Chapitre 1: Toutes mes vies

6h30.

Après notre balade sur les bords de Seine et notre conversation sur le banc, Ezéquiel et moi étions rentrés chez moi et nous étions endormis. Je me réveillais dans un état de joie extatique, me réjouissant de sa présence et de lui avoir fait part de mes sentiments. J'avais un peu peur qu'il se désiste quant à l'idée de sortir officiellement avec moi, mais ça ne troublait pas vraiment mon bonheur.

Nos vies antérieures s'étaient mêlées les unes aux autres. J'avais accès à tous les souvenirs de mes vies passées, mais le vague sentiment de changer de personnalité en les évoquant me troublait. Ainsi, je pouvais faire parler mes personnalités antérieures, les faire s'exprimer à leur manière, les ramenant à la vie. C'était merveilleux : avec Ezéquiel et toutes ces vies auxquelles nous avions accès, je ne me sentais plus seul. Mais j'avais peur. Je sentais que mon esprit n'était pas réellement censé contenir autant de souvenirs, autant de caractères, toujours légèrement différents, et c'était effrayant. J'avais les souvenirs de quatre enfances distinctes, et ceux d'une cinquième était en train d'apparaître. Ezéquiel avait fait une crise d'épilepsie alors que la situation était bien moins compliquée. Que nous réservaient ces découvertes ?

-Je t'ai déjà dit que ça ne t'allait pas de réfléchir, murmura Ezéquiel d'une voix endormie, ses cheveux blancs en bataille.

-Salut, toi et tes moqueries matinales.

Ezéquiel avait le pouvoir de tout balayer. Sa voix moqueuse et somnolente était la chose la plus rassurante qu'il m'ait été donné d'entendre.

-Salut, petit-ami, souffla-t-il en souriant et en s'approchant doucement de moi pour m'embrasser.

-J'avais peur que tu me repousses après que j'ai dit à mon père que nous sortions ensemble.

-Je n'ai plus la force de te repousser. Je suis amoureux, à cause de toi.

Il rougit doucement, détournant le regard en souriant. Il n'avait vraiment pas l'air habitué à faire ce genre de déclarations et sa maladresse m'attendrissait.

-On a cours aujourd'hui, je commence à 8 heures.

-Moi aussi, laisse-moi juste profiter de toi quelques minutes.

Il me grimpa dessus pour m'embrasser et me caresser le ventre. Le sentir penché au-dessus de moi, respirer son odeur enivrante et légèrement salée me faisait soupirer d'aise. Je perdis peu à peu conscience dans cet océan de béatitude.

-Aaaaaaah ! hurla Killua, rouge pivoine, en bondissant hors du lit et en s'agrippant aux murs de la pièce comme une araignée.

Gon le fixa sans bouger avec un air interloqué. Il était surtout surpris de la dextérité dont Killua faisait soudainement preuve, alors qu'il était d'habitude impossible de le faire bouger du lit avant 7 heures.

-Ohayou Killua, dit Gon en souriant et en se grattant la tête.

Killua se laissa mollement tomber du mur, encore sous le choc de s'être retrouvé en train d'embrasser Gon. Il resta au sol, le visage écrasé contre le parquet, puis redressa la tête d'un air renfrogné.

-Ça va pas être possible, ça ! Pourquoi j'arrive à ce moment-là ?

-Héhé, viens, on va être en retard. Je ne veux pas me faire remarquer à l'école.

-Tu vas forcément te faire remarquer, si tu restes comme ça.

-Comme ça quoi ?

-Comme un adolescent de 16 ans nul en maths en licence de biologie.

-Ah oui... Mais Ethan est fort, ça va aller ! Bon, viens, on va prendre une douche.

Killua rougit à nouveau en entendant cette phrase. Gon comptait vraiment faire ça ? Il n'avait aucune pudeur.

-Heu... Je préfère me laver après toi, si ça te dérange pas.

-Pourquoi ? On a toujours fait ça, non ?

-Juste, vas-y tout seul, ça me met mal à l'aise.

Gon s'éloigna dans la salle de bain dans l'incompréhension totale, laissant Killua réfléchir seul au comportement de son ami. Il avait du mal à comprendre ce qu'il se passait dans son esprit. Soit Gon se sentait inspiré de tous leurs nouveaux souvenirs et feignait l'innocence, soit il considérait leur relation comme tellement platonique que ça ne lui posait aucun souci de se doucher avec son meilleur ami. Après tout, Gon ne semblait jamais avoir vraiment pris au sérieux les deux fois où ils s'étaient embrassé sur l'île de la Baleine, ce qui était loin d'être le cas pour Killua. Il avait été malheureux en réalisant que Gon ne le considérait que comme son ami, mais l'idée de le perdre, bien plus douloureuse encore, l'avait poussé à rester avec lui et masquer ses sentiments, jusqu'à ce que la situation devienne intenable. Il sentit son cœur se serrer légèrement en repensant aux Chimera-Ant et à au comportement de Gon envers lui. Il avait beau s'excuser, la blessure de Killua mettait énormément de temps à se refermer.

Marcus se leva pour rejoindre Daniel sous la douche. Il ouvrit la porte de la salle de bain, se déshabilla et se glissa sous le jet d'eau, aux côtés de son aimé. Ils avaient vécu longtemps en couple et se retrouver dans un corps plus jeune que ceux qu'ils avaient quitté leur procurait une agréable sensation de liberté et de bonne santé.

-Monsieur Daniel Robinson, vous êtes excellement bien conservé pour un homme de quarante ans, lança Marcus d'un ton enjoué, se détendant sous le puissant jet d'eau chaude.

-Je sais. C'est parce que je mange des pommes ça, mais vous semblez aussi connaître mon secret, Monsieur Verrett.

-Oui, mais alors seulement des pommes issues de l'agriculture biologique.

-Les hippies vous ont bien eu, on dirait !

Ils rirent aux éclats de leurs blagues stupides, heureux de se retrouver comme ils étaient connu, puis s'embrassèrent dans un baiser mouillé, sous le jet d'eau chaude et fumante.

-Au moins, je ne suis presque plus en colère après cette idiote de voisine pour avoir laissé sa plaque de gaz allumée, si c'est pour te voir si beau, reprit doucement Daniel. Ça me rappelle quand on s'est rencontré !

-Moi aussi, je suis content de te retrouver comme ça, tu t'étais un peu empâté avec le temps.

-Non mais je te permets pas, si tu crois que tu es parfait !

Je revenais à moi et regardais Ezéquiel. Je n'avais jamais su comment nous étions morts en tant que Marcus et Daniel. Et découvrir qu'ils étaient décédés dans un stupide accident de gaz me fit comprendre la colère qu'avait pu éprouver Daniel. Il aurait pu continuer à être corniste longtemps, et vivre vieux. Ezéquiel me sourit, me sortant de ma réflexion, et le silence se fit entre nous. Nous profitions tous les deux de notre douche, perdus dans nos pensées. C'était la première fois que nous nous lavions ensemble et c'était agréable. Je profitais de ce moment pour reprendre nos caresses interrompues et me collais au corps d'Ezéquiel puis déposais mes lèvres sur les siennes. Laisser s'exprimer nos différentes personnalités du passé était très amusant, mais j'avais de plus en plus peur de devenir fou. Ezéquiel me regardait d'un air entendu, son visage toujours proche du mien. Nous n'avions plus besoin de parler pour comprendre nos inquiétudes mutuelles.

Après s'être lavés et habillés, Gon et Killua sortirent de la chambre pour prendre un petit-déjeuner copieux. Ils parlaient de choses et d'autres quand Elisabeth arriva avec un air halluciné sur le visage. Ils se fixèrent tous les trois, Gon et Killua ne comprenant pas ce qui posait problème :

-Vous parlez japonais ?

-Non, pourqu...

Ethan n'avait pas compris et risquait de tout dévoiler à Elisabeth. Je ne lui faisais pas du tout confiance, encore moins pour lui raconter ce que nous traversions. Il fallait improviser rapidement. Je me levais à vitesse grand V et collais ma bouche sur celle d'Ethan, qui rougit tout autant que moi, fixant ses yeux incrédules, avant de me détacher de lui. Les yeux d'Elisabeth s'agrandirent, elle nous observait d'un air ahuri sans comprendre ce qu'il nous arrivait. Je lui lançais un sourire crispé en soupirant.

-On apprend le japonais depuis quelques jours, Ethan et moi.

-Ah bon ? Je ne m'y connais pas mais vous aviez l'air de bien maîtriser la langue.

-On est doués, qu'est-ce que tu veux ?

Je retournais m'asseoir comme si de rien était. Je n'avais pas réalisé jusque-là que nos personnalités s'exprimaient dans leur langue d'origine. C'était problématique. Il ne fallait pas laisser n'importe qui nous entendre, donc il allait falloir apprendre à gérer les personnalités. Mais ça pouvait aussi être très intéressant. J'avais déjà un bon niveau d'anglais, mais celui de Marcus était sans aucun doute bien meilleur que le mien, et alors que le droit en anglais m'angoissait un peu pour les partiels qui commençaient dans quelques jours, je réalisais soudainement que mes personnalités du passé pourraient m'être d'une grande aide.

Après ce léger incident, Elisabeth, Ethan et moi allâmes en cours. Ethan m'avait pris la main tandis que nous marchions côte à côte. En approchant de la fac, Elisabeth nous quitta pour rejoindre des amis à elle. Ethan commença à discuter avec moi, profitant de notre solitude. Certains membres de la fac nous lançaient des œillades du fait que nous nous tenions par la main, ce qui me gênait un peu, mais la présence d'Ethan me rassurait. Notre conversation dériva rapidement sur le problème des vies antérieures.

-Je ne sais pas comment gérer leur apparition, dis-je simplement. J'ai l'impression de redevenir Killua, Guillaume ou Marcus quand ils ont envie de se montrer. Quand on est tous les deux, je m'en fous, mais je n'ai pas envie de me retrouver dans un asile.

-Je ne suis pas sûr qu'ils aient vraiment la volonté d'apparaître. Ce matin, Gon et Killua avaient l'air très surpris d'avoir pris notre place. Je sais que ça paraît perturbant, mais il s'agit toujours de nous, de notre seul cerveau et de notre volonté. Si on commence à s'exprimer à la manière de, ça veut dire qu'on l'a provoqué nous-même. Reste à savoir comment on le provoque.

-J'ai l'impression qu'il suffit de vaguement penser à un souvenir de notre vie antérieure pour la faire revenir. Pour réussir à redevenir nos nous du passé uniquement quand on en a envie, il faut d'abord apprendre à se transformer en eux sur commande. Il va falloir qu'on s'entraîne, en plus des partiels.

-Ouais. C'est un peu chiant, mais on a pas le choix si on ne veut pas terminer dans expériences avec des scientifiques bizarres... Je veux dire, on a les habilités physiques de nos anciennes vies, c'est vraiment pas rien... Surtout quand on peut se téléporter ou être ultra rapide, ou encore casser des roches avec ses poings... Même moi, j'ai envie de m'étudier sans déconner.

-Il faut absolument que ça reste secret.

-Yep. On s'entraîne ce soir ?

-Ça marche. Je suis arrivé devant mon bâtiment. A ce soir !

-A ce soir, chéri, répondit doucement Ethan en m'embrassant rapidement, ce qui me fit furieusement rougir.

Toutes ces aventures m'avaient fait presque oublier que j'avais réalisé la plus grande étape de ma vie : me mettre en couple pour la première fois, et donner ma confiance. Je n'avais jamais été aussi heureux.

Je rentrais dans l'amphithéâtre et me plaçais à l'écart, comme à mon habitude. Je repensais soudain au comportement bizarre d'Arsène à la soirée de samedi, et commençais à paniquer à l'idée de le croiser. Il arriva d'ailleurs quelques minutes après, déposa ses affaires à côté de moi avant de s'asseoir.

-Mec, je suis désolé pour samedi, je sais pas ce qu'il m'a pris.

Il rentre direct dans le vif du sujet ? Au moins, je n'ai plus à prendre de gants.

-C'était très bizarre Arsène, je ne sais pas si tu t'en rends compte.

-J'ai vraiment honte, je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça, je...

-Tu es amoureux de moi ?

C'était peut-être un peu trop direct. Trop tard. J'ai besoin de savoir.

-Je... heu... C'est pas tout à fait ça, c'est-à-dire que je... heu...

-Tu fais chier Arsène ! Pourquoi tu m'as jamais rien dit ?

-Bah... Tu couchais avec beaucoup de filles alors je...

-Alors tu quoi ? En quoi ça t'empêchait d'être honnête avec moi ?

-Mais c'était il y a longtemps, au début... Quand j'ai vu comment tu étais, ça a fini par passer.

-Comment j'étais ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

-Tu... Tu es vraiment pas très sérieux, quoi.

C'est vrai. Pas sérieux et fier de l'être.

-Certes... Peut-être qu'avec les filles, je suis pas sérieux, mais avec mes amis, c'est différent. Merde, ça fait longtemps qu'on se connaît, t'as toujours été un ami proche et maintenant, j'ai l'impression de pas savoir qui tu es.

-Je te jure, c'était au début. La première année je... Enfin bref, après c'est passé... C'est juste que quand je t'ai vu avec l'autre type, j'ai pensé...

-Que tu aurais pu avoir une chance avec moi.

Désolé Arsène mais tu ressembles à Monsieur Propre tellement ton crâne est luisant.

Ça se trouve il se cire le crâne, ce con.

-Ça a fait remonter des sentiments... alors j'ai été jaloux. Je pensais que ce serait moi que tu aurais appelé quand tu as été à l'hôpital.

Merde, il est en train de faire sa déclaration d'amour et je me fais des blagues sur son crâne chauve. Je suis vraiment un connard. Pourquoi tu m'aimes, Ethan ?

-Je suis désolé Arsène. Ce qu'il se passe entre Ethan et moi, c'est assez spécial. Et je savais pas que j'aimais les hommes aussi, à vrai dire. Mais j'aurais bien aimé que tu m'en parles, c'est tout.

-J'avais bien compris. Je lui fais pas trop confiance mais bon.

Evidemment, il t'a tellement calmé la dernière fois, moi non plus je lui ferais pas confiance à ta place. D'ailleurs, quand je vais lui raconter ça... Héhé...

-Mais à la soirée, je sais vraiment pas ce qu'il s'est passé, reprit-il. J'étais complètement désinhibé, c'est limite si je pensais ce que je disais... J'avais pas l'intention de faire une scène. Et franchement, j'étais pas le seul à être bizarre. Il y a beaucoup de gens pas en couples qui se sont embrassés.

-Et toi alors? Tu as embrassé quelqu'un?

-Heu...

-???

-J'ai embrassé Valentin.

QUOI? Il a embrassé Hisoka? Oh mon dieu, j'ai envie de mourir tellement ça me dégoûte.

-Et alors?

Toujours garder un air impassible.

-C'était marrant mais ce type est très bizarre. Il m'a léché le crâne, en plus il avait un air flippant. Il m'a fait fuir... Bref...

Elisabeth entra dans l'amphithéâtre à ce moment-là. Je la fixais avec attention. Elle avait peut-être réellement drogué la soirée, après tout. Ça aurait expliqué beaucoup de choses, notamment la docilité d'Ethan et l'absence totale de gêne de la part d'Agnès. Elisabeth me vit et me fit un petit clin d'œil avant d'aller s'asseoir plus loin.

Les cours avaient commencé depuis un bon moment quand je me sentis perdre conscience. Je paniquais avec ce qui me restait d'esprit. Est-ce que j'allais m'endormir ? Ou laisser apparaître une personnalité ? J'essayais d'émerger de cet état d'endormissement mais il n'y avait rien à faire. Je sombrais dans un profond sommeil.

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