Brûle !

« Une maison... une maison. Une maison, c'est normalement un havre de paix, le sanctuaire de son bonheur. On désire la regagner après une dure et longue journée de travail. Elle baigne dans un silence reposant ou dans les cris de joie de ceux qui partagent nos vies, nos êtres aimés.

Une maison... Autrefois, j'en avais une. C'était le bonheur.

Une maison... Cette maison ? Misère ! Ce n'est pas ma maison ! Oui, je l'ai acheté, je m'y suis installé. Maintenant, assis sur le trottoir d'en face, je la regarde brûler. Je n'en ressens pas la moindre tristesse. Une bûche tombe, fragilisée par les incessants lèchements ardents. Une joie immense, jouissive mais étrange me consume. Cette maison, je la déteste ! Qu'elle soit dévorée ! »

-Monsieur ? Monsieur ? Monsieur Maillard !

Une femme frappa à la vitre de la voiture. L'homme qui somnolait à l'intérieur se redressa lentement. Il s'étira.

-Vous parliez dans votre sommeil, tout va bien ?

Il ouvrit sa fenêtre, la descente se fit lente et grinçante. Il en profita pour tenter de se rappeler. Qu'avait-il soufflé dans son sommeil ? Cette maison qui brûle, lui, en face sur le trottoir. Ce rêve était si merveilleux !

-Pas le moindre problème ! fit-il finalement dans un grand sourire.

Dubitative, mais ne souhaitant pas s'immiscer dans la vie privée des autres – du moins pas publiquement – sa voisine regagna le perron de sa maison. Cette femme, il la détestait et n'était pas le seul. Elle pouvait passer des après-midis entières à sa fenêtre, ses jumelles face aux yeux et de quoi grignoter à côté. Son espionnage fait, elle allait au supermarché local, raconter des tas de conneries sur un peu près tous les gens du coin. Elle n'avait que trente ans mais se comportait déjà comme une vieille sénile. Maillard referma sa vitre, la matinée était fraiche. Il se laissa glisser sur son siège, tentant de revisualiser son rêve. Les flammes avait-elle léché le havre de paix de sa voisine ? Sûrement ! Leurs toits étaient si proches... Guidée par la danse du brasier qu'il imaginait, ses yeux se figèrent sur la maison face à lui. Le garage était grand ouvert, mais il n'y rentrerait pas sa voiture. La nourrir ? Ça jamais ! Il la dévisagea. Horrible, mais pourtant si magnifique... Ses deux grandes fenêtres, parfaitement symétrique par apport à la porte en bois. Splendide visage sans expression !

-Connerie de maison ! jura Maillard.

Il se retourna et jeta un coup d'œil au dernier carton qu'il n'avait pas encore rentré. Il avait déménagé depuis un mois, après que sa femme l'ait quitté. Cinq ans de mariage partie en fumée. En fumée... Il se surprit à sourire. Dans le rétroviseur, son visage prenait les traits d'un cadavre, des cernes monstrueux se dessinaient sous ses yeux, un teint d'une blancheur inquiétante, des cheveux en bataille délaissés depuis trop longtemps. Il détourna le regard, dérangé par cette vision d'horreur.

-Foutue maison ! cracha-t-il encore.

Il n'y avait dormi qu'une seule nuit, le premier soir. Depuis, il n'y avait plus mis un pied.

-Tu me cherches ? C'est ça ?

Un silence – logique – pour seule réponse.

-Tu vas me trouver saloperie !

Impulsivement, il sortit de sa voiture, claqua la porte. Ses jambes se dérobèrent sous son poids, sa tête tournait. Il dut se tenir au rétroviseur pour ne pas s'effondrer. Sa précieuse voiture... seule compagne dans cette lutte sans merci. Il en fit le tour, prit un bidon d'essence dans son coffre vidé par son déménagement récent. Une épaisse haie couvrait l'allée principale de la vue de la voisine, peu importaient de toute façon. Il avança d'un pas assuré, forcené, revigoré par la vengeance.

-Tu m'as tout pris... souffla-t-il d'une voix brisée par un sanglot. Tu m'as enlevé mon Timothy...

La porte s'ouvrit sur un couloir fait de planches, à l'autre bout, s'étendait un salon totalement vide. Le faisceau d'un rayon de soleil éclairait largement la pièce. Pas le moindre meuble, pas même un lit dans la chambre. Rien, juste un plancher et des murs étonnement propres. Enragé par la vision de l'estomac de ce monstre, Maillard vida son bidon d'essence, sortit un briquet et enflamma ses malheurs. Son rêve prit forme. Avant qu'il ne soit lui aussi consumé, il sortit, éloigna son inestimable voiture et alla sur le trottoir d'en face. Bientôt, il entendit les cris d'agonie de la maison, les poutres grincer, le bois crépiter, le toit s'effondrer. Lui, ressentait une profonde jouissance à la vue des langues incandescentes. Les flammes ne s'étendaient pas jusqu'au toit voisin. Dommage. pensa-t-il simplement.

À l'intérieur, une épaisse fumée occupait les pièces, l'étage commençait à s'effondrer, alors que les flammes finissaient de se nourrir du plancher et commençaient l'ascension du papier peins. C'est alors qu'un étrange soubresaut agita l'un des murs. Un carton en sortit latéralement. Il fut ravalé aussitôt. Dans ce brusque mouvement, un portrait était tombé, la photo d'un enfant souriant. Les flammes n'eurent pas la moindre pitié pour lui, elles le dévorèrent !

Quand les pompiers arrivaient, la maison s'était déjà effondrée. Mr. Maillard était toujours assis sur le trottoir, un sourire sur les lèvres, reput de ce magnifique spectacle. La voisine, s'agitait dans tous les sens, hurlant qu'elle avait vu le fou qui avait fait ça. Qu'il se trouvait là, sous leurs yeux, un air satisfait sur le visage. L'accusé ne se défendit pas, il se contenta de la regarder et de ricaner.

*

-Vous avez entendu parler de ce Monsieur Maillard ? demanda la caissière entre deux scannages d'articles.

La voisine pouffa.

-Pour sûr ! C'était mon voisin. Un pauvre homme... Il a perdu son fils l'année dernière et son ex-femme l'a quitté juste après... Et maintenant le voilà en route pour l'hôpital psychiatrique. (elle inspira bruyamment) Je lui avais bien dit de ne pas habiter là. Je le dis à chaque fois, mais on ne m'écoute jamais ! Voilà le résultat. Cette maison n'est pas normale que j'vous dis ! Elle dévore ce qu'on y met. Les précédents occupants qui l'ont construite, quelques années avant que je ne vienne emménager ici, ont disparu...

-Oui, je me souviens de cette histoire. Elle a fait la une des journaux. Une famille qui disparaît on ne sait où, sans que personne ne les voit sortir de chez eux. Flippant !

Un frisson secoua la voisine. Son toit était si proche de cette dévoreuse. Elle leva les épaules jusqu'à ses oreilles.

-Enfin, maintenant qu'elle est partie en fumée, le problème ne se pose plus. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top