Chapitre 16

Le masque de Drago tomba un instant et un silence abasourdi suivit la déclaration d'Amanda Davos. Mathias ne pouvait être mort. C'était impossible puisqu'il était là, à errer dans Londres et tuer de pauvres victimes.

- Il…Il est mort ? Demandai-je finalement d'une voix rendue rauque par le choc.

La femme me dévisagea un court instant le visage toujours impassible. Elle détourna finalement le regard.

- Mort et enterré. Ca fait trois ans maintenant.

Je sentis Malefoy s'avancer sur sa chaise.

- Etes-vous sure ? Parce qu'il…

- Sure et certaine, le coupa t-elle durement. Il a été tué devant mes yeux, à son propre mariage.

Je faillis m'étouffer. Qu'est-ce que tout cela signifiait ? C'était impossible, incohérent, défiant toute magie jamais utilisée jusqu'alors. A côté de moi, le visage de Drago se ferma et il redevint l'être froid et ennuyé qu'il avait toujours été.

- Racontez-nous, lui ordonna t-il d'un ton calme.

Mrs Davos se redressa de toute sa hauteur et l'examina longuement d'un regard glacé.

- Il n'y a rien à raconter, jeune homme. Mon fils s'est fait tué par sa maîtresse le jour de son mariage et sa femme veuve s'est suicidée peu de temps après. Je vous prierai désormais de quitter cette maison et de ne plus venir m'importuner.

Nous nous levâmes, les muscles engourdis et la tête retournée. Alors que nous traversions le couloir menant à la porte d'entrée, une photo accrochée au mur m'interpela. Elle représentait deux jeunes hommes, visiblement heureux et taquins. Je me retournai vers la vieille dame et osai lui demander :

- Excusez-moi mais…Qui sont ces deux hommes ?

Elle me toisa un court instant et grommela finalement :

- Mon fils et son meilleur ami, Matthew Duncan.

Nous n'eûmes pas le temps de la saluer que la porte s'était déjà refermée sur son vieux corps courbé. Le silence autour de nous hurlait notre incompréhension. Tous les deux étions venus voir la mère de Mathias Davos dans le but de trouver quelques réponses à nos multiples questions et nous étions repartis avec encore plus d'interrogations. Encore plus de mystères. Je ne laisserais cependant pas tomber. Drago ne mourrait pas. Harry non plus. Moi non plus. Psycho-Matt, où qu'il soit, qui qu'il soit, ne ferait plus couler de sang. J'y veillerais personnellement. Et puis ce Matthew Duncan me disait vaguement quelque chose. Serait-il possible que…Non. C'était bien trop tordu, bien trop…

- Allons au ministère.

Sans laisser le temps à Drago d'assimiler ce que je venais de dire, j'emprisonnais sa main dans la mienne et transplanai juste devant l'imposant bâtiment du gouvernement sorcier. Au pas de course, je me dirigeai vers le bureau d'Harry, Malefoy sur mes talons. Je le trouvai étrangement silencieux et docile mais je soupçonnais son cerveau de tourner à plein régime. Sans doute trop perdu dans ses pensées, il ne prêtait aucune attention à l'endroit où je l'emmenais. Je poussai peut-être un peu trop fort la porte du bureau de mon ami qui vint s'écraser contre le mur. Harry était là. Assis à son bureau, une montagne de parchemin devant les yeux. Il releva lentement la tête et ôta les lunettes qui logeaient sagement sur son visage. Il se frotta légèrement l'arrête du nez et rechaussa ses lunettes.

- Hermione. Malefoy. Vous serez charmant d'éviter de casser ma porte.

Je sentis le rouge me monter aux joues mais ne m'en préoccupai pas et allai m'assoir avec une détermination non feinte sur la chaise face au bureau d'Harry. Drago resta en retrait, debout, les bras croisés. Sans doute attendait-il, tout comme Harry, que je m'explique. Je pris une profonde inspiration et ordonnai :

- Je veux voir une photo de Psycho-Matt.

L'élu se redressa sur sa chaise, soupçonneux et je sentis Drago se rapprocher dans mon dos.

- Pourquoi ? Demanda le survivant, méfiant.

- Pourquoi pas ? Répliquai-je agacée.

D'un geste impérial, je tendis ma main devant lui.

- Allez, montre, le pressai-je.

Avec un soupir, il farfouilla quelques secondes dans son nuage de papier et en ressortit une photo sorcière. Je la lui arrachai presque des mains et la contemplai quelques instants. Ce même grand front et ce nez droit. Les mêmes cheveux châtain, peut-être un peu plus court toutefois. Et ces mêmes yeux. Scrutateurs, froids, pénétrants. Je détournai le regard et affirmai d'un ton catégorique :

- Je suis désolée, mais ce n'est pas la photo de Mathias Davos.

Harry et Drago crièrent d'un même bruit et dans une synchronisation parfaite leur incompréhension. Fière de mon petit effet, je m'expliquai en pointant la photo du doigt :

- Cette personne n'est pas Mathias Davos. C'est Matthew Duncan son meilleur ami.

Harry rit jaune.

- Hermione…

- Elle dit vrai, l'interrompit Malefoy.

Je me retournai vers lui, reconnaissante. Il continua :

- Mathias Davos est mort. Il y a trois ans. Nous sommes allés voir sa mère, Amanda Davos.

Le survivant resta interdit quelques secondes. Je le voyais en vain tenter de comprendre quelque chose à cette situation plus qu'originale. Il haussa finalement les épaules et râla doucement :

- Vous auriez l'aimable obligeance de me ramener le dossier de Psycho-Matt que vous m'avez emprunté. Il est censé être confidentiel.

Drago et moi échangeâmes un regard, tels deux enfants pris en faute. Il pouffa doucement et je m'efforçai de rester sérieuse. Harry leva les yeux au ciel et reprit :

- Bon. Expliquez-moi tout. Du début.

Je sentis les mains de Drago s'appuyer sur le dossier de ma chaise et je rapportai toute la conversation que nous avions eue avec la mère de Mathias. Lorsque j'eus terminé, Harry était abasourdi.

- Comment…Comment le ministère a-t-il pu ne pas voir qu'il était mort ? Son décès est censé être répertorié ! Je ne comprends pas…

J'haussai les épaules.

- Je ne cherche plus à comprendre depuis que je sais que les baguettes magiques sont réelles.

Je percevais le regard amusé des deux hommes se poser sur moi et changeai de sujet.

- Il ne reste plus qu'à trouver pourquoi il a préféré prendre l'identité de son meilleur ami plutôt que la sienne.

La pression qu'exerçaient les mains de Drago sur ma chaise disparue et j'en déduisis qu'il s'était déplacé. Je tournai discrètement la tête et remarquai qu'il s'était décalé à côté de moi.

- Il n'a pas vraiment pris son identité, sous-entendit-il en réponse à ma dernière observation.

Alors que je m'apprêtai à lui demander de développer, Harry me devança :

- Explique-toi.

Il s'approcha un peu plus du bureau et me lança un coup d'œil arrogant et supérieur. J'ébauchai un sourire narquois. Par Merlin, Malefoy avait trouvé la solution avant moi ! Que la mort vienne me chercher immédiatement !

- Il ne signe ses cadavres uniquement que par ses initiales : M.D. Ce qui marche aussi bien pour Matthew Duncan que pour Mathias Davos. Et puis il peut également utiliser le pseudonyme de Psycho-Matt, ça marche aussi. A mon avis, il a du utiliser une fois le nom de son meilleur ami ou bien changer quelque chose quelque part, j'en sais rien moi. Tout ce que je sais c'est que toute cette histoire nous conforte dans l'idée que ce malade est vraiment futé. Et je suis certain que rien de tout ça n'est une coïncidence. Même si Mathias est mort, je suis pratiquement sur qu'il joue un rôle important.

J'étais perdue. Complètement perdue dans les méandres d'une histoire invraisemblable. Je marchais continuellement à tâtons la tête dans le brouillard et les pieds dans du coton. Tout autour de moi était flou. Plus rien n'avait de logique. Les éléments s'enchainaient à une vitesse faramineuse sans que je ne puisse en contrôler ne serait-ce qu'un morceau. C'était de la folie. J'avais tenté de percer le mystère de Psycho-Matt mais il semblait que je n'avais trouvé là que la partie visible de l'iceberg et je redoutais plus que jamais la taille de la section manquante. Et si, finalement, Psycho-Matt n'était qu'un fou furieux qui tuait sans vergogne par simple plaisir et sans aucune attache ? Et si, au fond, je m'étais trompée ? Que se passerait-il si Matthew n'avait pas de point faible, pas de talon d'Achille ? Mourrions-nous tous comme cela était prévu ? Nous laisserons-nous abattre tel du vulgaire bétail ? Le doute s'insinuait en moi, contaminait chaque globule de mon sang, chaque cellule de mon corps pour ne laisser de moi-même qu'un être chétif, pauvre et misérable affublé d'une incertitude lunatique. Tantôt capitonnée dans une détermination incalculable, tantôt vide comme une coquille sur le bord d'une plage de sable blanc. J'étais perdue. Complètement perdue. Je m'étais perdue. Et je devais me retrouver pour me sauver. Pour nous sauver. Car je savais que tout reposait sur mes épaules. Que tous les autres avaient vu malgré eux leur mince espoir s'envoler. Ils avaient essayé de le rattraper, avaient couru de toute leur force pour tenter en vain de rattraper ce maigre annonciateur de bonheur. Harry d'abord, puis Ginny et Maëlla. Seuls Drago et moi nous accrochions de toutes nos forces à ce parfum qui n'annonçait qu'un futur magnifique. Alors je devais me retrouver pour eux. Pour les aider à croire à nouveau en la vie. En notre vie.

Soufflé, Harry se décida à rompre le silence qui s'était installé.

- Eh bien…Je n'aurais jamais pensé que le vent tournerait dans cette direction. En tout cas, nous en savons plus sur l'ennemi, ce qui n'est pas une si mauvaise chose. Je vais mettre une équipe sur cette nouvelle affaire pour qu'ils puissent trouver un maximum d'informations sur ce Matthew Duncan.

Drago hocha la tête, le visage figé dans une stature de glace. Alors que nous nous apprêtions à tourner les talons, un hibou que je reconnus aussitôt tapa à la fenêtre du bureau d'Harry qui, au regard qu'il me lança, l'avait également calculé. L'élu lui ouvrit et il se posa en un battement d'aile majestueux sur l'accoudoir de ma chaise. Il me dévisagea longuement de ses yeux ronds avant de me tendre sa patte. Je m'emparai de la lettre timbrée avec un petit sourire avant de caresser doucement la tête de l'animal qui poussa un léger hululement de contentement.

- Moi aussi je suis heureuse de te revoir, murmurai-je assez bas pour que seul l'oiseau puisse m'entendre.

Il cligna des yeux, pencha la tête sur le côté et avec un dernier cri disparu par la fenêtre ouverte.

Alors que je décachetai machinalement la missive, Drago souffla, plus étonné que railleur :

- Des timbres ?

Je levai mon regard en sa direction, moqueuse :

- Oui Malefoy, des timbres.

Harry étouffa un rire et le blondinet croisa ses bras sur sa poitrine avec un air supérieur :

- Et qui peut être assez stupide pour coller des timbres sur une lettre postée de manière sorcière ?

Je fronçai les sourcils et lui répondis d'un ton sec :

- Mes parents ne sont pas stupides. C'est juste une vieille habitude qu'ils ont gardé.

Il n'ajouta rien et détourna le regard, un sourire mystérieux pendu à ses lèvres. J'entrepris alors ma lecture dans un silence religieux. Au fur et mesure que mes yeux glissaient vers le bas du papier, je sentais les battements de mon cœur s'accélérer. C'était impossible. Pas maintenant. Je n'avais pas eu beaucoup de temps à leur consacrer récemment mais il ne pouvait pas me faire ça. Je n'y avais vraiment pas la tête.

- Bonnes nouvelles ? S'enquit Harry qui avait du remarquer mon teint livide.

- Ca dépend pour qui, grommelai-je. Pour moi, en tout cas, ce sont de gros problèmes qui se profilent à l'horizon.

Il n'en demanda pas plus et j'emprisonnai le papier dans mon poing serré. Je saluai Harry et quittai le bureau. J'étais dans de beaux draps. Mes parents n'avaient vraiment pas choisi le bon moment. Et parmi toutes les bonnes idées que j'avais pu avoir au cours de mon existence, aucune ne me venait à l'esprit pour échapper à ce problème supplémentaire. Je m'engouffrai dans l'ascenseur au bout du couloir et alors que les portes se refermaient, une main les força à se rouvrir et Malefoy apparut. Il pénétra à son tour dans la cabine et se plaça mes côtés, face à la porte coulissante qui se refermait lentement dans un crissement rauque. Seuls les rouages de la machine interrompaient l'épais silence qui s'était installé entre nous. Je sentais toutefois ses pupilles incandescentes me cribler minutieusement. Gardant la tête haute, je ne cédais pas et continuai de regarder droit devant moi. Il soupira.

- Pourquoi tu ne m'as pas attendu ? Finit-il par demander.

Seules mes lèvres bougèrent pour laisser passer ces quelques mots :

- Pourquoi t'attendrais-je ?

- Sérieusement ?

J'entendis au son de sa voix qu'il était agacé et de guerre lasse, je me tournai vers lui.

- Sérieusement.

Il leva les yeux au ciel et lâcha d'un ton mielleux :

- Très bien. Je te prie d'accepter mes excuses. Je ne voulais pas qualifier tes parents de stupides. Et je ferais n'importe quoi pour me faire pardonner.

J'haussai un sourcil et répétai avec un amusement non dissimulé :

- N'importe quoi ?

- Presque tout, rectifia t-il avec son célèbre sourire en coin.

Parfait. La voila ma bonne idée. Je savais que je finirais par trouver, seulement je ne pensais que ce serait si facile et rapide. Je laissai un large sourire étirer mes lèvres et lui tendis la lettre récemment reçue. Il la parcourut rapidement des yeux et me la rendit.

- Touchant. Je ne savais pas que tu avais un fiancé. Franchement, tu aurais pu leur présenter. Ce n'est pas très sérieux ! Tes parents sont en droit de rencontrer leur futur gendre, tout de même ! Se moqua-t-il.

Je lui donnai un coup de coude et tentai de me justifier :

- Que voulais-tu que je leur dise ? « Maman, papa, un psychopathe me colle le derrière avec pour unique but de me réduire en charpie ? Oh et puisqu'on y est, je n'ai plus de travail et mon appartement fait la taille de votre salle de bain ! ».

Drago grimaça.

- Evite les extrêmes. Mais quand même...Un fiancé ? Ca aurait presque pu être crédible avec le chien et la grande maison.

Je croisai les bras sur la poitrine. Il ne comprenait pas. Lui avait vécu avec une cuillère en argent dans la bouche et avec la certitude que la précarité n'oserait même pas l'approcher. J'avais fait ce qui était le mieux pour mes parents. Pour qu'ils soient fiers de moi. Je ne voulais pas qu'ils aient de moi cette image de pauvre dépressive qui me suivait partout. Qu'auraient-ils pensé ? Je ne voulais pas les décevoir, voila tout. Ils s'étaient toujours sacrifiés dans l'unique but de me rendre la plus heureuse possible et maintenant que j'étais en âge de le faire, c'était à moi de leur rendre la pareille. Ca n'avait jamais été facile pour eux de me laisser partir à l'âge de onze ans et je ne voulais pas qu'ils voient sur quoi leur dévouement avait abouti.

- Donc si j'ai bien compris, je dois me faire passer pour ton fiancé durant le repas de ce soir avec tes parents ? C'est tellement cliché…, soupira t-il.

- On n'est pas obliger de s'embrasser et de se rendre compte par un quelconque miracle que nous sommes fou amoureux l'un de l'autre, rétorquai-je.

Il eut un étrange sourire que je ne compris que quelques heures plus tard. L'ascenseur s'arrêta brusquement et la lourde porte en métal s'ouvrit pour nous laisser champ libre. Je sortis la première et sans me retourner lui lançai :

- Passe me prendre à dix-neuf heures chez Harry.

- Je n'ai pas accepté ! S'indigna t-il.

Toujours en m'éloignant un peu plus, j'objectai :

- Tu ne voulais pas te faire pardonner ?

Il n'ajouta rien mais je sentis ses pupilles rieuses vriller mon dos. Et sans un autre mot, je sortis du ministère et transplanai en direction du manoir des Potter.

Je jetais ma veste sur mon lit et me laissais tomber à ses côtés. Mes cheveux formant un halo brun autour de ma tête, je fixais le plafond immaculé dans le silence. Toute cette histoire était ridicule. Vraiment. Et c'était maintenant que je m'en rendais compte. J'avais cru bien faire en mentant à mes parents mais cela s'avérait être en réalité une grosse erreur. Une erreur que je devais réparer au plus vite. Alors je leur avouerais la vérité ce soir. Je leur expliquerais que Drago n'était pas mon fiancé, que je n'avais pas de fiancé d'ailleurs et qu'il y avait peu de chance qu'ils me revoient vivante après ce repas. Oui. Je leur dirais tout. Ils avaient le droit de savoir. Ils avaient le droit d'avoir le choix tout comme je l'avais eu. Ce serait sans nul doute plus juste. Je me relevai en position assise et mes yeux se posèrent sur un morceau de papier jaunis qui dépassait de la poche de ma veste. Mon regard figé sur la coupure de journal, je n'osais plus bouger, ou même respirer. D'une main tremblante, je le tirai vers moi et relus une nouvelle fois le titre par peur de pousser un peu plus loin ma lecture : «Ames sœurs : Elles existent ! La preuve concrète du couple Wilson ».

Dans un élan de courage et le cœur menant une course effréné, je commençais alors ma lecture.

Il s'agit d'un mythe, d'un conte et peut-être même d'une certaine utopie pour nombre d'entre nous. Les âmes sœurs. Un drôle couple de mot qui en font pourtant rêver plus d'un. Trouver l'amour eternel, notre double, notre moitié, ne serait-ce donc pas l'espoir de tout le monde ? Vivre en harmonie avec son âme sœur jusqu'à la fin de sa vie et savoir être le seul à compter réellement à ses yeux, ne serait-ce donc pas la recette miracle au bonheur ?

La Gazette a décidé, à travers cette enquête, de vous révéler toutes les vérités et enfin soulever le voile sur ce mystère qui nous entoure depuis la nuit des temps.

Je me présente, je suis Linda Meyer, journaliste à la Gazettedepuis plus de vingt ans. Lorsque mon supérieur m'a confié cette enquête plus que douteuse, j'ai immédiatement su que la tâche ne serait pas facile. Mon scepticisme de départ et mon manque de motivation certain ne m'ont pas beaucoup aidé. Cependant je suis tombée par hasard sur un charmant couple, les Wilson. Autant vous dire tout de suite qu'il est le plus incroyable que je n'ai jamais rencontré. J'avais pour la première fois des âmes sœurs devant moi. Je ne parle pas d'un couple visiblement heureux et débordant d'un amour mielleux agaçant. Au premier abord, ils semblaient être des gens tout à fait respectables, souriants, polis, ordinaires. Et puis ils m'ont raconté. Plus les mots s'enchainaient, plus je pouvais constater par moi-même qu'une certaine alchimie les liait. C'était palpable et étrange. Ils n'avaient pas besoin de se regarder pour se comprendre. Ils semblaient fusionner et je me sentais presque de trop. Ils n'ont eu aucun geste tendre. Ils ne se sont même pas effleurés et pourtant je voyais que ce couple s'aimait bien plus qu'aucun que je n'avais jusqu'alors rencontré. Un lien invisible les connectait en permanence et c'était vraiment étrange d'autant plus que je le sentais. « La première fois que nous nous sommes croisés, j'ai immédiatement senti un vide se combler en moi » m'expliqua alors Judy Wilson. « Après quelques temps passés ensemble, je me suis rendu compte que j'avais accès à ses pensées lorsque ses émotions étaient trop fortes », renchérit Ian Wilson.

C'est une réalité dure à avaler et je suis persuadée que bon nombre d'entre vous, jeunes femmes, bruleront ce morceau de parchemin à la fin de votre lecture, persuadée d'être victime d'un énième mensonge. Croyez ce que vous voulez, braves sorcières, mais sachez que j'étais tout aussi sceptique et dédaigneuse sur ce sujet épineux avant d'avoir vu de mes propres yeux ce couple chérit des Dieux. Et la phrase « je ne pourrais vivre sans elle, sans lui » prend alors tout son sens.

Je détachai mes yeux du papier jaunis, la tête embrumée par des souvenirs qui ne correspondaient pas à ce que je venais de lire. J'avas l'étrange sensation d'avoir loupé quelque chose, de m'être trompée. Je fermai les paupières un court instant, essayant de remettre de l'ordre dans mes idées éparpillées puis glissai mon regard sur l'horloge accrochée au dessus de mon lit et me levai lestement en direction de la salle de bain. J'allais être en retard pour annoncer à mes parents une nouvelle dont je ne connaissais moi-même pas l'issue. Le jet d'eau brulant parcourra tout mon corps, détendant mes muscles crispés et endoloris. Quelques bribes de l'article défilaient à grande vitesse dans ma tête. Ca ne collait pas. Rien ne correspondait. Aucune harmonie n'avait jamais liée Ron et moi. Notre couple avait toujours été maladroitement construit sur une base branlante. Nous n'avions jamais dégagé cette aura sereine et confiante qui semblait émaner du couple Wilson. Et je n'avais vraisemblablement jamais pu lire dans ses pensées. Lentement, l'idée que je puisse m'être trompée pénétrait mon esprit. Et si Drago avait raison ? Et si Ron n'avait jamais été mon âme sœur ? Mais alors, comment expliquer ces sensations étranges qui me prennent aux tripes à chaque fois que mon regard se posait sur lui ? Comment expliquer cette attraction défiant toutes lois de la physique que j'avais pour lui ? Plus rien n'avait de sens. Tout était confus et désordonné dans ma tête.

Les cheveux dégoulinant le long de mon dos, je sortis de la douche. Des éclats de voix retentirent au rez-de-chaussée mais j'étais bien trop absorbée par ma découverte pour m'en préoccuper. Distraitement, j'enfilai une robe simple et une paire de chaussure. J'attrapai ma veste, toujours sur le lit, ma baguette et m'apprêtai à sortir de la chambre lorsque la porte s'ouvrit sur Ginny. Son apparition soudaine me fit sursauter et je m'assis pour calmer les battements affolés de mon cœur.

- Tu veux me tuer avant l'heure, haletai-je.

Elle ne répondit pas immédiatement, me détaillant d'une étrange façon. Lentement, elle s'approcha de moi, ses mèches fauves voltigeant autour de son visage fin. Elle entrouvrit légèrement les lèvres et lâcha finalement :

- Ron mange ici ce soir. Il est en bas.

Je tentai de rester stoïque à l'annonce de la nouvelle mais chaque organe de mon corps brûlait d'un feu incontrôlable. Je déglutis discrètement et pris une longue bouffée d'oxygène. C'était maintenant ou jamais. Je devais, une bonne fois pour toute, connaître la vérité et m'en servir pour avancer la tête la plus haute possible dans ma vie. Alors que je me préparai à me lever et sortir affronter mon destin, Ginny m'interrompit :

- Drago aussi.

Ma bouche s'ouvrit puis se referma sous le coup de la nouvelle. Je l'avais complètement oublié. Bouleversée par l'article de journal, je n'avais plus pensé à le prévenir que sa présence ne m'était plus indispensable.

- Tu sors avec lui ?

- Nous allons chez mes parents.

Le regard de mon amie me glaça une seconde. Froid, dur, emplit d'une certaine sévérité.

- Il est marié, Hermione.

Un rire nerveux s'échappa de ma gorge. Que voulait-elle dire par là ? Etait-il possible qu'elle s'imagine une quelconque liaison entre lui et moi ? C'était stupide, impossible et tellement absurde. Comment pouvait-elle penser une chose pareille ? Moi et Malefoy. Sérieusement ?

- Pas encore, rétorquai-je acerbe.

Je ne comprenais pas mon amie. Comment pouvait-elle penser que je ferais une chose pareille ? Que je sortirais avec un homme déjà en couple ? Ne savait-elle donc pas à quel point j'avais souffert lorsque Ron m'avait trompé ? Je lui lançai un regard dégouté et tentai une nouvelle fois de m'échapper de la chambre. Elle se plaça entre la porte et moi.

- Hermione. Écoute-moi.

- Que je t'écoute ? Répétai-je écœurée. Et que je veux-tu me dire ? Que c'est mal de sortir avec quelqu'un de déjà casé ? Que c'est mal de ressentir une quelconque affection pour Drago Malefoy ? Je t'en pris, épargne moi ce discours qui ne mènera à rien. Drago ne m'intéresse aucunement et je suis désolée de savoir que ma meilleure amie puisse penser une chose pareille.

Elle soupira et murmura de guerre lasse :

- Ca arrive vite, Hermione. Ca te tombe dessus avant même que tu n'ais pu protester. Vous passez beaucoup de temps ensemble et il serait normal que…

- Cette conversation est idiote et ne mène à rien, Ginny. Je ne suis pas amoureuse de lui, la coupai-je. Enfonce-toi bien profondément cette idée dans le crâne.

Et avant qu'elle n'ait pu me balancer une quelconque autre incohérence, je quittai définitivement la chambre, laissant derrière moi une femme que je croyais être mon amie.

Les joues sans doute rougies par la colère, je descendis les escaliers avec une certaine fougue. Je m'arrêtai toutefois net lorsque je découvris au bas des marches Harry, Ron et Drago. Tous trois tournèrent la tête en ma direction. Trois regards. Trois pairs d'yeux. Six pupilles me mettaient à nu. Je laissai plus longtemps mon regard se noyer dans les yeux azurs de Ron, tentant d'analyser les réactions de mon corps. Mon cœur battait vite. Mais peut-être était-ce du à mon énervement récent. Et puis mes jambes étaient flageolantes. Peut-être la fatigue. Mes mains étaient moites. Surement la chaleur ambiante. A part ça, tout semblait fonctionner à peu près normalement. C'était insuffisant. J'étais toujours aussi perdue. Toujours aussi incertaine. Je puisais dans mes dernières ressources de courage et articulai finalement, la bouche pâteuse :

- Je peux te parler, Ron ?

Surpris que je m'adresse à lui, il hésita quelques secondes avant d'hocher la tête. Alors que je me dirigeais machinalement à l'extérieur de la maison, je sentis le regard brulant de Drago se poser sur moi, rapidement suivi de celui de Ginny qui venait d'arriver. Je les ignorais et refermai la porte derrière Ron. L'air était froid et un frisson remonta le long de mon échine. Je me tournai vers Ron et le détaillai quelques secondes.

- Tu…Commença t-il.

Mais je le coupai en posant mes lèvres sur les siennes. Ca ne ressemblait en rien à un baiser fougueux. Non, c'était seulement un léger effleurement rapide et presque inexistant. Mais c'était suffisant. Mon cœur se fit plus léger et un petit sourire naquit sur mes lèvres rosées par le froid. Interloqué, Ron tentait de trouver les mots justes mais je lui épargnais cette terrible épreuve.

- C'est bon, Ron. Ca ne veut rien dire. Je voulais seulement m'assurer que…Enfin, peu importe. Merci.

Et sans un nouveau mot de ma part ou de la sienne, je rentrais dans la maison. Les trois autres sorciers étaient là, silencieux. Et je voyais à leur tête qu'ils n'avaient rien manqué de la scène. Ron pénétra à son tour dans la maison, le bout des oreilles rouge.

- A table, grinça Ginny, le regard toujours braqué sur moi.

Harry et Ron se dirigèrent d'un pas lent et mou en direction de la salle à manger tandis que je saisissais le bras de Drago, mes yeux toujours plongés dans ceux de la rouquine.

- Prêt ? Demandai-je à Drago.

Il hocha la tête et je transplanai sous les yeux rageurs de Ginny. Nos pieds atterrirent rapidement sur des pavés que m'étaient familiers. Je lâchai le bras du blond et me tournai vers lui. Alors que j'ouvrais la bouche, il me devança :

- De retour avec ton âme sœur ?

Son ton était neutre et son visage plus fermé que jamais. Déstabilisée par sa question soudaine, je reculai d'un pas.

- Ce n'est pas mon âme sœur.

Il ne broncha pas et j'enchainai :

- Changement de plan. Tu m'accompagnes en tant qu'ami. Je vais tout dire à mes parents.

Il eut un petit sourire ironique.

- Je suis obligé de venir ? Je sens le conflit de famille arriver à plein nez.

Je levai les yeux au ciel toutefois certaine de la véracité de ses propos.

- Oui. Obligé.

Je me dirigeai alors vers la petite maison de banlieue qui avait bercé mon enfance, Drago à ma suite.

C'était une catastrophe. Un fiasco total. Rien ne se passait comme prévu. Ma vie était un enfer. Chaque minute qui passait m'engloutissait un peu plus dans les sombres ténèbres sans que je ne puisse faire ne serait-ce qu'une minable tentative pour me sortir de ce pétrin monumental. Ce n'était aucunement de la faute de Drago. Lui était irréprochable. Non. Je ne pouvais décidemment m'en prendre qu'à moi-même, qu'à ma misérable petite personne. Parce que c'était de ma faute si mes parents adoraient littéralement Malefoy. Ils étaient définitivement en admiration devant lui. Et il y avait de quoi. Il était parfait. Absolument admirable en tous points. De ses chaussures en cuir d'Italie à ses fossettes délicieuses en passant par son humour et sa décontraction, il n'y avait décidemment rien à redire. Drago Malefoy revêtait le masque du gendre adoré avec perfection. Il était tellement merveilleux que je ne pouvais décidemment pas dire à mes parents que j'étais loin, très loin d'épouser cet homme. Ce qui nous ramène à cette soirée facilement qualifiable de tragédie.

- Hermione, minauda ma mère, tu m'aides à débarrasser ?

Nous y voila. La scène typique. J'accompagne ma mère jusqu'à la cuisine où elle se met à sautiller dans tous les sens en ventant mille et une qualité sur le mari parfait que j'ai pu dénicher. Nous nous serrons dans les bras en larmes tandis que dans la pièce d'à côté, mon père fait un sermon à son futur gendre en le mettant en garde sur la perte de ses précieux bijoux de famille s'il vient à me rendre malheureuse. Alors non merci, sans façon.

Je sortis rapidement ma baguette de ma poche de veste et d'un geste fluide, toutes les assiettes s'empilèrent d'elles-mêmes et se dirigèrent lentement vers la cuisine. Ma mère me fixa quelques instants interdite puis haussa les épaules avant de se rassoir. Je croisai alors le regard anthracite de Malefoy, visiblement amusé. S'il y en avait bien un qui était aux anges à ce moment précis, c'était bien lui. Je détournai les yeux, dédaigneuse. Ma mère se pencha vers mon père, loin d'être discrète et lui souffla assez fort pour que tous deux puissions l'entendre :

- Regarde Roger comme ils vont si bien ensemble. Et puis ils ont l'air tellement amoureux.

Je déglutis difficilement et me forçai à sourire. Drago, lui, affichait un air serein, parfaitement détendu.

- Maman, arrête, grinçai-je doucement.

Elle gloussa comme une enfant et se rassit correctement.

- Alors, dites moi, enchaina t-elle, ce mariage, il est pour quand ?

Malefoy se tourna vers moi, ses pupilles d'argent me vrillant avec attention. Je l'entendais presque me dire « Oui Granger, dis nous. Il est pour quand ce mariage ? » de sa voix mielleusement ironique. C'était maintenant. Le moment rêvé pour cesser de m'enfoncer d'avantage dans ce mensonge qui ne menait à rien. C'était l'instant idéal pour briser le bonheur qui reposait tel un léger voile sur les épaules de mes parents. Je pris une profonde inspiration sous le regard attentif de Drago et impatient de mes parents.

- Et bien…Euh…En faite…Ce n'est pas exactement…Comment dire…Zut...Bredouillai-je, confuse.

Mon père fronça les sourcils et ma mère se trémoussa sur son siège. Les paroles jaillirent alors d'elles-mêmes, sans que je ne puisse contrôler un seul des mots que je vomissais :

- Pour mai ! Le mariage est pour mai ! J'adore le soleil et il était hors de question que je me marrie un jour de pluie ou pire encore, un jour de neige ! M'exclamai-je avec tellement d'entrain qu'on aurait presque pu y croire.

Mes parents poussèrent de petits cris de joie et commencèrent à établir bruyamment un planning. Mais je ne les écoutais pas. Je ne les voyais même pas. Seul Drago importait à ce moment précis. Il leva son pouce en ma direction et articula silencieusement « amis, hein ?». Une immense vague de culpabilité balaya mon cœur et remonta dans mes glandes lacrymales. Je me forçai à ravaler la boule qui obstruait mon gorge et ingérai du mieux que je pus mes sanglots. C'était au dessus de mes forces. C'était trop dur. Trop compliqué. De toute façon, ma vie s'arrêterait bien avant le mois de mai et j'étais à peu près certaine que mes parents s'en remettraient. Ils n'étaient pas obligés de connaître toute la vérité. Je serais leur défunte fille, morte heureuse et épanouie. C'était tout ce qui comptait pour eux et je ne pouvais décemment pas partir en leur laissant toute l'infamie de ma misérable existence.

Plongée dans mes sombres pensées, je ne remarquai pas tout de suite que mes parents se dirigeaient vers l'étage.

- Où s'ont-ils allés m'enquis-je auprès de Drago.

- Chercher les photos de mariage de la cousine Igénie pour voir la forme de la robe.

Son ton avait été calme mais une certaine désapprobation était palpable. Je pris instinctivement ma tête entre mes mains et inspirai profondément, tentant de calmer la culpabilité grandissante qui semblait pousser ma cage thoracique dans le but de se faire un peu plus de place.

- Alors, t'es contente ? Tes parents sont persuadés que ta vie minable est merveilleuse, railla-t-il finalement.

Sa réplique m'asséna un nouveau coup dans la poitrine. J'étouffai. Suffoquai. L'air me manquait affreusement mais il n'en saurait jamais rien. Je gardai mes yeux plantés dans les siens et articulai, amère :

- Si mon plan ne te plaisait pas, pourquoi es tu venu ?

- Bonne question, rétorqua t-il sur le même ton. Peut-être ne pensais-je pas que tes parents seraient si…Il secoua la tête, déçu. Ils ne méritent pas ce que tu leur fais.

Je détournai une seconde le regard, tentant de ravaler le plus discrètement possible mes sanglots. Il ne comprenait pas. Comme toujours.

- Toute cette histoire ne te regarde pas. Et puis, entre nous, tu n'es pas mieux. Même pas fichu de dire à ta petite copine que tu ne veux pas te marier avec elle, crachai-je

Il contractant fortement la mâchoire, accusant sans doute le coup.

- C'était minable, Granger. J'ai connu mieux en matière de répartie.

Je passai une main agitée dans mes cheveux. Que pouvais-je rajouter ? Nous nous toisâmes un long moment en silence. L'argent liquide qui remplissait ses pupilles entrait en ébullition. Mes parents redescendirent au même moment, un carton poussiéreux dans les bras et un sourire rayonnant sur leurs lèvres. Ne pouvant en supporter plus, sous risque s'éclater en sanglot, je me levai d'un bond et leur adressai un rictus en guise de sourire. Ils me contemplèrent un moment, curieux.

- Nous devons y aller, parvins-je finalement à articuler. Je…Je ne me sens pas très bien.

Mon père s'approcha, soucieux.

- Tu es toute pâle, constata t-il. Tu devrais rester ici.

Je secouai frénétiquement la tête. Surtout pas. Partir. Je devais partir le plus loin possible d'eux.

- Non. Ca va. Je suis un peu fatiguée, rien de plus, mentis-je.

Je ne leur laissai pas le temps de riposter, prévins Malefoy de me suivre d'un regard et me dirigeai vers la sortie, mes parents sur mes talons. La gorge serrée et la poitrine en feu, je me contentai de les prendre chacun dans mes bras rapidement. C'était la dernière fois que je les voyais. Je le savais. Je ne reviendrais pas. Ils agitèrent leurs mains en signe d'au revoir que je savais d'adieu. Je ne m'éternisai pas. C'était inutile, un poids de plus dans la balance. Un coup supplémentaire dans le cœur. J'essayai rapidement de mémoriser la dernière image que j'eus d'eux deux, heureux, sur le perron de la maison qui avait été mienne durant de nombreuses années. Et puis la porte se referma, nous coupant de la lumière et nous plongeant dans l'obscurité de la nuit. Le silence fut sans aucun doute le plus terrible de tous ceux que j'eus connu jusqu'alors. Parce que je les entendais. Ces voix qui me criaient de retourner en courant dans ce pavillon et de profiter pleinement des derniers instants avec les personnes qui m'aimaient surement le plus au monde. Ces voix qui me hurlaient en boucle mes envies les plus profondes. Ces voix qui me dictaient le bon chemin à suivre. Une larme réussit à traverser le barrage que j'avais si bien établi. Je m'enfonçai un peu plus dans ce long tunnel noir, dont chaque pas me séparait un peu plus de la vie. Du bonheur. De ce que j'aurais du être. Un coup de tonnerre retentit au-dessus de nos têtes mais je l'ignorais et il semblerait que Drago fit de même.

- Il n'est pas trop tard, murmura t-il.

- Il est toujours trop tard quand le mal est fait, parvins-je à articuler d'une voix étranglée.

Il soupira longuement et s'énerva soudainement :

- Tu vois, c'est ça ! Tu es toujours là, à croire que la chance te fuit sans jamais te remettre en cause ne serait-ce qu'une seule fois ! Tu es toujours là, à te plaindre continuellement. Tu ne t'es jamais demandé si ton malheur n'était pas un tout petit peu de ta faute ? Tu ne t'es jamais demandé si tu te trompais simplement de chemin à chaque choix que tu devais prendre ? Parce que si ce n'est pas le cas, laisse moi te dire ce que je pense : tu es masochiste, Granger. Une vraie folle. Obsédée par le fait de faire souffrir ta petite personne. D'abord Weasley te trompe alors tu en déduis que personne ne t'aime. Et puis tu croises par hasard un vieux grimoire sur des supposées âmes sœurs et comme ta vie n'est pas assez triste, tu te persuades qu'il est ta moitié de façon non réciproque. Sérieusement, Granger, ça t'arrive d'ouvrir les yeux parfois sur la réalité ? Sur le monde ? Sur les autres ? Que tu te fasses souffrir, c'est une chose, mais que tu entraines les autres dans ta misère, s'en est une autre.

Il se tut aussi soudainement qu'il avait pris la parole, laissant le temps à un nouveau coup de tonnerre de retentir. J'assimilai lentement ses paroles, souffrant un peu plus à chaque mot compris. Le silence avait repris possession de la rue, habitée uniquement par deux vieux ennemis qui se jaugeaient, l'un le regard flamboyant, l'autre le regard vide. Je le voyais s'impatienter face à mon manque de réaction. J'aurais pourtant voulu lui hurler à la figure qu'il se trompait. Qu'il avait tout faux. Que je n'étais pas celle qu'il prétendait connaître. Mais je ne pouvais pas. La boule au fond de ma gorge empêchait tout mot de passer. Mon cœur était tellement lourd qu'il refusait le passage à toute nouvelle larme. Mes muscles étaient si endoloris que je pouvais ne faire qu'un infime geste.

- Réagis, merde ! Fulmina t-il.

Une première goutte tomba du ciel ténébreusement obscur. Je levai par automatisme la tête et chuchotai, soudainement lasse :

- Je ne peux pas.

- Comment ça, tu ne peux pas ? Bien sur que si tu peux ! Mais bon sang, où es-tu ? Tonna t-il.

Je ne comprenais pas son irritation. Je le sentais agité. Son agacement commençait même à m'atteindre. Une seconde goutte d'eau lâchée par mégarde par les nuages au-dessus de nos têtes glissa le long de ma joue.

- Je ne peux juste…pas. Tu ne comprends pas, Drago Tu ne comprends jamais. Tu n'as même pas essayé, en faite.

Il lâcha un ricanement qui n'avait rien de sympathique.

- Que veux-tu que j'essaye de comprendre ? Tu n'es qu'une pauvre fille tordue.

Les gouttelettes se firent de plus en plus nombreuses et bientôt une fine pluie s'abattit sur nous. Mais nous ne bronchâmes pas, poussés par ce caprice de voir jusqu'où cette conversation irait. Lentement, je sentais mon corps reprendre vie. Mon sang se fit chaud dans mes veines et ce poids qui m'obstruait la poitrine me pesait de plus en plus. Je n'étais pas une fille tordue. Etrange, je l'admettais. Perdue aussi. Mais surement pas tordue. Preuve inconditionnelle qu'il ne comprenait rien.

- Je ne suis pas tordue, grinçai-je entre mes dents.

Un sourire mauvais étira ses lèvres.

- Oh…Je t'ai vexé ? Ce ne serait pourtant pas une première.

- Qu'est-ce que tu veux Malefoy ? Qu'est-ce que tu cherches ?

Il recula d'un pas et fit mine d'être terrorisé :

- Attention, mesdames et messieurs, le chaton a sorti les griffes !

J'inspirai profondément, tentant de calmer les pulsions frénétiques de mon cœur.

- Très futile, très fin, très intelligent. Sérieusement, Malefoy ? Je pensais que tu aurais évolué.

Je savais parfaitement ce qu'il essayait de faire. Et ca ne marcherait pas. Je resterai humble et garderai la tête haute. Il était hors de question que je plie devant ses petites acerbités. Un sourire amusé que je reconnus immédiatement déforma un instant ses traits arrogants. Pourtant, ces derniers réapparurent rapidement. Je n'avais pas compris ce soudain changement de comportement mais j'oubliais bien vite cet écart.

- Alors, dis-moi. C'est quoi la suite ? On envoie un faux faire-part de naissance à tes parents ?

C'était trop. La réplique de trop. La pluie redoubla de son intensité et un épais rideau d'eau se plaça entre nous. J'étais littéralement trempée et ma peau frissonna au contact de mes vêtements mouillés. Le vacarme de l'eau sur le bitume était assourdissant mais rien ne nous pousserait à céder le premier.

- Arrête ! Hurlai-je pour me faire entendre. Tu ne sais pas ! Tu ne comprends pas ! Tu ne comprends jamais rien de toute façon ! Drago Malefoy ou l'homme qui a toujours tout faux ! Tu te crois intéressant alors que tu n'es qu'un petit arrogant prétentieux. Même quand la mort vient frapper à ta porte, tu trouves moyen de trouver un aspect comique à la chose ! A croire que tu jouis des choses tristes ! C'est bien, je me sens moins seule dans mon masochisme. Idiot ! Tu n'es qu'un idiot ! Une espèce de petit blondinet dénué de compassion ! Et tu es chiant. Tout le temps, partout, un emmerdeur de poche ! Un petit fils à papa qui ne fait rien, absolument rien par lui-même. Tu ne fais confiance à personne, jusqu'au point d'enfermer ton meilleur ami sous la neige ! Vive l'amitié, n'est-ce pas ? Alors, oui, j'ai des problèmes, oui, je suis détraquée, mais sincèrement t'es-tu posé la question, ne serait-ce qu'une fois, sur le fait que je ne suis peut-être pas la seule ?

Dans ma passion, je m'étais rapprochée de lui et nous nous évaluâmes d'un regard mauvais. La pluie continuait de tomber en trombe. Ses cheveux, aplatis par l'eau, pendaient par mèches devant ses yeux en fusion. Et puis il céda. C'était soudain et inattendu. Malefoy avait disparu. Ne restait que Drago.

- Heureux de te retrouver, Granger.

- Idiot !

Bouillonnante de colère, je le poussai sans aucune délicatesse, tournai les talons et m'éloignai le plus loin possible de lui, les mains profondément enfoncées au fond de mes poches imbibées d'eau. Je crus l'entendre prononcer mon prénom mais le vacarme assourdissant que provoquait la pluie ne me permettait pas d'en être certaine. Je continuais alors ma route, vers une destination visiblement inconnue. Une pression sur mon coude me fit pourtant retourner et je me retrouvai face à lui, mon bras pendant lamentablement dans sa poigne. Et la pluie cessa. Aussi soudainement qu'elle était apparue.

- Il est trop tard pour mes parents, murmurai-je.

- Je sais. Mais peut-être pas pour le reste.

Nous restâmes un moment dans cette position, savourant ce silence inattendu.

- Nous somme trempés, constatai-je finalement.

Il haussa les épaules et rétorqua :

- On est bien loin de la scène d'amour typiquement mielleuse prévu après ce genre de soirée foireuse, non ?

Un sourire amusé étira mes lèvres.

- C'est ce qui était prévu. Pas de miracle en vu.

- Dommage, souffla t-il.

Mon sourire disparut aussitôt et je le contemplai, pétrifiée et le cœur en feu.

- C'était de l'humour, précisa t-il finalement.

J'haussai les épaules, l'air indifférent.

- Encore heureux.

Il m'examina quelques secondes puis marmonna enfin :

- Il est peut-être temps de rentrer ?

- Peut-être…

J'eus tout juste le temps de regarder une dernière fois la maison qui avait bercé mon enfance avant qu'il nous fasse transplaner.

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