Juste un rêve

Comme tous les soirs depuis quelques mois, Thomas avait relu les songes répertoriés dans son carnet. Il voulait devenir un rêveur conscient, voyageur de sa propre âme, comme il aimait à le penser. Le garçon ne désirait pas vivre des aventures, faire et voir de la magie. Il avait troqué sa naïveté pour des rêves plus adultes. Il voulait grandir. Sûrement trop vite. Il n'avait que treize ans.

Rêve 3 : J'ai couru nu, sur une colline de fleurs multicolores. lisait Thomas avec une grimace. Rêve 10 : apéro qui vire au cauchemar à cause d'un ver de terre géant qui attaque et mange Élise. Rêve 15 : dans le désert, entre les grains de sable, j'ai vu une étoile et un renard.

Il referma son calepin, s'assit sur sa chaise et malaxa son front entre ses doigts. Bientôt, il ne rêverait plus de ces fantaisies enfantines. Il utiliserait le temps de ses songes pour réfléchir, pour en apprendre plus sur lui-même, connaître ses faiblesses et ses limites. Thomas ouvrit son ordinateur portable, cliqua sur son navigateur, relit les quelques conseils donnés par un blog. Il les mémorisa. Plus bas, des commentaires se plaignaient de l'inefficacité de la marche à suivre. « Ça fait depuis une semaine que j'essaye, c'est de la merde ton truc ! ». Thomas sourit. Il savait. La patience était le maître-mot, le cerveau devait être conditionné pour laisser les manettes à son hôte, il lui fallait du temps. Lui essayait depuis trois mois.

Il referma l'écran de son ordinateur, plongeant la pièce dans une obscurité totale.

Clap.

Il n'avait pas lu le commentaire qui suivait, apparut quelques minutes plus tôt. Erreur fatale. Ce dernier l'avertissait : « Je suis maître de conférences et chercheur psychique. Surtout ne suivez pas ces indications, avec cette manière de procéder, si vous faites un mauvais rêve, vous risquez de... » la suite avait été coupé par l'écran.

Thomas s'approcha de sa fenêtre et ouvrit le rideau. Il n'aimait pas dormir dans le noir. Il sourit à la lune et plongea sous sa couette, veillé par la douce lumière de l'astre argenté, témoin de ses rêveries. Il se tortilla, trouva une position confortable et ferma les yeux. Le sommeil ne tarda pas à l'accueillir.

Un bruit sourd retentit. Thomas ouvrit lentement les yeux et s'assit sur le bord de son lit. L'éclat s'abattit de nouveau, cette fois, il fut accompagné d'une secousse. Son mur tremblait. Le garçon se leva d'un bond, fit un pas en arrière. Il compta ses doigts et rit. Six ! Ce n'était qu'un rêve et il en avait conscience.

Un nouvel impact. Cette fois, le mur s'effrita, laissant apparaître un trou béant. Plein d'assurance, Thomas s'avança et passa sa tête dans ce dernier. Dehors, tout était noir, littéralement noir. La lune et les étoiles avaient disparu, la route et les maisons adjacentes aussi. Soudainement, une étrange cacophonie, mêlant toutes sortes d'instruments se mit en branle. Il était impossible de déterminer d'où provenait cette mélodie chaotique. Thomas voulut reculer, mais quelque chose lui saisit le mollet. Il baissa les yeux, eût l'impression que son cœur sortait de sa poitrine. Un bras tailladé et blafard, sortant de sous son lit, l'agrippait. La prise se resserrait autour de sa jambe à lui en couper la circulation sanguine. Il avait beau se débattre de toutes ses forces, la main ne lâchait pas. Et comme si ce n'était pas assez, à côté de son pied, d'autre doigts, identiques à ceux qui le tenaient, se mirent à gigoter au rythme de la musique. Thomas ouvrit la bouche pour hurler, mais l'orchestre se fit si bruyant que son cri en fût couvert. Pris de panique, le garçon n'entrevit qu'une solution. Il piétina aussi fort que possible la main de son agresseur. Une nouvelle fois, l'orchestre gagna quelques décibels, signe que l'être-sous-le-lit venait d'hurler, de souffrance ou de haine.

Libéré, Thomas se précipita vers la porte. Il tomba en se prenant les pieds dans quelques vêtements jetés au sol. Son regard plongea dans deux énormes gouffres blancs : les yeux de la créature cachée sous le lit ! Il se releva vivement, faisant abstraction de la douleur qui lui saisissait le coude. En quelques pas, sa main tremblante attrapa la poignée. Il l'inclina. Rien ne se passa, pas le moindre déclic. Il était bloqué.

Calme-toi. pensait-il en s'efforçant de respirer lentement, une action rendu quasiment impossible à cause de la vitesse de la musique. Il compta une nouvelle fois ses doigts. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, dou... Il s'arrêta net. Une silhouette était passée devant lui avant de plonger dans le mystérieux trou, donnant sur l'obscurité infinie. La cacophonie fit silence, le monde se paralysa. Sans qu'il ne le sache, cette fuite venait de le condamner.

Thomas se baissa. Il fut rassuré de ne plus distinguer les énormes et ignobles yeux blancs. Aussi subitement qu'il avait commencé, l'orchestre reprit. Cette fois, il était ordonné, calme et apaisant. En l'espace de quelques notes, il se transforma en un hymne joyeux et dansant. Invité par ce changement, une lumière orangée, d'une source inconnue, vint éclairer la pièce. Les muscles de Thomas se détendirent.

Bientôt, la chambre fut le théâtre d'un mystérieux phénomène. Par le trou béant, une foule de personnes extravagantes, entra et dansa autour du garçon. Malgré les apparences curieuses des visiteurs : visage bien trop creusé ou grassouillet, corps disproportionné ; Thomas était au cœur d'un véritable tableau de joie. Même la lumière devenue mouvante, semblait se balancer au rythme de la musique là où elle se posait. Le garçon, lui, restait immobile, stupéfait par ce si soudain changement d'atmosphère.

Une femme anormalement rondelette, au visage en forme de gousse d'ail, entra. Elle tira son chapeau melon pour saluer son hôte, dans une cambrure ridicule, avec un sourire jusqu'aux oreilles – littéralement, jusqu'aux oreilles. Les yeux de Thomas s'arrondirent face à cette caricature vivante, sa bouche tremblait. Il voulait rire, se moquer. Mais il se battait pour s'en empêcher. Il devait résister. Il savait que même si autour de lui tout le monde était empli de joie, à cet instant, il ne devait pas rire. Son instinct de survie le lui criait, le lui hurlait si fort que ses oreilles en bourdonnaient. En face, la femme ne lui rendait pas la tâche facile. Lentement, elle tirait une grimace. Ne surtout pas rire. Sa bouche ne tenait plus, ses muscles faciaux étaient tendus. Ne - surtout - pas - rire. Et pourtant...

Il ria à gorge déployée.

Le temps sembla s'interrompre. La musique se tut. La lumière s'éteignit, comme soufflé. Tous les visages, devenu sérieux se tournèrent dans un craquement d'os commun. Thomas était encerclé. La grimace de la femme au chapeau melon disparut, ses traits se resserrèrent, synonyme d'une colère plus loufoque qu'effrayante. Sans un mot, elle baissa le pouce.

Thomas comprit. Il tenta de se pincer pour sortir de cette rêverie infernale, mais un des étranges personnages lui saisit les bras. Rapidement immobilisé, il hurlât, pleura, se débattit. Il fut ignoré. La femme rondelette passa par le trou d'où elle était venue, la troupe à sa suite. Le rêveur, malgré ses supplications et ses efforts, fut emmené.

Bientôt, tous quittèrent cette pièce, dans le monde des rêves, comme dans le nôtre. 

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