Chapitre 13.

                Les jours qui suivirent les événements du bal furent sombres pour le royaume d'Erna. Les Créatures de l'Ombre s'étaient attaqués à de nombreux innocents, les ogres avaient saccagés un bon nombre de villages, et les disparitions se firent plus nombreuses et inquiétantes. Quelquefois, il s'agissait d'enfants.

Jaidyn et Makaela s'étaient revues et s'étaient apaisées depuis ce soir-là. En effet, Jaidyn et ses cristaux de glace avaient en quelque sorte sauvée Makaela, et celle-ci se sentait redevable. Alors elle faisait de son mieux pour être agréable auprès de celle qui était autrefois son ennemie jurée. Ces derniers jours, elle cherchait une idée pour la protéger des coups de sa mère.

- Makaela ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

Alors qu'elle se trouvait devant la maison des Maneta, jusqu'alors déterminée, celle-ci sembla perdre le courage qui lui était venu pour faire le chemin jusqu'à la propriété.

- Je...

- Qui est-ce ? cria Tryphosa derrière Jaidyn qui lui répondit.

- Je voulais te proposer quelque chose, commença-t-elle. Tu m'as aidée face à Elsbeth, alors je veux t'aider face à ta mère.

- Quoi ?

- Viens vivre chez moi, demanda Makaela. Je sais que c'est ce qui te bloque. Tu n'as pas d'endroit où aller. Alors viens chez moi.

Bouche bée, Jaidyn ne sut pas quoi répondre. Elle jeta un regard derrière elle et se pinça les lèvres avant de soupirer.

- Je ne peux pas accepter, Makaela... Mon père...

- Comprendra. Sinon, c'est qu'il ne vaut pas mieux que ta mère, et je sais que c'est dur à entendre, mais c'est la vérité. Si je ne te proposais pas mon aide, alors je serais aussi mauvaise que ta mère. Accepte d'attraper la main que je te tends, je t'en supplie. Elle va finir par te tuer.

- Ce n'est pas si simple, tu sais ? Si je fuis maintenant, jamais je ne remettrai les pieds ici, et j'ai peur de ne jamais revoir mon père.

- Elle ne peut pas l'empêcher de te revoir.

- Si, justement. Tu n'imagines pas l'emprise qu'elle a sur lui. Elle... C'est comme si elle lui avait lancé un sort tant il est prêt à tout pour elle. Si elle lui demande de ne plus jamais m'adresser la parole, il le fera. Si elle lui demande de ne plus jamais me voir, il le fera. Je sais que c'est impossible de se poser des sorts entre elfes, mais c'est l'impression qu'ils donnent. Tu n'as jamais remarqué qu'il avait parfois l'air ailleurs quand il posait les yeux sur elle ? Comme s'il était sous un sortilège d'amour.

- Ou un philtre... Les elfes peuvent se donner des philtres entre eux.

Le regard de Jaidyn s'illumina d'une lueur encore inconnue aux yeux de Makaela. Soudain, elle se retourna et marcha avec détermination à l'intérieur. Comprenant que les choses allaient dégénérer rapidement, Makaela la suivit en l'appelant.

- Jaidyn, non !

- Mère ! criait-elle.

Elles se retrouvèrent face à Tryphosa en quelques secondes et la première chose qui fit Jaidyn fut de la pousser avec force.

- Non mais qu'est-ce qui te prends ?

- Depuis combien de temps tu lui donnes du philtre d'amour, hein ?

Le visage de Tryphosa devint blême. Elles avaient percé à jour la vérité et elle ne pouvait plus le cacher.

- Quoi ?

- Depuis combien de temps donnes-tu du philtre d'amour à mon père ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles. Arrête de me parler sur ce ton alors que tu as une invité.

- Je sais que vous frappez votre fille, annonça Makaela. Je sais que vous êtes une horrible personne et que vous ne pensez qu'à vos petites apparences. Je sais que vous vous fichez bien de votre fille et c'est moi qui ai compris que vous donniez régulièrement un philtre d'amour à votre mari. Vous êtes une horrible femme.

Le visage si doux de Tryphosa se métamorphosa alors en une grimace affreuse. La belle femme rousse qu'elle était ressemblait plus à une sorcière qu'autre chose.

- Laissez mon mari et moi en paix. Il m'aime.

- Parce que tu le forces à t'aimer ! Mais rien n'est vrai ! Dis-moi, il était sous philtre d'amour quand vous m'avez conçue ? Quand je suis née ? A chaque étape de ma vie ?

- Non !

- Ne me mens pas ! hurla soudainement Jaidyn. Ne me mens pas, je sais que tu mens ! Pour une fois dans ta vie sois honnête avec moi !

Makaela ne reconnaissait pas cette famille qui venait pourtant si souvent dîner chez elle. Cette famille qui avait l'air si unie était pourtant si brisée. Elle ne l'avait jamais vu dans un tel état.

- Je me tire d'ici. C'est trop. Makaela, je vais chercher mes affaires, je reviens.

- Ne me tourne pas le dos ! hurla Tryphosa.

Pour toute réponse, Jaidyn ne se retourna pas et leva le majeur vers elle.

- Toi...

Alors qu'elles se retrouvaient seules, Makaela vit le regard noir de Tryphosa se poser sur elle. Elle semblait avoir la rage. On aurait dit un véritable animal tant elle semblait sauvage. Ses airs de grande dame avaient tous disparu pour laisser place à une femme méconnaissable aux yeux de la jeune humaine. Elle ne comprenait pas comment quelqu'un comme Tryphosa pouvait exister.

- Tu es en train de bousiller ma vie...

- Vous la bousillez toute seule par vos actions. N'essayez pas de me rejeter la faute, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous.

Elle laissa échapper un râle de frustration et s'avança d'un pas pour s'en prendre à Makaela. Les mains en guise de protection, celle-ci ne vit pas que le poing levé de Tryphosa resta dans les airs, attaché aux branches qui venaient de sortir du sol du salon. Jaidyn était arrivée juste à temps.

- Si tu t'en prends à elle... Si tu touches à un seul de ses cheveux... Je te tue, menaça Jaidyn. Je me suis bien faite comprendre ?

Mais elle n'attendit pas de réponse pour attraper le poignet de sa nouvelle amie et fuir de son chez-elle anxiogène. Elle prépara un cheval et monta dessus avec ses affaires avant de suivre Makaela. Après plusieurs mètres parcourus en silence, c'est Jaidyn qui le brisa.

- Merci... articula-t-elle. T'es pas aussi bête que ce que j'ai pu pensé jusqu'à présent et... Je m'excuse.

Prise au dépourvu Makaela répondit.

- C'est normal... T'étais en danger. Je m'en serais voulu s'il t'était arrivé quelque chose.

- Ah oui ? Tu t'en serais voulu ?

- Ne crois pas que je t'apprécie pour autant. T'as fait de ma vie un enfer pendant dix-huit ans. C'est pas un truc que j'oublierai de sitôt. Disons juste que maintenant, toi et moi, on est quittes. Tu m'as sauvée d'Elsbeth, et moi, je te sauve de ta mère. C'est clair ?

- Du calme, l'humaine, j'allais pas jusqu'à me dire qu'on était potes pour autant, crois-moi. Je te remercie juste d'en avoir fait plus pour moi que mes propres amis.

- J'espère que tu pourras voir ton père, dit Makaela afin de pouvoir changer de sujet.

- Je sais même pas si je le connais vraiment, cet homme. Si c'est vraiment mon père. Si ses actions étaient des actions faites parce qu'il m'aimait ou parce qu'il était sous philtre.

- Le philtre ne fait pas tout, la rassura Mak. Ses sentiments pour toi sont réels. Ce n'est pas quelque chose de fabriqué par une potion. Les sentiments pour son enfant, c'est plus fort que ça. Même si cet enfant a été crée sous la contrainte d'un philtre.

- Tu as sûrement raison. Dans tous les cas, ma mère ne le laissera jamais me revoir autre part qu'au Palais. Là où elle n'aura pas d'influence sur ses actions.

- Les mères... soupira l'humaine.

Jaidyn pouffa de rire.

- Au moins, la tienne ne te frappe pas.

Elle haussa les épaules.

- Ca ne veut pas dire que je ne souffre pas pour autant. Avoir une mère qui te rabaisse constamment, c'est épuisant. J'ai la pire des images de moi-même à cause d'elle, je me rabaisse constamment à cause d'elle... Le soir du bal où je portais la robe bleue, je me suis trouvée belle approximativement dix minutes avant qu'elle ne me rabaisse assez pour que je haïsse ce à quoi je ressemblais. Chaque jour, j'ai le droit à mon quota d'insultes et de « tu es inutile ». Je suis la déception familiale et ça fait putain de mal, mais on finit par s'habituer. La souffrance et la peur deviennent un peu tes colocataires. Et puis aux entraînements, je crains toujours qu'elle finisse par me tuer. Dans un coup de sang.

Cette révélation laissa Jaidyn sans voix. Si bien que Makaela commença à regretter lui avoir raconter tout ça.

- Si tu le racontes à qui que ce soit, je t'égorge, la menaça-t-elle.

- Je trouves que tu es très jolie, Makaela.

- Fous-toi de moi, vas-y.

Alors, elle se mit à rire. Si seulement Makaela savait qu'elle avait été sincère pour la première fois de sa vie avec elle.

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