Chapitre 7.

                Sur le chemin vers les montagnes, Makaela ne put s'empêcher de lancer une discussion sur les événements qui avaient précédé leur départ.

- Maneta...

- Non.

Makaela fronça les sourcils et fit accélérer son cheval pour arriver à hauteur de la rousse.

- Non, Lane, on ne va pas faire les commères et parler de ce qui s'est passé chez moi avant de partir.

- Je voulais juste te dire que je te comprends et que je suis désolée que tu vives ça. Je ne pensais pas...

- Quoi, que ma mère était une sale garce qui me déteste ? Comment j'ai eu cette cicatrice, d'après toi ? Je suis pas assez bête pour tomber à vélo ou me prendre un caillou sur la joue.

- C'est elle qui t'as fait ça ?

Makaela ne savait plus quoi penser. Toute sa vie elle avait vu Tryphosa comme une femme charmante et incroyablement calme. Toute sa vie elle avait cru envier la relation mère-fille des deux femmes. Mais maintenant... Maintenant, elle réalisait que tout cela n'avait été que des apparences. Tryphosa Maneta était le genre de femme à vouloir une vie parfaite aux yeux des autres. Elle était le genre de femme à mentir partout autour d'elle. Makaela ne s'attendait pourtant pas à ce que ce soit si énorme...

- Mon père n'a jamais levé la main sur moi, affirma Jaidyn. Jamais il n'a accepté le comportement de ma mère envers moi, et pourtant, jamais il ne la quittera. Il l'aime trop pour ça. Et j'ai beau le supplier jour et nuit, il continuera de rester avec elle. 

Makaela ne savait pas quoi dire face à ces révélations. Cela dépassait tout ce qu'elle avait pu imaginer jusqu'alors.

- Tu pensais pas à ça, hein ? l'interpella Jaidyn. Elle a bien fait son travail. Camoufler tout ça... Elle savait que j'aurais trop honte d'avouer que je me faisais cogner par ma mère. Personne ne me croirait, de toute façon. Je parie que tu voulais une relation comme la nôtre. Je voyais comment tu nous regardais aux dîners.

- Jaidyn... C'est très grave ce que tu me dis.

Elle se stoppa en entendant Makaela l'appeler par son prénom plutôt que son nom, ne s'y attendant pas.

- Ta mère te cogne... Tu n'es pas censée être celle à avoir honte. C'est même l'inverse. Tu te rends compte de ce qui se passe ?

- Bien sûr que non, sinon je serais déjà partie.

- On s'en fout de savoir s'il faut que tu partes ou non, il faut qu'elle soit stoppée.

La brune se mit devant Jaidyn et la fixa droit dans les yeux.

- C'est de la maltraitance et tu vis ça depuis bien trop longtemps.

- Tu vas me donner des cours sur les relations parents-enfants, maintenant ?

Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas la réaction de son alliée.

- Quoi ?

- Toi et ta relation parfaite avec ta mère. J'ai pas besoin de tes conseils, d'accord ? Ma mère ne me cogne pas, tu oublies tout ce que j'ai pu te raconter, ou je te noie.

- Ma relation avec ma mère est très loin d'être parfaite, répondit-elle avec rage. Je ne te permets pas de parler de ce que tu ne connais pas.

- Oh pitié ! Elle est un peu perfectionniste avec toi, et alors ? T'es humaine, c'est normal, elle veut qu'tu sois meilleure pour que tu puisses te défendre décemment. Allez, dépêchons-nous si on veut arriver à temps.

- Tu n'as aucun droit de parler de ma relation avec ma mère comme si tu savais ce qui se passait entre nous ! s'énerva enfin Makaela. Aucun ! Tu ne sais pas ce que c'est de vivre dans la peur constante de te faire ensorceler ! Tu ne sais même pas ce que ça fait que de se faire ensorceler !

- Mais je vis dans la peur de me faire frapper, espèce d'idiote !

- Alors tu devrais comprendre quand je te dis que ma relation avec ma mère n'est pas celle qui paraît !

Elles échangèrent un regard long et surtout, lourd de sens. Aussi bien l'une que l'autre vivait en réalité dans la peur constante. Aucune n'était en sécurité chez elle. Et Jaidyn se rendait enfin compte que ce qu'elle faisait vivre à Makaela était trop injuste pour rester impuni. Ce qu'elle vivait avec sa mère était semblable à ce que vivait Makaela, et elle s'en voulait pour ça. Elle ne souhaitait même pas à sa pire ennemie ce qu'elle traversait depuis toutes ces années.

- Dépêchons-nous, termina par conclure la brune. Ou il va faire nuit et on ne pourra plus rien faire.

Les deux jeunes femmes étaient enfin arrivées dans les montagnes, près de la plus grande civilisation d'ogres de la contrée. Elles installèrent leur campement et attachèrent leurs chevaux à l'arbre le plus proche, sortant les gamelles des animaux pour les nourrir après ce long chemin plein d'émotions et de révélations. Rapidement, il fallut déjà partir en infiltration dans le village le plus proche, ce que les filles firent.

Elles arrivèrent dans un village terré dans la montagne comme s'il avait toujours été là. Des maisons sortaient de la falaise comme si elles avaient poussé dedans et d'autres semblaient au bord de la chute. Quelques pauvres arbres étaient là de part et d'autre du village, et une large fontaine au milieu de la place centrale était gelée. Makaela ne pouvait pas aller plus loin que les arbres qui entouraient le village de peur d'être repérée par son odeur, mais Jaidyn ne pouvait pas faire plus. Après tout, elle restait une elfe, et bien que les ogres ne soient pas fan du goût qu'ont ces créatures, elles restent un repas potentiel à l'odeur bien différente de celle des ogres.

- On va grimper là, dit Makaela en pointant l'arbre derrière lequel elles étaient cachées. Si quelqu'un arrive par derrière, il ne nous verra pas comme ça.

- Pas mal, l'humaine. Pas mal du tout.

Si Jaidyn ne la connaissait pas, elle aurait pu penser que Makaela venait d'esquisser un sourire.

Les deux jeunes femmes montèrent dans l'arbre, discrètement, et observèrent la place qui se remplissait doucement. Les gens semblaient attendre quelque chose... Ou quelqu'un.

- Tu arrives à voir quelque chose ? demanda Jaidyn.

- C'est plutôt moi qui devrais te poser la question. Il commence à faire sombre, je vois plus grand-chose, répondit Makaela en plissant les yeux.

- S'il commence à faire sombre, les Créatures de l'Ombre ne vont plus tarder... Pourquoi personne ne rentre ?

- Peut-être que les Créatures de l'Ombre vont accompagner quelqu'un pour leur parler... supposa la brune.

Comme si elle les avait invoquées, une bande de Créature de l'Ombre, toutes aussi effrayantes les unes que les autres, arriva. Au milieu d'elles, une femme se trouvait là, encerclée mais un sourire aux lèvres. Elle avait l'air si jeune, et pourtant, elle était si vieille. Elsbeth se tenait là, et ses 281 ans n'avaient jamais semblés si lointains. Elle avait l'apparence d'une femme de l'âge de Jaidyn et Makaela, et sa beauté était incroyable, si bien que Makaela perdit l'usage de la parole pendant un instant. Ses longs cheveux d'un noir corbeau se confondaient avec la nuit et ses yeux de ce même noir étaient d'une telle profondeur qu'on avait envie d'y plonger et de s'y noyer. D'y perdre pied. Son corps, élancé, était si magnifique qu'une pointe de jalousie sembla se montrer dans le cœur de la brunette. Elle aussi voulait être de cette beauté. Elle aussi voulait être magnifique comme ça. Elle aussi voulait être mince comme ça. Elle la jalousait d'être si parfaite. Makaela ne pouvait pas ressembler à ça. Elle avait déjà essayé de maigrir. Elle n'y arrivait pas.

- C'est elle... murmura Jaidyn, charmée par la vision de cette jeune femme sublime.

Elle monta sur la fontaine glacée et observa l'assemblée face à elle, toujours avec un grand sourire aux lèvres.

- Mes très chers amis ! s'écria-t-elle soudainement d'une voix grave que Makaela ne s'attendait pas à entendre. J'avais hâte de vous rencontrer !

Les Créatures de l'Ombre se mirent en position autour d'elle et formèrent une barrière entre les habitants et la sorcière. Elles semblaient à sa merci. A l'écoute de tous ses mots.

- Vous et moi, nous sommes semblables. Savez-vous pourquoi ? Car nous voulons notre revanche sur le roi Josef ! s'écria-t-elle. Ce roi qui nous a jeté ! Ce roi qui nous a renié ! Ce roi qui ne nous mérite pas ! Nous, les parias du pays, allons reconquérir nos terres ! Je vous le promets ! Et je promets à votre chef une place à mes côtés comme grand général une fois montée sur le trône ! Vous aurez votre importance, mes amis. Vous serez importants. Car vous l'êtes tous à mes yeux. Vous êtes tous importants.

Alors c'était ça, qu'elle promettait. De l'importance aux rejetés de la couronne. Les ogres, les trolls, les gnomes... Ils n'avaient pas leurs places au Conseil. Ils n'avaient pas leur mot à dire dans les décisions faites par la couronne. Et là, Elsbeth leur promettait tout ce qu'ils désiraient depuis des années. Ils vivaient sur ces terres depuis des années et avaient été forcés de se reclure dans les montagnes à cause des elfes qui dirigeaient Erna.

- Elle leur promet du pouvoir... murmura Makaela.

- Et ils ont l'air décidés à tomber dans le panneau.

Jaidyn avait raison. Les ogres discutèrent entre eux jusqu'au moment où l'un d'eux s'avança parmi tout le monde. Les Créatures de l'Ombre s'avancèrent elles aussi vers lui, comme pour le stopper, mais Elsbeth les arrêta d'un geste rapide. Elle descendit des escaliers qu'elle s'était crées pour se retrouver face à l'ogre qui s'était avancé.

- Nous voulons voir le futur que vous nous promettez.

- Une sorcière ne peut pas montrer ses visions, affirma-t-elle. Mais je peux essayer de vous l'illustrer.

D'un geste de la main, elle tourna sur elle-même et fit apparaître tout un nouvel univers. Le village s'était répandu bien plus loin, beaucoup plus d'ogres vivaient ici... Et ils avaient de bons repas. Makaela pouvait voir plusieurs réserves de chair humaine se préparer à la boucherie du coin. La scène changea pour montrer le Palais Eternel. La salle du trône était remplie de Créatures de l'Ombre et d'ogres, et cette vision d'horreur donna un haut-le-cœur à Makaela. Si les ogres arrivaient à prendre le pouvoir grâce à Elsbeth, elle pouvait dire adieu à sa vie.

- Votre allégeance contre le pouvoir et votre retour à la cour. Vous prospèrerez dans tout le pays. Je vous le promets.

Le chef des ogres se tourna vers eux, les jaugea du regard et hocha la tête avant de se retourner vers Elsbeth vers qui il tendit la main.

- Marché conclu.

Une élévation de joie se fit entendre de la part de tout le monde et Elsbeth serra la main de l'ogre avec engouement. Elle arrivait à mener son plan à exécution, et les prochains sur la liste seraient sûrement les gnomes à qui elle promettrait liberté et pouvoir.

- Retournons au campement, on en a assez entendu pour rédiger un rapport.

- T'as raison, Lane.

Alors, les deux jeunes femmes descendirent de l'arbre le plus discrètement possible et firent leur chemin jusqu'à leur campement. Arrivées à celui-ci, elles s'installèrent à la lumière d'une petite torche et sortirent une feuille de parchemin et une plume avec laquelle elles écrivirent rapidement ce qu'elles avaient pu voir en détails. Tout y passa. L'obéissance des Créatures de l'Ombre, le discours d'Elsbeth aux ogres, la vision, l'allégeance... Et elles décidèrent de rentrer dès l'aube le lendemain matin, ne jugeant pas utile d'aller voir ce qu'elle allait dire aux gnomes, le discours étant trop semblable pour qu'ils refusent.

Seulement, elles ne s'attendirent pas à la visite surprise d'une bande de Créatures de l'Ombre.

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