CHAPITRE 14 - CONFIANCE
Kim Taehyung, 19 ans,
Décembre 2018, Seoul.
— La chorégraphie est intense, lâche Namjoon avant de se jeter sur sa bouteille d'eau.
— Je ne te le fais pas dire, rajoute Jungkook en faisant de même.
Quand je regarde mon téléphone, je m'aperçois que ça fait déjà deux heures et demie que nous nous entraînons. Les pas rentrent assez facilement dans ma mémoire, notamment parce qu'ils sont explicites. Ils se calquent sur le message de la chanson et ça m'aide à leur donner du sens.
Je n'ai jamais eu de mal à retenir les chorégraphies, mon corps les intègre presque naturellement, ce qui ne veut pas dire que mes mouvements sont parfaits pour autant.
Alors que je vide presque l'entièreté de ma bouteille, je remarque dans le fond de la salle une jeune fille à la peau pâle et aux cheveux incroyablement longs. Ce n'est pas la première fois que je la retrouve à assister à nos répétitions de danse. La plupart du temps, elle ne fait que nous observer, et à d'autres, elle tente de reproduire certains de nos pas, comme si elle s'entraînait avec nous. Son visage poupon trahi son jeune âge, pourtant je décèle déjà son élégance : elle est faite pour ce métier.
Les trainees filles et garçons ne sont pas mélangés, et les groupes déjà lancés rencontrent que rarement ceux qui n'ont pas débuté. Je ne connais donc pas cette personne, pourtant j'ai déjà pu lire son nom sur la pancarte qu'elle arbore parfois, et je crois me souvenir qu'elle s'appelle Lee Sunmi. Une fois, je me suis approché pour la saluer, mais elle a immédiatement baissé les yeux en se courbant respectueusement devant moi. J'ai ri à cette politesse exagérée et me suis simplement présenté. Elle m'a avoué être admirative de notre rigueur et de notre passion, puis, avant même que je ne puisse répondre, elle s'est éclipsée, probablement envahit par sa timidité. Depuis, je n'ai plus osé l'aborder, préférant qu'elle vienne me trouver si elle en ressentait l'envie ou le besoin.
— Vous avez bien travaillé pour aujourd'hui, vous pouvez répéter de votre côté maintenant, nous congédie Park Jiho.
Nous le remercions, mais avant que nous partions, sa voix s'élève à nouveau.
— Taehyung-ssi, Jungkook-ssi, on va essayer de voir ce que votre partie donne.
La boule de stress qui avait peu à peu diminué remonte en flèche, me rappelant que les choses sérieuses n'ont même encore pas commencé.
Nous avions laissé de côté ce moment de la chorégraphie et je pensais pouvoir y échapper pour aujourd'hui.
— Je me doute que vous devez être nerveux, c'est pour ça que plus vite vous vous y essaierez, plus vite vous vous débarrasserez de votre appréhension, tente-t-il de nous rassurer, pour la dixième fois au moins depuis ce matin.
Je saisis une petite serviette pour m'essuyer le front et le cou, alors que je ressens soudainement une chaleur plus intense qu'auparavant. Je dézippe ma veste et décide de rester en t-shirt afin d'être plus à l'aise dans mes gestes. Jungkook est en débardeur depuis une bonne heure déjà, qu'il porte en plus d'un jogging noir assez large.
Je constate ensuite que la jeune fille est partie, au même titre que les autres membres. Jungkook et moi nous décidons à nous rapprocher du centre de la pièce pour faire face aux danseurs.
— Nous allons vous remontrer toute votre partie, vous devriez nous filmer pour que vous puissiez revisionner les enchaînements, nous conseille-t-il en lançant la mélodie.
Jungkook et moi attrapons nos téléphones pour enregistrer une vidéo de la partie qui va sans doute nous occuper un moment. Je ne regarde pas l'écran, j'essaie de mémoriser les emplacements, les mouvements, les mémorisant pour qu'ils soient plus fluides lorsque ça sera mon tour de les effectuer.
Quand les danseurs ont terminé, je suis à nouveau époustouflé. Park Jiho éteint la musique et se place naturellement à quelques mètres de Choi Minjun, prêt à recommencer pour que nous nous exécutions ensemble.
Alors c'est tout aussi machinalement que Jungkook et moi nous mettons dans la même position. Sans même nous concerter, il était évident qu'il serait celui qui me porterait, alors il se doit de suivre les mouvements de notre chorégraphe tandis que je copierai ceux de son danseur.
— Trois, deux, un, décompte-t-il et nous démarrons.
Nos modèles se rapprochent l'un de l'autre au rythme imposé par notre chorégraphe qui tente de reproduire le même tempo que celui de notre chanson. Nous nous calquons dessus et Jungkook arrive bientôt à ma hauteur quand je dois reculer d'un même pas pour que l'on se rejoigne.
Nous nous rentrons dedans.
— Pour le moment, vous pouvez vous regarder dans le miroir, le temps que vous trouviez votre tempo, mais n'oubliez pas qu'il ne sera pas toujours là, nous rappelle notre professeur. De plus, Taehyung-ssi doit garder ses yeux rivés vers le sol pendant qu'il recule, pour plus d'émotion.
Il s'agit du premier pas et nous devons déjà faire preuve de synchronicité. Je prends une grande inspiration, m'insufflant du courage parce que ce n'est que le début.
Nous recommençons, et même si nous nous percutons, cela se fait avec moins de violence. Nous allons devoir travailler notre rythme si l'on veut que ça fonctionne.
Je décide d'arrêter de me fixer pour me concentrer sur le noiraud et c'est encore un peu mieux.
— Jungkook-a, l'appelé-je et il redresse la tête comme si j'avais hurlé. Dans le miroir, regarde-moi.
Il acquiesce et nous recommençons. Nos yeux se suivent à travers la glace, nos gestes se coordonnent de manière bien plus naturelle parce que nous faisons attention à l'autre. Nous nous décentrons pour ne penser qu'à notre partenaire de danse, ce qui nous lie bien plus facilement que lorsque nous ne sommes concentrés que sur nous-mêmes.
Nous répétons ce passage plusieurs fois, jusqu'à ce que ça nous convienne suffisamment. Nous verrons plus tard pour nous débrouiller sans l'aide du miroir. A nos côtés, nous voyons Park Jiho encercler son partenaire, alors Jungkook l'imite. Il me frôle dans la manœuvre, plaçant ses membres de part et d'autre de ma taille. Je sens la chaleur de son souffle s'abattre sur ma nuque et un frisson me parcourt l'échine, aussi brièvement qu'une brise d'été.
Je relève les pupilles vers le noiraud et tombe sur son regard qui me scrute à travers notre reflet, il les baisse ensuite sur nos mains non loin les unes des autres. Les danseurs effectuent des mouvements rythmés que nous tentons de reproduire. Nous mettons peu de temps à mémoriser cette partie-là qui demande de la synchronisation, mais pas vraiment de ressentir l'emplacement exact de l'autre. Notre mécanique est bien rodée, nous avons l'habitude de travailler ensemble depuis deux ans, nos gestes s'accordent, au point où nous nous permettons d'être amples et souples.
— C'est bien, mais n'oubliez pas de bouger vos têtes en rythme, nous explique notre chorégraphe. Comme Taehyung-ssi est un peu plus grand, il peut te cacher derrière lui, comme un secret inavouable, tu vois l'idée ? interroge-t-il en s'adressant au noiraud, qui acquiesce rapidement. L'objectif est que vous soyez en même temps pour que l'illusion se créée.
Nous reprenons à nouveau depuis le début et l'enchaînement se déroule de mieux en mieux à chaque essai. Nous avons encore besoin de travailler notre précision pour nous harmoniser, mais nous sommes sur une bonne lancée.
— Le jeu de mains se termine avec les paroles de Jungkook-ssi qui disent : « J'y entends chaque crépitement qui me rappelle que j'ai un cœur qui bat ». Vous devez ensuite rapidement onduler, chacun d'un côté, comme une fleur qui s'ouvre, et vos regards se retrouvent malgré cette légère séparation, continue de nous guider Park Jiho.
Nous nous exécutons et mes yeux se rivent encore à ceux du noiraud. Nos souffles sont courts, mais nous ne perdons pas de vue notre objectif, celui de rendre fiers notre public et notre équipe.
— Gardez en tête que vos expressions faciales seront importantes. Vous avez écrit cette chanson, donc vous savez à quel point il s'agit autant d'une lutte que d'une libération. Vous ne savez plus très bien si vous regardez votre ennemi ou votre rédemption, c'est l'idée de cette chorégraphie, argumente notre professeur.
Plusieurs mèches de cheveux collent au front de Jungkook qui les dégage avec son avant-bras, puis il soupire pour réguler sa respiration. Certains de mes muscles me brûlent légèrement sous l'effort, et j'imagine que je ne suis pas le seul à en souffrir, mais nous ne disons rien.
— Après que vos corps se soient partiellement séparés, ils le font pour de bon quand Jungkook-ssi tente de s'en aller. La musique est plus calme à cet instant, on entend seulement une percussion et au deuxième tempo, Taehyung-ssi doit attraper le poignet de Jungkook-ssi pour le retenir. Il ne se retourne pas, mais marque un arrêt alors qu'il regarde le sol.
Nous suivons ses explications et rapidement, mes doigts se referment sur le noiraud. Je sens les bracelets en cuir qui entourent son articulation, je m'y accroche comme si ma vie en dépendait. Je relève la tête pour observer le dos de mon partenaire, il est imposant malgré son jeune âge. Ses cheveux sont emmêlés et bouclent un peu au niveau des pointes humides de la transpiration de son cou.
— Parfait, ensuite, il part définitivement, mais se rétracte au bout de quelques pas, dit la voix de Park Jiho.
Mes doigts glissent sur la peau de Jungkook, s'attardant sur sa main que je suis tenté de prendre pour rajouter de l'émotion, pour convaincre le public que je ne souhaite pas qu'il m'abandonne.
Je le regarde s'en aller et ressens soudainement la pression prendre possession de mon corps, je redoute la suite.
— Au bout de trois sons de percussion, Jungkook-ssi se retourne, poursuit le professionnel et le concerné s'exécute. A ce moment, Taehyung-ssi doit percevoir le changement dans l'air, surtout que le tempo de la musique va s'accélérer à cet instant. Vous devrez vous caler sur la mélodie, elle te donnera le départ, Taehyung-ssi.
Je hoche la tête, mes pupilles ancrées dans celles de mon partenaire. Je suis envahi par l'angoisse, je n'ose même pas m'avancer.
— On devrait mettre un tapis derrière Jungkook-ssi, juste au cas où, propose Choi Minjun, qui a très peu parlé jusque-là.
— Tu as raison, c'est plus prudent.
Une fois installé, le noiraud se place devant et fait rouler ses épaules, comme pour se préparer à me réceptionner.
— Taehyung-ssi, m'appelle le danseur, il faut que tes mains atterrissent à une vingtaine de centimètres de ses chaussures, puis tu appuies sur elles suffisamment fort pour te hisser à la verticale. Par contre, tu ne dois pas te jeter sur lui, il faut que tu tiennes comme ça, puis ensuite déposer tes mollets sur ses épaules. Si tu vas trop vite, tu vas le déséquilibrer.
Je cligne plusieurs fois des paupières en prenant de nombreuses inspirations, tentant d'apaiser les pulsations de mon cœur qui s'est emballé. J'ai tellement peur de ne pas y arriver, de lui faire mal aussi.
— Tu sais faire l'ATR* ? m'interroge Park Jiho, curieux de connaître l'origine de mon stress.
— Oui, je sais le faire, dis-je simplement, d'une voix tendue.
— Alors tout va bien, c'est pareil. Le plus dur sera la manière dont vous vous réceptionnerez à la fin. Assez rapidement, une fois que tes genoux seront placés, Jungkook-ssi devra attraper tes jambes pour les maintenir. Quand vous basculerez, Taehyung-ssi, tu devras immédiatement mettre ta main derrière sa tête. Peu importe ce qui se passe, c'est la première chose à laquelle tu dois penser, me met-il en garde.
L'angoisse augmente parce que j'ai compris ce qui peut se passer si je venais à l'oublier. Il s'écraserait, tête la première, sur le sol et les conséquences pourraient être désastreuses. Cette chorégraphie est dangereuse, on va devoir être extrêmement précis.
— Et Jungkook-ssi, lorsque tu tomberas en arrière, garde le bassin relevé pour que la posture soit jolie et parallèle au plancher.
Le noiraud écarte naturellement les jambes pour se sentir plus solide sur ses appuis et j'ai alors l'impression que nous allons démarrer un match de rugby, et non un porté de danse.
Je prends une nouvelle inspiration, notamment quand Jungkook hoche la tête, me faisant comprendre qu'il est prêt. J'expire doucement et m'élance vers lui, mes mains s'échouant à une vingtaine de centimètres du noiraud tandis que mes jambes basculent à la verticale. Il me réceptionne, maintenant ses doigts autour de mes mollets, mais au moment où je plie les genoux, l'élan nous fait tous les deux tomber à la renverse.
Je finis assis sur le torse de Jungkook, qui s'écrase contre le tapis venant amortir sa chute. Je me rends compte que le choc lui a littéralement coupé la respiration, ce qui a été amplifié par mon poids posé sur sa poitrine. Je me relève rapidement alors qu'il place une main sur son cœur et qu'il se met à tousser.
Je m'agenouille à ses côtés, totalement paniqué.
— Jungkook-a, l'appelé-je.
— Ça va, ça va, répond-il en secouant une main pour me signifier de laisser tomber.
— Bon, commence notre professeur, vous venez de vivre le pire qui puisse arriver avec ce porté, maintenant l'appréhension est derrière vous.
J'ai envie de le fusiller du regard, mais je me retiens à la dernière minute. Jungkook s'assoit pour reprendre son souffle et je passe machinalement une main derrière son dos pour lui apporter du réconfort. J'ai conscience que pendant notre chute, il a resserré sa prise sur moi pour que j'atterrisse sur lui et qu'il a absorbé, seul, l'impact.
Le noiraud a les yeux fermés tandis qu'il expire avec frustration, ses traits sont tirés à l'extrême. Ma main remonte sur son dos et avant qu'elle ne s'échoue dans son cou, il se remet debout.
— Recommençons, dit-il et j'imite sa position.
— Tu es sûr ? demandé-je, peu sûr de vouloir réitérer l'expérience.
— Allons-y, on ne peut que s'améliorer.
J'admire sa persévérance, qu'il maintien même lorsque la situation n'est pas au beau fixe, comme elle l'est actuellement.
— Nous allons vous laisser vous entraîner, reprend notre professeur. Essayez de ne pas trop vous acharner, prenez le temps et n'hésitez pas à revisionner la vidéo. Taehyung-ssi, ne force pas trop sur tes poignets et n'oublie pas de pousser sur tes mains vers le haut pour créer une impulsion. Il n'y a que là que tu pourras plier les jambes. Et Jungkook-ssi, même si tu as une bonne constitution et que tu es solide, ménage-toi, nous conseille-t-il.
Nous saluons les danseurs et le silence s'insinue rapidement dans la salle. Avec eux, ils ont emporté les dernières traces de sérénité qui me restaient. Sans leurs directives, je crains que ça ne soit pire et qu'on se fasse vraiment mal.
— On devrait recommencer un peu plus tard, nous sommes fatigués, tenté-je, mais Jungkook secoue frénétiquement la tête.
— Non, si nous faisons ça, la peur ne fera qu'augmenter, répond-il avec aplomb.
— Nos membres sont fatigués, c'est une histoire de logique.
— On a déjà fait des entraînements bien plus longs. Je sais que tu es endurant, Taehyung-ie hyung.
Ça fait quelques fois qu'il se montre plus familier avec moi. Je me demande ce qui a changé.
Je soupire face à sa ténacité, il ne me lâchera pas.
— Et si je t'écrase à nouveau ?
— C'est possible, mais ça fait partie du processus d'apprentissage. A force de faire, nous allons trouver un équilibre.
— Tu es têtu, râlé-je pour la forme.
— Je dirais plutôt déterminé.
Il a vraiment réponse à tout, celui-là.
Je m'éloigne de lui, me plaçant à environ cinq mètres, puis attends son signal.
— Essaie de ne pas trop courir, pour qu'il y ait moins d'élan, me conseille-t-il et je hoche la tête.
J'essaie de me détendre, mais c'est très compliqué, tout mon être semble verrouillé par la tension, au point où mon cou en vient à se crisper.
— Vas-y, m'encourage-t-il et je m'avance vers lui.
Mes mains touchent le sol et j'impulse mon corps vers le haut, j'arrive même à poser mes mollets sur ses épaules, mais nous perdons de nouveau l'équilibre. Je pense à l'impact et tente de me redresser durant la chute pour placer mes mains sous la tête de mon partenaire. J'amortis la collision, mais mes doigts glissent sur ses cheveux et son crâne finit par rencontrer le tapis avec brutalité.
Je me relève avec tout autant de rapidité, mais son torse a encore subi mon assaut. Jungkook ferme les paupières, se retenant probablement de jurer, puis il tousse quelques fois, le temps de se remettre.
— Tu devrais me lâcher si tu sens que l'on bascule, et j'essaierai de ne pas te tomber dessus, déclaré-je, mais il secoue la tête.
— Si je te lâche, je ne sais pas trop où tu vas atterrir avec l'élan.
Il se relève et ébouriffe sa tignasse, puis se dirige vers sa bouteille d'eau qu'il vide de moitié. Je fais de même en traînant des pieds.
— Je vais finir par te faire vraiment mal.
Son regard se tourne vers moi, son nez se fronçant, signe que cette conversation l'agace.
— Je gère cette partie-là, concentre-toi sur la tienne.
Je me rends progressivement compte que ce qui me retient, c'est la peur de le blesser. Je me concentre alors sur le fait de ralentir mes mouvements pour qu'ils ne viennent pas le heurter, au lieu de me préoccuper de mes propres gestes.
— Réessayons, dit Jungkook en se mettant à nouveau devant le tapis.
Ce mec est fou, il a décidé de mourir aujourd'hui, pour je ne sais quelle raison. Pourquoi tient-il à ce que nous y arrivions aujourd'hui ?
Je fais tourner mes poignets, espérant ainsi les assouplir. Je fais de même avec mon cou, que je souhaite détendre par tous les moyens, mais je bloque. Même après son signal, je n'arrive pas à courir vers lui, la tension agite mes muscles qui se contractent à vue d'œil.
— Taehyung-ssi, m'appelle-t-il, mais je ne réponds pas, fermant même les yeux. Taehyung-ssi, recommence-t-il plus fortement.
J'ouvre les paupières sur le visage sérieux de mon partenaire du jour, il se mord la lèvre inférieure tandis que j'observe sa cage thoracique se remplir avec régularité.
— Cet exercice, c'est une histoire de confiance, dit-il d'une voix qui se craquelle joliment sur la fin. Tu dois juste te concentrer sur le fait que je ne te lâcherai pas, que tu ne risques rien.
Tout son corps m'inspire la sincérité et malgré notre relation récente, je sais qu'il se montrera professionnel, qu'il ne fera jamais exprès de foirer.
— Je le sais, lui réponds-je en grattant la peau autour de l'ongle de mon pouce.
— Alors qu'est-ce qui t'angoisse ?
Je marque une courte pause, réfléchissant à ce que je pourrais lui dire, mais il me coupe.
— Attends. Donne-moi ton téléphone, m'ordonne-t-il et, surpris, je m'exécute.
Il le déverrouille sans difficulté vu que je n'y ai mis aucun code, et il enclenche la lampe torche, faisant de même avec son propre smartphone. Il allume ensuite l'enceinte et s'y connecte avec le bluetooth, lançant Red Fire. Il baisse le son pour qu'il n'envahisse pas toute la pièce et qu'il nous offre un doux mais puissant fond sonore.
Alors que je pensais qu'il allait s'arrêter là, il me surprend en éteignant la lumière, nous plongeant dans une ambiance bien plus sombre. Seul l'éclairage de nos téléphones nous apporte une source de clarté. Nous devenons des ombres que nous distinguons seulement parce que nous faisons attention à ce qui nous entoure.
— Qu'est-ce que tu fais ? le questionné-je, perdu.
Il se tourne vers moi, puis se place là où il était un peu plus tôt.
— Un jour, je t'ai demandé pourquoi ça n'était pas toujours naturel entre nous et tu m'as répondu que l'éclairage nous grillait le cerveau, m'explique-t-il d'une voix peu assurée. Maintenant que nous sommes dans le noir, parle-moi.
Je suis stupéfait par ses mots, comme s'il avait perçu ma gêne et qu'il tentait d'apaiser mon trouble. Je ne vois pas bien ses iris et je me rends compte que ça me perturbe. Lorsque le crépuscule s'installe, la fenêtre nous laisse entrevoir la luminosité de Seoul et son visage me paraît alors accessible. Ici, je suis coupé de sa personne, comme lorsque nous échangions avec des post-its.
— Je n'ai pas peur pour moi, dis-je avec conviction maintenant. Je suis effrayé par l'idée de ne pas rattraper ta tête, de ne pas être à la hauteur, de tout gâcher, mais ce qui m'angoisse le plus est le fait que je puisse t'écraser et que la chute te blesse réellement. Tu m'as un jour fait comprendre que si l'un d'entre nous manquait, nous avions tous un problème.
Sa posture change alors qu'il émet un rire.
— Depuis quand on s'inquiète pour l'autre, hein ?
Cherche-t-il à adoucir l'atmosphère ou bien se marre-t-il vraiment ?
En fond, j'entends le bridge se lancer et je trouve le moment franchement ironique.
— Comme dirait Namjoon-ie hyung, nous sommes une famille, malgré tout.
— Et on se fait confiance dans une famille. Je le répète, je ne te lâcherai pas, tout comme tu ne me lâcheras pas. Je vais te prouver que je te fais confiance, dit-il soudainement en virant le tapis d'un coup de pied.
J'ai aussitôt un mouvement de recul tandis que la musique se termine pour recommencer, comme un cycle infernal.
— Je ne le ferai pas, contré-je immédiatement.
— Ne fais pas l'enfant, sois professionnel.
Ma fierté en prend un sacré coup, surtout que je suis son aîné, je devrais être celui qui le rassure et non l'inverse. Je ne sais jamais à quoi m'attendre avec lui, il vient perturber tout ce que je crois connaître. Sur lui. Sur moi.
— Je ne le ferai pas, répété-je en croisant les bras sur mon torse.
Il rit à nouveau.
— Je suis heureux de savoir que nous sommes deux gamins dans cette pièce, me pique-t-il et j'ai vraiment envie de lui faire ravaler son insolence.
— Le noir ne t'enlève pas ton impertinence à ce que je vois.
— Je ne serais pas moi si je n'étais pas sarcastique.
— Je suis ton aîné et...
— Et je te dois le respect, me coupe-t-il avec un nouveau rire. Mais je ne sais pas à quel point tu me respectes en retour vu que tu ne me fais pas confiance.
— Je n'ai jamais dit ça, m'emporté-je.
— Si tu avais confiance en moi, on aurait déjà réussi ce porté.
— Ce n'est pas qu'une histoire de confiance, on doit trouver le truc.
— Et nous le trouverons à force d'essayer.
— Je suis d'accord, mais avec le tapis ! En plus, je ne vois presque rien, tu es fou ma parole !
Cette fois-ci, je suis sur les nerfs.
Soudainement, Jungkook s'approche à grandes enjambées, jusqu'à se poster à quelques centimètres de mon visage. Ses pupilles me fixent avec détermination. J'y lis toute sa volonté, son courage aussi.
— Tu sais pourquoi j'en suis là ? demande-t-il, son souffle s'abattant sur mes lèvres. Parce que je n'abandonne jamais. Jamais, tu m'entends ? Nous serons bientôt en vacances et nous ne pourrons pas nous entraîner, le temps joue contre nous, m'explique-t-il d'une voix ferme que je ne lui connaissais pas. Essayons encore. S'il te plaît.
Mon regard est attiré par le tapis qu'il a poussé au loin et mon angoisse reprend, me faisant froncer les sourcils de contrariété.
— Si tu n'as pas confiance en moi, aies confiance en nous, dit-il et mes iris plongent à nouveau vers les siens. Notre duo n'est pas si mauvais, si ?
Je secoue la tête, nous ne fonctionnons pas si mal lorsque nous nous écoutons, et pour cela, il faut entendre ce que l'autre nous dit.
— Essayons, insiste-t-il. C'est le message de cette chanson, après tout. Malgré nos différences, Taehyung-ie hyung, déclare-t-il en marchant à reculons.
Le bridge recommence et résonne dans ma poitrine. Je ferme les yeux en entendant nos voix s'élever dans la pièce, puis gonfle ma cage thoracique d'un air qui vient apaiser ma tension.
Je réouvre les paupières et tombe sur Jungkook qui hoche la tête, prêt à me réceptionner encore. Quand la mélodie ralentie, j'inspire et lorsque le tempo reprend, m'envoyant le signal que j'attendais, je m'élance vers le noiraud.
Je décide de nous faire confiance.
Mes mains touchent le sol et j'appuie sur ces dernières afin que mon corps s'élève vers le ciel. Quand j'estime que c'est le moment, mes genoux se plient et s'installent sur les épaules de Jungkook. Mon buste bascule vers l'avant tandis que je prends de la hauteur, forçant sur mes abdos dans la manœuvre. Mon partenaire, plus solide qu'à l'accoutumé, se laisse tomber après avoir attrapé mes mollets, m'entraînant avec lui.
Je place immédiatement ma paume derrière sa tête et accroche même mes doigts dans ses cheveux afin d'avoir une prise plus ferme et ainsi ne prendre aucun risque.
Nos deux corps chutent, mais il n'y a pas de réel impact. L'unique son que nous percevons est le bruit qu'émettent mes chaussures lorsqu'elles percutent le plancher.
Jungkook n'a pas cillé une seule fois, gardant son regard dans le mien, malgré le faible éclairage. Il m'a fait une telle confiance que ce sentiment amène de légers picotements qui parcourent mon estomac, m'envoyant de délicieuses sensations dans le ventre.
Mes pupilles fixées sur celles du noiraud, je lui souris en entendant ma voix résonner entre ces murs :
« Tu viens me réveiller d'une nuit éternelle »
Ces mots ne m'ont jamais paru aussi vrais qu'à cet instant où j'ai l'impression d'ouvrir les yeux alors que la nuit semble nous entourer. Je suis plongé dans une obscurité seulement éclairée par de timides faisceaux lumineux qui ne s'amusent pas à briser l'instant.
Je souris à Jungkook et il me le rend en baladant son regard sur moi. Je ne suis plus gêné lorsqu'il le fait, comme si c'était sa manière de communiquer avec moi.
Quand vient le moment, je desserre mes doigts sur ses cheveux et les laissent glisser sur sa nuque pour le déposer au sol. Je touche sa joue dans le mouvement, mais je ne m'en inquiète pas.
Là, dans cette salle de danse, avec notre musique en fond, nous avons réussi à recréer l'alchimie que nous avons lorsque la nuit tombe et que nous nous découvrons.
L'une de nos paroles me revient à l'esprit :
« Je te tourne autour, craignant les étincelles que tu m'envoies »
Je crois que je n'ai plus peur de ces étincelles parce que j'apprécie la chaleur qu'elles diffusent au creux de ma main, comme si j'apprenais doucement à dompter celui qui me les envoie.
____
NOTE DE L'AUTEURE :
La confiance est la clé, mais elle n'est pas facile à accorder... Qu'en pensez-vous ?
Le prochain chapitre est mon préféré de la première partie, alors j'espère que vous l'aimerez autant que moi !
A demain pour la suite xx
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