CHAPITRE 5 - Solitude
Kim Taehyung, 18 ans,
Octobre 2018, Seoul.
— Réveille-toi, dit une voix au loin, mais je n'ai pas envie d'ouvrir les yeux.
J'ai horriblement chaud, j'ai l'impression que chaque inspiration me demande une quantité affolante d'énergie.
— Taehyung-ssi, insiste la personne en murmurant.
Je sens un souffle s'abattre sur mon visage. L'individu est en train de s'agacer, il en vient même à me secouer, d'abord doucement, puis plus franchement. Je finis par battre des paupières, comme sorti d'un long coma.
Je tombe sur Jungkook, penché sur moi, appuyé sur un coude. Étant sur le dos, ce qui n'est pas habituel pour moi, je réalise alors que j'ai dû faire un cauchemar.
— T'étais franchement agité, s'explique-t-il alors que ses traits se plissent.
Je ne vois pas très bien son visage et je n'arrive pas à déterminer s'il est vraiment irrité ou simplement ennuyé.
— Pardon, j'ai dû rêver.
— Tu transpires beaucoup, c'était un cauchemar ?
J'ignore si cette question est rhétorique ou s'il éprouve un véritable intérêt pour la réponse.
— Je ne sais pas, je ne m'en rappelle pas.
Mes doigts accrochent encore fortement le tissu de mon coussin, signe que je me suis tendu dans la nuit. Pourtant, j'ignore ce qui m'arrive.
— Tu n'es pas malade au moins ? demande Jungkook.
Avant que je ne puisse répliquer, sa main atterrit sur mon front. La sensation de sa peau contre la mienne me pousse à battre des cils, je suis surpris par son initiative.
— Tu es brûlant, Taehyung-ssi hyung.
Il retire ses doigts pour braquer son regard sur moi, on dirait qu'il ne sait pas ce qu'il doit faire.
— Tu crois que j'ai de la fièvre ?
— J'en suis sûr.
— Merde, soupiré-je. C'est ma faute, j'ai été courir sous la pluie, j'ai dû attraper froid.
Je râle intérieurement parce que ça ne sent vraiment pas bon. Le cours de chant de demain s'annonce mal parti, surtout que nous avons également le tournage d'une autre performance live dans une semaine.
Je me mets en position assise, mais un mal de tête carabiné m'assaille et me fait grimacer. Je souffle à nouveau, agacé.
— Pourquoi tu t'assois ?
— Je vais aller chercher une serviette froide et prendre un cachet, j'ai super mal au crâne.
Même ma voix semble pâteuse, comme si mon cerveau refusait de coopérer.
— Laisse tomber, dit-il en se levant du lit.
Je le regarde quitter la chambre en ne comprenant pas très bien ce qui se passe. Il revient quelques minutes plus tard, les mains chargées.
— Prends ça, chuchote-t-il en me tendant un verre d'eau avec un médicament. C'est du paracétamol, précise-t-il.
— Je me doute que tu ne vas pas m'empoisonner quand même.
Je voulais être drôle, mais je ne suis pas sûr que nous en soyons là tous les deux. Il ne dit rien, alors je me décide à prendre ce qu'il me tend. J'avale le médicament et bois l'entièreté de l'eau, puis Jungkook récupère le verre qu'il dépose au sol, à côté du lit.
Il s'assoit sur le matelas puis me demande de m'allonger. Sans discuter sa requête, je m'exécute en attendant la suite, parce qu'il semble qu'il y en ait une.
Je découvre alors ce qu'il tient dans l'une de ses mains : une petite serviette. Il prend le soin de dégager les mèches collées à mon front pour déposer le linge humide sur ce dernier. Je ne sais pas quoi dire, à tel point que je ne fais que le fixer, probablement avec des yeux stupéfaits.
Depuis quand Jungkook s'occupe-t-il de moi ?
Moi, son ainé, qui plus est ?
Lorsqu'il a terminé sa besogne, je l'observe me regarder pendant quelques secondes supplémentaires, puis il se recouche, comme si de rien était.
— Je devrais dormir ailleurs, dis-je, brisant le silence qui s'était à nouveau installé.
— C'est où « ailleurs » ?
Il me murmure cette question alors qu'il se tourne pour me montrer son dos.
— Le sol ? tenté-je parce que je ne vois pas d'autre endroit.
J'aurais pu exceptionnellement embêter Jimin, quitte à le coller à cause de l'étroitesse des lits superposés, mais étant malade, je ne voudrais pas le contaminer également.
— Ne sois pas ridicule.
Il est à nouveau condescendant, je n'aime décidément pas du tout ce côté de sa personnalité.
— Je l'ai déjà fait.
— Tu es malade.
— Et alors ?
— Tu as besoin de repos.
— Tu ne peux pas tomber malade aussi.
— Personne ne peut l'être, si tu es malade, nous avons tous un problème, finit-il par dire, la voix à moitié étouffée par son oreiller.
J'ignore comment il fait pour lâcher de telles phrases dans la plus grande indifférence. Je n'aime pas me poser toutes ces questions à son sujet, mais je crois qu'il me rend tout de même curieux.
— Et si je passe la nuit à m'accrocher à toi et que tu as de la fièvre ensuite, tu diras la même chose ? ne puis-je m'empêcher d'avancer.
— Tu m'apporteras du paracétamol.
J'émets un petit rire qui me secoue suffisamment pour faire grandir mon mal de tête. Ce mec est incompréhensible, je laisse tomber. J'arrête de me faire des nœuds au cerveau, je vais juste suivre le mouvement et voir où cela nous mène.
~
Le lendemain est pire que tous les autres réveils. Comme prévu, je tiens bien Jungkook contre moi, mais cette fois-ci, il ne me tourne pas le dos. Il est face à moi. Son visage est à quelques centimètres du mien, au point où sa respiration vient s'échouer sur mon visage et que la mienne doit effectuer le même trajet en sens inverse.
S'il ne tombe pas malade, c'est qu'il a de superbes défenses immunitaires, et si je ne meurs pas de honte tout de suite, c'est parce que ses yeux sont superbement fermés.
Je n'avais jamais vu ses traits d'aussi près, notamment parce que c'est différent avec lui. Avec Jimin, nous passons notre temps à être l'un avec l'autre alors je connais ses expressions par cœur, je pourrais même dessiner son portrait dans le noir.
Mais avec Jungkook, il me semble que j'ai encore besoin d'apprendre à connaître l'ensemble de ses traits.
Une semaine plus tard...
Je m'endors presque sur ma chaise tandis que Harin s'occupe de boucler mes cheveux. J'ai eu une permanente il y a deux mois, mais celle-ci est en train de m'abandonner pour le lisse habituel de ma tignasse. D'un naturel brun chocolat, je pense sérieusement à me les foncer pour donner un ton plus sombre à mon visage, et ainsi, je l'espère, prendre en charisme.
Je m'aperçois que je me suis effectivement assoupi quand je sens un poids s'affaler sur mes épaules. J'ouvre brusquement les yeux et tombe sur ceux rieurs de Jimin. Je lui fais une grimace à travers le miroir et son sourire s'élargit.
Il ressert ses bras autour de moi avant de parler :
— La sun-ogongju* a-t-elle besoin d'un baiser pour se réveiller ? ricane-t-il en essayant d'embrasser ma joue.
Je m'écarte de lui en me marrant, il n'est pas possible. Il n'en rate pas une !
— Laisse-moi tranquille, Jimin-ie, dis-je en essayant de retirer ses membres qui m'emprisonnent.
Du coin de l'œil, je vois une grosse caméra immortaliser l'instant. Nous tournons aujourd'hui notre performance live sur notre second titre, Blue Ocean*, qui évoque l'immensité du monde dans lequel on se perd parfois. Faire face à cette étendue sans fin qui donne à la fois des perspectives d'avenir, mais qui peut aussi nous rappeler à quel point nous sommes petits et seuls.
Nous filmons aussi les backstages* pour montrer l'envers du décor et partager des moments un peu plus intimes avec nos fans, comme s'ils étaient avec nous.
Jimin s'amuse à mimer un baiser et je rigole encore plus fort. C'est qu'il ne veut pas me lâcher cet enfant !
— T'es pas drôle Taehyung-ie, finit-il par dire en se retirant.
J'ai encore un sourire alors qu'il s'éloigne et que la caméra le suit. Mes yeux croisent ceux de Jungkook dans la glace, il est en train d'effectuer quelques vocalises. Il vient de revenir alors qu'il s'était éclipsé durant de nombreuses minutes.
Il porte une chemise blanche dont les nombreux trous révèlent la peau laiteuse qui se cache en-dessous. Elle est accompagnée d'un pantalon ample de la même couleur qui se trouve tacheté d'encre bleue, comme pour nous tous. Cette tenue met en avant sa taille fine tout en soulignant sa musculature.
Nous rompons le contact visuel et c'est mieux ainsi.
Depuis une semaine, j'essaie de ne pas rencontrer ses pupilles trop souvent, je suis encore gêné de la position dans laquelle je me suis réveillé l'autre matin. Pourtant, il n'y a rien de dramatique et puis il ne s'en est jamais rendu compte, alors tout va bien.
Je reporte mon attention sur ma personne et détaille les vêtements qu'on m'a donnés. J'ai un pull d'un blanc délavé qui est entaillé à de nombreux endroits, le col est en forme de V et il est accentué par une grosse déchirure descendant jusqu'au milieu de mon torse. Ma peau a été recouverte d'une peinture azure qui coule de ma gorge comme si l'on m'avait mordu. Mon pantalon est assez serré au niveau des hanches et des cuisses, il est dans une douce teinte d'un bleu pastel qui rappelle l'eau de plages paradisiaques.
Plusieurs boucles me tombent sur le front tandis que les autres sont dans un style coiffé décoiffé qui me donne un air sauvage que j'aime beaucoup. La confiance en soi peut très légèrement augmenter lorsque l'on porte des habits qui nous mettent en valeur et dans lesquels on se sent bien. C'est le cas aujourd'hui et je me sens prêt à donner le meilleur de moi-même pour ce tournage.
Et tant pis si je tousse encore un peu et que ma voix est plus rauque qu'à l'accoutumée.
Je me lève et remercie l'équipe de maquilleuses et de stylistes en quittant les coulisses du studio. Nous tournons cette vidéo dans une salle prévue pour ce type d'enregistrement. La mise en scène est incroyable, une infime couche d'eau recouvre l'entièreté de l'estrade tandis que des arbres abandonnés ont été placés ici et là pour donner l'illusion d'un radeau au milieu de l'océan. Le fond montre la profondeur de l'horizon tandis que le soleil se couche pour laisser place à une nuit étoilée dont l'obscurité vient l'engloutir.
Une autre caméra s'approche de moi et je lui souris.
— Quelles sont tes impressions ? m'interroge le cameraman.
— Cette mise en scène est sublime, le travail qui a été fait est tout simplement incroyable, dis-je. Avec les garçons, nous avons beaucoup réfléchi à ce que nous voulions exprimer avec Blue Ocean et je crois que c'est exactement ça.
— C'est-à-dire ? Qu'est-ce que représente cette chanson pour vous ?
Je prends quelques secondes pour penser à sa question, mais je connais déjà la réponse.
— On est tous touchés par des sentiments de solitude et la peur qu'elle nous éloigne de tout. Ce titre parle de notre envie de montrer ce monde que nous nous sommes créé pour que les gens partagent cette solitude avec nous, au moins pour quelques minutes. C'est un moment d'intimité entre personnes qui se comprennent lorsqu'elles se révèlent être elles-mêmes.
L'homme derrière l'objectif me sourit, j'imagine qu'il saisit très bien ce que je veux dire. L'ombre est partout, en chacun de nous, et cette chanson vient démontrer que c'est okay.
Je monte sur la scène en ayant en tête qu'on n'aura pas le droit à de nombreuses prises parce que le sol est mouillé et que cela risque de nous éclabousser en dansant. Je marche doucement, faisant attention à ne tremper que le dessous de mes chaussures, puis remarque que notre PDG est présent, il est en train de parler devant une autre caméra un peu plus loin.
Je me demande pourquoi il est ici, ce n'est pas dans ses habitudes. Il est accompagné de notre manager, Jin, qui est un peu en retrait pour ne pas apparaître à l'écran. Sur le plateau, je retrouve mes camarades, notamment Jimin et Jungkook qui font les imbéciles devant l'objectif. Je les entends rire, mais j'ignore pourquoi.
Namjoon et Hoseok discutent entre eux tout en effectuant des exercices d'étirements pour s'assouplir les membres. Pour ma part, je commence à observer plus attentivement le lieu afin de déterminer mes placements durant la chorégraphie. Soudain, un homme monte sur scène et s'approche de moi avec mon micro et mon équipement pour le son.
Je le salue d'une légère courbure et il m'installe mes ears, ainsi que le boîtier allant de pair. Nous allons devoir faire le soundcheck sans danser donc j'espère que ça va aller. Quand on nous signale que la musique va être lancée, mes coéquipiers se rapprochent de moi, micros en main.
Etant malade, je n'ai pas pu m'entraîner autant que les autres, mais j'ai assisté à toutes les répétitions, réalisant les pas dans mon esprit. Ça me tend, j'appréhende cette prestation tout en ayant hâte.
— Vous êtes prêts, les garçons ? demande l'un des ingénieurs du son.
— Allons-y, répond Namjoon.
Chacun d'entre nous a un rôle à jouer dans le groupe, c'est quelque chose qui a été défini assez naturellement. Namjoon, en plus d'être notre leader, est également notre rappeur principal. Hoseok en est un aussi, en plus d'être notre premier danseur, puis Jimin, Jungkook et moi sommes des vocalistes. Jimin est tout de même un incroyable danseur, dans un style plus contemporain et élégant tandis que Jungkook est plutôt polyvalent, ce qui fait de lui le membre central. Et moi, disons que j'essaie de me donner autant que les autres, dans tous les domaines.
Les caméras filment également ce moment et ça continue de m'angoisser. Après le soundcheck, Hoseok remarque assez rapidement que je suis encore en tension et il s'avance pour mettre son bras sur mes épaules, dans une tentative de me détendre un peu.
J'ai beaucoup de chance d'être dans Eodum, un groupe où nous prenons soins les uns des autres. Comme le disait Namjoon, nous sommes une famille. Il y a des hauts et des bas, mais nous restons soudés, quoi qu'il arrive.
Juste avant que nous ne débutions la réelle prestation, Namjoon m'envoie un clin d'œil et je lui réponds par un baiser qui s'envole dans les airs. Il sourit.
Jang Siwoo, notre PDG, regarde toute la performance et lorsque nous terminons, il est le premier à applaudir. J'ai le souffle court, tout comme mes camarades, et je sens que j'ai dû un peu forcer sur ma voix, elle qui n'était pas totalement remise. Je suis bon pour un thé au miel en rentrant à la maison.
— Bravo, les gars, nous encourage notre leader. Allons voir les images.
Nous descendons de l'estrade pour nous diriger vers le retour caméra où le staff rembobine la vidéo pour que nous visionnions ce que nous venons d'enregistrer.
Jang Siwoo nous approche et nous le saluons avec respect, même s'il a horreur de cet acte bien trop formel. Avant que nous ne puissions échanger des banalités, l'écran s'anime et nous nous observons sur le dispositif d'affichage.
J'ai un regard très sévère sur moi-même et constate quelques défauts qu'il me faudra corriger, notamment les moments où ma voix n'était pas très stable et maîtrisée. Mais je suis plutôt fier de moi, dans l'ensemble.
— Attendez, revenez en arrière s'il vous plaît, dit Jimin et l'équipe obéit à sa demande. Là, arrêtez !
La vidéo se stoppe sur ma partie où je me retrouve au centre alors que les autres membres sont accroupis autour de moi. A cet instant, la caméra effectue un zoom sur mon visage et mes yeux fixent l'objectif tandis qu'une boucle vient entraver mon sourcil droit.
— Mec, je sais pourquoi on t'a choisi comme visuel, s'exclame-t-il et je ne peux pas m'empêcher de m'esclaffer. On dirait que tu vas nous manger à travers l'écran.
— Ne raconte pas n'importe quoi.
J'approche ma main de ses cheveux pour venir les décoiffer, mais il se dégage vivement de mon toucher, ne souhaitant pas devoir repasser entre les mains de Harin.
Les autres membres, et même Jang Siwoo, nous regarde avec affection, ce qui me fait sourire un peu plus encore. Nous visionnons le reste de la vidéo puis Hoseok intervient :
— Refaisons-là encore pour que ça soit encore mieux, parce qu'on était un peu en retard sur le premier couplet.
Hoseok est un homme très drôle et plutôt facile à vivre, mais il ne rigole jamais quand il s'agit de nos chorégraphies. Ce n'est pas notre danseur principal pour rien.
Je roule des yeux, mais je sais qu'il a raison. Enfin, je n'ai rien vu, mais j'ai confiance en son expertise et en sa vision de lynx.
_________
NOTE DE L'AUTEURE :
Alors, que pensez-vous de ce chapitre ?
Jungkook est en train de se dérider, non ? Il n'est pas ce qu'on pourrait qualifier d'affectueux, mais il essaie de faire les choses biens. Après tout, comme dit Namjoon, ils sont une famille, et même s'ils n'ont pas tous autant d'affinité, ils prennent soins les uns des autres ! Bon, malgré cette avancée, ne vous réjouissez pas trop vite, nous sommes sur un slowwwww burn haha
A mercredi pour la suite xx
PS : J'imaginais la tenue de Jungkook un peu comme ça (n'oubliez pas qu'il est plus jeune dans mon histoire)
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