'appréhendaient plutôt aisément. A l'approche de l'adolescence, les choses se compliqueront certainement, mais il aura encore le temps d'y songer.
— Tu sais pourquoi tu t'appelles Alana ? finit-il par lui demander, avant de reprendre lorsque sa fille lui répondit non en hochant de la tête. C'est parce que c'était le prénom de ta maman.
Le visage de la petite fille s'illumina de cette lueur propre aux enfants.
— C'est vrai ? fit-elle avec entrain.
— Oui. Ton prénom te plaît ?
— Oui, fit-elle enjouée, encore plus !
*****
Alana eut la sensation d'émerger quelques instants, l'esprit encore embrouillé. Elle venait de revivre ce souvenir, avec une sensation si réelle que c'en était déroutant. Les émotions semblaient si concrètes, palpables... A peine avait-elle réalisé ce que Kyrsta était en train de lui infliger que la brume s'infiltrait à nouveau dans son esprit.
*****
— Relève-toi et recommence ! intima Ahsoka.
— Je n'y arrive pas, maître, se plaignit l'adolescente.
— Penses-tu vraiment que ton ennemi en aura quelque chose à faire ? Qu'il te ménagera ? En garde !
Ahsoka repartit à l'assaut face à une Alana plus âgée. Elle n'aimait pas particulièrement les séances d'entrainement au combat. Mais son père l'obligeait à y participer. Il avait insisté que ce soit une obligation pour tous les padawans, même ceux ne cherchant pas à faire de l'art du duel une spécialité. Luke avait beau mettre l'accent sur l'éveil spirituel, un Jedi ne pouvait être accompli s'il ne maitrisait pas les fondamentaux de la maitrise du sabre. C'était l'un des seuls points de désaccord avec sa fille. La jeune adolescente se retrouva à nouveau à terre.
— Qu'y a-t-il padawan Alana ? lui lança la togruta. Tu es à bout de force, alors que nous ne sommes qu'au début de l'entrainement. Ton adversaire ne se retiendra pas parce que tu ne te sens pas bien, lâcha-t-elle d'un ton dur, l'adolescente lui adressant ensuite un regard mauvais. Cela t'apprendra à veiller tard au lieu de te coucher tôt comme nous te le demandons. Ne croît pas que, parce que tu es la fille d'un grand maître, les choses te viendront aisément et sans contrepartie.
Alana prit la mouche. Elle jeta violemment le sabre d'entrainement au sol. A l'instant où elle commença à s'éloigner en se tenant le bas ventre, Ahsoka devina ce qu'il arrivait à la jeune padawan. Elle songea aux nombreux petits détails qu'elle avait manqués. Comment avait-elle pu se montrer si distante ? Alana n'était pas le genre d'élève qu'elle affectionnait particulièrement. Cela lui renvoyait une image qui ne lui évoquait pas les meilleurs souvenirs. Mais ce n'était pas une raison légitime pour être passée à côté de cela. La togruta se sentit terriblement idiote de s'être comporté d'une telle manière.
— Alana, attends ! l'interpella-t-elle alors qu'elle courrait pour la rattraper. Alana, viens avec moi.
— Non ! fit-elle en essayant de se débattre au moment où son maître lui prit le bras. Je ne veux plus m'entrainer !
— Je sais ce qu'il t'arrive, lâcha Ahsoka pour attirer son attention.
Elle leva la tête vers la togruta à la peau orange qui la dépassait d'une tête.
— Comment vous savez ? lui fit-elle, visiblement très étonnée.
— Je suis une femme moi aussi, la rassura-t-elle. Viens avec moi, nous allons parler.
Alana se résigna et suivi Ahsoka, marchant avec elle, le bras de son maître posé sur son épaule. Cela faisait déjà plusieurs fois cette année que la jeune Alana semblait agir différemment, à certains moments du mois. Elle subissait simplement les changements difficiles et douloureux, inhérents à toutes les femmes dans la galaxie.
C'était Leia qui avait abordé le sujet avec elle, lors de son dernier passage sur Coruscant. Sa tante lui avait expliqué la plupart des choses qu'elle devait savoir, lui offrant les fournitures d'hygiène intime dont elle aurait besoin. Alana n'avait parlé à personne de ces changements. Elle avait gardé ça pour elle, jusqu'à aujourd'hui. Les deux Jedi s'étaient installées sur un banc de pierre, en plein air à l'écart du temple.
— Depuis combien de temps est-ce arrivé ? demanda Ahsoka.
— Quatre-cinq mois, à peu près, répondit Alana, très gênée.
— Pourquoi tu n'es pas venue me parler ?
— Ma tante Leia m'a tout expliqué. Je me suis dit que j'allais gérer toute seule, fit-elle pour se justifier.
Alana avait mis à profit le temps passé avec sa tante, sachant qu'elle serait contrainte de se débrouiller seule par la suite. Visiblement, ce n'était pas à la portée d'une adolescente de gérer une formation de Jedi en même temps que les conséquences des effets de la puberté. Car la jeune Alana ne vivait pas bien ces changements. Malgré les mots rassurants de sa tante, elle se posait des questions, les vagues d'hormones la laissant prisonnière d'un corps changeant, duquel elle ne comprenait pas toujours tout. Sans compter qu'elle devait dissimuler sa condition du mieux qu'elle le pouvait. C'est-à-dire sans grand succès...
— Avoir les explications et les appliquer, ce n'est pas la même chose. Tu aurais du venir me parler.
— Oui mais..., fit Alana, hésitant à se livrer. Vous êtes toujours occupée, à vous entrainer, à travailler des nouvelles techniques avec Ani. Vous êtes tout le temps avec lui... Alors j'ai du me débrouiller.
— Je..., fit Ahsoka en s'interrompant, sentant qu'elle allait s'agacer d'être la cible de reproches.
La vérité était que ces reproches étaient légitimes, et elle le savait. Elle se devait de les assumer. Elle n'était plus la Jedi ermite, seulement préoccupée par sa seule condition. En acceptant de rejoindre Luke, elle devait également accepter ce qu'impliquait son nouveau rôle. Se satisfaire des bons côtés ne suffisait pas. Elle se devait d'être présente pour ses élèves. Tous ses élèves. En particulier Alana. La pauvrette ne vivait pas bien l'absence de sa mère. Elle ne l'avait jamais connue, mais une jeune fille ne pouvait s'épanouir sans ce genre de présence. Anakin Solo était à la fois très différent de celui qu'elle avait connu dans sa jeunesse, mais avec des similitudes qui crevaient les yeux. Elle se sentait naturellement à l'aise lorsqu'elle enseignait au padawan Anakin. La togruta prit une grande inspiration, avant de décider d'envoyer un meilleur message.
— Excuse-moi, lui dit-elle d'une voix douce. Je sais que nous ne sommes pas très... proches toutes les deux. Que je me sens plus à l'aise lorsque j'enseigne à Anakin plutôt qu'à toi. J'aurai dû me montrer plus prévenante.
— Je ne pensais pas que vous auriez accepté de m'écouter, avoua-t-elle.
— Je serais toujours là pour écouter ce que tu as à me dire rappela-t-elle avec sincérité. Même si ton père est très à l'écoute, cela peut-être difficile pour un homme de parler de certaines choses. Je veux que tu le saches. A partir de maintenant, s'il t'arrive un problème... de femme, je serais présente. Je t'en fais la promesse. Et on ne revient pas sur une promesse.
Alana releva la tête dans sa direction. Après une courte hésitation, elle se rapprocha pour enlacer Ahsoka. Son étreinte était puissante, serrant la togruta de toutes ses forces. Le maître Jedi voyait ses certitudes confirmées. Alana était en manque de repères. Elle ne l'avait jamais remarqué auparavant, car elle semblait plutôt bien vivre l'absence d'une mère.
Mais même une tante aimante et prévenante, située bien loin d'ici, ne pouvait remplacer une présence féminine adulte au quotidien. Ahsoka n'était pas particulièrement assurée pour s'ouvrir à ce point, et laisser parler ses émotions. Mais il fallait bien réapprendre à vivre en communauté. D'une part parce que c'était sa responsabilité. Mais surtout parce que c'était ce dont cette jeune adolescente avait besoin.
— Merci, maître Ahsoka, fit la jeune adolescente une fois l'étreinte rompue, les yeux encore humides.
— Il n'y a vraiment pas de quoi, padawan Alana.
*****
Alana émergea de nouveau dans un cri d'épuisement. Il ne s'était passé que quelques instants, mais la sensation de plusieurs heures d'effort intense écoulées persistait. La jeune Jedi haletait et gémissait de douleur, son corps tout entier lancinant de douleur. Elle réussit à percevoir des signes de fatigues chez Kyrsta également, même s'ils étaient moins évidents. La twi'lek ne s'était pas attendue à ce genre de souvenirs. Ils ne sortaient pas de l'ordinaire, si on les comparait aux précédentes fois où elle avait eu recours à son pouvoir. Mais les émotions se trouvaient surprenament puissantes. Le but était à terme de les morceler, y insuffler les éléments désirés pour l'amorce d'un réalignement psychologique. Mais ces souvenirs avaient véritablement forgé cette Jedi. Les pouvoirs sensitifs de la jeune femme avaient certainement renforcé leur implantation dans sa psyché.
— Ce sont des souvenirs marquants, tenaces, et bien implantés en toi, fit la twi'lek. Ce ne sera pas aussi facile que je le pensais.
Au moment de vouloir répondre, Alana sentit une vague plus familière que la précédente l'envahir. L'impression de retrouver l'usage d'un membre engourdi depuis des heures, phénomène étendu à tout son corps. En particulier son esprit. Elle comprit parfaitement ce qu'il lui arrivait. Pour accéder à son esprit, la twi'lek avait accéléré le rétablissement de son lien avec la Force. Au moment où Kyrsta voulu pénétrer sa conscience à nouveau, Alana en profita pour concentrer ses efforts. Elle repoussa la vague de Force qui l'envahissait, pour la retourner vers la twi'lek. Les premières images qui lui apparaissaient n'était pas particulièrement nettes, des enchainements confus pour la plupart. Pour ensuite commencer à se matérialiser en un véritable souvenir.
*****
L'image d'une enfant twi'lek à la peau rouge, joyeuse, tenant deux adultes par la main en arpentant un village. Probablement ses parents.
Plus tard, la même image. Le ton est différent. Le village est en proie aux flammes et à la désolation. Des larmes coulent sur le visage de l'enfant, à genoux à côtés de ses parents. Ils sont couchés, inertes au sol. Des soldats, à l'allure de brigands, fouillent les cadavres. Ils s'amusent de la situation. Des bruits de combats surgissent, embrumés, indescriptibles. L'enfant finit par lever la tête en direction d'un zabrak à la peau rouge et noire qui s'approche d'elle.
Il la fixe pendant quelques secondes, sans un mot. Il a une allure effrayante, avec ses cornes autour de son crâne. Mais quelque chose semble émaner de lui, une prestance qui fait oublier son allure et le massacre autour de lui, et elle semble presque apaisée. Il la regarde comme jamais personne ne l'a regardé.
— Je m'appelle Maul, dit-il en lui tendant la main. Mon but est de mettre fin à ce genre de fléau. Si tu viens avec moi, je te fais la promesse que tu deviendras assez forte pour protéger ce qui t'es cher.
Malgré la profonde tristesse qui entourait la jeune twi'lek, elle n'avait jamais expérimenté une telle sensation. Ce zabrak était à la fois un véritable rayon de soleil, mais dans le même temps possédait une résolution implacable et intimidante. Et la manière dont il la regardait... Comme si elle était une chose unique au monde, chère à protéger, digne d'intérêt... La jeune twi'lek avait son regard absorbé par la contemplation de cet individu. Elle lui prit la main, sans véritable hésitation, suivant Maul à travers le village jusqu'à son vaisseau.
*****
Quelques années plus tard, la jeune twi'lek traquait une créature de petite taille, un petit reptilien herbivore. Après avoir réussi à l'attraper, elle l'avait soigneusement blotti dans ses bras. Elle marchait jusqu'à un campement en pleine nature, interpellant la silhouette près du feu.
— Père, j'ai réussi à en attraper un, fit-elle enjouée. Comme tu me l'avais demandé ! Comment allons-nous l'appeler ?
L'éclairage du feu de camp révéla le visage de Maul. Il porta son attention sur le petit animal que Kyrsta portait dans ses bras. Au moment où la jeune fille caressait le coup du petit reptile, qui émit un gazouillement plein d'espoir, le zabrak se servit de la Force pour briser le coup de l'animal d'un geste sec.
— C'est une excellente prise, Kyrsta, dit-il alors qu'elle était horrifiée de la scène qui s'était déroulée sous ses yeux, le petit corps de l'animal réagissant encore mollement dans des spasmes agonisants. Ajoute-le au reste du repas, poursuivit Maul en désignant une marmite en train de bouillonner au dessus du feu.
Kyrsta avait toutes les peines du monde à réprimer son chagrin. Des larmes coulaient le long de ses joues, et elle luttait pour ne pas éclater en sanglots. Il lui faisait subir des entrainements toujours plus durs, toujours plus éprouvants. Mais il restait son père. Il veillait à sa survie, elle l'avait comprit. Il ne lui aurait jamais fait de mal. Alors pourquoi s'était-il montré si cruel envers ce pauvre animal ? Il ne lui avait rien fait, il était innocent !
Maul avait prévu qu'elle se serait attachée à la bête qu'il lui avait ordonnée d'aller capturer. Il voulait voir si elle allait laisser ses liens affectifs la briser, ou si elle se servirait plus tard de cette leçon pour la comprendre. Seul son père ou le bien de la cause ne devait compter. La souffrance déclenchée par cet évènement devait être le catalyseur de la leçon de Maul. Elle s'approcha de la marmite et laissa tomber le petit reptile dans le ragout, avant de regarder son père dans les yeux. Mais elle n'arriva pas à prononcer ne serait-ce qu'un seul mot. Elle ne faisait que frisonner. Elle n'arrivait pas à réaliser que c'était son père qui venait de lui infliger cela. Maul se contentait d'afficher un sourire froid comme seule réponse, avant de l'abandonner rapidement.
— Approche, ma fille.
Après une courte hésitation, elle se rapprocha de lui, et s'installa à ses côtés. Il sentait qu'elle avait toutes les peines du monde à ne pas fondre en larmes. Maul ne doutait pas que sa fille adoptive avait réellement compris la leçon, mais cet évènement lui révéla autre chose. Ce n'était pas dans la nature de Kyrsta de tuer de sang froid. Ce n'était pas ce qu'il avait initialement prévu, mais peu importe. Il réajusterait ses plans pour elle. Il lui trouverait une place adéquate, pour qu'elle prenne part à son plan. Parce qu'elle méritait le privilège d'occuper un poste de premier plan. Parce qu'il ne la préparait pas pour un destin étriqué. Parce qu'elle était sa fille. Il sut alors qu'il devait uniquement compter sur Brogus pour ce genre de missions. Et qu'il allait devoir confier des tâches bien différentes à sa fille.
*****
Lorsque les deux femmes émergèrent, elles furent comme repoussées par une onde invisible. Alana plaquée contre sa table, et Kyrsta reculant d'un bon mètre. La twi'lek mit quelques instants à réaliser ce qu'il venait de se produire.
— Mais qu'est ce qu- fit-elle désorientée. Qu'est ce que tu m'as fait ?
— Ce que toi tu m'as fait, répondit Alana. Ca calme un peu, de subir le traitement qu'on inflige aux autres...
Kyrsta n'aurait jamais cru cela possible. Elle avait vite comprit que les croyances et les principes qui animaient la Jedi était profondément liées à ses souvenirs les plus forts. Qu'il allait être difficile de défaire cette connexion pour un réalignement psychologique significatif. Mais de là à voir sa propre technique retournée contre elle... Elle saisit également quelque chose de plus étonnant encore. D'ordinaire, elle aurait été furieuse d'avoir subit un tel traitement. Une telle humiliation, sa technique ayant été tournée en ridicule. Mais elle ne ressentait aucune colère. Subsistait seulement les émotions remontées de la mémoire d'Alana, mélangées aux siennes. En ressortant ses souvenirs, elle ressentait également les émotions que la Jedi avait éprouvées à ces moments précis. Plus encore, elle se remémorait des détails insignifiants, comme la brise marine de cette planète océanique flottant contre sa peau. Comme cette douleur dans son bas ventre, synonyme de règles périodiques douloureuses. A cet instant, c'était comme si la femme attachée sur la table était sa sœur jumelle. Elle se sentait aussi proche d'elle que de sa propre famille.
C'est faux, songea fermement Kyrsta. C'est forcément faux. Comment est-ce possible ? La twi'lek avait du mal à reprendre le contrôle, alors qu'elle éprouvait de réels sentiments empathiques envers sa prisonnière. De son côté, Alana était moins perturbée. Elle était rompue à ce genre d'expérience, et elle savait y faire face. Elle expérimentait exactement la même chose que Kyrsta. Mais contrairement à elle, elle conservait une certaine lucidité, et affichait toujours sa colère à l'égard de ses ravisseurs. Mais pas tous... Elle prit conscience que la twi'lek n'était pas entièrement responsable de ses méfaits. Et que fondamentalement, elle ne ressemblait pas aux autres, en particulier ce titan cuirassé. Alana la voyait tout à coup comme une pauvre victime collatérale, qui ne méritait rien d'autre qu'on lui tende la main pour la sauver. Malgré toute sa contenance, elle avait du mal à réprimer la compassion qu'elle éprouvait pour cette femme en face d'elle. Kyrsta n'avait aucune idée du comment ou du pourquoi. Mais il semblait qu'une sorte de lien de transfert s'était établi sans le vouloir. Elle se demandait si l'inverse s'était également produit.
— Qu'as-tu vu ? demanda Kyrsta.
— Tu le sais bien. Nous avons vu la même chose, répondit simplement Alana.
— Mais... Comment est-ce possible ?
— Tu plaisantes là ? Si ta maîtrise n'est pas parfaite, un être puissant dans la Force peut réussir à inverser la lecture d'esprit.
« Etre puissant dans la Force », « lecture d'esprit ». Kyrsta fronçait les sourcils. Elle n'avait aucune idée de ce dont elle lui parlait. Les termes que la Jedi utilisait lui semblaient abstraits, lointains, obscurs... Ou bien était-ce des techniques de déstabilisation propres aux Jedi.
— Tu connais cette technique ? s'étonna-t-elle.
— Tu n'as pas du recevoir une bonne formation, grommela Alana. Ton maître ne voulait pas ton bien, on dirait...
— Prend garde à ce que tu dis sur mon père ! s'emporta la twi'lek.
— Ce n'est pas ton père, objecta Alana. J'ai vu ce qu'il t'a fait ! Il ne mérite pas ta loyauté !
Kyrsta ne répondait pas, troublée par ces paroles ou par le partage de souvenirs. Alana n'attendait pas d'en avoir la certitude et continua. Mais elle fut plus conciliante qu'elle ne l'avait initialement prévu.
— Je comprends maintenant pourquoi tu agis ainsi, et crois-moi j'en suis désolée, fit-elle sincèrement. Les choses auraient été différentes si quelqu'un comme mon père avait détecté quelqu'un comme toi avant ce type. Mais tout n'est pas perdu. Tu as encore la chance de réparer ce que vous avez fait.
Ca par contre, était bien plus familier. Kyrsta avait déjà entendu des mots semblables. De la bouche de son père, lorsqu'il l'avait souvent mise en garde contre les formules de manipulations Jedi. Cette fausse compassion, d'une hypocrisie infinie.
— Mensonges, murmura Kyrsta sans interrompre Alana.
— Nous pouvons nous enfuir d'ici toutes les deux, et je t'aiderais à surmonter les épreuves à ven-
— Mensonges de Jedi ! cria-t-elle. Mon père m'a mise en garde contre vos belles paroles. C'est toujours si facile à vous écouter, si simple. Il suffit de se soumettre à vos préceptes et on oublie tout ! Et si on ne veut pas se soumettre ? Et si on ne veut pas oublier, hein ?
— Je peux t'aider, fit sincèrement Alana. Tu sembles savoir lire les gens, alors lit en moi. Tu verras si je cherche à te manipuler ou non.
La twi'lek hésitait. Elle ne parlait plus, et à chaque nouveau mot de la Jedi, le doute s'insinuait plus profondément encore.
— Je suis là, poursuivit Alana. Entravée, et à ta merci. Alors qu'attends-tu ? Je sens toute la confusion qui est en toi.
La porte de la cellule d'Alana s'ouvrit brusquement, faisant sursauter légèrement les deux femmes. Un titan cuirassé bondit dans la pièce et leva brusquement son bras en direction de la Jedi. Alana sentit une poigne immatérielle lui étreindre la gorge. Kyrsta mit un certain temps avant d'émerger, et prendre conscience de ce qu'il se passait. L'expression sur le visage de Brogus ne laissait pas de place au doute quant à ses intentions. Elle devait l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard. Elle venait de l'agripper, tentant vainement de le tirer par le bras.
— Brogus, arrête, fit Kyrsta. Tu vas la tuer !
— Ne me touche pas Kyrsta ! Qu'as-tu fais pour rétablir son pouvoir ?
Kyrsta ne comprit qu'après une seconde, songeant aux derniers mots d'Alana. Je sens la confusion en toi. Elle était trop perturbée pour pouvoir en déduire ce qu'il s'était passé. Alana avait ravivé ses pouvoirs sensitifs au moment de revivre ses souvenirs profonds. Ce sont ses pouvoirs insidieux de Jedi qui m'ont perturbé, songea la twi'lek. C'était ainsi qu'elle avait pu la perturber si facilement. Alana commençait à suffoquer, la poigne du titan cuirassé était incroyablement puissante.
— Brogus, arrête tout de suite !
— Cette fille est un nid à problème, grogna-t-il d'une voix sourde.
— Cette fille est l'atout le plus précieux pour mon père et pour la cause !
A l'évocation de ces évidences, Brogus fut contraint de relâcher son emprise d'un grognement insatisfait. Alana peinait à reprendre son souffle. Sa gorge portait encore les marques de la puissante étreinte du titan cuirassé. Il tourna son regard en direction de Kyrsta.
— Toi aussi, tu commences à apporter plus de problèmes que de solutions, fit-il son doigt brandit vers elle, toujours aussi hargneux.
— Brogus !
Le ton était plus sec que fort, mais l'intonation suffisait à faire comprendre qui parlait. Le titan cuirassé commença à poser son genou à terre avant même de se retourner.
— Mon seigneur, prononça-t-il avec une profonde déférence.
— Des réserves ? demanda le zabrak, approchant du titan cuirassé incliné.
Ce dernier baissa sa tête plus bas encore, avant de joindre les mots aux actes.
— Pardonnez-moi mon seigneur. J'ai seulement senti que la Jedi recouvrait son pouvoir. J'ai agi sans lucidité, ni mesure. J'ai clairement manqué de discipline. C'est inacceptable.
La façon dont un tel colosse, un titan cuirassé, un être d'une puissance et d'une brutalité sans limite, s'inclinait et se confondait en excuse, devant un homme de taille et de carrure ordinaire, renforçait l'impression de charisme et de puissance qui se dégageait du zabrak. D'aucuns auraient estimés que le titan cuirassé pouvait écraser le zabrak d'une main. Tous se seraient largement trompés. Maul avait entre-aperçu une bonne partie de cet échange. Il passa lentement près de son guerrier.
— Ca ira Brogus. Je vais m'expliquer avec ma fille à ce sujet. Tu peux disposer.
— Oui mon seigneur.
Le titan cuirassé se releva. Il baissa la tête en passant devant Maul, et sortit de la pièce. Le zabrak jeta un regard en direction de la Jedi, dont Kyrsta s'était approchée pour examiner les blessures. Cette dernière s'arrêta net, sentant le regard pénétrant de son père posé sur elle. Elle fit rapidement volte-face.
— Suis-moi, ma fille. Il y a des choses dont nous devons discuter, semble-t-il.
— Oui père, fit-elle en inclinant la tête.
Elle suivit son père en ne le quittant pas du regard pour sortir de la salle d'interrogatoire. Kyrsta n'accorda pas la moindre attention à Alana, alors que la jeune Jedi sentait les émotions confuses qui traversaient la twi'lek. Malgré tout ce qui venait de se passer, elle aurait voulu lui venir en aide. Mais c'était impossible. Alana craignait d'avoir laissé passer sa seule chance. Mais elle en aurait d'autres à l'avenir...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top