CHAPITRE 11 - ADULTE


Kim Taehyung, 19 ans,

Novembre 2018, Seoul.


Une semaine plus tard...


— Joyeux anniversaire, Taehyung-ie ! hurle Jimin à mon oreille, comme si je n'allais pas l'entendre alors qu'il est assis juste derrière moi.

Nous faisons un live tous les cinq, et pour cette occasion, je suis clairement mis à l'honneur. Les autres membres sont installés sur le canapé derrière moi, alors que je suis sur un coussin devant eux. Le staff m'a préparé un gâteau avec un glaçage qui me donne envie de saliver tellement j'ai hâte de croquer dedans. Pourtant, une photo ridicule de moi au réveil est délicatement posée sur le dessert, ce qui ne me met pas franchement en valeur. Je grimace à chaque fois que mes yeux se portent dessus.

J'ai vingt ans, je suis officiellement un adulte*.

Le temps passe à une telle vitesse que j'ai l'impression d'avoir manqué mes années d'adolescence. A partir d'aujourd'hui, je ne pourrai plus me cacher derrière ma jeunesse pour expliquer mes fautes. Je ne dirais pas que je n'ai plus le droit à l'erreur, juste que j'aurai plus de mal à les justifier. Un jour, on se lève un matin et on nous demande d'être un homme et d'avoir les pensées mûres qui y sont associées. Je ne sais pas si une date de naissance définit le moment exact où l'on devient adulte. Je ne sais pas qui je serai dans une heure.

On m'a fichu une écharpe autour du cou où il est inscrit « J'ai vingt ans » et je la porte aussi fièrement que possible. Mes camarades ont fait exploser des milliers de confettis au moment où j'ai soufflé mes bougies. Hoseok était à deux doigts de le faire à ma place tellement j'ai pris mon temps. J'adore les rendre fous, c'est un plaisir tout à fait personnel.

— Ouvre ton cadeau, s'excite Namjoon dans mon dos.

Il est tout heureux depuis tout à l'heure, ne faisant que rapprocher la grande boîte à mes côtés pour que je me hâte de l'ouvrir.

— Okay, finis-je par dire, mais je mets un temps infini à déballer le présent.

Installé au sol entre les jambes de Jimin, ce dernier place ses mains sur mes épaules et me secoue un peu pour que je me dépêche. Je ris parce qu'ils sont tous trop impatients, presque plus que moi. Il n'y a que Jungkook qui reste calme, comme à son habitude.

Depuis l'épisode du studio, nous n'avons pas vraiment reparlé et j'ignore s'il a lu mon carnet ou non. Ne pas savoir me rend nerveux, mais j'essaie de ne pas trop y penser. Il ne me l'a toujours pas rendu donc j'imagine qu'il n'a pas fini ou qu'il n'a pas commencé. Peut-être que ça ne l'intéresse pas tant que ça, ce qui se passe dans ma tête.

Le cadeau déballé, j'y découvre de nouvelles chaussures, des mocassins noirs d'une grande beauté. Il y a une petite chaîne en argent qui vient orner le dessus, lui apportant une touche élégante. C'est un cadeau coûteux pour lequel ils se sont cotisés, et ça me touche qu'ils aient pensé à ces chaussures qui me faisaient littéralement baver devant la vitrine. Les membres savent que j'ai un style vestimentaire qui est en train d'évoluer et que je prends plaisir à un être un tantinet raffiné, et cette paire va m'aider à parfaire des looks plus élaborés.

— Venez-là, dis-je en me levant.

Les membres se mettent debout à leur tour et je sens de nombreux bras m'enserrer. Le seul à être en retrait est Jungkook, pourtant la caméra est toujours braquée sur nous.

A quoi joue-t-il ?

Il attend que les autres me lâchent pour s'avancer vers moi, ce qui me surprend. Je suis stupéfait de sentir ses mains couvrir mes hanches et son corps se déposer contre le sien avec douceur. L'odeur familière de vanille s'infiltre dans mes narines, me faisant soupirer. Pendant une seconde, j'ai l'impression que les lumières sont éteintes, que la couverture nous cache aux yeux du monde et que notre étreinte nous donne ce dont nous avons besoin, une affection paisible, loin des querelles.

Je suis heureux de tourner le dos à la caméra qui ne peut capturer le moment où j'accroche le pull de Jungkook parce que j'ai conscience de ne pas avoir envie de le lâcher tout de suite. Ses câlins sont réconfortants, je ne le savais pas jusque-là parce que c'était toujours moi qui l'enserrais. Ce moment est partagé, il est mutuel, j'ai même senti son menton se caler une seconde à peine sur mon épaule.

On se détache, l'instant est à nouveau passé. Ils sont toujours très fugaces entre nous, on n'a pas de constante. On s'apporte de l'apaisement, je le sens, pourtant seuls nos corps arrivent à l'exprimer. Notre dynamique est spéciale, unique.

Nous rentrons d'une soirée un peu arrosée. J'entre donc dans l'âge adulte avec des yeux rouges et un sourire de bienheureux. Je ne suis pas bourré, seulement un peu pompette, suffisamment pour rentrer dans la personne qui me barre la route.

— Taehyung-ie, tu devrais aller au lit, me dit Namjoon qui a décidé d'être raisonnable ce soir.

— Je dois me doucher d'abord, arrivé-je tant bien que mal à dire.

— Tu fais attention hein ?

— Oui, maman, ris-je.

Je voulais rester un peu plus longtemps dans ce bar bondé, c'est pourquoi les autres membres sont rentrés plus tôt que nous. Je voulais que notre sortie ne se termine jamais, mais les autres membres étaient fatigués, donc seul notre leader s'est dévoué.

Namjoon me quitte pour la chambre tandis que j'attrape le premier t-shirt que je vois dans le semblant de dressing que nous partageons dans le couloir. Je pique aussi un boxer et me dirige vers la salle de bain. L'eau chaude vient détendre un peu plus mes muscles endoloris par les heures de travail, me faisant fermer les yeux pour apprécier chaque seconde. Petit à petit, je reviens à moi, suffisamment pour dessoûler légèrement.

Je me change et constate que mon haut m'arrive à mi-cuisse, ce qui est surprenant, mais je n'y prête pas grande attention. Je me rends compte que j'ai oublié de prendre un pantalon de nuit, mais je ne m'en fais pas trop, je n'aurai pas froid avec Jungkook.

Quand j'arrive dans la chambre, les ronflements de Namjoon m'accueillent chaleureusement. J'ai envie de pouffer, mais je me retiens d'une main sur la bouche. Les lumières de Seoul s'infiltrent dans la pièce, me guidant jusqu'à mon lit, enfin celui du noiraud.

D'ailleurs, Jungkook est emmitouflé dans la couverture, ne laissant apparaître que le bout de son nez. Pour une fois, il a pris le temps de se couvrir entièrement. Je ne peux m'empêcher de le trouver mignon ainsi, avec les traits détendus et les cheveux en pagaille sur le coussin. Je me laisse guider par mon instinct, probablement un petit peu engourdi par l'alcool, et repousse quelques-unes de ses mèches douces. Sa peau l'est également sous mes doigts.

Je suis étonné de le voir ouvrir les yeux, lui qui a un sommeil lourd. Je ne retire pas tout de suite ma main de son front, ralenti par mon état. Mes réflexes ne sont pas exactement au beau fixe.

Il ne dit rien et ne me dégage pas, il bat même des paupières pour les clore à nouveau pendant une minute.

J'arrête de le câliner pour monter sur le lit et me glisser sous la couette. Je soupire de bien-être en sentant mon corps entrer dans ce nuage que l'on appelle matelas.

Couché sur le dos, j'entends mon voisin bouger alors qu'il se place sur le côté, le visage dirigé vers moi. Il passe sa main sous son oreiller et en sort ce qui ressemble à un carnet qu'il me tend.

Je reconnais rapidement mon bloc-notes, il n'avait donc pas oublié.

Je le lui prends et laisse retomber ma main emprisonnant mon bien entre nous. Je deviens soudainement nerveux parce que j'ignore ce qu'il pense et depuis quand il a terminé de le lire. Son regard sur moi va-t-il changer à présent ?

— Alors ? ne puis-je me retenir de demander.

— On dirait que tu attends une sentence, il n'y en aura pas, rit-il et je ne sais pas si j'ai envie de me joindre à lui.

Sa voix est endormie alors qu'il chuchote pour ne pas réveiller les autres. De toute manière, les ronflements de notre leader sont tellement intenses qu'il faudrait qu'il se mette à franchement parler pour qu'on l'entende.

Je le fixe sans rien répondre, l'incitant silencieusement à continuer.

— Je ne te trouve pas bizarre, si c'est la question sous-jacente.

Je souffle, comme si j'avais contenu ma respiration depuis trop longtemps.

— C'est bon à savoir.

Il bouge sa main sous son coussin pour surélever sa tête avant de reprendre la parole.

— J'ai le sentiment d'un peu plus te connaître, une part un peu cachée et plus sombre de toi. Ça me donne l'impression que tu n'es pas vraiment celui que tu montres, m'explique-t-il et je fronce les sourcils.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

— Tu es quelqu'un de sociable et très souriant, la plupart du temps. Pourtant, dans tes textes, tu es plus réservé, plus pudique et mélancolique. On dirait que tu as peur d'être celui que tu es.

Ses pupilles me font face lorsqu'il me parle, il n'a pas peur d'affronter mon regard, il ne me tourne pas le dos. Je sais qu'il est quelqu'un d'honnête, qui ne me raconte pas de salades pour me faire plaisir. Il n'aura pas de crainte à m'avouer une vérité qui fait mal, pas avec des iris pareils, et c'est ce qui est rassurant. Ses yeux sont comme l'ancre d'un bateau, stables et solides.

— Pourquoi, à ton avis ?

J'ai envie d'avoir son opinion sur le sujet, ce qu'il pense connaître de moi.

— Tu as manqué d'amour et tu le cherches par tous les moyens, révèle-t-il avec prudence, il mesure ses mots et leur impact sur ma personne. Je ne sais pas vraiment pourquoi, tu n'en parles pas, mais je peux aussi le voir dans la vie de tous les jours.

— Ah bon ? questionné-je parce que je veux qu'il poursuive, qu'il parle de moi, encore.

— Tu ne montres pas ce que tu renfermes, tu ne partages pas tes écrits, tu ne parles pas d'amour quand on évoque le rouge, tu as besoin d'une affection tactile, tu ne donnes que rarement ton avis. J'ai été surpris que tu le fasses au studio, même si ça m'a mis en rogne.

Il émet un rire muet et je suis heureux que cet épisode soit finalement un lointain souvenir pour lui.

— On dirait que tu as réfléchi à la question, j'espère être un sujet d'étude intéressant.

C'est à mon tour de sourire. Je me mets dans la même position que lui, une main sous la joue, face à lui.

— Je t'observe, tu te souviens ?

— Je le fais aussi, avoué-je, surtout à cause de l'alcool.

— Je sais.

— Je crois que j'aimerais aussi savoir ce qu'il y a dans ta tête.

Je me pince les lèvres, je ne sais pas ce que je raconte. Je passe ensuite ma langue dessus pour les humidifier, elles sont sèches à cause du manque d'hydratation. Je fouille rapidement sous mon oreiller et finis par trouver le baume que j'y avais planqué. J'en ai toujours un sur moi et, comme disait Jungkook, il est vrai que je sème des objets un peu partout, notamment ces petits tubes.

— Il n'y a pas grand-chose à dire sur moi, dit-il en quittant mon regard, gêné.

— Ce n'est pas ce que tes yeux me racontent la plupart du temps.

Ses pupilles reviennent sur moi et la surprise se lit sur son visage. J'argumente :

— Tu es timide et ne révèle pas ce qu'il y a sous le masque, tu n'es pas beaucoup plus honnête que moi. Je pense que tu as autant peur de montrer qui tu es que moi, mais d'une manière différente. Tu es sûr de toi lorsqu'il s'agit du domaine artistique parce que tes capacités ont été reconnues depuis ton plus jeune âge, mais quand il s'agit des relations humaines, j'ignore qui est Jungkook.

Ses iris se déplacent sur mon visage, encore, comme une vieille habitude. Il ne répond rien, il ne sait peut-être pas quoi dire.

— Je pense que le vrai toi est... délicat, comme un enfant qui a besoin qu'on prenne soin de lui, essayé-je d'expliquer.

— Tu viens de le refaire, me traiter comme un gamin, râle-t-il.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, bafouillé-je rapidement. Je parle d'innocence. La plupart du temps, tu es enfermé dans ton monde, tu parles peu et pourtant tu en dis beaucoup en un seul regard. Il y a quelque chose qui me dit que tu n'as pas eu de pilier, de rempart dans ta vie, de quelqu'un qui t'autorises à juste lâcher prise.

Il libère une grande inspiration, à l'image d'un ballon qui dégonfle, laissant s'échapper ce qu'il contenait. En l'occurrence un poids qui semblait lourd à porter pour lui.

— Pourquoi ça n'est pas toujours comme ça entre nous ? m'interroge-t-il.

— Parce qu'il y a toujours de l'éclairage, ça nous grille le cerveau, lâché-je pour détendre l'atmosphère.

— Alors, la prochaine fois, parlons dans le noir.

Son sourire est candide.

— Tourne-toi, lui dis-je soudainement, le faisant tiquer. S'il te plaît, insisté-je.

Il s'exécute donc, ne posant pas plus de question. Mon courage amplifié par l'alcool, je me rapproche de lui. Mon torse rentre en contact avec le dos de Jungkook tandis que je laisse mon bras l'entourer. Ma main se dépose sur son ventre pour l'appuyer un peu plus contre moi et mon nez plonge dans ses cheveux parfumés à la vanille.

Là, comme ça, je me sens bien, comme à la maison.

Le noiraud bouge légèrement, le temps de trouver sa place, ne me dégageant pas pour autant. Si je l'oppresse, il ne s'en plaint pas, il ne le fait jamais.

— Taehyung-a, m'appelle-t-il.

Mon cœur a un loupé à cette appellation familière qui est étrange étant donné que je suis son aîné. Je ne relève pourtant pas.

— Mmh ?

— Tu sais que tu portes mon t-shirt ?

Non, je n'avais pas remarqué.

— C'est pour ça qu'il sent la vanille, chuchoté-je en sentant déjà le sommeil venir me cueillir.

— Joyeux anniversaire, dit-il finalement dans un murmure et sa voix s'éloigne à mesure que le sommeil m'emporte.

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NOTE DE L'AUTEURE :

J'aime bien ce chapitre, pas vous ? 

A demain pour la suite xx

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