CHAPITRE 20 - (DOIGTS DE) FEE

Kim Taehyung, 24 ans,

Juin 2024, Seoul.

UNE SEMAINE PLUS TARD...

« Qu'est-ce qu'elle fout avec ce mec ? »

« Elle mérite mieux que lui »

« Ils feraient un beau couple, je trouve »

« Okay, il est beau mais elle le termine vocalement »

« Ils sont vraiment ensemble ? »

« Ils ont fait un week-end en amoureux alors qu'ils feraient mieux de répéter »

Les commentaires continuent d'affluer à une vitesse affolante, je n'en vois pas le bout. Pourtant ça fait une semaine, mais les réactions restent vivent. Bien sûr, l'histoire est en train de se tasser légèrement, mais elle a repris quand il a été annoncé que nos groupes respectifs seraient présents lors de l'événement organisé en l'honneur de la sortie de notre nouvel album.

Quand j'ai contacté notre PDG, il m'a affirmé qu'il trouvait intéressant d'inviter plusieurs groupes de l'agence de MH Entertainment pour montrer qu'il n'y a aucune concurrence entre nous, mais surtout pour alimenter les rumeurs de couple avec Cha Yuna. Mon comportement lors de cette soirée sera décisif pour la suite, je vais être attendu au tournant. Ce qui devait être un moment festif risque de prendre des allures de cauchemar.

Je repose mon téléphone sur la table basse, puis étire mes bras, les cognant contre le mur derrière mon lit. J'ai une soudaine envie de fumer pour me détendre.

Je mentirais si je n'avouais pas être blessé par les commentaires que je reçois. Je n'ai jamais vraiment eu confiance en moi et ces critiques ouvrent des failles déjà proéminentes. J'ignore comment combattre ce sentiment qui me pousse à vouloir être aimé du plus grand nombre. J'ai mis un certain temps à le réaliser, mais ce manque d'amour qui m'oppresse chaque jour qui passe ne peut être comblé par les fans, par mes grands-parents ou encore par les membres de Eodum. Ce trou, ce vide, il est en moi et je sais que je suis le seul à pouvoir agir là-dessus. La psychologue de l'agence est du même avis, enfin, elle l'était, ça doit faire deux ans que je ne l'ai pas vu.

Pour autant, j'aime la vie que je mène. Je me sens exister, vivre pleinement, en chantant, en déversant toutes ces émotions qui m'habitent, m'envahissent. Il n'y a que la musique qui a cet effet sur moi, elle me permet d'être moi-même et je ne peux pas tricher ou la leurrer, je la ressens dans chaque fibre de mon être.

Petit, je pouvais chanter devant n'importe quoi, surtout des animaux, mais dès que j'étais en présence d'autres humains, je me refermais comme une huître. J'avais peur de ce que je retenais au fond de moi, je craignais de ne pas être assez, de ne pas suffire pour être quelqu'un que l'on a envie d'aimer, de supporter. Cette audition pour FreeBeat était un défi en soit, être sélectionné relevait alors du miracle. Mais encore aujourd'hui, je ne sais pas ce qui a fait la différence par rapport aux autres candidats.

On me dit encore que je suis beau, peut-être que c'est le secret de ma réussite ?

La vérité, c'est que j'en souffre, et j'ai envie de rire à cette pensée. Je n'aurais jamais cru à ça il y a quelques années, mais à force de l'entendre, j'ai fini par n'être plus que ça. Je me sens devenir un objet de décoration un peu cher qu'on adore présenter lorsque l'on reçoit du monde. Je suis alors réduit à une chose un peu cool à regarder, mais pas assez pour que l'on souhaite que l'objet s'anime, qu'il soit réel, palpable, imparfait.

Sur ces pensées moroses, je me lève de mon lit après cette sieste bien méritée. J'ai toujours envie de fumer et c'est presque insupportable à ce stade. Nous avons passé la journée à répéter, comme nous le faisons depuis plusieurs semaines, malgré les vacances prises entre-temps. On peut se demander si cette pause peut réellement être qualifiée de vacances, étant donné qu'elle n'a même pas duré une semaine.

Il est dix-neuf heures passées et la pluie ne s'est toujours pas arrêtée, elle n'a fait que marteler ma vitre depuis que je suis rentré. Je souffle l'air que je contenais, comme si ça allait m'aider à faire le vide. Lorsque je ne dors pas ou que je ne travaille pas, la solitude me rattrape et vient grignoter mon esprit. C'est le moment où les pensées négatives m'assaillent, qu'elles soient agrémentées ou non par les personnes qui me suivent sur les réseaux sociaux. Je sais que la plupart des commentaires sont positifs, qu'ils sont encourageants, voire même mielleux, mais le cerveau est ce qu'il est et il aime se concentrer sur ce qui lui fait du mal.

Je suis un humain comme les autres et je ne suis pas épargné par mes sentiments ; j'ai mes tourments comme n'importe quel homme. Mon désir de plaire n'est seulement qu'amplifié puisque je suis exposé. D'ailleurs, je ne me rappelle plus de la dernière fois que j'ai pu sortir dans la rue sans porter une casquette ou un masque. Je suis prisonnier de ce succès, autant que je me complais à être entre ses barreaux dorés.

J'aime profondément nos fans, j'admire leur dévouement et leurs mots réconfortants. Certains d'entre eux me comprennent parfois mieux que moi-même. Ils détectent les moindres changements d'attitude, ils se rappellent de mon anniversaire, ils connaissent mes goûts en matière de nourriture ou encore l'expression que je prends lorsque je m'apprête à dire une bêtise. C'est grisant d'être à ce point soutenu et ça l'est d'autant plus quand j'entends les Dumiz chanter nos chansons dans les stades que nous remplissons, quand ils sont touchés par les paroles que nous avons écrites, qu'ils se reconnaissent en nous et qu'ils nous défendent sur les réseaux sociaux. Ils sont un peu comme mes meilleurs amis, toujours fidèles, du jour comme de la nuit, prêts à supporter tous nos projets et à nous aider à leur donner vie.

Les concerts sont définitivement mes moments préférés, ceux où j'ai l'impression de pouvoir respirer, comme si je vivais en apnée entre chaque représentation. Les fans sont ma bouffée d'oxygène, ils me maintiennent en vie, mais il s'agit aussi d'un château de cartes qui peut s'effondrer à la moindre incartade. Cette amitié n'est pas sans prix, elle est mutuellement alimentée, et les erreurs doivent être limitées.

Cha Yuna pourrait être cette erreur.

Je sors de ma torpeur à cause de la vibration de mon téléphone. Je l'attrape pour y jeter un œil et remarque un nouveau message de la part de Jungkook :

« Viens à la maison 🏃‍♂️‍➡️»

Je souris à son affirmation, il ne cherche même pas à savoir si je peux ou non, on dirait presque un ordre.

« J'ai préparé du gimbap 🤤 »

Il sait définitivement comment me convaincre.

Jungkook s'affaire derrière le comptoir de sa cuisine, coupant des légumes qu'il compte faire frire afin d'accompagner le gimbap. Je le regarde s'activer depuis la table de son salon, constatant à quel point il s'est amélioré. Avant, il n'était pas très doué et nous faisions tous de notre mieux pour manger plutôt équilibré, et on peut dire que nous avons survécu grâce à Jin. Maintenant que nous avons chacun nos appartements, nous sommes obligés de nous y mettre davantage parce que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Si j'ai opté pour l'idée de me faire livrer mes repas, lui il s'est mis à cuisiner, et il se débrouille vraiment bien maintenant. Il est probablement celui qui nourrit le mieux mon estomac ces derniers temps.

Accompagné de mon verre de soju, je le sirote sous l'air de « Here's your perfect »*, fermant les yeux pour balancer la tête en rythme avec la musique. Quand je viens ici, il y en a quasiment toujours en fond. Ça et les nombreuses lumières d'ambiances, ainsi que l'odeur des diffuseurs. Jungkook est sensible aux différents parfums et, s'il sent toujours la vanille, son appartement envoie des effluves boisées.

Je réouvre les paupières et tombe sur un Jungkook qui me fixe avec un sourire. J'ai un peu moins envie de fumer depuis que je suis ici, mais je sais que ce besoin est tapis dans l'ombre, qu'il guette le meilleur moment pour m'envahir un peu plus.

— Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vus que tous les deux, dit-il pour briser le silence tranquille dans lequel on s'était installés.

— J'attendais que tu m'invites puisque la dernière fois c'était moi, mais ça n'est jamais arrivé, le taquiné-je.

— Je ne savais pas que tu comptais les points.

Je me lève pour lui apporter son verre, qu'il a à peine entamé. Enfin celui-là, parce qu'il en a déjà bu plusieurs et je l'ai suivi. Je ne tiens pas très bien l'alcool donc je commence à ressentir un léger vertige, d'autant plus que je n'ai pas encore mangé. Quand il m'a annoncé qu'il avait fait du gimbap, cela signifiait plutôt qu'il allait commencer à cuisiner, donc j'attends.

— Notre relation doit être équitable, ris-je tandis qu'il met les premiers légumes à cuire.

— Tu sais, j'irais plus vite si tu m'aidais.

— Mais tu te débrouilles incroyablement bien sans moi.

— Evidemment.

Le comptoir nous sépare quand je me penche sur celui-ci, le menton posé dans le creux de mes paumes.

— Il se pourrait que je ne sois pas venu les mains vides, dis-je d'une voix que j'espère mystérieuse.

— Ah oui ?

Il me tourne le dos, remuant le contenu de la poêle pour que sa préparation ne colle pas à l'ustensile.

— Il se pourrait aussi que tu trouves quelques post-its dans le tiroir de ta table de nuit, puis sous ton coussin et d'autres dans ta salle de bain.

Ses yeux viennent se planter dans les miens à la vitesse de la lumière, surpris.

— Quand as-tu eu le temps de les y mettre ?

Je hausse une épaule avec nonchalance.

— J'ai mes secrets. Si toi tu parlais d'étoiles, moi j'ai décidé de faire de chouettes théories sur les trous noirs.

Son sourire est communicatif, mais je le perds de vue quand il se remet à surveiller ses légumes.

— Les trous noirs ? Et quelles sont tes hypothèses ?

— Je ne peux pas vous les partager, très cher, sinon ma prose n'aura plus la même saveur, m'amusé-je à lui parler de manière formelle, contournant le comptoir pour le rejoindre.

L'alcool me rend moins anxieux, il détend mon esprit, lui évite de se faire des nœuds inutiles. Arrivé à ses côtés, je lui tends son verre, qu'il prend pour en avaler l'entièreté du contenu. Je ne sais pas comment il fait pour tenir aussi bien la boisson, ce n'est pas très juste. Son poids y est sûrement pour quelque chose. Si j'avais le même, je serais peut-être à la hauteur. Mais j'ai un régime assez stricte à suivre, d'où les repas livrés qui sont soigneusement faits sur mesure pour ma personne.

— Je n'ai pas le droit à un indice ? tente-t-il en déposant son verre un peu plus loin.

Mon regard remonte sur son visage dont les traits sont décontractés, seule une légère teinte rouge à ses joues prouve qu'il a bu. Je fais mine de réfléchir, puis reprends la parole :

— Les trous noirs sont un infini dans lequel on ne ressort que si notre lumière a totalement disparu, aspirée par eux. Alors, on n'est plus un être de lumière, mais une personne de l'ombre et on agit sur l'univers comme des petites fées.

Alors que je suis sérieux, son rire remplit la pièce. Il en vient même à coincer sa lèvre inférieure entre ses dents pour se retenir de s'esclaffer.

— Donc si je suis ton raisonnement, lorsque j'éteins la lumière, pleins de petites fées s'amusent à tirer les ficelles autour de nous ?

Il se moque promptement de moi. Je lui envoie mon poing dans le bras pour le punir, juste assez fort pour lui faire un peu mal.

— Hé ! se plaint-il avant de reculer un peu, un sourire toujours plaqué sur son visage.

— Les petites fées vont être vexées que tu ris d'elles !

— Je n'oserais jamais, j'adore les fées, elles sont merveilleuses.

Je m'approche de lui pour lui envoyer un second coup, mais il m'arrête en attrapant mon poignet avant que je ne l'atteigne.

— Soyons des petites fées, agissons dans l'ombre, me dit-il d'un air mi-sérieux, mi-amusé.

Je laisse retomber mon bras pour finir mon verre de soju. Je soupire en faisant la moue, puis hoche la tête.

— Ça me va.

Ses yeux se mettent soudainement à parcourir mon visage, je me doute alors qu'il se retient de dire quelque chose. Il a à nouveau une interrogation, et si je ne lui demande jamais ses pensées, la curiosité me prend certainement à cause de l'alcool.

— Pose-là ta question.

Ses pupilles s'ancrent à nouveau dans les miennes et j'y lis le doute, les rouages de ses méninges, mais il se lance tout de même.

— Toi aussi tu as dû apprendre la liste des invités pour la soirée de lancement de notre album.

Je ne m'attendais pas à ce qu'il me questionne à ce sujet. Depuis plusieurs mois, des rumeurs circulent sur une possible relation entre la membre de S-pring et moi, mais elles ont pris de l'ampleur depuis que j'ai publié des photos similaires aux siennes. Aujourd'hui, en découvrant la liste des invités pour l'événement, j'ai été surpris d'apprendre leur présence en même temps que le reste du monde. Et il est possible qu'il soit tout aussi étonné que moi.

— Oui, j'ai vu ça en rentrant à la maison.

Il hoche la tête, comme si la conversation allait se stopper ici, pourtant je sais qu'il n'a pas encore exprimé le fond de sa pensée.

— Tu veux savoir comment je le prends par rapport à Cha Yuna-ssi, pas vrai ? Je suis surpris que tu ne m'aies pas posé la question plus tôt.

Je lui tourne le dos pour rejoindre le salon et m'affaler sur la chaise que j'occupais un peu plus tôt.

— C'est ta vie privée, tu... tu es en droit de fréquenter qui tu veux.

Le ton de sa voix me surprend, ça fait longtemps qu'il n'avait plus été gêné en ma présence. Je le regarde reprendre sa tâche comme si de rien était, remuant de temps à autre les légumes.

Jin m'a demandé de ne pas parler de cet arrangement entre nos deux agences, pour ne pas inquiéter les membres et éviter qu'ils ne s'en mêlent. Je me retrouve coincé, partagé entre le fait de mettre mon meilleur ami dans la confidence ou bien de continuer à garder cela pour moi. Son côté protecteur me laisse penser qu'il n'arriverait pas à rester neutre dans cette histoire, sans compter le fait que ça risque de le mettre en rogne.

— Il va y avoir du monde, beaucoup de journalistes seront également présents, donc je vais me contenter de ne pas trop l'approcher, réponds-je finalement, restant énigmatique.

— Mmh, c'est sûrement mieux, dit-il, sortant la poêle de la plaque électrique. On va pouvoir manger ! s'enthousiasme-t-il tout à coup.

Il me rejoint, ses préparations en main. Il s'assoit à côté de moi tandis qu'une nouvelle musique démarre : il s'agit de Red Fire, notre chanson.

— On a beaucoup galéré avec ce porté, m'amusé-je.

— Maintenant, nous pourrions le faire les yeux fermés, affirme-t-il en nous servant tous les deux.

— Nous l'avons fait de nombreuses fois dans le noir.

— Tu oublies que les fées étaient aussi avec nous, blague-t-il, me faisant rouler des yeux.

Il ne va plus jamais me lâcher avec ça, ma confession me poursuivra jusqu'à la tombe. Il serait même capable de l'inscrire sur mon épitaphe.

Nous commençons à manger tranquillement, bercés par les différentes mélodies et accompagnés d'un délicieux repas. Mon envie de fumer me reprend lorsque je finis mon assiette, alors j'essaie de prendre de grandes inspirations pour que cela cesse.

Depuis quelques semaines, le besoin se fait de plus en plus pressant. Si j'étais capable de limiter ma consommation pour ne pas être dans l'excès, le stress grandissant dans ma poitrine ne fait qu'augmenter ce désir en ce moment.

— Tout va bien ?

Comme à son habitude, il remarque chaque changement dans mon attitude, toujours prêt à me couver.

— Oui, j'ai juste envie de fumer, lui avoué-je.

Les pupilles noires de mon voisin de table me fixent avec intensité, comme s'il essayait de déterminer mon degré de dépendance à la nicotine.

— Tu essaies d'arrêter ?

— Pas forcément, dis-je en secouant la tête. Je suis un peu en tension en ce moment donc le manque est plus important que d'habitude.

— Tu as fumé aujourd'hui ?

— Non, je ne fume pas lorsque l'on s'entraîne.

— Tu devrais peut-être t'en griller une alors.

Je le regarde, interloqué, ne comprenant pas ce qui lui prend tout à coup. Il ne l'a jamais verbalisé, mais je sais qu'il n'approuve pas mon addiction, qu'il aimerait la faire disparaitre.

— Quoi ?

Son regard retombe sur la table alors qu'un soupire le gagne.

— Je ne peux pas t'en empêcher et je sais à quel point la pression est difficile à gérer. Evidemment, je préfèrerais que tu trouves un autre défouloir, mais je me dis que tu ne peux pas être drastique avec ton corps. Tu peux limiter ta consommation sans qu'il n'y ait un arrêt trop brutal.

Quand il me parle ainsi, j'ai sincèrement l'impression d'être le maknae du groupe. Où est le jeune homme insolent qui ne donnait son avis que lorsqu'il s'agissait de musique ?

J'ai la sensation de le voir différemment ce soir, et j'ignore si c'est à cause de l'alcool, mais je ne peux que constater l'homme qu'il est devenu. Il n'est pas qu'observateur, il est aussi prévenant.

— Masse-moi, proposé-je soudainement et son visage se tourne brusquement vers moi. Pour soulager la tension et éviter que je ne sorte une cigarette. Je t'ai déjà vu le faire avec Hoseok quand il s'était coincé le dos.

Jungkook est une personne qui apprend vite. Il lui suffit de regarder quelqu'un faire pendant un certain temps, puis, étant appliqué, il reproduit les actions comme s'il avait fait ça toute sa vie.

— Comme ça ? Là, maintenant ? demande-t-il et je vois toute la surprise qui l'anime à travers ses traits.

— Rends pas ça bizarre hein, le rassuré-je pour qu'il n'y ait aucun malentendu.

— Je ne suis pas masseur, je pourrais te faire mal.

— Je ne suis pas en sucre, il faut que tu te sortes ça de la tête, Jungkook-a, dis-je en me tournant sur le côté pour lui donner accès à mon dos.

Je l'entends soupirer tandis qu'il pose ses baguettes sur la table.

— Et si je n'ai pas envie ?

Je le fixe de côté en faisant la moue, l'alcool me rendant vraiment enfantin.

— S'il te plaît, tenté-je et je sais à quel point il a du mal à me résister lorsque j'adopte cette expression.

Il souffle à nouveau et je sais alors que j'ai gagné cette bataille.

Ses mains se déposent sur mes épaules et leur chaleur s'infiltre à travers le maigre tissu de mon sous-pull, me faisant fermer les yeux. Elles sont grandes et couvrent l'ensemble de mes omoplates, et lorsqu'elles commencent à y exercer une pression, je sens mon corps se ramollir. La vérité, c'est que j'avais besoin de ce contact et que je n'ai pas assez bu pour me sentir libre de lui demander de me prendre dans ses bras.

Depuis un petit moment, je me sens triste et en manque d'affection. La tension se fait telle que je ne redescends jamais, que je ne m'autorise pas à relâcher. Dès que je rentre chez moi, une vague d'angoisse remonte, me resserrant entre les mailles de son filet, me laissant dans un sale état. Je ne parviens à reprendre mon souffle qu'en présence des membres, or ils me manquent. Je passe la plupart de mes journées avec eux, nous ne sommes pas en froid, bien au contraire, mais par moments, j'ai le sentiment qu'ils se sont éloignés de mon cœur. Ce dernier semble s'être retiré dans un coin, reclus.

Jungkook est le seul à connaître le chemin sans pour autant l'avoir vraiment emprunté. Il se tient là, attendant patiemment que les chaînes étouffant mon organe, celles que j'ai placé volontairement pour me protéger, cèdent et le laissent m'atteindre. Le noiraud me fait confiance, notamment depuis cet épisode dramatique en 2018. Moi, je n'ai pas eu la même facilité à me rapprocher de lui. Chez Jungkook, c'est tout ou rien et il a décidé que c'était tout avec moi. Pour ma part, j'émets toujours des réserves et ça n'a rien à voir avec lui. Je suis naturellement méfiant, même si je n'en ai pas l'air. Je suis accessible et sociable, mon cœur l'est juste beaucoup moins.

Pourtant, une grande part de moi lui a déjà dégagé un chemin où les chaînes sont plus que distendues. Il ne l'ignore pas, il patiente simplement pour que la route ne soit plus semée d'embûches, que je veuille bien l'accueillir pleinement.

Ses doigts effectuent des mouvements de rotation doux, naviguant le long de ma colonne.

— Je ne suis toujours pas en sucre, lui rappelé-je alors que je sens qu'il se retient d'appuyer plus fort.

— Okay, dit-il simplement en se levant, rompant le contact.

Je tourne la tête vers lui, cherchant à savoir ce qui l'a poussé à arrêter.

— Mets-toi sur le canapé.

Oh, je comprends mieux.

Je m'exécute sans discuter, m'allongeant sur ce dernier, le visage rentré dans le moelleux d'un coussin. Ma joue posée sur celui-ci, j'observe Jungkook s'avancer pour évaluer la situation et réfléchir à la meilleure approche.

— Tu peux t'asseoir sur moi, ça ne me gêne pas.

Son regard tombe sur le mien et le noir de ses pupilles me renvoie une pointe de provocation, comme s'il y avait déjà pensé. Je ne le vois pas, mais je le sens s'asseoir sur l'arrière de mes cuisses et je ferme les yeux. Il se penche jusqu'à ce que ses mains reviennent sur moi, son poids basculant vers l'avant. A la manière dont ses doigts se plantent dans ma peau, je comprends qu'il est réellement en train d'y exercer une pression, il ne prend plus de pincettes. J'émets une plainte quand il insiste sur une zone qui m'est douloureuse.

— Il faut que tu te détendes, sinon ça ne marchera pas, m'explique-t-il avec douceur, en contraste avec la manière dont il me manipule.

Je l'ai cherché, alors je l'ai trouvé.

Il ne me masse plus, j'ai l'impression d'être entre les mains d'un ostéopathe qui vient titiller les nœuds pour les défaire. C'est à la fois pénible et agréable, je ne le pensais pas si doué. Ses doigts s'accrochent parfois sur le tissu de mon haut, mais il s'y reprend plusieurs fois si nécessaire pour continuer ses mouvements.

J'essaie de faire comme il m'a demandé, de ralentir ma respiration pour que mes muscles se relâchent, mais c'est difficile pour moi. J'y mets de la volonté et, au bout de quelques minutes, je commence à ressentir une forme de paix intérieure. C'est à ce moment que la pression de ses mains sur moi se fait plus délicate, il s'autorise alors à me masser avec moins d'énergie et plus de douceur.

Des picotements viennent gratter ma peau tant c'est délectable. Je rouvre les yeux, sentant le sommeil m'envahir, alors je décide de reprendre la conversation pour me tenir éveillé.

— Tu as réfléchi par rapport à Harin ? demandé-je parce que c'est la première chose qui me vient à l'esprit.

Je sens ses mains marquer un arrêt dans leur course, mais c'était tellement bref que je pense l'avoir rêvé.

— Pourquoi tu insistes à propos d'elle ?

Il appuie sur une zone et je gémis en me pinçant la lèvre.

— C'est une belle personne.

— Je l'ai invité à boire un verre, dit-il soudainement et mes yeux s'arrondissent.

La tête enfoncée dans l'oreiller, je tente de la tourner pour voir le visage de Jungkook, mais je n'arrive que partiellement à observer ses expressions.

— Quand ça ?

— Demain soir.

Son ton est calme, maîtrisé, pourtant ses gestes sur mon dos se font plus indécis, parfois appuyés puis d'autres fois ils me survolent.

Est-il stressé à l'idée de ce rendez-vous ?

— Tu sais où tu vas l'amener ?

— Tu es bien curieux, je trouve, déclare-t-il d'une voix traînante.

— Pardon, réponds-je seulement.

Il a raison, ça ne me regarde pas, je ne sais même pas pourquoi je lui pose ces questions. Je ne le fais pas d'habitude, je n'aime pas me montrer intrusif, surtout que nous partageons déjà suffisamment de choses ensemble. Il a le droit à son jardin secret, il n'est pas obligé de tout me raconter, surtout s'il s'agit de sujets intimes.

Alors que je suis perdu dans mes pensées, je ne distingue pas exactement le moment où il s'est permis de lever mon haut pour atteindre ma peau. Je crois que ma respiration s'arrête durant quelques secondes, le temps que je réalise que ses doigts sont en train de manipuler mon épiderme.

Je ne dis rien, le laissant faire.

Il a dû en avoir marre de la barrière du tissu qui devait le freiner dans ses mouvements. Je sens chacun des appuis de ses doigts avec une facilité étonnante. Chaque point visité par eux laisse des fourmillements sur ma chair.

Ses mains ralentissent au niveau de mes flancs, y marquent une douce pression, puis remontent avec lenteur jusqu'à ma nuque, qu'il masse délicatement pendant une minute. Il redescend à nouveau, suivant la ligne de ma colonne vertébrale et les rotations qu'il faisait jusqu'à présent se transforment en caresses à peine appuyées, m'envoyant une décharge de frissons.

— Je ferai les choses bien, ne t'en fais pas, dit-il et je ne peux empêcher mon cerveau de penser qu'il fait déjà les choses bien, même si ça n'a rien à voir avec Harin.

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NOTE DE L'AUTEURE : Alors, vous en pensez quoi ?? 

Pour moi, ce chapitre marque le début d'un vrai rapprochement (physique en tout cas). Je crois qu'on sent qu'il y a un truc qui n'était pas là avant, ou pas à ce point. 

La tournure de l'histoire vous plaît-elle ?

En ce qui concerne le rapport que Tae entretien avec les réseaux sociaux, que ressentez-vous à ce propos ? Et vous, quel est votre sentiment face aux réseaux sociaux de manière générale ?

A dimanche pour la suite, les Dumiz (ouais, j'avais besoin de vous donner un surnom, et comme c'est le nom des fans de Eodum... ^^) xx

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