CHAPITRE 32 - VÉRITÉ

Kim Taehyung, 24 ans,

Juillet 2024, Seoul.


Chaque son que font ses pas viennent hérisser les poils de mon corps. Je ressens ses mouvements, ses inspirations, son odeur qui font se rétracter mon estomac ; je pourrais vomir dans la seconde.

Il est tel que je me le rappelle, charmant dans son costume trois pièces d'un kaki qui me fait pourtant mal aux yeux. Une démarche sournoisement élégante et un sourire trompeur, les pupilles faussement bienveillantes. Mon inconscient réagit avant moi, tous mes sens se mettent en alerte, j'ose à peine respirer de peur d'attirer son attention. Mais toute cette couche épaisse de crainte cache une colère tapie dans l'ombre, prête à tout ravager sur son passage. Je me sens bouillir de l'intérieur, fulminant à l'idée de lui faire ravaler la fierté que je lis sur son visage.

Je n'arrive pas à croire qu'il puisse se pointer ici, qu'il ait le culot de faire ça.

Un coup de pied sous la table me ramène à la raison. Je papillonne des yeux, me réveillant de ma léthargie. L'auteur de cette agression n'est autre que Jungkook à qui j'envoie un regard carnassier. Lui, plus que n'importe qui d'autre, devrait comprendre mon agitation et cette envie à peine contenue d'exploser.

Soudain, je me rappelle que je ne suis pas le seul concerné. Il a lui-même connu cette sensation d'impuissance, de faiblesse, de terreur liée à cet homme. Ma poitrine s'arrête dans son élan, m'empêchant d'inspirer normalement, ne me facilitant pas la tâche. Quoi qu'il arrive, Jungkook doit être ma priorité, peu importe à quel point l'irritation ou bien l'effroi peuvent m'envahir. Face à mes propres angoisses, j'ai tendance à tout oublier.

J'ai la jambe qui tressaute et j'ai cessé de me nourrir à la minute où il est entré. J'essaie alors de m'apaiser en respirant profondément. Le noiraud fait de même, le visage fermé et l'expression dure, ses muscles se tendant imperceptiblement.

— Bonjour tout le monde, nous salue Jin de sa bonne humeur habituelle.

S'il savait ce qu'il en est, il serait bien moins souriant.

Les nouveaux arrivants se penchent en avant, en signe de respect, mais je suis bloqué sur ma chaise, je ne peux plus effectuer aucun geste. Paralysé, je ne peux même pas dire bonjour à mes amis qui ne doivent pas comprendre ce qui se passe.

— Nous ne voulions pas vraiment faire les choses comme ça, mais nous l'avons appris ce matin, poursuit notre manager en se pointant du doigt, ainsi que notre producteur. Notre PDG a signé un contrat avec MH entertainment et vous allez collaborer avec les S-pring pour une chanson, dit-il en ne pouvant s'empêcher de me lancer un regard inquiet.

Je suis médusé par cette nouvelle, que je prends de plein fouet. J'analyse la pièce, m'attendant presque à voir une caméra planquée quelque part, prête à capturer mon expression de panique. Même s'il ignore tout de mon agression, Jin connaît les rumeurs qui me lient à Cha Yuna, doit-on davantage les alimenter ?

Le producteur des S-pring a un sourire qui lui mange la moitié du visage, surtout lorsqu'il pose pour la première fois ses yeux sur moi. Je sens mes doigts se contracter en des poings sous la table, je ne vais pas le supporter longtemps.

Je suis chacune de ses actions, les analysant outre mesure, comme un animal guetterait le moindre fait et geste de son prédateur. Lorsqu'il remonte ses manches et dévoile ce fameux tatouage en forme de rose, mon cerveau manque subitement d'oxygène.

J'en reconnais les traits et les courbes, et c'est trop, beaucoup trop.

Ce n'est plus un cauchemar, c'est un enfer et je ne sais pas comment je pourrai en sortir, ni même comment j'ai fait pour m'y retrouver enfermé.

Je me lève d'un bond, ne pouvant me retenir davantage. Je ne réfléchis pas quand je quitte la salle d'un pas déterminé, mettant le plus de distance possible entre eux et moi.

Je n'en peux plus. Je déteste ce sentiment, celui de me sentir forcé à faire des choses que je ne veux pas, de devoir être quelqu'un que je ne suis pas, de tromper les fans, et de me duper par la même occasion. A toujours vouloir faire en sorte que ça marche, à être dans les clous que l'on m'impose de planter, à m'obliger à coller à cette image du parfait idole, ça me donne envie de tout envoyer valser.

J'entre dans l'ascenseur, bien décidé à foutre le camp d'ici, mais avant que les portes ne se referment, une main les en empêche. Pendant une seconde, j'ai peur que ça ne soit Baek Soo-Min, résolu à reprendre là où il s'est arrêté il y a deux ans. Je m'accroche à la rambarde de sécurité derrière moi, comme si elle allait m'aider à tenir le choc, à ne pas m'effondrer.

Jungkook entre dans la cabine et mon souffle se relâche. J'ai l'impression de pouvoir respirer à nouveau, je sais qu'il ne m'arrivera rien tant qu'il est là.

— Qu'est-ce que tu fais ? me questionne-t-il, légèrement essoufflé de son sprint pour me rejoindre.

— Je m'en vais, ça se voit, non ?

Je me montre agressif alors que ce n'est pas ce que je veux, mais je suis à fleur de peau. Tout ce que je sais, c'est que j'ai besoin d'air, et sortir de ces locaux m'apparaît être plus que nécessaire.

— Tu ne peux pas partir comme ça, lâche-t-il en bloquant l'ascenseur, comme Namjoon l'a fait un peu plus tôt.

Qu'ont-ils aujourd'hui ?

Il a troqué ses vêtements du matin pour un t-shirt ample noir dissimulant tant bien que mal les marques dans son cou, et un nouveau jogging, à lui cette fois.

— Regarde comme je le peux, et je vais le faire !

Il roule des yeux et je crois que c'est la première fois que je le vois faire ça. Ce n'est pas son genre.

— Je suis désolé si ce que je vais dire est violent, mais il faut que tu l'entendes, me prévient-il tandis qu'il s'avance un peu. Si tu t'en vas, tu fais comme il y a deux ans, c'est-à-dire que tu fuis la situation. Hier, dans la voiture, tu me semblais plus décidé à vouloir faire quelque chose.

Je croise les bras sur ma poitrine, cherchant avant tout à calmer les pulsations de mon cœur. Je ne suis plus effrayé par ses mots et je m'en réjouirais presque si je n'étais pas aussi en colère. Ce que nous avons traversé ensemble ces derniers temps m'a conforté dans l'idée qu'il ne cherchera jamais à me blesser volontairement, mais ce n'est pas pour autant que je dois accepter chacune de ses remarques.

— Tu veux qu'on fasse une scène en pleine cafétaria ? lui proposé-je avec cet air condescendant qu'il déteste.

— Arrête de me prendre pour un imbécile, je n'aime pas ça, dit-il en me menaçant du doigt tout en approchant d'un pas de plus. Nous devons réfléchir à la suite parce que faire une chanson avec ce groupe, ce n'est clairement pas dans mes plans. Sans compter que ça va alimenter les rumeurs de couple avec cette femme...

Il n'est qu'à un petit mètre de moi, le corps tendu comme un arc, prêt à dégainer une flèche.

— C'est la seule chose qui t'inquiète ?

Il fronce les sourcils.

— Bien sûr que non, je...

Il se stoppe dans sa phrase pour en entamer une autre.

— C'est ce que tu veux ? Tu as l'air de tout faire pour qu'on parle de vous deux. Tu la fréquentes vraiment ou quoi ?

Il ose enfin me poser la question, celle qui était jusque-là restée bloquée dans sa bouche, étant trop timide pour me confronter à elle.

Mais après la nuit que nous avons passés, est-ce que j'ai réellement envie de continuer à lui faire croire à cette mascarade ?

Le regard fuyant, je soupire.

— Je ne la connais pas tant que ça, commencé-je de manière évasive en mordant dans ma lèvre. Je n'ai pas eu le choix, je devais faire croire à une liaison avec elle, finis-je par avouer d'un bloc.

— Quoi ?

Il est clairement étonné, son visage exprime toute sa surprise tandis qu'il recule légèrement, comme heurté par cette nouvelle. Cette réaction est un peu excessive, je ne la comprends pas vraiment.

Qu'est-ce que ça change au juste ?

— Jin m'a demandé de nourrir les ragots qu'il y avait déjà, je n'ai fait que suivre ses indications.

— Alors, attends, si je comprends bien, les photos similaires, le fait qu'elle minaudait à la listening party ou encore tous ces messages interposés l'air de rien en story, c'était du flan ?

Je ne savais pas qu'il avait remarqué tout... ça, qu'il analysait ce que je postais ou ce qui se disait sur les réseaux sociaux. Il est soucieux de ce qui se raconte sur lui, ça je ne l'ignorais pas, mais je ne pensais pas qu'il était aussi attentif à ce qui se passait pour les autres membres.

Je me trouve à court de réponse, comme si j'étais un enfant qui se faisait gronder.

— La toile s'est enflammée toute seule, elle a tiré ses propres conclusions. Nous n'avons jamais confirmé quoi que ce soit, me sens-je obligé de me justifier.

— Tu les as franchement encouragés ! Tu sais que nous avons chuté en bourse après ça ? Que tu as reçu une montagne de commentaires haineux ? T'es au courant, au moins ?

Il a l'air fâché et j'ignore pourquoi. Il se fiche éperdument de notre cote en bourse, il n'a jamais été très regardant au niveau de l'argent, au point où il dépense parfois sans compter.

— J'avais remarqué, figure-toi ! Ce n'était pas une partie de plaisir pour moi, surtout que cette fille est une vraie peste !

Mon ton est redevenu sec, je n'aime pas la tournure de cette conversation.

— Alors pourquoi l'avoir fait ?

Ses bras s'étendent quand il effectue un grand geste, signifiant son incompréhension.

— Je viens de te dire que je n'avais pas eu le choix.

— Très bien, mais pourquoi ne pas en avoir parlé ? Tu en as encore beaucoup des choses que tu gardes pour toi ?

Je me redresse, irrité en pointant également un doigt vers lui.

— Tu vas m'expliquer pourquoi tu réagis comme ça ? Je ne vois pas en quoi tout ça te regarde !

A son visage, je sais qu'il se braque, que le sujet l'énerve même si je n'en comprends pas la raison. Il pince l'arête de son nez en fermant les yeux, soupirant son mécontentement.

— Tu as raison, ce ne sont pas mes affaires. J'ai simplement l'impression de ne pas te connaître parfois, confesse-t-il en s'éloignant à l'autre bout de l'ascenseur.

Je ressens le froid qu'il instaure dans la cabine en prenant de la distance, comme si un fil nous reliait et qu'il venait de l'étendre pour qu'on y voit plus l'autre extrémité.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Tu ne me parles plus autant qu'avant, des choses profondes, on passe notre temps à être en désaccord ou... à s'embrasser, m'explique-t-il, traînant sur la fin. Ce cocktail est en train de me rendre fou.

Je souffle parce que je vis la même chose que lui, ne sachant plus très bien sur quel pied danser.

— Tu as besoin d'une étiquette sur notre relation ?

Il incline la tête, peut-être un peu surpris par ma question.

— Non, je veux seulement que ça soit plus léger, qu'on arrive à se dire les choses comme on l'a toujours fait. On n'a jamais été très forts pour communiquer, mais on trouvait toujours le moyen de parler, peu importe l'intermédiaire. Même ça, nous l'avons perdu.

— J'ai trouvé ton post-it ce matin, le contré-je en m'approchant de lui.

Nos mouvements corporels sont à l'image de notre relation, quand l'un avance l'autre recule, et inversement.

— Mais tu ne m'as pas répondu, dit-il, visiblement déçu.

— Nous avions l'habitude de ne jamais vraiment les évoquer de vives voix.

— Oui, mais tu me répondais avant.

— Okay, très bien, déclaré-je en sortant mon téléphone.

Il me regarde faire en arquant un sourcil. Je ne mets pas longtemps à retrouver notre conversation pour y taper un message.

« 시간은 무한한 맛을 줄 수 있지만 쓴맛이 있습니까, 아니면 맛있습니까 ?* »

Quand on entend une vibration, Jungkook sort son appareil de la poche de son jogging, puis le consulte. Je n'arrive pas à déterminer ce que mon message suscite en lui, il reste neutre lorsqu'il relève la tête pour m'observer.

Je pensais qu'il allait lui aussi m'envoyer un message, mais il décide de partager sa réponse à l'oral :

— Il est doux-amer, à la fois piquant et agréable.

Encore une fois, il est vague, ce n'est ni positif, ni négatif. C'est un entre-deux particulier, ambigüe, indécis, comme nous.

— Et ce cocktail doux-amer, tu vas le boire à nouveau ? osé-je lui rétorquer.

Comment notre échange a-t-il pu dériver à ce point ?

Il y a à peine une minute, j'étais dans un état déplorable, prêt à tout incendier sur mon passage. Et maintenant, c'est toujours le cas, mais d'une manière bien plus fourbe et passionnée.

— J'ai peur qu'il soit coûteux, dit-il en prenant une plus grande inspiration.

— Il l'est.

C'est vrai, il y a des risques, des conséquences. A tout moment, notre carrière peut en pâtir, le reste du groupe aussi, sans compter l'agence ou toutes ces petites mains qui travaillent avec nous. J'oublie même de citer les conventions et nos familles, qui peuvent ne pas nous faciliter la tâche. Mais l'essentiel est dans ce que nous voulons, ce que nous attendons de cette relation.

Une part de moi souhaite me laisser porter, voir jusqu'où nous pourrions dériver, et l'autre éprouve des craintes, des angoisses, liées au raz de marée que nous serions capables de causer.

— Mais..., commence-t-il nerveusement. J'ai toujours assez d'argent sur moi.

Est-ce qu'il sous-entend qu'il serait prêt à débourser pour un second cocktail ?

Dois-je comprendre qu'il veut réitérer l'expérience ?

A quel point cette boisson le fait-il délirer ?

Les mots se bloquent dans ma gorge et ils se trouvent complètement étouffés par mon téléphone qui se met à vibrer.

C'est Jimin.

Au même moment, je vois l'écran du portable de Jungkook prendre vie et aperçois le visage de Namjoon apparaître.

Nous nous regardons une seconde avant de décrocher tous les deux.

— T'es où ?

Je soupire, notamment pour reprendre mes esprits.

— Je suis dans l'ascenseur avec Jungkook.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? Vous êtes partis d'un coup.

J'aime le fait qu'il fasse passer notre amitié avant le travail, qu'il cherche d'abord à en savoir plus sur mon état.

— Je ne me sentais pas très bien, j'avais besoin de prendre l'air.

— Dans l'ascenseur ?

Je me rends compte que ma réponse n'est pas très logique, mais je n'ai pas envie d'épiloguer là-dessus.

— Ouais.

Cette fois, c'est lui qui souffle.

— Est-ce que vous allez remonter ?

Mon corps entier me crie qu'il ne veut pas, que je n'arriverai pas à lui faire face, que c'est au-dessus de mes forces. Mais partir, c'est fuir : Jungkook a raison. Surtout que ça ne fera que retarder les choses parce que, que je le veuille ou non, ce type est réellement dans nos locaux et ce projet de collaboration, je vais avoir du mal à y échapper sans me manifester.

— Oui, on ne va pas tarder.

— Taehyung-ie ? m'appelle-t-il d'une voix plus douce.

— Mmh...

— Je t'aime, tu le sais, hein ?

Je me fige, ce n'est pas dans ses habitudes d'être aussi sentimental.

— C'est... soudain, ris-je.

— Je sais, mais quelque chose me dit que tu avais besoin de l'entendre.

Je l'imagine hausser une épaule avec nonchalance, ne se rendant pas compte de l'impact de ses mots.

— Tu fais bien, j'aime l'entendre. Moi aussi, Jimin-ie babo*.

Je raccroche avec un léger sourire.

— Nous devons y aller, me coupe Jungkook dans mes pensées.

— Je sais.

— On va être obligés d'en parler pour que cette collaboration n'aie pas lieu.

Je hoche la tête, il a encore une fois raison. Je le sais, pourtant ça ne m'empêche pas d'avoir une boule au ventre.

J'ai passé deux ans à garder ce traumatisme pour moi, ayant honte de révéler cette part de mon histoire, en plus de ne pas vouloir créer de problème. Et en faisant ça, je n'ai fait que permettre à cet homme de me bouffer le cerveau, la santé et d'impacter mon entourage en conséquence. Puis de s'en prendre à Jungkook. Je n'ai fait que conserver cette rancune, ces craintes, pensant pouvoir me fabriquer un pansement, mais je n'ai fait que recouvrir une plaie infectée. Elle a continué à pourrir sous le sparadrap, m'empoisonnant de part en part pour me détruire à petit feu.

Peut-être qu'en parler ne règlera pas mes traumas, ni ne désinfectera la blessure qui en découle, mais il se peut que ça soit une première étape vers la guérison. Il est temps de soulever la compresse pour voir où en est la coupure et découvrir s'il est encore possible de la recoudre, ainsi qu'espérer qu'elle ne laisse plus qu'une simple cicatrice.

En remontant, je n'ai eu de cesse de me triturer les doigts. Nous avons convenu qu'en parler à Jin était la meilleure option, il nous connaît et sait se montrer compréhensif. Mais au-delà de ça, il nous a un peu élevé. C'est lui qui nous cuisinait de bons petits plats pour que nous ne mourrions pas de faim à nos débuts ou qui s'occupait de nous amener à l'école parce que nous n'avions pas de chauffeurs à l'époque. Il faisait aussi en sorte d'organiser notre planning pour qu'il ne soit pas trop indigeste, il prenait le temps de nous parler pour avoir notre avis ou bien simplement pour nous écouter quand ça n'allait pas. Nous avions accès à un psychologue, mais Jin avait déjà ce rôle pour nous et il a toujours donné de précieux conseils, avec bienveillance et tolérance. C'est encore le cas aujourd'hui.

Jin a une manière de voir la vie qui est bien à lui. C'est un bon vivant qui aime vivre dans le moment présent sans trop se tracasser pour l'avenir. Pourtant, il n'oublie pas et se souvient de ses expériences passées qui ont pu le marquer plus ou moins violemment. S'il a grandi dans une famille aisée, elle pouvait se montrer assez exigeante envers lui, tout comme celle de Jungkook.

Il est devenu manager en voyant une annonce sur Internet et il a tenté sa chance alors même qu'il n'avait jamais été formé à ça. Mais il cherchait du travail à ce moment-là et l'agence n'avait pas les moyens de se payer une personne diplômée. C'est un heureux hasard, surtout qu'il est maintenant respecté dans son milieu.

Jin nous écoutera, j'en suis certain, mais je suis effrayé par sa réaction. Il est imprévisible et j'ai peur de ne pas arriver à en parler à nouveau.

Namjoon a informé le noiraud qu'ils s'étaient déplacés dans la salle de réunion du dernier étage, nous nous y rendons alors dans un silence rempli de nervosité.

Devant la porte, Jungkook ne prend pas la peine de toquer avant d'ouvrir. A mesure que nous avancions, j'ai vu son corps se tendre, intérioriser sa colère et ses angoisses.

Je glisse une main dans son dos, lui caressant doucement le bas des reins pour lui montrer que je suis là, que nous affronterons ça ensemble, même si j'ignore encore comment je vais y faire face.

Il s'arrête à mon toucher et je sens sa respiration se couper.

— Jin-ssi hyung, l'appelle-t-il sans détour, ne se souciant pas de les interrompre. Est-ce qu'on pourrait te parler ?

Le ton sérieux de sa voix ne laisse que peu de place au refus, ce que notre manager ne fait pas, comprenant qu'il se passe quelque chose.

Je ne le vois pas, n'ayant que le dos de Jungkook dans mon champ de vision, mais j'entends une chaise racler sur le sol tandis que des pas se rapprochent.

Je fais demi-tour, me dirigeant déjà vers une autre salle de réunion, bien plus petite et intimiste que celle-ci. Nous nous y installons en silence, je prends place aux côtés du maknae et Jin s'assoit en face de nous.

J'ai l'impression de passer un interrogatoire.

— Qu'est-ce qui se passe ? nous interroge-t-il en nous fixant à tour de rôle, visiblement inquiet.

Aucun de nous deux n'ose prendre la parole en premier, notre mutisme semble bien installé. Pour ma part, l'angoisse est en train d'ensevelir mon corps pour l'enterrer, la honte regagne du terrain et je ne sais pas si je serai capable d'ouvrir la bouche dans les prochaines minutes.

Jungkook tourne la tête vers moi, je peux voir à quel point la panique grignote également son esprit. Il est dans le même état que moi parce que souhaiter en parler ne veut pas dire que notre langue se délie plus facilement. Je suis déjà assis à cette chaise en face de Jin, sachant que je le ferai, c'est la plus grande étape.

— On va continuer à se regarder dans le blanc des yeux pendant longtemps ? nous questionne notre manager, s'impatientant.

J'inspire de manière exagérée, me préparant à me lancer. Je suis l'aîné, il est temps que je prenne mes responsabilités.

— Nous ne pouvons pas collaborer avec les S-pring, commencé-je d'une voix plus maîtrisée que je ne l'aurais cru.

— Pourquoi ?

— Pour plusieurs raisons, dis-je alors que je me racle la gorge, comme un nouveau tic nerveux. Tu connais les rumeurs et elles vont aller bon train après ça.

Jin jette un œil au noiraud, se demandant certainement ce qu'il peut dire ou non en sa présence.

— Il est au courant, je lui ai dit tout à l'heure, avoué-je.

Les épaules de notre manager se relâche, il semble soulagé, mais son visage se ferme, exprimant autre chose.

— Taehyung-a, nous devions garder ça pour nous.

— Je sais, mais les choses ont changé depuis et c'est devenu trop lourd pour moi.

— C'est lui qui se mange tous les commentaires dénigrants, rajoute Jungkook.

— Je sais que ça n'est pas simple, je n'avais pas plus le choix que toi.

Jungkook fronce les sourcils, il ne doit pas comprendre ce qui a bien pu pousser Jin à me demander de faire ça.

— Mais ce n'est pas tout, j'aurais pu passer outre, reprends-je. Je savais à quoi je m'exposais en acceptant.

— Comment ça ?

Son visage m'apparaît confus tandis qu'il ne sait plus qui regarder.

— Hum..., tenté-je, mais j'échoue lamentablement.

Mes pupilles se perdent, naviguant un peu partout dans la pièce. Je repère des détails inutiles, tels que les quelques miettes sur la table, la petite tâche au plafond ou encore le parapluie abandonné là, dans un coin. Tout est prétexte à ce que je fuis les yeux de Jin. Je n'ai pas l'assombrissement de la nuit pour me cacher ou encore les verres d'alcool en trop pour me faire vomir la vérité. Ce n'est pas comme avec Jungkook où le fait d'avoir fumé en continue m'avait lobotomisé le cerveau. Là, je suis sobre et lucide, c'est d'autant plus significatif.

— Cet homme, leur producteur... j'ai eu des soucis avec lui.

Le noiraud à mes côtés ne m'assomme pas de son regard, il me laisse poursuivre, prendre le temps qu'il me faut pour dire les choses. Il ne me presse pas, il se montre patient.

— C'est-à-dire ?

Notre manager est plus insistant, j'entends même son pied taper sous la table. Son corps indique qu'il est dans l'attente et qu'il ne la supporte pas. J'imagine qu'il doit percevoir que je n'ai pas simplement eu un désaccord avec lui, sinon je ne lui en aurais pas parlé, j'aurais réglé ça en adulte.

— Il m'a agressé il y a deux ans, lâché-je, telle une bombe.

— Hein ?

— Il m'a drogué et a profité de moi, Jin hyung.

Soudain, il se lève de sa chaise, les yeux furibonds, prêts à sortir de leur orbite.

— Tu te fous de moi ?

Il est à la limite de crier, mais je n'arrive pas à lui en vouloir.

Je me contente de secouer la tête, je n'ai rien d'autre à ajouter.

Il pose ses mains à plat devant lui et rentre le menton dans son cou, ne pouvant plus endurer mon regard.

— Je comprends mieux maintenant, dit-il dans sa barbe, articulant à peine.

— Qu'est-ce que tu dis ? demande Jungkook en se penchant vers lui.

Jin relève la tête pour nous observer sans un mot, étirant le silence jusqu'à ce que moi-même je n'en puisse plus. Je me redresse également et m'incline, cherchant à ce qu'il poursuive.

— Ce type est sur nos côtes depuis une éternité, il en est limite au harcèlement. Cette collaboration, il la veut depuis au moins trois ou quatre ans, mais nous avons toujours fait bloc, nous ne trouvions pas ça judicieux. On pensait à votre bien-être, mais aussi au fait que vous n'avez pas vraiment le même style musical. Vous êtes en décalage en terme de messages aussi.

Trois ou quatre ans ?

Mais c'est quoi cette histoire ? Depuis combien de temps ça dure ?

— Il a essayé de négocier un seul membre, notamment toi, Taehyung-a. Là encore, Jang Siwoo-nim et Yoongi-ya s'y sont opposés.

— Tu veux dire qu'il fait tout pour se rapprocher de moi ? Mais qu'est-ce qu'il cherche à la fin ?

Jin se rassoit, grattant son menton avec tracas.

— J'ai ma petite idée.

— Qui est ? insiste Jungkook qui s'est également mis à avoir le genou qui tressaute.

— Tu te rappelles de la trainee qui s'est suicidée il y a plusieurs années, de cette fille qui n'arrêtait pas de vous suivre partout ? Cette histoire avec laquelle nous menace MH Entertainment ?

— Attends, ils nous menacent ? s'insurge le maknae, abasourdi.

— Tu ne lui as pas tout raconté ?

— Je n'en ai pas encore eu le temps.

— C'est quoi ça ? demande Jungkook, le visage dur.

— Ils font pression sur nous pour tenter de révéler la manière dont les trainees sont traités au sein de l'agence. Cette jeune fille n'avait que douze ans et l'équipe n'a pas pourvu à ses besoins, surtout sur un plan psychologique. Nous sommes en faute, mais nous avons étouffé l'affaire il y a longtemps, explique notre manager en parlant avec les mains.

— Et qu'est-ce que ça peut leur faire ?

— Je ne sais pas, mais c'est comme ça qu'ils ont obtenu de Taehyung-a qu'il alimente les rumeurs avec Cha Yuna-ssi. Je pense même qu'elle l'a volontairement piégée lors de cette cérémonie en jouant la carte de la jeune femme en détresse.

Il vient de confirmer ce que je pensais, je ne suis donc pas totalement parano. J'ai été naïf, pensant qu'elle ne se sentait pas bien et qu'elle avait besoin de réconfort, alors qu'elle a simplement utilisé cet épisode à ses fins pour tenter une approche.

— Et quel est le lien avec leur producteur ? questionné-je, incapable de prononcer son nom à voix haute.

— C'était sa nièce.

Oh putain.

— Mais tu penses qu'il me tient responsable de sa mort ?

Je ne la connaissais que de visu, je ne lui ai même jamais vraiment adressé la parole en dehors de cette unique fois où je l'avais approché. Ça serait ridicule, je n'ai rien à voir avec sa fin tragique.

— Je pense qu'il veut faire payer l'agence et qu'il s'attaque donc au groupe qui l'a faite décoller. Tu es le visuel du groupe, celui qui est placardé partout lorsque l'on parle de FreeBeat ou de Eodum, j'imagine qu'il a dû faire une fixette sur toi.

Dans la logique tordue d'un malade, est-ce que ça pourrait avoir du sens ?

Mais alors pourquoi s'en prendre à Jungkook ? S'était-il lassé de moi ?

Je me tourne vers ce dernier, ne pouvant empêcher les questions d'affluer dans mon esprit.

— Je sais ce que tu te demandes, me dit tout à coup le noiraud en plongeant son regard dans le mien. Je ne comprends pas non plus.

— De quoi vous parlez ? s'interroge Jin, perdu.

Jungkook le fixe à nouveau, c'est à son tour d'inspirer pour trouver le courage nécessaire.

— A la listening party, il s'en est pris à moi à peu près de la même façon. Mais j'ai eu de la chance qu'il soit là, avoue-t-il en inclinant la tête vers moi, me désignant.

Cette fois-ci, les larmes lui montent aux yeux et je me retrouve démunis face à sa peine que je ne peux lui enlever.

— Comment j'ai pu ne pas m'en rendre compte ?

Il commence à glisser ses doigts dans ses cheveux pour les tirer légèrement, en proie aux tourments.

— Ce n'est pas de ta faute, il attendait simplement son moment, le rassuré-je tant bien que mal.

— Mais c'est mon travail de vous protéger de ce genre d'ordures ! En plus d'être un devoir en tant qu'ami ! Et quand je pense que cet enfoiré est ici, qu'il ose se pavaner comme s'il était le roi du monde ! J'ai envie de lui en foutre une, s'énerve-t-il.

Je ne l'avais jamais vu ainsi.

Il ne se met jamais vraiment en colère, il aime hausser le ton pour assurer sa place et assumer son rôle, mais ce n'est pas avec agressivité. Il est habituellement posé et réfléchi avant d'agir ou de parler.

— On va devoir la jouer plus finement que ça, déclare Jungkook en s'affaissant contre sa chaise, visiblement épuisé.

— Je le sais, mais il n'empêche que ça me démange.

Nous soupirons à l'unisson, dépassés par les événements.

— Je vais m'occuper de régler ça avec Jang Siwoo-nim, je trouverais un joli mensonge, nous réconforte-t-il. Mais qu'est-ce que vous voulez faire en ce qui le concerne ? Je suis obligé de vous conseiller de porter plainte, même si je ne peux pas imaginer la difficulté que ça doit être. Je ne veux pas que vous pensiez aux retombés médiatiques, nous ferons signer des contrats de confidentialités et je pourrai même vous accompagner, si vous le voulez. Mais je ne veux pas vous forcer, pardon. J'ai simplement envie de vous aider, autant que possible.

Jin se mélange dans ses mots, butte sur certains et continue de triturer ses cheveux comme si, de chaque mèche, il en ressortirait une idée, une solution, un apaisement.

Un léger sourire apparaît sur mon visage parce qu'il ne nous a pas jugé, à aucun moment, et qu'il nous croit, sans avoir besoin de poser des questions. Il nous fait confiance et nous soutient, quoi qu'il arrive. Il ne nous demande pas d'étouffer l'affaire, de garder le silence pour les convenances, pour sauver l'image du groupe ou de l'agence.

Il ne veut que notre bien-être, et si je l'aimais déjà, aujourd'hui cela dépasse de loin les mots.

En Namjoon j'ai trouvé un frère, en Jin j'ai trouvé une figure paternelle.

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NOTE DE L'AUTEURE :

Ce chapitre est plein de tension et de révélations !

Les émotions des personnages sont sans dessus dessous. Leurs cœurs sont mis à rude épreuve, ils n'ont pas le temps de souffler. Et vous, arrivez-vous à souffler ? ^^ 

Que pensez-vous de ce cocktail dont parlent Jungkook et Taehyung ? Vont-ils le boire à nouveau ou bien passer leur tour et revenir à leur relation d'avant ?

On sent Tae et JK en tension, sur une pente raide. Ils se montrent passifs agressifs, ne sachant plus très bien comment affronter la situation...

Que cherche le producteur des S-pring d'après vous ?

Comment trouvez-vous la réaction de Jin ? Personnellement, je dirais qu'il a bien fait de ne pas poser de questions, de ne pas se montrer trop intrusif. Il leur laisse le temps dont ils ont besoin pour révéler certaines choses et ne souhaite pas les brusquer pour porter plainte.

Comment imaginez-vous la suite maintenant ?

Le prochain chapitre est plus léger et vous allez faire la rencontre de nouveaux personnages ;)

A dimanche, mes Dumiz ! Des bisousss !!

Era xx

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