Chapitre 6: Je suis dans tes bras

Libéré de toute attache, me baladant au gré de mes envies, je savourais ce nouvel instant de liberté. J'étais libre comme jamais je ne l'avais été auparavant. Ce sentiment de mourir et de renaître s'emparait à nouveau de moi. Plus de corps, plus d'entrave. Plus rien. Seule mon âme restait, dans sa pure éternité. Loin du cycle de la vie, loin du recommencement infini. Il n'y avait plus rien, rien que moi.

ETHAN !

Le corps du jeune adulte convulsait violemment au sol, effrayant les étudiants autour de lui qui se levaient et s'écartaient. Les yeux révulsés, la bouche ouverte sans qu'aucun son ne sorte, le garçon gesticulait de manière insensée, se cognant partout, poussant les meubles. La panique gagnait la classe, et les élèves les plus proches poussaient des hurlements terrifiés alors que le corps inconscient tremblait de plus en plus furieusement. Comme si la scène n'était pas assez inquiétante, l'étudiant disparu très rapidement, un cours instant, donnant presque l'impression d'une illusion d'optique, si bien que les étudiants ne comprirent pas s'il s'agissait de leur imagination ou de la réalité. Les feuilles, les stylos et autres petits objets commencèrent à trembler, mais les étudiants, trop paniqués par la crise d'Ethan n'y prêtèrent par attention.

-Mais bougez-vous ! Dégagez ces putains de tables, le laissez pas se cogner, bordel !

Agnès était la seule à avoir la présence d'esprit d'essayer d'aider Ethan, les autres étudiants et la surveillante observant la scène béats. Elle enjamba son ami le plus précautionneusement et le plus rapidement possible pour pousser les meubles autour de lui et éviter qu'il ne se fasse mal. Elle ne savait pas quoi faire d'autre pour aider son ami. Les étudiants sortirent finalement de leur torpeur et aidèrent Agnès à déplacer les tables. Elle finit par s'agenouiller en pleurant sur le corps d'Ethan qui convulsait un peu moins, et essaya de le retenir sans qu'il ne lui fasse mal et sans le blesser. Son corps brûlant semblait entièrement tendu, ses muscles s'étant contractés au maximum, tandis qu'il était encore soulevé par de légers soubresauts.

Ethan finit par arrêter de bouger et resta allongé, inconscient.

******

J'ouvrais les yeux sur une lumière blafarde, des néons blancs me donnant une vague impression de déjà-vu. J'étais à l'hôpital, encore. La douleur irradiait dans mon corps et une sensation de brûlure me tiraillait la cuisse. J'essayais de me redresser pour regarder autour de moi, ne pouvant contenir un gémissement de souffrance, tant mon corps était désagréable, et réalisais que, cette fois-ci, je n'étais pas seul dans la chambre. Ethan était allongé dans le lit à côté, émergeant à son tour lentement du sommeil.

-Ethan !

Ignorant la douleur, je me précipitais vers lui et m'affalais à moitié sur son lit, mon corps répondant bizarrement à mes commandes.

-On est où ?

-A l'hôpital, je crois.

-Quoi ? Pourquoi ? Je me suis évanoui, je crois.

-J'ai peur... d'avoir fait à nouveau une crise d'épilepsie.

-Oh...

Agnès et Elisabeth entrèrent dans la chambre à ce moment-là.

-J'étais sûre qu'ils se réveilleraient quand on ne serait pas là, se plaignit Agnès.

-Ezéquiel, qu'est-ce que tu fais debout, enfin ? lança Elisabeth en essayant de me prendre par la main, probablement pour me reconduire dans le lit.

-Je suis pas handicapé, fous-moi la paix, grognai-je en la repoussant.

Je me hissais difficilement sur le lit d'Ethan avant de m'asseoir, prenant sa main dans la mienne et la serrant avec force.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Ethan.

-Vous avez fait une crise d'épilepsie exactement en même temps, apparemment, c'est du jamais vu. Les médecins veulent vous faire une batterie d'examen.

-Non, non... Surtout pas ! répondit Ethan, en proie à la panique.

-Ne t'inquiète pas, mon amour, il ne peuvent rien faire sans notre accord.

-Ce serait quand même bien de savoir ce qui vous arrive, rétorqua Agnès d'un ton sec.

-Sois pas conne, tu as bien vu ce qui nous arrive, non ? Qui sait ce qu'ils trouveraient en nous examinant ?

-J'ai l'impression que notre cerveau est juste surchargé d'informations, murmura Ethan. Je suis d'accord avec Ezéquiel. On ne sait pas ce qu'ils trouveront en faisant un IRM.

-Je comprends qu'Agnès soit inquiète, quand même, les gars.

-Mais nous aussi, on est inquiet ! Mais c'est clairement pas eux qui ont la solution.

-Oui, mais vous êtes peut-être pas les seuls !

-Ah parce que tu as déjà entendu parler d'un truc comme ça, toi ?

-Non...

-Voilà, donc soit on est les premiers, soit les autres sont enfermés quelque part.

Deux médecins suivis de quelques infirmières entrèrent dans la pièce, coupant court à notre conversation. Le silence était tendu. J'avais peur qu'une des filles ne nous trahisse.

-Bonjour, je suis le docteur Monnier et voici ma collègue, le docteur Perret. Nous sommes chargés d'étudier vos épisodes d'épilepsie pour trouver un traitement adapté.

-Vous vous demandez peut-être ce que vous faites ici, même si vos amies vous l'ont sans doute expliqué.

-Oui, on est vaguement au courant, dis-je d'un ton sec.

-Alors, vous avez fait une crise d'épilepsie avec convulsions entre 11h27 et 11h34. Ce qui est surprenant est que vous avez eu le même type de crise exactement au même moment. Il me semble que vous avez récemment été victime de ce type d'événement monsieur Pereira, n'est-ce pas ?

-Oui, il y a environ deux semaines.

-Avez-vous été à proximité de substances inhabituelles ces derniers temps ?

-Pas que je sache.

-Et vous, monsieur Collet ?

-Non, je ne pense pas.

-D'accord. Nous aimerions vous faire passer quelques examens pour clarifier la situation et comprendre de quoi vous êtes victime. Nous allons avoir besoin de votre signature.

-C'est gentil. Mais on ne préfère pas.

-Mais enfin, monsieur Pereira, je ne sais pas si vous réalisez la situation, vous pourriez être victime de quelque chose de grave. Nous avons peut-être le moyen de vous soigner.

-Ça ne nous intéresse pas.

Les deux médecins se regardèrent d'un air interdit, sans comprendre.

-Bien. Et vous, monsieur Collet ?

Ethan hocha négativement la tête.

-Très bien... Mais sachez qu'il est très recommandé de faire des examens supplémentaires dans votre cas. De toute manière, vous aurez un rendez-vous obligatoire à prendre avec un de nos psychologues partenaires, afin d'effectuer un bilan psychologique. Vous avez une semaine pour le voir. Nous devons vous garder en observation cette nuit, mais vous pourrez partir demain matin.

Le médecin me tendit une feuille que je pris en maugréant de vagues remerciements. Les médecins et infirmières sortirent ensuite de la chambre, nous laissant seuls.

-En soi, le psy c'est pas mal, il pourra peut-être nous aider.

-Tiens, la femme que j'étais allé voir la première fois fait partie des psychologues partenaires.

-On pourrait y aller ! Manifestement, elle n'était pas fermée à l'idée des vies antérieures.

-Oui. Heureusement que les partiels terminaient aujourd'hui, maintenant qu'on est coincé ici.

-Tu sais, pendant un moment, avec cette semaine sans rêves, je pensais que ça s'arrêterait de soi-même.

-Moi aussi, mais on s'est bien planté, manifestement.

Agnès prit la parole, nous rappelant sa présence, à elle et Elisabeth, que nous avions quelque peu oublié.

-Ethan, pendant que tu faisais ta crise, il s'est passé un truc bizarre, mais je suis pas vraiment sûre que les autres aient remarqué. Tu... Tu as disparu pendant un instant, c'était tellement rapide, ça a duré moins d'une seconde.

Oh merde...

Le pire scénario envisageable s'était produit. J'espérais vraiment que personne n'y avait prêté trop d'attention. Si jamais les élèves commençaient à en parler entre eux, ce qui était loin d'être impossible, ils réaliseraient peut-être que la situation avait été très étrange. Ethan me lança un regard d'angoisse éloquent. Il pensait probablement la même chose que moi.

-D'ailleurs, il s'est aussi passé des trucs bizarres avec toi pendant ta crise, Ezéquiel, observa calmement Elisabeth.

-Qu'est-ce que j'ai fait ?

-Je sais pas trop, tout a été très rapide et je n'ai pas tout vu dès le début. Déjà, les feuilles ont commencées à tomber les unes après les autres, mais je ne pense pas que les gens aient fait le rapprochement avec toi. Ensuite, il me semble qu'à un moment tu t'es griffé au sang, et je crois que ta main avait l'aspect bizarre du toi japonais... Mais je n'ai pas bien vu, je ne suis pas sûre.

Je me souvenais soudainement de ma douleur à la cuisse au réveil et observait machinalement le bandage autour de ma jambe, réalisant bien trop tard qu'on m'avait déshabillé et vêtu d'une tenue d'hôpital pendant ma période d'inconscience.

Tant que les infirmiers en ont pas profité pour prendre des photos compromettantes, ça me va.

-On a été inconscients combien de temps ?

-Environ 3 heures, répondit Agnès.

-C'est beaucoup.

-Je crois qu'on vous a donné des calmants pour détendre vos muscles, notamment.

-On peut changer de sujet ? demanda Ethan d'un ton plaintif, ça me déprime.

-Ouais. J'ai ramené un jeu de cartes, si vous voulez, lança Elisabeth en fouillant dans son sac.

Nous décidâmes de pousser les lits pour les coller l'un à l'autre, histoire de créer une table de jeu décente. De toute manière, j'aurais collé mon lit à celui d'Ethan à un moment ou un autre. Nous nous asseyions en cercle tandis qu'Elisabeth déposait son jeu de cartes au milieu de la table improvisée. Je proposais un président, qui était un des seuls jeux de cartes que je connaissais avec le tarot et le Uno. Les autres acquiescèrent.

Mon jeu était médiocre et je perdais une première partie, laissant la petite assemblée découvrir mon côté revanchard et mauvais joueur.

-Ça m'aurait étonné, lança Elisabeth à la cantonade.

-Quoi ? aboyai-je.

-Que tu sois un mauvais joueur !

-Mais mon jeu était trop nul ! J'avais même pas de têtes ! Je suis pas mauvais joueur, j'aime juste pas que l'univers s'acharne sur moi.

-Pauvre chat... Tu as raison, l'univers à que ça à foutre de te faire perdre à des jeux de cartes.

Evidemment.

-Evidemment !

-Bref, les partiels se sont bien passés pour vous ? demanda Agnès.

-Ça va, répondit Ethan.

-Je pense que j'aurai la moyenne, dit simplement Elisabeth.

-Moi, j'ai géré.

-Qu'est-ce que tu te la pètes !

-N'aie pas trop le seum, Elisabeth. Ce n'est pas de ta faute si c'est moi le boss de la licence.

-En même temps, avec les trois mecs que vous êtes dans ta tête, je suppose que vous pouvez rassembler vous cinq neurones pour avoir des notes correctes.

-VoUs pOuvEz rAsSEmbLer VoS 5 nEurOneS ! Tais-toi, petite effrontée !

-Donne-moi tes meilleures cartes, boss de la licence, dit Elisabeth en lui tendant la main, sans même le regarder.

-Pfff...

-Sérieux ? Tes meilleures cartes sont un valet et une dame.

-OUI ! Je suis dégoûté ! Normalement je suis trop fort à ce jeu, moi !

-Au fait, pourquoi tu te balades avec des cartes dans ton sac ? demanda Agnès à Elisabeth.

-Oh, j'adore tirer les cartes pour lire l'avenir !

-Oh !! Trop marrant ! Tu peux dire mon avenir ?

L'enthousiasme d'Ethan me gagna. De plus, passer à une autre activité m'évitait l'humiliation monumentale que je me prenais au président.

-Si tu veux, mais on finit la partie d'abord, je veux voir Ezéquiel se rétamer.

-Waouh ! Je retiens ! Tu as couché avec moi juste pour me poignarder dans le dos, goujate ! m'écriai-je en sortant mon air le plus dramatique.

-Eh ! Vous vous calmez avec ça, vous deux ! nous sermonna Ethan avec un air jaloux.

-D'ailleurs Elisabeth, commença Agnès, l'histoire de la soirée remonte jusqu'au département de la SVT, tu sais ?

-Oui, c'est vrai ! renchérit Ethan. La rumeur comme quoi tu as drogué la soirée se répand comme une traînée de poudre.

-Putain de merde...

-Mais alors, tu as mis de la drogue dans ton cocktail bizarre ou pas ? demandai-je d'un air sournois.

-Peut-être qu'un peu d'ecstasy m'a involontairement échappé...

-Quoi ? T'es sérieuse ! Hahahaha !

-Mais c'est pas drôle Ezéquiel, cria Agnès.

-J'avoue que je suis aussi un peu choqué. Je comprends mieux pourquoi j'étais aussi à l'aise.

-Mais déjà, comment tu t'es procuré ça ? demanda Ezéquiel en ayant du mal à conserver son sérieux.

-J'ai mes contacts...

-T'es vraiment tarée, c'est incroyable ! Haha ! On va devenir tellement potes...

-Mais stop ! On parle d'un empoisonnement massif là, lança Agnès. Comment vous pouvez être aussi légers là-dessus ?

-Bon, le plus important, c'est que ça ne dépasse jamais le stade de la rumeur, dis-je en reprenant mon calme.

-Je suis pas ravi de m'être fait droguer... Je suis même assez en colère en fait. Mais on va essayer de calmer le jeu, dit Ethan avec douceur.

-Je suis désolée, les gars... Il y a rien qui justifie ce que j'ai fait.

-Effectivement !

-Oh, Agnès, arrête de faire ta sainte ! ça t'a bien plu au final, non ?

Agnès s'empourpra au souvenir de la soirée et baissa la tête.

-Ok. Mais c'est vraiment parce qu'on se connaît depuis longtemps et que je veux pas que tu finisses en prison.

-Ce serait peut-être pas si mal, tu pourrais te faire des copines, rétorqué-je avec un air pervers.

-Tu es vraiment intenable, soupira Ethan.

-Ok désolé, je me concentre. Bon. Personne n'a de preuve et puis la soirée a pas vraiment dégénérée, les gens ont juste été un peu plus bizarres que d'habitude. Mais c'était une fête quoi. Je m'inquiète pas trop, je pense pas qu'on t'accusera sérieusement de quelque chose.

-Je suis contente de vous avoir avoué la vérité... L'air de rien, vous êtes en train de devenir mes amis.

-Oui ! On est amis ! lança Ethan.

Heu... C'était quoi, ça ?

-Gon, sors de ce corps.

-Eh ! Je suis joyeux de nature, d'accord ?

-C'est vrai. Oh putain mais je vais gagner ! Haha, c'est qui les trous du cul maintenant hein ?

-Ezéquiel, t'es infernal.

-Dit la trouduc !

-Vous êtes chauds pour le bâillonner ? demanda Ethan.

-Faisons ça.

Une fois la partie finie, Elisabeth ajouta les atouts à son jeu de tarot, et entreprit de nous tirer les cartes. Ethan trépignait d'impatience en regardant Elisabeth magner son jeu de cartes avec un air expert. Elle les aligna de telle sorte à cacher la face.

Il est vraiment trop mignon, j'ai envie de le... Non, stop. Ça a mal fini la dernière fois.

-Qui veut commencer ?

-Moi ! hurla Ethan.

-Ok, alors, choisis dix cartes.

Le tirage fut assez long, Ethan dut faire beaucoup de choix, qu'il considéra avec sérieux et concentration. Je ne pensais pas qu'il serait si sensible à la voyance, mais il semblait beaucoup s'amuser.

Elisabeth positionna les cartes d'une certaine façon puis observa le résultat un moment. Ses sourcils se froncèrent d'inquiétude et d'incompréhension pendant un bref instant. J'étais sûr que personne à part moi ne l'avait remarqué. Elle prit un air impassible et releva la tête. Elle allait nous cacher quelque chose, c'était sûr.

-Alors, mon petit Ethan. En ce moment, tu sembles être très épanoui. (Bien-sûr qu'il est épanoui ! Moi, son âme sœur millénaire, est arrivée sur son beau cheval blanc pour le sauver des griffes de...heu...Bref.) Il y a quelque chose qui te rends particulièrement heureux et insouciant, et ça te fait du bien de retrouver cet état que tu avais un peu perdu après ton enfance. Malheureusement, les événements d'un futur proche semblent t'inquiéter. Tu sens que quelque chose se prépare, et ton incapacité à savoir de quoi il s'agit te met sur les nerfs. (Oui, mais toi, tu as l'air de savoir...) Tu ne reviendrais pourtant en arrière pour rien au monde, ton passé laissant en toi un souvenir assez morose et vide. (Voilà ! Ton âme sœur millénaire est revenue de la fin des temps sur son beau cheval blanc pour te sauver des griffes de la morosité... J'en fais peut-être beaucoup, là.) Tu te souviens surtout d'un vide, comme s'il manquait quelque chose ou quelqu'un à ton existence. Ton futur est très flou, mais il semble que tu vas faire un grand voyage, dans un lieu très lointain et que tu vas vaincre de vieux démons qui te pourchassent depuis longtemps.

Ethan observait Elisabeth, bouche bée, fasciné par ses paroles comme si elle lui expliquait les secrets de l'univers. Il est vrai que jusque-là, elle n'avait dit que des choses étrangement justes, mais je restais sceptique. Cela dit, depuis la découverte des vies antérieures, je n'étais plus fermé à rien. Tout me semblait envisageable mais la seule chose qui m'inquiétait vraiment était ce qu'elle avait décidé de taire. Je décidais de ne pas me formaliser. Après tout, rien ne prouvait que tout cela était réel. La voyance n'est vraie que pour ceux qui y croient. Les prédictions d'Elisabeth durèrent encore dix minutes, pendant lesquels Ethan resta suspendu à ses lèvres en la regardant avec de grands yeux, sans bouger, si bien que je n'étais pas sûr qu'il respirait toujours. 

Les heures de visite furent terminées et, après avoir pris une douche rapide et englouti le dîner infect de l'hôpital, Ethan se coucha et s'endormit avant que je ne le suive quelques minutes plus tard, l'esprit embué par diverses pensées.

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