Chapitre 4

« J'ai en moi une impossibilité d'obéir. »

François-René de Chateaubriand

La chambre dans laquelle j'étais était loin d'être petite, et pourtant ses murs semblaient se refermer sur moi indéfiniment. Elle était vide et froide, avec un simple lit pour tout meuble, et une lampe posé à terre. Il faisait froid, dû à la présence du climatiseur sous les combles. Je n'avais aucune idée de l'heure qu'il était, mais je pouvais entendre le son étouffé de dizaines de voix dans les étages plus bas.

Combien y en avait-il en tout ? Trois, quatre ? Plus le rez-de-chaussée ?

Les combles où je séjournais ne comptaient pas dans l'addition.

En tout cas, ils ne semblaient pas avoir peur que je m'échappe, car même si la porte était verrouillée, la fenêtre était grande ouverte.

Je regardai le ciel noir et clignai des yeux. Je n'avais pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures. Je n'avais aucune affaire et j'étais mon seul point d'ancrage.

Je ne voulais pas me demander s'ils comptaient me laisser mourir de faim. Je ne voulais pas conditionner mon esprit à attendre qu'ils s'occupent de moi. Il fallait que je me protège de tout lien avec mes ravisseurs.

Je l'avais déjà fait. Je le referai.

Patienter. Obéir. Masquer ses émotions. Réfléchir. Ne pas s'apitoyer.

Être une guerrière, pas une victime.

Survivre.

Se libérer.

Je fixai l'étoile qui brillait le plus dans le ciel, l'étoile du berger et la laissai m'éblouir jusqu'à ne plus percevoir qu'elle. Ma lueur d'espoir.

Je fermai les paupières et imaginais la liberté devant mes yeux. Courir dans la rue avec une meilleure amie. Danser sur scène en solo. Danser un slow en boite avec ce garçon mignon. Aller à l'université. Rire. Escalader des falaises. Voir les chutes du Niagara. Aller à Bora-Bora. Revoir Ses yeux. Entendre Sa voix.

Je rouvris soudainement les yeux en sentant ma vue se perdre.

Merde! Mes médocs!

S'ils voulaient me tuer, ils l'auraient déjà fait n'est-ce pas ?

Je regardai la porte close devant moi avec appréhension.

Ma fierté contre ma survie.

Je l'avais déjà fait.

Je tambourinai contre la porte pendant une minute entière qui me sembla une éternité jusqu'à ce qu'elle s'ouvre enfin.

— Tu vas arrêter ce boucan oui ?

Je clouai mon regard dans celui d'Alesio. Le grain de beauté sur sa mâchoire me fit presque oublier pourquoi j'avais appelé quelqu'un, mais mon frère était devant moi, et je n'arrivai pas à savoir si c'était vrai.

Sa voix froide me donna la chair de poule, mais sa mâchoire se décrocha quand il vit mes yeux et la larme sur ma joue.

— Viviana...

Son regard se troubla et le mien en aurait sûrement fait de même si j'avais eu mes médocs.

Je me raclai la gorge et esquissai l'ébauche d'une grimace.

— Je pourrai avoir mes médocs ?

Il passa une main dans mes cheveux en me regardant comme pour s'assurer que j'étais bien là. Je n'aimais pas ça, mais je n'osais pas reculer.

— C'est bien toi.

Je resserrai ma prise sur la porte. Son regard sur moi était étrange, familier et déplacé à la fois.

— Il semblerait.

Son regard se fit plus dur.

— Tu te souviens ?

Je clignai des yeux pour tenter d'y voir plus clair, sans succès évidemment, mais je hochai la tête.

— Un peu.

Il haussa un sourcil et je compris qu'il voulait un exemple. Le manque de glucide me fit me retenir à la porte et n'arrangeait rien à l'absence de mes médicaments.

Je ne répondis rien. Même si j'étais celle qu'ils disaient, je ne me rappelais rien. Avant Lui, il n'y avait que le Noir. Et c'était très bien comme ça.

— Tu prends toujours la même chose ?

— Je ne me souviens pas de ce que je prenais. Mais j'ai un antibiotique, un anticoagulant et des gouttes pour les yeux pour ne pas devenir aveugle.

Je ris un peu pour alléger l'atmosphère, mais je ne voulais pas revivre ça. Il hocha la tête et fronça les sourcils.

— Je vais t'apporter à manger aussi.

Puis il disparut.

Je clignai des yeux plusieurs fois pour tenter de les hydrater, mais seules les gouttes faisaient vraiment effet. L'anticoagulant n'était nécessaire que lorsque trop de sang avait déjà envahi mes canaux lacrymaux, et les antibiotiques pour prévenir les risques d'infection. L'haemolacria était classe, mais tout, sauf pratique.

Je me figeai quand il revint. Il n'était pas seul, et je ne parvenais pas à vraiment distinguer qui l'accompagnait.

Sa main se posa sur la mienne, répandant une trainée de frissons dans ma colonne vertébrale. Son contact... Je n'aimais pas son contact. Il me donnait envie de reculer pour m'en dégager. Il logea le tube de gouttes d'eau dans ma paume et s'agenouilla devant moi.

— Tu peux le faire seule ou tu as besoin d'aide ?

Je secouai la tête. J'avais l'habitude.

Il avait déjà ouvert le flacon pour moi, alors je balançai ma tête en arrière, sentant le produit pénétrer et nettoyer mes yeux avec soulagement.

Je fermai les paupières pendant deux longues minutes, dans un long silence seulement animé par la respiration des deux hommes autour de moi, le temps que ça agisse.

Quand je les rouvris, je vis Lorenzo à côté d'Alesio. Ils m'observaient tous les deux avec la même expression pleine de méfiance et d'espoir à la fois.

— C'est elle.

La voix de Lorenzo était grave, plus grave que celle de son frère. Son regard voyageait entre lui et moi, semblant ne pas savoir où s'arrêter.

— Oui. C'est elle. Elle se souvient.

Je me redressai pour tenter de les regarder en face, mais je mesurais un mètre soixante-cinq et eux, au moins un mètre quatre-vingt-quinze. Sans mes talons, j'étais résignée à lever les yeux vers eux.

Ils tournèrent la tête vers moi avec une expression grave sur le visage.

Alesio fit un pas en avant, et alors que je m'attendais à ce qu'il parle, il s'empara de ma main.

Ma peau me brûla à son contact, mais je le laissai faire.

— Je suis désolé.

Je penchai la tête sur le côté en examinant ses yeux tremblant d'émotions inconnues.

— Pourquoi ?

Il trembla. Il ferma les paupières avant de s'asseoir sur mon lit sans lâcher ma main. Son contact m'était insupportable, mais je n'osai pas la retirer. Je n'avais aucune idée de quel genre de punition m'attendait si je tentai de me soustraire à lui.

— Tu... Tu es une fille de mafia. Notre petite sœur.

Je hochai la tête. Je savais tout ça.

— Tu es destinée à te fiancer avec le meilleur parti criminel qui nous permettra de forger une alliance solide et d'élargir notre puissance.

Je restai de marbre. J'avais déjà compris tout ça, mais j'étais censée être une victime fragile, pas... Peu importe. En plus, c'était stupide, mais... La douleur qui étreignit mon cœur me poussa à oublier ma pensée immédiatement.

— Tu as été promise à Alessandro après ta disparition.

Voyant que je ne disais rien, il continua.

— Alessandro nous a aidés à te chercher, mais désormais, il refuse l'alliance. S'il fait ça, ce sera la guerre. Et contre lui... Nous perdrons. Inévitablement.

Je me retins de grincer des dents. Des dizaines de choses n'allaient pas dans sa phrase. Il avait changé le mot kidnapping pour disparition comme si c'était un mot tabou, et été déjà persuadé de sa défaite avant le début de la bataille. Je ne savais pas lequel des deux hériterait de la mafia, mais si Alesio partait sur cette base...

Il releva son attention vers moi.

— Il faut qu'il veuille de toi, tu comprends ?

Non, je ne comprenais pas, mais ça n'était pas le sujet. Alors je hochai la tête et retirai ma main de la sienne. Un éclat passa dans son regard et il la reprit tout doucement.

Je n'avais pas le choix. De toute façon.

Il inspira profondément.

— Il faut que tu nous dises ce qui t'est arrivé. Qu'on te venge.

L'éclat dans ses yeux me fit frémir. Il n'y avait plus rien de fraternel dans ses prunelles, simplement un faux semblant de compassion qui dissimulait une lueur sombre. Il mentait.

Je retirai aussitôt ma main et reculai, en restant silencieuse. Mon dos se heurta contre celui de Lorenzo et je frissonnai. Son corps et son contact n'étaient pas chauds, comme celui de son frère, mais glacés. Et son regard sombre semblait vouloir me noyer.

— Il faut que tu nous le dises Viviana.

Obéir. Patienter. Se soumettre. Réfléchir. Masquer ses émotions. Ne. Jamais. Céder.

Je restais silencieuse.

Alesio se leva, se rapprochant de moi d'un pas dangereux.

— On ne te fera pas de mal.

Son sourire sonnait faux. Son regard aussi. Et je le maintins. Je fixai la lueur froide et mauvaise qui luisait dans ses prunelles sans baisser le regard.

Sa mâchoire se serra. La main de Lorenzo sur mon poignet se durcit juste assez pour me faire mal.

Mais je ne flanchai pas.

Alesio se redressa, en me fusillant du regard, laissant son vrai visage transparaître. Je n'avais toujours pas baissé la tête.

— Puisque tu veux jouer à ça... petite sœur.

Il cracha ces mots et quand Lorenzo me passa devant pour rejoindre son frère, je vis un sourire sadique sur ses lèvres. La même aura de danger et de menace émanait des deux. Et j'étais leur prochaine cible.

La porte claqua derrière eux, me replongeant dans une obscurité sans fin, et dans un silence mortel. Mon cœur tremblait dans ma poitrine, mon pouce passant sur le tatouage au creux de mon cou.

Je n'avais pas baissé la tête.

Je n'avais pas été celle qu'ils avaient voulu que je sois.

J'aurais pu mentir.

Dire que je ne savais rien.

J'aurai pu...

Mais je ne l'avais pas fait.

Je n'avais pas baissé la tête.

J'avais désobéi aux règles. 

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