Chapitre 1

   Le domaine d'Urfé est un refuge pour les membres de l'ordre de la lune rouge, humains et vampires y sont accueillis. Une maison sûre destinée à loger et à aider les gardiens dans leur quête de protection.

D'après la légende abordant l'origine de l'ordre, il a été créé par le tout premier vampire de l'histoire en collaboration avec un humain qui n'avait aucune peur à se tenir aux cotés d'une race inconnue. A l'époque, les humains subissaient des invasions démoniaques venant d'autres mondes encore inconnus à ce jour, l'ordre, né de cette collaboration, a pour mandat de protéger humains et vampires de toutes menaces surnaturelles quelle quelles soient.

Malheureusement dissolu depuis plusieurs années du fait de l'extermination totale des créatures démoniaque, l'utilité même de l'ordre avait été grandement remise en question et il avait été décidé que son existence cesserait sous peu.


   Jambes ancrées solidement dans le sol, la respiration régulière et profonde, l'œil droit fermé, elle fixait la cible qui se déplaçait dans d'étranges circonstances, tantôt en voltigeant de haut en bas, tantôt de gauche à droite. Après quelques instants elle décocha, la flèche fila à grande vitesse dans un son presque imperceptible puis transperça littéralement le drôle de nuage mouvant. L'impact, de par sa puissance, arracha la pauvre chose de son socle puis s'écrasa pathétiquement sur le sol.

— A gauche !

   Elle fit volteface ne distinguant qu'à peine la branche des lunettes de Gaspard qu'une force la fit décoller du sol, trainant son corps frêle sur plusieurs mètres, comme s'il ne s'agissait que d'une poupée de chiffon. L'espace d'un instant, court et effrayant, elle eut l'impression de s'envoler mais le retour sur la terre ferme, le son de ses chaussures grattant le sol en pierre, ne fit que rétablir sa connexion à la réalité. Ses bras, croisés à la manière d'une croix, avaient amorti la violence du coup de poing. Mais étaient-ils intacts ? De légers picotis traversaient le dessus de sa peau. Elle ne ressentit pas de douleur, comme si le choc en lui-même en avait neutralisé les effets. Il était tout à fait sérieux, plus impitoyable qu'ordinaire, presque menaçant et même un sourire arrogant ne parvint pas à le détourner d'une sévérité notable.

— Très bien, mais que fais-tu de ton arc ?

   Réflexion pertinente dirait-il. L'arc patientait sagement à ses pieds, elle avait dû le lâcher en essayant de contrer le plus âgé mais cette action lui avait fait perdre son arme. Le seul avantage qui lui permettait d'un tant soit peu rivaliser avec la force d'un vampire. Les flèches rangées dans son dos n'étaient en rien utiles sans lui. Pantoise, il eut droit à un « ah » un peu hébété pour toute réponse car rien d'autre ne lui venait si ce n'est l'idée de se ruer sur lui. Il n'y avait rien d'autre à faire.

   Après six mois d'entrainement acharné, ils y étaient enfin. Une séance non anodine puisqu'il était certain, elle en avait l'intime conviction, que Gaspard l'évaluait. Un point, une mise à niveau, un test, tout ce qui s'y ressemblait tout du moins. La posture, la tactique, les initiatives, l'attaque, la maitrise de l'arc, tout y passait. Semblable aux tests de torture subits par les produits destinés à la vente, l'issue de celui-ci en décidait s'ils étaient aptes à être vendus. Celui-ci lui permettrait de prouver sa valeur et sa capacité à rejoindre l'ordre. Mais à l'instar des séances précédentes, Gaspard se prêtait bien trop au jeu, assénant ses attaques avec bien trop de force qu'il ne le devrait ajoutant à tout cela une pression supplémentaire à Della.

   Les coups s'enchainent rapidement, elle donnait des uppercuts, des crochets, des coups de pieds sans même réfléchir, cerveau en mode automatique, il s'agissait de réflexes basés sur un instinct prenant de lui-même le contrôle chaque fois qu'elle se mesurait à quelqu'un. Elle essayait de suivre le rythme du vampire, rapide et puissants, esquivait du mieux que possible ses assauts terriblement destructeurs, en un seul coup de poing il pouvait lui briser les cotes. Il était évident qu'il n'y mettait pas l'entièreté de sa force et faisait preuve de retenue mais pas bien assez à son goût. S'il lui était possible de la contourner avec une rapidité surnaturelle, les enchainements de coups donnés restaient plutôt à la portée d'un humain.

Première chose qu'elle avait pu saisir lors de son premier cours : le cerveau des vampires ne peut pas suivre les mouvements rapides. Se déplacer très rapidement sur une grande distance est une formalité mais en ce qui concerne le combat, enchainer des coups avec la vitesse surnaturelle dont ils sont dotés s'avère dangereux au risque de se déboiter un membre, ils n'ont pas le temps d'assimiler les éléments de leur environnement.

De ce fait, Gaspard était rapide mais pas plus qu'un grand champion en art martial, une très bonne nouvelle pour l'humanité. En revanche, la grande problématique restait sa force d'éléphant, déjà essoufflée, la jeune femme peinait à éviter les coups critiques mais lui, pas une seule goutte de sueur ne perlait sur son front à la peau éternellement jeune. Ce que c'était agaçant.

In extremis, elle pivota sur sa jambe droite, le poing de Gaspard ayant frôlé son épaule, une douleur parvint tout de même à se diffuser jusque dans son avant-bras.

— Putain !

— Della, je te prie de conserver un langage correct, lui dit-il d'un ton parfaitement calme sans même un essoufflement.

   Comme un bijou brillant pour le corbeau, l'arc échoué à quelques mètres lui faisait de l'œil, Gaspard, ayant sans doute deviné son intention, suivit son regard. Avant qu'il ne puisse réagir, Della entreprit une roulade, or plutôt que de saisir l'objet de ses convoitises, un pressentiment ou un simple réflexe lui hurla de ne pas tourner le dos à l'adversaire. Une flèche du carquois saisie, elle se retourna, il était là. Son geste en suspens, sa main qui avait sans doute pour projet de l'attraper se trouva immédiatement embrochée, chose qui l'a surpris tout autant que lui. Ça s'était passé très vite. La peur traversait l'entièreté de son corps tandis que la pointe eut traversé sa peau avec une facilité déconcertant comme s'il s'agissait d'une plaquette de beurre. Le sang se mit à couler entre ses doigts puis le long de son poignet alors qu'elle réalisait doucement l'ampleur de la situation. Son instructeur était blessé. Son cœur fit un bond dans sa poitrine comme lui-même prêt à s'enfuir sachant pertinemment que désormais cet homme avait un véritable motif d'homicide envers sa personne, pourtant rien d'autre ne l'empêchait d'en finir. Rien d'autre ne l'empêchait de l'achever.

Derrière ses lunettes, elle vit le bleu de ses yeux virer au rouge. Un rouge effrayant ponctué d'un étonnement certain alors qu'il lui bondissait dessous. Il tenta de s'emparer de son poignet lorsqu'elle eut la jugeote de prendre appuis sur son épaule et ainsi passer derrière lui, offrant alors une parfaite ouverture sur son dos. Rien ne l'arrêtait, son instinct criait, il lui hurlait une nouvelle fois d'en finir. Gelés, les doigts du vampire s'enroulèrent autour de son autre main à la manière d'un serpent. Della se saisit de l'une des rares flèche qui n'avait pas déserté le carquois au cours de sa pirouette et dirigea la pointe tout droit sur son cou.

Un long silence s'installait le son de sa respiration rapide se diffusait dans la salle d'entrainement. Aucun d'eux n'esquissa un seul mouvement,. L'un menacé par une flèche, l'autre risquant de se faire broyer le poignet à tout moment. La large carrure de Gaspard l'empêchait de la voir, or la flaque écarlate sur le sol en pierre taillé confirmait bien les faits : elle avait vraiment embroché la main de son instructeur. Pourquoi l'avait-elle fait? C'était stupide et affreusement suicidaire. Son pouls s'accélérait, Della se sentait mal de lui avoir causé pareille blessure. Sa poigne se desserra et les doigts de Gaspard remontèrent lentement vers son avant-bras, avec une douceur déroutante, il en vint à tester la matière de son protège bras dans d'embarrassantes caresses.

— C'est récent.

— Ouais, la corde à trop frotté. Maintenant ça ressemble aux peintures abstraites toutes moches dans les musées.

   Des hématomes couvraient une bonne partie de sa peau, certains rouges, d'autres bleus tirant sur une couleur violacée, rien de bien élégant au final. D'ici quelques jours, ils auraient pris une couleur verte et peut être alors se transformera-t-elle en Hulk. Non pas qu'elle n'appréciait pas qu'il ai de nouveau remarqué les infimes changement apportés à sa tenue, mais l'attitude bien trop calme qu'il abordait, pour un homme avec une flèche en plein milieu de la main, la perturbait énormément. N'était-il pas en colère ? La douleur devrait au moins l'agacer et le pousser à lui hurler dessus dans de sévères réprimandes. Alors pourquoi diable cet évènement passait-il pour un incident inexistant ? Il était vrai que, jamais depuis leur rencontre, il ne lui avait hurlé dessus,. Il en venait à sans cesser conserver une attitude calme et pédagogue. S'il y avait bien un moment pour déroger à ce principe, c'était celui ci.

— Euh, je suis désolé pour... commença t-elle à bafouiller honteusement, c'était pas voulu, fin si mais pas comme ça ! Transformer ta main en gruyère c'est pas le but premier, je me cherche pas d'excuse ou quelque chose comme ça, je sais pas, j'ai paniqué.

    Dans un monologue confus d'excuses, elle se décolla de son dos, cessant par la même occasion de le menacer d'une nouvelle flèche. Lorsque tout contact fut rompus, la chaleur qui circulait dans son corps revient en force et elle réalisa que celui de Gaspard était d'une froideur banale. Non glacial pour autant mais cela relevait plus d'un aspect neutre semblable à l'eau tiède. Il l'a fixa calmement puis tira sans retenue sur le projectile. La pointe à lame fixe se mit à, de nouveau, déchirer sa peau, accentuant une fois de plus le sang qui avait cessé de se déverser. Rapidement, le trou conséquent et la peau déchirée se refermèrent. Les tissus se soudaient entre eux d'abord par de légers fils qui semblaient tirer chaque extrémité de la peau pour n'en faire plus qu'une. Littéralement bluffée par cette régénération rapide avoisinant de quelques secondes à une minute, Della poussa un cri d'exclamation alors que le vampire étira un simple sourire satisfait.

— Je t'ai poussé dans tes retranchements et porté des coups qui auraient, ma foi, pu t'être d'une fatalité aberrante. Je m'accorde donc à dire que cet accident mineur n'a point d'importance. Cela fait des semaines que je m'impatiente à te voir un brin plus hargneuse.

   Interdite elle fronça les sourcils alors qu'il la contournait pour attraper la serviette blanche disposée sur une chaise puis essuyer l'hémoglobine encore présente sur sa main.

— Non. C'est n'importe quoi ! hurla-t-elle perturbée par la banalisation de cette blessure. C'est un entrainement, on est pas censé se blesser mutuellement. Imagine si tu avais été humain, il aurait fallu quoi ? Aller quatre ou cinq points de sutures, des antibiotiques pour éviter les infections et par la même occasion de caner et après au moins trois mois pour que ça soit bien refermé.

   Gaspard posa sa main sur l'épaule qu'il avait manqué de lui déboiter en portant un coup.

— Certes mais je suis un vampire. Ce genre de blessure n'est rien comparé à ce que j'ai pu endurer par le passer et saches que tes adversaires n'auront aucun scrupule à te malmener. L'entrainement a pour but de prévenir aux situations réelles, les blessures sont monnaie courante, ça n'est ni la première fois et ça ne sera pas la dernière non plus. Par ailleurs, je te sonnerai de garder ton arc à ta porté lors d'un combat, son absence est une entrave.

   Elle se terrait de nouveau dans le silence et alla ramasser la peluche qui, un peu plus tôt, flottait à deux mètres du sol. Celle-ci avait été grossièrement tricotée et il était certain que sa grand-mère aurait pu faire bien mieux mais c'était certainement tout ce qui donnait un certain charme à ce...mouton ?

— Tu devrais songer à aller te préparer, tes futurs frères d'armes ne vont pas tarder à arriver.

— Ouais. Je dois mettre quoi ?

   Il fronça à son tout les sourcils.

— Il ne s'agit là point d'une rencontre formelle, nul besoin de se soucier de ce genre de détail.

— Dit celui qui porte une chemise avec des boutons de manchette, lança-t-elle en récupérant l'arc qui trainait sur le sol.

— Je porte quotidiennement des boutons de manchettes !

— Bon, je vais m'habiller classe, je veux pas faire tache à coter de toi. On peut avoir nos chambres maintenant où je dois encore me forcer à prendre une douche dans ce truc qui ressemble à une salle de bain du 17 -ème siècle ?

   Six mois déjà que le duo occupait leur journée à l'entrainement au sein du QG de l'ordre de la lune rouge. Durant cette période, elle n'avait seulement eu le droit de visiter la salle d'entrainement ainsi que la « salle de bain » attenante. L'impatience ne cessait de croitre combinée avec une curiosité qui la poussait toujours à tenter une escapade secrète, sans grand succès. Le domaine était extrêmement vaste. Il y avait tant à découvrir. Della se languissait surtout d'y débusquer des pièces secrètes ainsi que des passages cachés par des statues ou bibliothèques en tout genre.

Construit en 1524, soit à environ une année suivant la fondation de l'ordre, le domaine d'Urfé avait été spécialement conçu pour accueillir vampires et humains -peut-être d'autres êtres surnaturels dont elle venait de découvrir l'existence- servant la cause. A cette époque, passages secrets, compartiments cachés, voir même des pièces entières avaient forcément du être conçus. Impossible d'y penser autrement. Des objets importants devaient être cachés des yeux de tous, des passages d'évacuation en prévision d'attaque ennemies également, tout faisait sens. S'il n'en était pas doté d'au moins une seule c'est que ces gens n'étaient pas si malins que ça.

— Navré, les règles sont les règles, l'ordre doit être de nouveau fondé pour que les locaux soient de nouveaux opérationnels, on ne peut y déroger sous peine de manquement à nos obligations et de potentielles sanctions.

— D'accord mais là on utilise bien la salle d'entrainement, on l'a déjà enfreinte de toute façon. Alors, au point où on en est...

— Non, la coupa-t-il. Je te demande de patienter quelques heures. Désormais, hâtes toi de ranger tes affaires et d'aller faire un brin de toilette, ce n'est pas très correcte de le faire remarquer à une dame, mais tu empestes la sueur.

   Rien de bien étonnant après une séance d'entrainement pareille, lui, en revanche, n'avait même pas une auréole sur sa chemise blanche. Della le détestait presque pour ça, lui et sa manie de protocolaire. Ne se formalisant pas de la remarque vexante à la limite de l'humiliation même s'il était certain que Gaspard ne pensait pas à mal, elle secoua sous son nez la cible autrefois mouvante .

— Super, marmonna-t-elle avant de reprendre plus fort, pour info je garde ton mouton, il est mieux réussi que les autres je trouve.

— C'est un cygne.

— Oui... bien sûr, ça se voit carrément.

   Nouvelle analyse de sa confection, elle la tourna d'un sens, puis dans l'autre, verticalement et horizontalement mais rien à faire, ce truc ne ressemblait en rien à un cygne. Les mailles se trouvaient grandement espacées les unes des autres, certaines perdues au milieu de la masse, d'autres surpassant deux rangs pour un. Pas moyen, il n'y avait pas de cygne. Un nuage à la rigueur...

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