Je triture ma robe, en déformant au passage son col. Je me suis apprêtée pour l'occasion, je porte une robe à dentelles blanche m'arrivant aux genoux. Mes épaules sont légèrement dénudées, des ballerines noires et un collier en perles complète ma tenue. J'espère voir arriver Kalyel d'un moment à l'autre, en attendant j'imagine déjà l'issue de notre rendez-vous, l'éternelle romantique que je suis a bien le droit de rêver ... 

Tout à coup une silhouette se dessine au loin. Elle se précise peu à peu, c'est lui. Pour l'occasion il a revêtu un pantalon noir et une chemise bleu marine près du corps. Je décide de ne rien laisser paraître de mon effervescence et lui sourit légèrement. Il me rend son sourire en me regardant franchement. 

- Bonjour, es-tu prête ? 

- Oui, où allons-nous ? 

 - C'est une surprise . Il m'attrape la main et me guide vers sa voiture. Une fois installé, je décide de réitérer ma question : 

- Peux-tu me donner un indice ? 

- Il s'agit d'un parc naturel unique en son genre . C'est vague ça ... 

Le reboisement des villes fut l'une des opérations phare contenu dans le programme de nos politiciens. D'anciennes habitations insalubres furent rasées, des jardins luxurieux aménagés à la place.

 - Nous sommes arrivés, dit-il en brisant le silence qui s'était peu à peu installé dans l'habitacle . 

L'endroit est plongé dans l'obscurité, rien d'étonnant à cela au regard des restrictions imposées . Il sort de son sac à dos deux lampes torches et me tend l'une d'entre elle pour que je puisse admirer avec des yeux émerveillés l'étrangeté des lieux. Le jardin, si on peut l'appeler ainsi était en friche, des racines et des lianes recouvrent de toutes part les différents arbustes qui s'y trouvent . 

- Il s'agit d'un jardin en mouvement, il favorise le libre développement des espèces qui s'y installent. Un tel espace est basé sur l'idée de coopération avec la nature et non plus de transformation. Cet état d'esprit conduit le jardinier à observer plus et jardiner moins. Cela l'incite à mieux connaître les espèces et leurs comportements pour exploiter leurs capacités naturelles sans dépense excessive .

 - C'est magnifique, je n'ai jamais rien vu de tel, répondis-je éblouie .

 - Nous avons pour projet d'en aménager des centaines dans un futur proche .

- Vraiment, c'est incroyable !  Je fais un tour sur moi-même pour ne rien louper de ce spectacle à couper le souffle.

- Oui, affirme t-il en me regardant en souriant .

Il continue :

- Dans la même optique nous planterons des centaines d'arbres d'ici la fin de l'année au milieu de la capitale .

- Vraiment ? Mais à quel endroit ? Je suis quelque peu surprise par sa révélation.

 - En plein New York, près de l'ancien Wall street, ces buildings sont inutilisés depuis trop longtemps .

Je le contredis immédiatement :

- D'accord, mais dans ce cas où iront les sans-abris et les individus habitants dans les logements insalubres ? 

- Un quart des habitats détruits seront réaménagés en jardin. Les trois quarts restants seront réaménagés en logements sociaux construits à partir de gros granulats et de sable recyclés obtenus grâce aux constructions auparavant démolies. A cela on rajoutera des fibres naturelles de chanvre, de lin ou encore des cendres de fumier. Un tel mélange assurera une bonne résistance dans le temps et une insensibilité à l'érosion. Les individus habitants dans des logements insalubres et les sans-abris seront relogés dans ces nouveaux logements. Sans oublier qu'un emploi digne de ce nom leur sera proposé.

 - Ce n'est pas si simple ! N'oublie pas que nous sommes des millions aux États-Unis à être sans emploi, et bien souvent sans qualification, ni diplôme. Je me sens obligé de lui rappeler la triste réalité de ce qu'est devenu notre pays .

 - Nous aurons besoin d'une quantité importante de main d'œuvre qualifié ou non, qui se spécialisera sur le terrain ou par le biais des formations. En ce qui concerne le secteur agricole, des milliers d'hectares de terre dans les campagnes doivent être défrichés au plus vite afin de parvenir à les cultiver rapidement. L'avantage c'est que pendant cinquante ans, ces parcelles n'ont pas été sollicitées, elles ont eu le temps de se revitaliser et de se désintoxiquer des pesticides nocifs émis.

Un bref silence s'installe. Je prends le temps d'emmagasiner la quantité importante d'informations que je viens de recevoir tout en continuer d'observer le paysage .

Il reprend sur un ton plus enjoué :

-Mais passons, nous aurons le temps de discuter de tout ceci à un autre moment, j'aimerai te faire visiter .

Je suis vraiment impatiente de visiter les lieux, mais une question me turlupine depuis un petit moment et je ne peux m'empêcher de lui demander :

- J'ai juste une dernière question s'il te plait . La capsule X a t-elle été interdite à la vente ?  D'ailleurs, je n'ai pas été tenue informée, avez-vous pu l'analyser ?

-Je comptais t'en parler. Parmi celles que tu as ramené, une semblerait correspondre parfaitement . Et la réponse à ta deuxième question est oui, si un individu souhaite en finir grâce à ce procédé il devra passer devant une commission consultative. Mais il va sans dire, que chacun est libre de choisir entre la vie et la mort .

Je m'exclame compréhensive :

- Je vois. Peux-tu m'en dire davantage, quelles sont vos conclusions ?

- Ces capsules sont un bijou de technologie. Je suis contraint d'avouer que leurs chimistes étaient de vrais génies . Cela dit elles sont fabriquées à partir de composants polluants et extrêmement toxiques pour notre planète .

Je suis à moitié étonnée par ces aveux et reprends :

- Bien entendu, la protection de la nature n'est pas leur principal préoccupation.

- Tu as tout compris, raison de plus pour contrecarrer leurs plans .

Après un bref flottement, il reprend :

- Nous pouvons continuer à présent ?

- Oui, bien sûr, répondis-je en lui souriant franchement .

Le reste de la nuit se déroule parfaitement bien, sa présence me réconforte, bien qu'il n'est tenté aucun rapprochement je reste chamboulée par tout ce qu'il m'apprend au cours de la soirée. Il connaît le nom scientifique de chaque plante et leur provenance, j'en apprends même un peu plus sur ses origines.

Il a vécu une enfance marquée par l'absence d'un père et une mère attentionnée bien que travaillant beaucoup pour répondre aux besoins de sa famille. J'apprends qu'il avait un défunt frère qui faisait partie de la résistance. Il élude rapidement le sujet, je comprends que cela doit être douloureux . J'apprécie sa franchise et je profite autant que possible de ses révélations.

Au cours de notre repas improvisé sur une nappe de fortune ma curiosité piquée au vif je ne peux m'empêcher de lui demander  :                 

- Kalyel, qu'attends-tu de moi à présent ? Dois-je garder mon emploi  ?

Il me regarde  fixement pendant un long moment puis reprend :       

- Tu es libre de faire tes propres choix. Tu peux bien entendu garder ton ancien emploi mais si tu préfères changer de voie je le comprendrai. Quelque soit ta décision, attends toi tout de même à quelques changements.

Sa réponse ne m'aide pas . Je décide de remettre à plus tard mes doutes et mes interrogations pour profiter pleinement de sa présence et de ce moment rien qu'à nous.

Nous discutons de tout et de rien jusqu'au petit matin et c'est sur une note enchantée que nous retournons dans nos quartiers respectifs, l'esprit libéré.