Attila Khan, fille de Dieu
J'ai connu une certaine Attila Khan de la tribu des Khalkhas...
Une perfection intolérable qui remplissait l'existence d'idéal, et dont les yeux exhalaient le désir de la grandeur, de la beauté, de la souffrance, de la violence et de tout ce qui fait croire à l'immortalité de l'Amour...
Mais cette fille miraculeuse était trop belle pour vivre longtemps ; aussi est-elle morte quelques siècles seulement après que j'eus fait sa connaissance, et c'est moi-même qui l'ai enterrée, un jour que l'hiver agitait son semoir de larmes froides et de mélancolie jusque dans les cimetières. C'est moi qui l'ai enterrée, bien abritée dans un sarcophage d'un bois de santal pourpre, comme les coffres de Mongolie parfumés et laqués de rouge à la patine inaltérable.
Et comme mon regard restait fiché sur ce lieu perdu de ma mémoire où était enfoui ce trésor de jade, je vis subitement au loin un mythique mirage de Gobi qui ressemblait singulièrement à ma défunte. Une silhouette légère et envoûtante qui glissait sans bruit sur des éclats d'eau bleue : C'est ainsi qu'elle enjambait la mort, prête à renaître et à recommencer... à franchir les étapes d'un passé riche et glorieux, farouche et noble.
Le soleil écrasait le monde de sa lumière droite et terrible ; le sable éblouissait et la mer imaginaire miroitait. La vie médusée se relâchait lâchement et se délectait d'une sieste en une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, jouissait des voluptés de son épuisement.
Cependant, Attila Khan forte et fière comme l'astre solaire, s'avançait sur la plage déserte, seule vivante à cette heure sous l'immense azur pâle où des nuages d'or flottaient comme des continents en voyage, reproduisant sous la lumière une tache d'encre noire.
Elle s'avançait, balançant mollement son torse harmonieux sur ses hanches lianes. Sa robe de soie collante, translucide d'un ton fuchsia, tranchait vivement sur les ténèbres de sa peau et moulait exactement sa taille fine, son dos creux et sa gorge tendue.
Son aura de déesse des steppes mongoles pareille à une ombrelle rouge, tamisait la lumière et projetait sur son visage cuivré le fard sanglant de ses reflets.
Le poids de sa longue chevelure nocturne lisse et presque bleue, tirait en arrière sa tête délicate et lui donnait un air triomphant et paresseux. De lourds pendentifs vibraient secrètement de mille feux à ses mignonnes oreilles.
De temps en temps la brise de mer soulevait par le côté sa jupe flottante et montrait sa jambe luisante et superbe ; et son pied, pareil aux pieds des divinités sculptées dans le marbre blanc que l'Asie enferme dans ses temples de Kharkhorin, imprimait fidèlement sa forme sur le sable fin.
Pendant que les vagues, qui battaient la plage à quelques pas de là, faisaient à ses rêveries incertaines un infatigable et assourdissant cortège, la divinité Khalkhas s'éloignait de mon imagination...
Peut-être a-t-elle rendez-vous avec quelque jeune guerrier qui sur un champ de bataille lointain, s'endort doucement la bouche ouverte une entaille rouge sur la gorge ?
Infailliblement elle le priera alors, la mystérieuse créature, de lui décrire le Bal des Immortels, et lui demandera s'ils pourront y aller ensemble pieds nus, danser comme au Biyelgee où les âmes des femmes nomades elles-mêmes deviennent ivres et furieuses de joie ; et puis encore si les belles dames de Khovd et d'Uvs seront toutes plus belles qu'elle...
Depuis un beau jardin du Ciel-Père où les rayons des trois soleils combattront les nuits automnales et sembleront s'attarder à plaisir sur un lit nuageux déjà verdâtre, il lui répondra qu'il aura plaisir à l'y conduire, mais pas encore...
Non pas encore... car il souhaitera survoler une ultime fois sa Terre-Mère, sa verte vallée de l'Orkhon, celle de son enfance, avant de s'enfoncer dans la région reculée de Naiman Nuur... Puis avancer irrémédiablement vers le sud, toujours, des roches roses à la vallée luxuriante de Yol. Franchir ces vastes étendues qui offrent une palette de décors parmi les plus riches et les plus beaux du monde. Se perdre une dernière fois sur l'ensemble de ces compositions géologiques qui relient les cailloux aux ergs, les massifs de montagnes surplombantes aux plateaux sédimentaires brûlés par le soleil, les grandes plaines lumineuses aux canyons les plus encaissés, les petites oasis aux campements nomades établis au milieu de nulle part... et continuer là où la piste s'efface pour laisser place à un endroit de légende : le désert de Gobi, aride majesté de ces paysages lunaires, de ces formations rocheuses vertigineuses, du canyon glacé et de ces dunes de sable chantantes et interminables, pour terminer son envol sur le plus haut massif dunaire de Mongolie, Khongorin Els, territoire des onagres et des ânes nains.
Au programme de son ultime chevauchée Mongole...
« Je te salue, ô Köke Möngke Tangri ! Libérateur céleste. Éternel Ciel bleu. Tu ne te présentes point sous cet aspect sinistre que t'a prêté longtemps la frayeur ou la peur. Ton bras n'est point armé d'un sabre ravageur mais d'un flambeau divin. Que mes yeux fatigués se refusent à la lumière, et tu sauras d'un jour plus pur inonder mes paupières. Viens donc, viens libérer mon âme, viens, prête-moi tes ailes que je m'élance enfin ! Je meurs et je ne sais pas ce que c'est que de naître ! Ouvre-moi à ton grand secret, vois mourir celui qui t'aime... Car, tel est l'ordre des choses : au Ciel il n'y a qu'un seul Dieu éternel et il n'y a qu'un seul maître sur terre, Attila Khan, mère de Gengis et fille de Dieu ! »
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