CHAPITRE 2 - LIVE
NOTE DE L'AUTEURE : Exceptionnellement, un nouveau chapitre sera posté demain, à 20h.
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Kim Taehyung, 18 ans,
Octobre 2018, Seoul.
— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? s'indigne une voix, à mi-chemin entre le cri et le chuchotement.
Mes yeux s'ouvrent d'eux-mêmes, je m'attends à ce qu'une tempête ait tout emporté sur son chemin pour que l'on me réveille ainsi.
Mes iris se posent sur tout autre chose. Je fais face à un Jungkook à moitié relevé sur un coude, le visage tourné de trois quarts vers l'arrière. Ses traits montrent qu'une certaine colère l'a envahie alors que ses lèvres forment une ligne droite.
Je constate alors que mon bras l'entoure à nouveau et que j'ai encore serré son corps contre le mien durant la nuit, dans une étreinte forcée. Immédiatement, je retire mon membre pour créer de l'espace entre nous, autant que ce maigre lit me le permet.
Il se retourne pour me faire face, toujours sur un coude.
— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? répète-t-il en murmurant cette fois-ci.
Il doit être encore tôt et il ne souhaite probablement pas réveiller les autres. Il s'assoit sur le lit, se tournant vers moi pour mieux m'envoyer des éclairs avec ses pupilles.
— Je suis désolé, j'ai essayé de te réveiller, mais...
— Je m'en fiche, qu'est-ce que tu fais dans mon lit ? me coupe-t-il d'un ton plein d'irritation.
Je grimace, ne m'ayant pas attendu à une réaction aussi agressive de sa part. Il est habituellement très mesuré, d'un calme presque soupçonneux. Je savais qu'il ne serait pas heureux en me trouvant là, mais je ne pensais pas que ça allait l'énerver à ce point.
— Je n'en pouvais plus de dormir au sol, dis-je avec douceur, tentant d'apaiser les choses.
— Et tu as cru que j'étais ta peluche ou quoi ?
Cette fois-ci, je me redresse, adoptant la même posture qu'il avait un peu plus tôt, et plante mon regard dans le sien. Ses iris sont encore plus noirs que d'habitude, me fusillant sur place, ce qui contraste avec ses traits angéliques.
— Je me suis excusé, je...
— Je me fous de tes excuses, râle-t-il, ne me laissant toujours pas terminer ma phrase.
Il est en train de me foutre en rogne. Je m'assois à mon tour, la pression montant un peu plus à chaque seconde.
— Tu vas arrêter de me couper la parole.
— Sinon quoi, hein ? me provoque-t-il en pointant son menton vers moi.
— Je suis ton ainé, tu me dois le respect.
Il rit à ma remarque.
— Alors on en est là ?
Sans plus de cérémonie, il se lève du lit et se dirige d'un pas décidé vers la salle de bain.
Je comprends que la situation l'a embarrassé, mais de là à agir ainsi ? On passe littéralement tout notre temps ensemble depuis deux ans, jour et nuit, je m'attendais à plus considération, je ne l'ai pas non plus agressé.
Jungkook est un mystère.
J'indique du doigt à l'équipe des ingénieurs du son d'augmenter le volume dans mes ears* parce que je m'entends mal. Je chantonne quelques mots puis envoie un pouce pour indiquer que c'est mieux.
— On va recommencer maintenant que le soundcheck* a été fait, vous serez en conditions.
Notre chorégraphe nous a accompagnés pour notre répétition pour la scène de ce soir. Comme il s'agit de notre première représentation de cette envergure, il a souhaité nous entraîner une dernière fois avant notre passage. Dans quelques heures, nous passerons en direct sur une chaîne importante et la pression se fait grandement sentir. Nous faisons des erreurs que nous n'avons jamais faites auparavant, ce qui nous angoisse encore plus.
Avec les membres, nous nous plaçons tels que nous sommes censés l'être pour débuter la chanson. Je leur jette un regard, mes yeux se déplacent sur chacun d'entre eux, passant de Namjoon dont les doigts tremblent sur son micro, à Hoseok qui trépigne des jambes, Jimin qui fait craquer son cou, puis Jungkook se trouvant au centre, à ma gauche, qui prend quelques grandes inspirations.
Avec ce dernier, nous ne nous sommes pas reparlés de la journée, préférant nous ignorer. Etant donné l'anxiété qui nous habite tous, c'est peut-être mieux ainsi, nous pourrions être amenés à dire des choses que nous regretterions par la suite. La fatigue se ressent dans mes membres, les crampes ne sont pas loin, mais je tiens bon. Nous sommes cinq, je n'existe pas en tant que personne à part entière, pas ce soir. On compte les uns sur les autres, mes sentiments personnels n'ont rien à faire sur cette scène.
Je dormirai quand mon corps ne tiendra plus debout.
Dans mes oreilles, j'entends des percussions indiquant un décompte, puis la chanson démarre. Mes membres effectuent les gestes sans que mon cerveau n'ait le temps de les analyser vraiment, comme une vieille habitude.
Lorsque j'exécute un grand mouvement de glissement me permettant d'aller au centre, Jimin me percute de plein fouet. Nous n'avons pas été coordonnés et je peste intérieurement, mais la vie continue, tout comme la mélodie se poursuit. Puis c'est à mon tour de lui rentrer dedans.
La collision me fait tanguer tant elle était précipitée, violente.
— Putain, fulmine Jimin et toute la salle l'entend puisqu'il a juré dans son micro.
— On arrête. Les garçons, qu'est-ce qui vous arrive ? C'est la pression ou quoi ?
Même notre chorégraphe se met à râler. Je soupire, complètement exténué.
— Vous n'êtes pas du tout concentrés ! Cette performance peut vous aider à vous propulser, vous ne pouvez pas vous planter.
Je fixe le sol, le trouvant soudainement attirant. Mes doigts se serrent et se desserrent sur mon micro d'un noir parsemé d'arabesques dorées. C'est un choix très personnel qui me rappelle le collier en or de ma grand-mère qu'elle porte en guise de porte bonheur.
— Laissez-nous une pause de dix minutes, puis nous recommencerons, s'interpose Namjoon venu à notre rescousse. Les garçons, allons parler, finit-il par dire et je pince les lèvres.
Il demande ce temps, mais nous savons tous que nous ne l'avons pas vraiment. D'autres artistes doivent répéter, chaque minute compte.
Nous ne discutons pas sa demande et enlevons comme un seul homme nos boîtiers servant au son, puis nous nous retirons dans les coulisses. Nous nous suivons jusqu'à l'une des loges, celle qui nous est réservée. Nous passons devant les nombreux membres du personnel qui s'active tels une fourmilière.
Une fois la porte close, Namjoon soupire en se passant une main sur sa barbe inexistante.
— Je sais à quel point vous êtes à bout, je le vis tout autant que vous. J'ai mal au dos et j'ai tellement de crampes que me mettre debout le matin n'est pas toujours facile. Alors je sais, commence-t-il et nous baissons tous la tête. Vous avez le droit d'en avoir ras-le-bol, allez crier ou taper vos oreillers, mais une fois que l'on est sur scène, ça ne doit pas exister. Cette émission est peut-être le tournant de notre carrière. Nous n'avons pas travaillé si dur pour abandonner maintenant, je ne le permettrais pas, ajoute-t-il en s'avançant vers nous. Venez là.
Il nous tend ses bras et nous ne tardons pas à former un cercle, nous enserrant les uns les autres, les visages toujours braqués sur le sol alors que nos têtes se touchent. Je me retrouve entre Jimin et Hoseok, et mes mains s'échouent sur les épaules de notre leader et du maknae. Namjoon relève ses yeux sur nous et nous faisons de même, puisant la force dont nous avons besoin dans ce regard qui nous relie.
— En plus d'être collègues, n'oubliez pas que nous sommes une famille et que l'on se doit d'être présents les uns pour les autres. Unissons-nous et montons sur cette scène ensemble, continue notre leader.
Il place ensuite une main au centre et nous posons les nôtres par-dessus. Nous connaissons la suite, alors c'est simultanément que nous hurlons :
— Eodum !
— Montrons-leur ce dont nous sommes capables, enchaîne Hoseok avec un sourire tout juste retrouvé.
— Allons coudre des bouches, ris-je en laissant mon bras autour de ses épaules.
C'est avec une énergie nouvelle que nous replaçons nos oreillettes et le boîtier allant de pair.
Chantons et dansons d'une seule âme. Pour Eodum.
« Black shade,
I let you in so that you become my friend* »
Je finis la chanson dans un souffle contenu, montrant une certaine forme de pudeur. Tout comme je me montrerais timide face à une douleur que je laisserais s'insérer en moi en ayant peur des dégâts qu'elle pourrait causer.
Je réouvre les yeux que j'avais fermé, me laissant emporter par cette mélodie pop, entraînante mais sombre.
Nous l'avons fait.
C'est la première réflexion que je me fais, la seconde est que les applaudissements envahissent toute la salle. Le public semble conquis mais j'ai peur de m'emballer, je crains les retomber, les critiques, les compliments.
Tout s'est bien passé, vraiment. Comme prévu, nous nous sommes donnés à deux cents pourcents, et je suis fier de nous.
Par principe, nous décidons de saluer la foule d'une courbure du dos, nos sourires ne disparaissant pas. Nous flottons sur un nuage peuplé d'acclamations.
Un membre de l'équipe de l'émission nous fait discrètement un signe pour nous indiquer qu'il est temps pour nous de quitter la scène, ce que nous faisons à reculons. Il est facile de prendre goût à ce genre d'encouragement, comme si nous étions récompensés pour tout le travail que nous avions fourni.
Nous descendons les marches puis atterrissons à nouveau dans les coulisses, dans ce fameux couloir prénommé fourmilière. Tout à coup, je sens qu'on me grimpe dessus et je reconnais immédiatement le rire de Jimin qui m'assaille les tympans.
— On l'a fait ! s'excite-t-il avec son côté enfantin auquel il est difficile de résister.
A ma gauche, je vois Hoseok monter sur le dos de Jungkook en rigolant franchement. Même ce bougon de maknae qui a passé la journée à faire la gueule semble heureux. Ça faisait un certain temps que je n'avais pas vu ce sourire sur son visage, celui qui fait apparaître cette petite fossette qui se montre bien trop timide, elle aussi.
Je tourne la tête et aperçois Namjoon qui nous observe de loin avec une mine satisfaite, comme un père verrait ses enfants passer un moment agréable. Il se réjouit sincèrement de nos joies, c'est ce qui fait de lui un incroyable leader, mais surtout le frère que j'aurais rêvé avoir. Et, en quelque part, je l'ai, ce frère.
— Vous êtes installés ? demande notre manager.
— Oui, Jin hyung, pour la millionième fois, le taquiné-je en roulant des yeux.
Deux bons mois avant que nous ne débutions, Kim Seokjin est devenu le manager du groupe. Il veille à ce que nous soyons bien traités, s'occupe de nos rendez-vous professionnels et s'assure que notre image ne soit pas entachée. Mais il a franchement outrepassé ses fonctions en devenant notre ami dès lors qu'il s'est mis à venir boire des verres avec nous. Lorsque, bourré, il est monté sur la table pour mimer l'une de nos danses avec un déhanché plus que douteux, nous l'avons complètement adopté. Il se montre tout aussi fêlé que nous le sommes, et c'est un critère important pour faire partie de l'aventure Eodum.
— Bon bah, je vais lancer le live alors, poursuit-il. Attendez ! Jungkook-ie, reboutonne ta chemise, on ne fait pas dans le X ici.
C'est un rire général, même nos maquilleuses et stylistes à l'arrière tentent vainement de cacher leurs sourires.
Je tourne la tête vers le concerné qui s'applique à se rhabiller. Il s'est installé à l'autre bout du canapé tandis que je suis à l'autre extrémité, aux côtés de Jimin.
Après la prestation, nous avons à peine eu le temps d'aller aux toilettes et d'éponger notre transpiration qu'on nous a foutus sur ce fichu sofa. La pièce empeste le déodorant, mais nous sommes tellement collés que la sueur se mélange à l'odeur ambiante, comme si nous nous trouvions dans un vestiaire de foot. La seule consolation est la nourriture présente sur la table basse, notamment le poulet sur lequel je louche depuis que mes fesses se sont posées ici.
Je meurs de faim et de soif, mais j'ai été bien élevé donc je vais attendre les autres.
— C'est bon ? interroge Jungkook alors qu'il louche aussi sérieusement sur les mets devant lui.
Jin ne répond pas, mais hoche la tête, nous savons alors que le live a débuté. Nous nous mettons à saluer les gens qui nous regardent à travers l'écran, et je fais de grands gestes avec mes mains. Je suis épuisé et profondément excité, tout ça en même temps. On dirait que j'ai bu trois tasses de café avant de venir ici, et c'est presque le cas. L'adrénaline que mon corps a produit durant la prestation a du mal à redescendre.
— Vous nous avez vus ? ne peut s'empêcher de demander Jimin en sautillant presque sur le canapé.
Je mets une main sur son épaule, l'encourageant à refréner son excitation parce que nous tenons à peine tous les cinq sur ce sofa. Mais un sourire mange mon visage, j'aime voir mes amis aussi heureux, c'est agréable.
Namjoon se saisit alors d'une tablette sur laquelle je sais qu'il peut y lire les différents commentaires.
— C'était un moment incroyable, poursuit Hoseok. Ça fait des mois qu'on se prépare et tout s'est passé trop vite, je n'arrive pas à réaliser.
— En plus, il y avait du monde, rajoute Jimin. La salle était pleine à craquer, j'ai eu l'impression qu'on allait accueillir des gens sur scène, se marre-t-il. Ça aurait pu être drôle.
— Lorsqu'on fera nos propres concerts, faisons monter des gens sur scène, dis-je, plus sérieux qu'il n'y paraît.
— Et toi, Jungkook-ie, l'interpelle Namjoon. Comment as-tu vécu ce moment ?
Je vois le concerné prendre une légère inspiration, probablement parce qu'il déteste l'exercice. Il n'est pas à l'aise avec les discours, il n'aime pas avoir trop d'attention sur lui. Sa timidité est une bête noire qu'il devra affronter s'il ne veut pas sombrer. Ce métier englobe une bonne dose de surexposition, et même si nous ne savons pas toujours comment la gérer, nous essayons d'y faire face du mieux que nous pouvons.
Lorsque j'ai vu le nombre d'abonnés que j'ai pris sur mon compte Instagram, j'ai commencé à voir flou. C'était et c'est toujours trop rapide, nous nous attendions à ce que les gens s'intéressent un tant soit peu à nous, mais jamais nous aurions pu espérer autant aussi vite.
— C'était impressionnant, commence-t-il en passant une main dans ses cheveux légèrement ondulés pour l'événement. On avait beaucoup de pression et je n'étais pas toujours sûr de moi, mais je pense que nous avons fait une bonne prestation. On a fait de notre mieux.
La plupart des membres lui sourit, se montrant encourageants. Mes yeux croisent ceux de Jungkook durant une seconde et je tente un petit rictus, mais il m'ignore prestement.
Okay.
— Les gens n'arrêtent pas d'envoyer des cœurs alors je crois qu'ils ont aimé la prestation, commente Namjoon alors que sa fossette apparaît sur sa joue droite.
Je suis obligé de me pencher vers l'avant afin d'avoir une vision d'ensemble, ce qui me pousse à me lever pour m'asseoir sur le sol, entre les jambes d'Hoseok. Je lui agrippe les mollets simplement pour l'embêter un peu. En réponse, il s'amuse à me décoiffer, ce qui me fait un peu râler, mais surtout rire.
— D'ailleurs, qu'est-ce que vous avez pensé de nos tenues ? demande Jimin en fixant sa veste. Perso, j'adore nos outfits,* je trouve qu'ils collent vraiment avec le concept du titre.
— Ils sont aussi sombres que lumineux, rajouté-je.
Nous n'avons pas les mêmes vêtements, mais ils sont globalement noirs avec des touches d'argenté dessinant les courbes du tissu et mettant en valeur nos tailles et nos épaules.
— Et ils moulent bien les formes, pas vrai Jungkook-ie ? s'amuse Jimin, taquinant ouvertement le plus jeune.
Ce dernier se met à toussoter alors qu'il était en train de boire son soda. Cette vanne est née de nos essayages, lorsque Jungkook a eu du mal à boutonner son blazer en raison de la largeur de ses épaules. C'est probablement la raison pour laquelle il avait commencé à se mettre plus à l'aise un peu plus tôt.
Je ris dans ma barbe parce que l'embêter est le passe-temps favori de Jimin et Hoseok, qui se divertissent en lui envoyant des idioties de ce type, notamment en live lorsqu'il ne peut pas vraiment répliquer.
— Tu dis ça parce que mes fesses te plaisent Jimin-ssi hyung ? répond-il sans se débiner, mêlant politesse et insolence.
C'est à mon tour de recracher la boisson que je viens d'apporter à mes lèvres.
Jungkook est un paradoxe, il peut être plein de choses à la fois : timide, extravertie, renfermé, espiègle, et j'en passe. Je n'arrive tout simplement pas à suivre et ça peut être un peu déstabilisant.
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NOTE DE L'AUTEURE :
Je trouvais qu'il était important de montrer l'envers du décor, de ne pas passer trop vite sur les messages que Eodum souhaite transmettre et le travail qu'ils fournissent pour y parvenir.
Qu'en pensez-vous ? xx
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