Chapitre 13: Je n'ai plus peur
Beaucoup de choses avaient changé dans ma vie depuis ma rencontre avec Ethan. « Beaucoup de choses » semblait presque un euphémisme comparé à l'avalanche que cet homme représentait pour moi. Je ne savais pas comment je réussissais à garder la face. Je devais probablement être fou. Les vies antérieures, l'âme-sœur. Quand j'y réfléchissais, je ne pouvais pas m'empêcher de conclure que j'étais devenu taré.
En à peine un mois, ma vision du monde s'était complètement transformée. Moi, qui, par le passé, affirmait haut et fort, comme le plus grand des connards en soirée, qu'il n'y avait rien après la mort, moi, je croyais. Je croyais en la réincarnation. Je croyais en l'âme. Parce que je l'avais vu. Et bizarrement, comprendre le secret de la vie me semblait bien peu de choses à côté de ce qu'Ethan m'avait fait découvrir : l'amour. Je n'aurais jamais imaginé sortir des trucs aussi niais. Il y a trois mois, je me serais fouetté moi-même pour penser ce genre de phrases.
Et pourtant c'était vrai. Ethan m'avait fait découvrir l'amour. Il m'avait demandé de rencontrer ma mère et j'avais dit oui. Et pas un oui du style : « Oups, j'ai glissé et ça m'a échappé. ». C'était un vrai oui, posé, réfléchi, un oui pleinement conscient. L'amour de ma vie allait rencontrer ma génitrice, et je n'avais même pas peur. Enfin si. J'avais peur d'elle parce qu'elle était capable de tout, mais je le présentais en toute confiance. Parce que c'était lui, et que je le savais.
Malgré cette idylle de bonheur dans laquelle je me perdais, plusieurs choses m'inquiétaient de plus en plus. Depuis que les personnalités se manifestaient dans notre vie, nous avions des symptômes nouveaux et très perturbants. Les crises d'épilepsie étaient déjà plutôt pénibles, mais les disparitions momentanées de certains de nos membres étaient encore plus menaçantes. Nous ne savions pas ce que c'était, et n'avions aucune solution. Ça avait l'air de s'empirer, et le voyage entre les dimensions n'allait probablement rien arranger. Mais quoiqu'il arrive, je savais qu'Ethan serait toujours avec moi, et bizarrement, cela suffisait à me rassurer.
J'attrapais mon téléphone pour prévenir ma mère de ma venue. Elle habitait en région parisienne, dans une ville reculée au fond du 77, là ou j'avais grandi. Je n'aimais pas cet endroit. Le trajet était extrêmement pénible, comme dès qu'il faut sortir de Paris, mais je l'aimais, elle, alors je le faisais assez souvent.
Ezéquiel Pereira :
Coucou mam's, je vais passer aujourd'hui. Tu préfères quelle heure ?
Bisous.
8.43
Mam's :
Coucou mon chéri ! 😍 Comment ça va ? Viens quand tu veux mon amour !
Bisous !
Ta maman qui t'aime fort fort fort !
8.45
Ezéquiel Pereira :
Ok. Je passe dans l'aprèm. J'ai quelqu'un à te présenter 😉
Pas la peine de signer mam's, je sais que c'est toi.
A tout'
8.45
Mam's :
😱 😱 😱 😱 😱
Tu as une chérie ???!!! Oh mon dieu ! Venez déjeuner, je vais préparer quelque chose !
8.47
Mam's :
Pfff... Regarde comme je suis vieille. Je dis une chérie mais... c'est peut-être UN chéri ? :o
Bref, viens déjeuner avec ! J'ai tellement hâte !
8.48
Ezéquiel Pereira :
T'abuse un peu avec les smileys, je sais que tu es jeune dans ta tête, mais quand même
Héhé !
A tout à l'heure, mamounette !
Je t'aime 💜
8.49
Mam's :
Dans ma tête ? Sale petit insolent, j'ai pas 50 hein ! Je suis encore une gamine :p
Je t'aime aussi, fils !!
8.50
Ethan serra ses bras autour de moi en se réveillant, frottant sa tête sur mon épaule. Je répondis à son étreinte sans me faire prier, collant sa tête contre mon torse comme si je voulais le protéger. Je ne pensais pas être sujet à aimer les câlins matinaux, et force était de constater que j'adorais ça.
-Ma mère nous propose de venir déjeuner, ça te dit ?
-Oui. Si ça peut m'éviter de manger tes pâtes ratées.
-Eh ! Mais je t'emmerde ! Tu m'agresses dès le matin, t'es un malade.
Ethan se mit à rire avant de m'embrasser. Il avait vraiment le don de me calmer instantanément. Je me laissais faire, profitant de la douceur de ses lèvres sur les miennes, de ses mains caressant ma peau.
-Tu lui as dit que j'étais un mec ?
-Bizarrement, on dirait qu'elle s'en doute. Elle a elle-même émit la possibilité que tu sois un gars.
-Tant mieux, parce que le mâle alpha arrive muni de toute sa testostérone.
-C'est vraiment incroyable la quantité de conneries qui pleut de ta bouche à la minute quand même.
-C'est une sorte de don divin.
-Dommage que ce soit inutile.
-Je suis d'accord.
La matinée fut assez courte. Le trajet était long, ce qui nous poussa à partir tôt. Nous étions assis dans une rame vide, l'un en face de l'autre à regarder par la fenêtre. Ethan semblait perdu dans ses pensées et regardait les arbres défiler à toute vitesse dans un silence religieux. Il tourna soudainement sa tête vers moi en me fixant avec de grands yeux, ce qui me fit sursauter.
-Tu as pas remarqué un truc bizarre avec les vies antérieures ?
-Tu veux pas préciser ? Parce que jusqu'ici, j'ai rien vu de normal, moi.
-Non, mais, ces derniers temps... Tu as pas comme l'impression que toutes tes personnalités...fusionnent ?
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-Bah... Jusqu'ici elles ressentaient des trucs et moi je m'en foutais, mais maintenant c'est un peu différent. Je me sens plus proche. Hier, quand on parlait avec Hisoka, j'étais vraiment excité à l'idée de me battre avec lui. Et je pense pas que j'aurais réagi comme ça en temps normal.
Je n'y avais pas pensé, mais Ethan soulignait quelque chose d'intéressant. Depuis le voyage, les personnalités se montraient nettement moins souvent. J'avais pensé que nous arrivions mieux à les maîtriser, mais peut-être étaient-elles moins frustrées parce qu'elles se mêlaient à nous et ne ressentaient plus le besoin de se manifester à notre insu.
Le trajet se déroula sans encombre et nous nous retrouvâmes sur le pas de la porte de l'appartement de la mère bien plus vite que prévu. Une légère appréhension me traversa alors que je m'apprêtais à toquer à la porte. Ethan sembla le remarquer et me prit doucement par la main.
Je lui souris, il me répondit. J'inspirais un grand coup et toquais.
*******
Une femme de taille moyenne aux cheveux noirs de jais et aux yeux très similaires à ceux d'Ezéquiel ouvrit la porte. En dehors de sa chevelure opposés à celle de son fils, elle lui ressemblait énormément. C'était une femme belle, mince, d'une quarantaine d'années, manifestement dans une santé de fer. Un sourire immense se dessinait sur son visage alors qu'elle nous fixait tous les deux sans rien dire.
-Quand est-ce que tu t'es teint les cheveux, maman ?
-La semaine dernière. Je commence à avoir des cheveux blancs.
Il y eut un silence où ils se fixaient tous les deux. Puis ils éclatèrent de rire en même temps. Je supposais donc que ses cheveux étaient naturellement de la couleur de ceux de son fils. La complicité qui semblait se dégager d'eux me fit sourire.
Elle le prit ensuite dans ses bras et l'enlaça longuement. Ezéquiel répondit volontiers à son étreinte en nichant sa tête dans son cou et la serrant fort contre lui. Ils s'écartèrent en souriant avant qu'elle ne me lance un sourire radieux, rempli de bienveillance.
Il y eut ensuite un silence vaguement gênant qu'Ezéquiel était supposé remplir en me présentant, sauf qu'il n'avait probablement pas compris et ne faisait rien. Ce n'était peut-être pas plus mal. Vu comment il était complice avec sa mère, il aurait très bien pu me présenter comme son mâle alpha, ce qui aurait eu le don de me mettre mal à l'aise.
-Oh ! Je suis con ! Je te présente Ethan, c'est mon petit-ami ! Ethan, voici ma mère, Nathalie.
Ouf. Je suis quand même content de ne pas avoir eu à me présenter moi-même.
-Je suis si heureuse de te rencontrer, Ethan ! Mais entrez, entrez ! Et retirez vos chaussures s'il-vous-plaît. Je dois avoir des chaussons...
L'appartement était assez petit. Un grand couloir desservant plusieurs pièces débouchait sur un salon et un grand placard à l'entrée camouflait un certain nombre de manteaux et chaussures. La mère d'Ezéquiel fouillait à tâtons dans le haut du placard, hissée sur la pointe de ses pieds, cherchant manifestement une paire de chaussons pour moi, tandis que je me félicitais de ne pas avoir de chaussette trouée.
Elle finit par me tendre une vieille paire de chaussons rouge bordeaux ayant l'air particulièrement confortable, un immense sourire dessiné sur le visage. Elle avait l'air de m'apprécier. Ezéquiel observait la scène en arrière-plan, silencieux et attentif. On aurait dit une ombre. Je ne savais pas si c'était le fait de retrouver son appartement d'enfance, ou sa mère qui le rendait si discret, mais il me faisait de plus en plus penser à Killua.
-Je finis de préparer le déjeuner ! Ezéquiel, tu peux faire visiter à Ethan, si tu veux !
-Ok, mam's !
Il m'entraîna en souriant par le poignet jusque dans une pièce qui n'avait manifestement pas été touchée depuis un moment. Il s'agissait d'une chambre assez cliché d'adolescent. Un vieux papier peint bleu décoré d'une frise était recouvert de posters de groupes. Un lit en hauteur se dressait au-dessus d'un bureau blanc et bien ordonné, et une petite bibliothèque remplie de livres tapissait entièrement le mur du fond. Une grande armoire se situait de l'autre côté et un tapis en pilou gris terminait de décorer la pièce.
Ezéquiel s'assit sur son tapis en me regardant, tandis que j'admirais la pièce comme s'il s'était agit d'un musée. Je reconnaissais peu de groupes de musiques, mais un énorme poster de Kyo attira mon attention. J'imaginais le petit garçon aux cheveux blancs assit par terre, son casque sur les oreilles, à fredonner « Dernière Danse » en lisant un bouquin. Son étagère était remplie de sagas pour adolescents et jeunes adultes : Harry Potter, Gone, Ewilan, Eragon. Tout y passait. Je n'étais pas un grand lecteur, donc je connaissais seulement quelques-uns des romans exposés, et principalement de nom. En fait, seul l'intrigue d'Harry Potter était claire pour moi, et ça uniquement grâce aux films.
Alors que je regardais attentivement l'étagère de livres, je sentis les mains d'Ezéquiel se serrer autour de ma taille et des baisers le long de ma nuque. Il avait le pouvoir de me faire frissonner sur commande. Je me sentais électrisé dès qu'il me touchait, et cette fois-là, ça ne manquait pas.
-Je suis content que tu sois là, murmura-t-il, décuplant mes frissons par la même occasion.
Je saisissais parfaitement la sincérité de ses propos à ce moment-là. Il se dévoilait à moi à cœur ouvert, alors qu'il ne l'avait jamais fait auparavant. Le fait qu'il soit heureux de me montrer sa vie, de me présenter à sa mère, ça n'avait pas de prix pour moi. Me laisser le découvrir était le plus beau cadeau qu'il aurait pu me faire.
-Tu te souviens de la fois où tu m'as promis de me montrer des photos de toi enfant ? On dirait que ce jour est arrivé.
Il pouffa de rire et s'écarta de moi pour fouiller dans une des étagères. Il en sortit un ouvrage bleu nuit d'une taille assez imposante, semblant peser relativement lourd. Une fois le livre en main, il s'assit sur son tapis et me fit signe de le rejoindre.
Je découvrais avec ravissement que le tapis était particulièrement moelleux et confortable. Il déposa le livre sur mes genoux et m'enlaça tendrement, alors que je commençais à le feuilleter, un grand sourire étiré sur mes lèvres.
Ezéquiel était déjà très beau et mignon en étant adulte, mais c'était clairement l'enfant le plus adorable qu'il m'ait été donné de voir. J'avais envie de me moquer de lui en voyant des photos honteuses, mais je ne parvenais qu'à être complètement attendri. Les photos d'un petit enfant avec une quantité de cheveux immaculés hallucinante défilait sous mes yeux. Plus j'avançais dans l'album, et plus je le voyais grandir. Ezéquiel au noël de ses trois ans, Ezéquiel qui mange une endive, Ezéquiel qui pousse de la mousse au pied d'un arbre dans la forêt, Ezéquiel qui fait un dessin. Plus je regardais, plus je constatais que les photos sur lesquelles il dessinait était nombreuses. Très nombreuses. Il semblait être devenu particulièrement doué aux alentours de 15-17 ans, mais l'album s'arrêtait là.
-Tu dessines ? Je savais pas.
-Je dessinais pas mal à une époque, oui. J'étais vachement doué. Mais avec le droit, j'avais plus trop le temps. J'essayais de devenir plus sociable donc j'ai laissé pas mal de choses de côté.
-C'est dommage... Tu en as gardé ? Je peux voir ?
Il me fit un sourire et se leva vers son bureau pour ouvrir le dernier tiroir. Il avait l'air plutôt étonné que je m'intéresse comme ça à son enfance, mais ne disait rien. Il se contentait de me montrer ce que je voulais voir, manifestement amusé.
Il sortit une grande quantité de feuilles volantes, et des carnets de dessin de toutes tailles, qu'il déposa précautionneusement sur le sol. Les carnets étaient datés, probablement pour être classés facilement. Il me tendit le plus ancien.
-Celui-là, c'est mon premier carnet. Je dessinais sur des feuilles volantes avant. J'avais douze ans.
-C'est impressionnant...
Il y avait principalement des croquis de tout un tas de choses. C'était loin d'être parfait, mais exceptionnel pour un enfant de son âge. Il avait l'air de chercher à représenter ce qu'il voyait, et ça fonctionnait plutôt bien. Il y avait beaucoup de croquis de sa mère.
Le carnet suivant était bien plus émo. Il transpirait la crise d'adolescence. Des têtes de morts à foison, des roses noires, des visages en larmes, des citations moyennes crayonnées en gras. Je pouffais de rire à chaque page, et Ezéquiel aussi. On voyait nettement la progression technique. Les corps étaient parfaitement proportionnés, ils prenaient du mouvement, et il s'essayait même parfois à la couleur.
Le troisième carnet me semblait être le plus beau. Il ne devait pas dater de beaucoup plus tard. Il était peut-être même de la même année. Ezéquiel semblait s'être calmé et faisait des dessins moins dépressifs. Il y avait aussi quelques photos collées à l'intérieur. Il semblait faire presque office de journal intime, sans parler de choses trop privées, juste de ses états d'âme du moment.
Je faisais défiler les pages jusqu'à bloquer sur l'une d'entre elle. Je pus sentir mes sourcils se froncer malgré moi. Ezéquiel, à côté de moi, semblait avoir arrêté de respirer. Je lui jetai un coup d'œil auquel il me répondit par un regard surpris. Essayer d'articuler quelque chose quand des frissons de peur nous gagnent, c'est assez difficile.
-Mais... c'est... C'est moi ?
Il y avait une dizaine de pages sur lesquelles je voyais mon visage griffonné dans tous les sens, toutes les positions. J'étais représenté dans des styles très variés, à différents âges, dans des vêtements d'autres époques. J'étais nu sur deux des croquis. Le dernier dessin me représentait plus âgé, aux alentours de 35 ans, assit dans un vieux train à regarder par la fenêtre. Le reflet dans la fenêtre me représentait aussi, dans la même position, en miroir, plus jeune et transparent par endroits, comme évaporé dans une sorte de fumée.
-Je n'ai aucun souvenir de ces dessins.
-Ce... Ce serait pas Daniel ?
-Si... Je suppose. Mais tu trouves pas que... -Il m'enleva le livre des mains avant de reprendre- Tu trouves pas que le style est un peu différent par rapport au reste ? Je reconnais pas mes traits. C'est plus... droit...
Il avait raison. Le style était plus percutant que ce que j'avais vu auparavant. Il semblait y avoir aussi plus de technique, de maîtrise. Une certaine maturité imprégnait les dessins. Ils ne ressemblaient pas à des croquis d'adolescents, mais à de véritables œuvres achevées. Ezéquiel continuait d'étudier les dessins, la bouche entrouverte par la surprise de cette découverte. Les croquis suivants ressemblaient à nouveau au travail de l'adolescent. Ces dix petites œuvres me représentant étaient comme un ovni au milieu des carnets.
-Tu... tu crois que..., articulait-il difficilement. Tu crois que nos vies antérieures se sont déjà manifestées par le passé... sans qu'on le réalise ?
-C'est ce que ces dessins semblent prouver, non ? Tu as vu ? Je reconnais Zain ici, quand il est transpercé par l'épée de Lues. Putain, j'étais ultra musclé d'ailleurs, quel beau gosse.
-Oui enfin, oublie pas que c'est à travers mes yeux... Rien ne prouve que tu étais vraiment comme ça.
-Mmmh... Pfff... Je suis sûr que j'étais comme ça. Et là, je reconnais Etienne. Il tient... Ce serait pas Bérénice dans ses bras ?
J'eus soudain une idée et feuilletais le carnet à toute allure. Mes soupçons se confirmaient. Plusieurs dessins de Bérénice adulte apparaissaient. La jeune femme était quasiment exclusivement nue, ses longs cheveux cascadant le long de son corps cachaient ses seins. Elle n'était pas sexualisée. On aurait dit des études du corps humain. Les larmes me montaient presque aux yeux alors qu'Ezéquiel balbutiait des choses inaudibles.
-J'ai des frissons, Ethan. Je te jure que je me sens pas bien.
-C'est vraiment bizarre.
-C'est rien de le dire. J'étais possédé, limite ! Je me souviens pas avoir dessiné tout ça.
-C'est chaud putain. Peut-être que moi aussi, j'ai déjà eu droit à des visites surprises de mes vies quand j'étais gamin.
-C'est très probable, quand on y pense. Je vais garder ce carnet. Ça se trouve, tous les dessins sont représentatifs de vies antérieures qu'on ne connait juste pas. On est loin d'avoir tout vu. Je faisais beaucoup de dessins d'imagination à ce moment-là, si je me souviens bien.
-Le déjeuner est prêt !
Nous sursautâmes tous les deux. Nous avions complètement oublié que la mère d'Ezéquiel était présente et la découverte nous mettait un peu sur les nerfs. J'étais vraiment content de pouvoir manger et me changer les idées. En plus, la nourriture sentait délicieusement bon. Elle avait préparé un poulet avec des pommes de terres et des légumes.
Nathalie et moi faisions connaissance. J'apprenais qu'elle était secrétaire dans un cabinet d'avocat, et que c'était ce qui avait poussé Ezéquiel à choisir ce parcours d'études. Je lui expliquais ce que je faisais alors qu'elle me regardait d'un air fasciné.
-Non mais je suis vraiment heureuse qu'il ait enfin rencontré quelqu'un comme toi. Ezéquiel a toujours eu besoin d'être cadré de toute façon. Sinon, il fait n'importe quoi. Quand il était gamin, il se battait tout le temps ! Combien de fois j'ai du aller le chercher à l'école... Le pire étant qu'il n'avait jamais rien, pas une égratignure ni le moindre vêtement déchiré. Mais ses camarades étaient toujours en sang.
-T'es pas obligée de parler comme si j'étais pas dans la pièce, mam's.
-Mais c'est vrai que t'étais turbulent, chéri ! Tu te souviens du petit Clotaire ? Il a mis des mois à pouvoir réutiliser son bras normalement.
*******
Encore l'histoire du « Petit Clotaire ». Je ne m'en sortais jamais avec ça, de toute manière. Ma mère avait été traumatisée avec cet événement. C'est vrai qu'on avait retrouvé le gamin dans une poubelle avec le bras droit entièrement retourné. Mais déjà, ça aurait pu être pire, et ce petit con l'avait bien cherché. On se foutait tout le temps de moi à l'école à cause de mon prétendu albinisme et à partir de ce jour-là, plus personne n'est venu me chercher des noises. J'étais seul, sans amis, mais j'avais la paix. C'étaient mes meilleures années de collège.
-Non mais j'ai été obligée de changer Ezéquiel d'école à cause de cette histoire. En plus, c'était pas la première fois. Ils ont bien été obligés de le renvoyer, même s'il avait de très bonnes notes. Il m'a toujours causé des problèmes ce mioche. A la maternelle, une prof était venue se plaindre une fois parce que soi-disant il parlait japonais. Mais bon, elle devait être folle celle-là. Je l'aimais pas du tout.
Ethan et moi nous tournions l'un vers l'autre avec le même regard paniqué. J'étais vraiment jeune donc je n'avais aucun souvenir de ça, mais nous avions immédiatement compris de quoi il s'agissait.
-Et je... J'ai jamais refait de trucs bizarres de ce genre ?
-La question est surtout de savoir si tu faisais des choses normales. Tu dessinais comme à dieu à huit ans... T'étais vraiment un gamin intelligent. Je pense que parfois tu imitais des trucs que tu avais vu, c'est tout.
-Mmmh... ça doit être ça, ouais.
-Bref, j'avoue que quand il est parti seul à Paris, ça m'a fait des frayeurs. Il était grand, mais sans personne pour le gérer, je n'étais pas très confiante. Je suis ravie qu'il ait arrêté de copuler dans tous les sens pour enfin se stabiliser avec quelqu'un.
Elle vient sérieusement de dire ça ?
Je sentais le rouge me monter jusqu'aux oreilles et mes yeux s'écarquiller jusqu'à être prêts à sortir de leurs orbites. Je lui lançais un regard assassin alors qu'Ethan semblait faire son maximum pour s'empêcher de rire à côté de moi. Je ne savais même pas quoi répondre, le pire étant qu'elle avait raison. Je ne comprenais seulement pas comment elle le savait et à quel moment il lui semblait que c'était une bonne idée de dire ça devant lui.
-Mais maman, comment tu peux dire des trucs pareils ?
-Non mais c'est vrai ! Tu niquais partout, t'étais un vrai lapin !
-Mais mais... Mais... Mais déjà comment tu sais ça ?!
J'étais pitoyable. Ma mère me séchait sur place. Il fallait bien un retour de karma pour mes agissements de passé, et c'était aujourd'hui. Ma réputation de « Pussy-Killer » allait être justifiée là, à un déjeuner de famille, par ma propre mère devant mon petit ami.
Le karma est une pute.
-Oh ça va, Ezéquiel ! Je suis ta mère, je vois bien comment tu es. Dès le lycée, tu étais comme ça de toute façon.
-Mais comment tu sais ça ?
-Tu te ramenais avec de nouveaux suçons toutes les semaines. En plus ta peau marque facilement. Avec ton petit air satisfait là. Bref, une fois, je vais ranger sa chambre et je fais tomber un truc sous son lit, je sais plus quoi. Je me penche et je tombe sur une grande boîte. Je l'avais jamais vue donc je la sors un peu intriguée. Il y avait des breloques et bibelots entassés dedans mais quelque chose me semblait bizarre. Je secouais et j'entendais autre chose, tu vois.
Je savais très bien de quelle boîte elle parlait et me sentais rougir comme une tomate. Il faisait soudainement très chaud dans cette pièce. Je n'avais jamais su qu'elle avait trouvé la boîte en bois sous le lit. Elle racontait toujours son histoire en regardant Ethan avec amusement, alors qu'il semblait se retenir de rire du mieux qu'il pouvait. Je regardais ma mère régler mes comptes totalement impuissant, la bouche sèche, ne sachant plus quoi faire.
-Donc, je secoue la boîte, j'entends des trucs remuer mais je vois rien. Puis je réalise que la boîte est vachement profonde de l'extérieur pour le contenant à l'intérieur. Il y avait un tiroir secret ! Donc je cherche, je finis par trouver un machin, j'appuis dessus et je trouve quoi ? Une quantité de capotes... C'est simple, il y en avait pour tous les goûts. Des machins sensations décuplées, des nervurées, des perlées... Y'en avait avec des saveurs, sans parler de cet énorme tube de lubrifiant bien entamé qui traînait...
Je me cachais. Je ne pouvais rien faire de mieux de toute façon. Je me cachais du mieux que je pouvais, derrière mes mains, derrière mes cheveux. Je n'assumais rien du tout. Il y avait beaucoup trop de choses dans cette boîte pour un adolescent normal.
-Nan mais Ethan, c'est qu'il avait à peine quinze, mon gosse ! Enfin, franchement j'étais soulagée, au moins il se protégeait, tu vois. Mais clairement il niquait plus que moi !
-Putain, mais maman ! Stop quoi !
-Mais c'est la vérité ! J'invente rien !
-T'es ultra gênante, tu te rends pas compte !
Ethan avait abandonné sa contenance et se tordait de rire sur sa chaise. Ma mère commençait à rire aussi. Ils étaient ouvertement en train de se foutre de ma gueule à table. J'avais un seum incommensurable.
-Et... héhé ! Il oubliait des preuves. Je trouvais systématiquement des préservatifs dans ses poches de jean. Une fois... ahaha... J'avais oublié ça ! Une fois dans son pantalon, j'ai trouvé une lettre d'amour d'une de ses camarades de classe. C'était trop mignon. Comment elle s'appelait cette petite, là. J...
-Joséphine.
-Voilà ! Vous êtes sortis combien de temps ensemble, déjà ? Deux semaines ! Haha ! Si t'avais vu la tête qu'il tirait, il était désespéré. En plus elle l'avait fait poireauter ! S'il y a une fille avec laquelle il a pas couché dans ce lycée, c'était bien elle.
-Je vais me pendre, je pense.
-Oh, ça va, on rigole ! Mais c'était clairement le tombeur de l'école, j'avais jamais vu ça ! Même les profs étaient sous son charme, je veux dire. Aux réunions parents/profs, il se faisait encenser comme pas possible. Alors qu'il devait se taper des gamines dans les toilettes... En plus, comme il était pas fou, il est allé en L. Il aurait pu choisir S ou ES, hein, mais en L, il y avait quatre mecs ! Maintenant que j'y pense, toute la classe a dû y passer.
Je ne répondais plus rien. Je ne savais plus si je devais être offusqué ou traumatisé. Le pire c'est que cette sorcière avait tout juste. Elle résumait ma vie que j'étais à peu près sûr de ne pas avoir partagé. En tous cas pas avec elle. Il y avait un truc que je lui avais dit une fois, alors que je rentrais bourré d'une soirée, et je sentais que ça n'allait pas tarder à sortir. De toute façon, quand elle était comme ça, il n'y avait rien à faire.
-Et puis comme si les filles, c'était pas suffisant, il m'a raconté qu'une fois, à une fête...
Et voilà. Vous avez tiré le ticket gagnant. Félicitations. Vous repartez avec cette magnifique berline noire avec laquelle vous pourrez rouler jusqu'à l'épuisement sur le cadavre de votre fils.
-...Ils jouaient à la bouteille ou un truc pour ados du genre... Et il avait du embrasser un mec. Sauf qu'il avait bien aimé cet idiot ! Bref, je passais le chercher vers deux heures je crois. Et il rentre dans la voiture avec un air bizarre ! Genre heureux traumatisme, tu vois. Au bout d'un quart d'heure je lui demande ce qu'il passe. Le gosse se tourne vers moi au ralenti et il me dit : « Maman, j'ai embrassé un pote. J'ai aimé ça. » Donc il m'explique. C'est pas qu'il avait juste embrassé son pote à la bouteille. C'est qu'ils avaient passé la soirée à se rouler des pelles aux chiottes !
Amenez-moi un défibrillateur...
Ethan et ma mère étaient morts de rire. Moi, j'étais mort de gêne. J'avais envie de m'enterrer vivant. Elle venait de me tirer le portrait avec une propreté admirable.
Je commençais à me sentir mal. Pas seulement à cause de ma mère qui expliquait en détails le mode de vie dissolu que j'entretenais consciencieusement depuis mes quinze ans. Quelque chose, physiquement, ne tournait pas rond. Ce fut à cet instant que je remarquais la métamorphose de ma main gauche sous la table. Elle se transformait à nouveau, passant de sa forme normale à celle de l'assassinat. Heureusement, ni Ethan ni ma mère ne s'en rendaient compte, trop occupés à raconter des détails gênants de mon existence. J'observais ma main disparaître et se métamorphoser tour à tour, tout en créant de petits éclairs bleutés. Il fallait que je me cache. Il était hors de question que ma mère voit ça.
Je fonçais aux toilettes en prétextant une quinte de toux, cherchant une solution. Là, j'étais tranquille, mais je devais faire vite avant qu'elle ne s'inquiète. Ce n'était vraiment pas le bon moment pour avoir affaire à ce genre de problèmes.
Le karma est une pute.
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