L'Antiquaire
Il était une fois, dans une rue aux pavés froid, gris et usés, un vieux bâtiment. C'était la boutique de l'antiquaire. Il entreposait là ce que beaucoup considéraient comme des vieilleries. Mais pour lui, c'était bien plus, c'était toute sa vie. Littéralement, toute sa longue et trépidante vie ! Autrefois, c'était un explorateur de renom : Michel Dupuis ! Ça ne vous dit rien ? Êtes-vous seulement un tant soit peu cultivé ?
Durant une froide nuit d'hiver, alors qu'il se tenait au comptoir de sa boutique, L'antiquaire prit sa pipe, y inséra des plantes, l'alluma et fit quelques ronds de fumée. Il était grand et imposant, approchant les deux mètres de haut. Vêtu de sa tunique brodée d'or, il avait l'allure d'un noble. Malgré son âge facilement devinable, au vu des nombreuse rides qui arpentaient son visage, il se tenait droit. Il semblait fort et inébranlable. Tout le village le connaissait, l'aimait et l'admirait, non seulement pour ses nombreux voyages, mais aussi pour l'aide qu'il leur apportait.
Force, sagesse et gentillesse, étaient les termes parfaits pour le décrire.
L'antiquaire, se promena dans sa boutique, s'arrêtant ci et là, pour observer les reliques qu'il avait rapporté de ses expéditions.
Nostalgique, il admira deux armures en parfaites états - qui habillaient des mannequins de bois - un grand sarcophage doré égyptien, quelques vases grecs sur lesquels étaient dessinés les aventures de héros mythologique et deux masques africains - l'un souriait, l'autre semblait triste. Voilà tout ce qu'il lui restait de sa vie passée, le reste avait été vendu.
Il s'approcha, en fumant sa pipe, du dernier article qui avait rejoint la collection de ses souvenirs. C'était une grande armoire en bois. Elle n'avait rien de spécial. C'était une armoire comme on en trouvait tant d'autres en ce temps-là. Il l'avait acheté avec amertume, elle symbolisait la fin de ses aventures. C'était le seul objet qui n'avait aucune valeur sentimentale à ses yeux. Du comptoir aux bougies, en passant par son lit, tous venaient de différents pays, ramenés de dangereuses expéditions.
Il ouvrit l'armoire et contempla six joyaux de différentes tailles et couleurs : rouge, vert, bleu, jaune, violet et rose. Il les gardait en cas de coup dur. L'antiquaire, avait dû en vendre un, pour encaisser la mort de sa femme. Il s'était retrouvé seul. Lui qui avait passé sa vie à voyager, n'avait aucune descendance. Mais il ne lui en voulait aucunement. Elle avait été l'amour de sa vie, pourtant, aussi stupide qu'il était, il l'avait délaissé pour ses aventures ; alors, il s'efforçait de croire que c'était le juste retour des choses.
Un étrange éclat résonna sur le mur droit de sa boutique, puis à gauche. L'antiquaire n'eut besoin que de quelques secondes pour reconnaitre ce son si familier. C'étaient des vagues !
L'Antiquaire se précipita vers une fenêtre, au fond de la salle. Le sol tanguait sous ses pieds. La boutique oscillait ! Il crut devenir fou. Comment était-ce possible ? Il était sur la terre ferme ! Pourtant, derrière la vitre, il vit la mer, à perte de vue. D'immenses vagues éclairées par la lueur de la lune se déchaînaient sous ses yeux ébahis. Un sourire illumina son visage. Ces sons, ces sensations, ce danger permanent. Il les avait tant ressentis.
Ça lui avait manqué.
À côté de lui, l'armoire se mit à trembler. Interloqué, L'antiquaire s'en approcha. Il l'ouvrit et s'aperçut avec effroi que ses six joyaux avaient disparu. Dans une vivacité insoupçonnée pour son âge, il bondit en arrière, pivota à la recherche du voleur. Mais sans surprise, dans une soirée aussi fraiche et – surtout – perdu au milieu de la mer, il était seul.
Alors que L'antiquaire se résignait à aller s'allonger, pestant contre la puissance des feuilles qu'il avait tassé dans sa pipe, une musique s'éleva. Elle était joyeuse mais nostalgique, douce mais puissante. Il n'avait jamais entendu une aussi belle partition.
Dans un sursaut, il se retourna et eu un haut-le-cœur en voyant tous ses articles danser devant lui. Ses armures lévitaient, assemblées, en un tout humanoïde ; les masques s'étaient posés sur chacune d'entre elles. Les vases étaient au sol, intacts, ils roulaient au rythme de la mélodie. Le sarcophage était descellé, une momie embaumée en était sortie, elle portait des bijoux au cou, aux bras et aux chevilles. Rassuré, L'antiquaire expira bruyamment en retrouvant ses pierres précieuses, liées comme collier. Les quelques bougies qui éclairaient faiblement la pièce dans une lueur orangée, donnaient une aura mystique à la scène.
L'antiquaire souriait.
Il avait entrepris tous ses voyages dans l'espoir de trouver quelque chose de magique. Il était persuadé que ça aurait soigné les maux du monde. Éveiller l'imagination, faire revivre l'âme d'enfant de chacun. C'était la solution qu'il avait trouvée pour tout arranger. Mais aucune de ses découvertes n'avait étaient à la hauteur de ses ambitions.
Pourtant, cette nuit-là, sa boutique s'était retrouvée sur la mer, alors que quelques secondes auparavant, elle trônait dans une rue pavée. Et maintenant, voilà qu'une musique parfaitement orchestrée animait ses souvenirs.
Il avait réussi.
Mais qui le croirait ? Personne. Il ne se leurrait pas.
Une intense fatigue le saisi. Alors, il déposa sa pipe sur son comptoir, s'assit difficilement contre une poutre de bois grinçante et il regarda ses articles lui jouer un drôle de spectacle.
Il s'avait ce qui l'attendait. Ses souvenirs, sa vie, défilés sous ses yeux. Littéralement.
Bientôt, il clôt ses paupières et sourit. Ce furent ses derniers mouvements.
Il était désormais parti pour un nouveau voyage. Un voyage sans retour.
Petit à petit, la boutique cessa de tanguer. Les bougies s'éteignirent d'un souffle commun. Les objets reprirent leur place pour ne plus jamais la quitter. La pipe, quant à elle, resta allumée dégageant une fine volute de fumée.
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