Acte II - Scène 5: Confessions

Melden s'éveilla aux alentours de 5 heures et tenta de quitter discrètement la chambre de Zain pour ne pas le déranger dans son sommeil. Jusqu'ici, il s'était admirablement débrouillé, n'ayant même pas perturbé sa respiration. Mais ce matin-là, Zain ne dormait pas. Les insomnies n'étaient pas un problème auquel il était accoutumé, et il avait passé la nuit à tourner dans le lit, puis se lever pour marcher dans les couloirs, se recoucher et changer de position encore et encore, sans que rien ne se passe. Melden avait couché avec sa mère et l'idée l'obsédait. Il n'était absolument en colère ou répugné par lui, puisqu'il n'avait pas eu le choix, mais il ne comprenait pas comment il avait pu vivre avec elle aussi longtemps sans jamais se rendre compte de sa vraie nature. Et après une nuit interminable à laisser de sombres idées ternir son esprit, le matin arrivait enfin, amenant avec lui le départ de Melden et l'amplification de sa solitude.

-Tu pars déjà ?

-Tiens, tu es réveillé ?

-Je n'ai pas dormi.

-C'est à cause d'hier, c'est ça ?

-Quoi d'autre ?

-Je suis vraiment désolé, Zain.

-Ce n'est pas de ta faute, mon amour. Je n'ai juste pas envie que tu t'en ailles.

-Ce ne sera pas long. J'essayerai de me libérer aujourd'hui pour te voir.

-Comment ça ?

-Saraï... Elle m'a demandé de passer du temps avec elle pour que j'apprenne à la connaître.

-Quoi ? C'est une blague ?

-Je vais essayer de faire ça juste aujourd'hui.

-Je ne peux pas... Ce n'est pas possible, Melden. Elle ne peut pas m'arracher à toi comme ça ! Pourquoi elle fait ça ? Je peux comprendre qu'elle veuille des enfants mais pourquoi ça ?

-Je crois qu'elle m'aime, Zain... Et elle veut que je l'aime aussi.

-Et... C'est possible ?

-De quoi ?

-Que tu l'aimes.

-Bien-sûr que non ! Comment peux-tu penser des choses pareilles ? C'est toi que j'ai toujours aimé, c'est toi que j'aime et c'est toi que j'aimerai toujours. C'est parce que tu es là que je supporte cette situation.

-Excuse-moi, je ne sais pas pourquoi j'ai demandé ça. Je t'aime, Melden.

-Moi aussi, je t'aime. Je dois y aller.

Melden quitta la chambre et arpenta les couloirs à pas rapides, perdu dans ses pensées. Était-ce possible que Zain ait senti qu'il avait pris du plaisir avec Saraï ? Il était pourtant certain qu'il n'avait rien montré de son trouble. Une fois avec Zain, il n'y pensait même plus vraiment, son amour pour lui occupant tout son esprit. Zain semblait seulement angoissé à l'idée que Melden ne souffre mais en dehors de sa culpabilité maladive, il supportait plutôt bien la situation.

Il rentra dans la chambre de Saraï à pas de loups, alors qu'elle semblait dormir à points fermés et s'allongea dans le lit le plus doucement possible avant de s'assoupir à nouveau. Il fut réveillé par les baisers de Saraï, qui semblait définitivement infatigable depuis que l'effet de la potion s'était estompé. Melden ne savait pas quoi en penser. Il ne pourrait pas la droguer en permanence. Maintenant qu'il connaissait son appétit sexuel, il y avait de grandes chances qu'elle se pose des questions si elle n'avait plus de désir. Et si elle était enceinte, la potion risquait de porter atteinte à l'enfant, ce que Melden ne souhaitait pas.

Il coucha donc encore avec elle, même si ce fut, en réalité, plutôt l'inverse. Il prit de nouveau du plaisir, avant d'être submergé par la culpabilité, comme la première fois. Il réalisa ainsi que philtre d'amour fonctionnait d'une manière assez perverse, ne l'empêchant absolument  de prendre du plaisir avec une autre personne mais décuplant seulement sa honte après l'acte.

La journée fut donc un véritable calvaire pour Melden. Il trouvait Saraï sympathique. Elle lui dévoilait de toutes nouvelles facettes de sa personnalité, et, loin de tomber amoureux, Melden la considérait comme une amie agréable. Mais la honte et la douleur qu'il ressentait, à chaque fois qu'il souriait malgré lui, à chaque fois qu'il riait, était insupportable.

Elle fut occupée vers la fin de l'après-midi et Melden put enfin retrouver Zain, dont les yeux étaient gonflés par les larmes. Le pauvre semblait ne plus pouvoir supporter cette situation. Ils étaient au milieu de la forêt, et Melden, d'habitude prudent, fut trop touché par les pleurs récents de son amant et le prit dans ses bras avant de l'embrasser. C'est à cet instant qu'il entendit du bruit dans les feuillages. Les deux hommes regardèrent autour d'eux mais ne virent rien et se considérèrent avec un air tendu.

-C'était sûrement un animal.

-J'espère, oui.

Ils restèrent quand même distants, de peur d'être espionnés, et la situation semblait intenable pour Zain, qui avait l'air au bord de la crise de nerfs. Ils s'éloignèrent donc pour trouver un lieu plus tranquille et s'assirent sur l'herbe d'une petite plaine dégagée, ou on ne pouvait pas les espionner sans être vu.

-Je n'en peux plus, Melden. J'ai besoin de toi, j'ai besoin de te voir. Cette affaire est insupportable.

-Je suis désolé, Zain. C'est aussi difficile pour moi. Je culpabilise comme un fou du mal que je te fais.

-Mais non, ne te rends pas malade pour moi, ça ne sert à rien. C'est déjà assez dur pour toi comme ça.

-Même si je le voulais, la potion m'en empêche.

-Melden, je... Je voudrais mourir avec toi. Je préfère qu'on soit unis dans la morts que séparés ici-bas. Et peut-être qu'il y autre chose après, un paradis, un enfer, une autre vie, tant que nous sommes ensemble, alors peu m'importe.

-Tu parles avec ton cœur, mais ça pourrait être encore pire après. Tu ne peux pas le savoir.

-Mais tu ne comprends pas, Melden, quand tu n'es pas là, j'ai l'impression d'être déjà mort.

Melden le prit à nouveau dans ses bras et le serra contre lui, n'ayant aucun mot témoignant de la douleur qu'il ressentait à imposer cette situation à Zain. Il ne comprenait pas pourquoi Zain lui donnait tout cet amour qu'il ne méritait pas. Il aurait du le haïr. Il prenait du plaisir avec une femme, sa mère, de surcroît, et pourtant, Zain continuait de l'aimer de manière inconditionnelle, sous prétexte qu'il y était forcé. Il est certain qu'on n'aurait pas eu à lui demander deux fois d'arrêter pour qu'il ne commette plus cet acte avec Saraï, mais il ne supportait pas l'idée de tout de même apprécier le sexe avec elle. Ça le rendait malade, ça le dégoûtait de lui-même. Et plus le temps passait, plus son propre dégoût augmentait.

Le soir, avant le dîner, il décida de passer un peu de temps avec Brangäne pour lui donner un cours. La jeune femme était ravie de le retrouver, les leçons étant bien moins courantes depuis leur arrivée chez les Llugorn. Melden avait reprit la mauvaise humeur à laquelle elle était habituée et se faisait disputer en permanence à cause de sa déconcentration.

-C'est Lues qui te perturbe comme ça ?

Elle leva les yeux vers lui, interdite. Melden devait éprouver très peu de respect envers lui pour l'appeler par son prénom, les deux hommes étant loin d'être proches.

-Le Seigneur Tanborth me fait beaucoup d'avances.

-Et ça te plait ?

-Un mariage avec sa maison serait bénéfique pour les Nantcoch.

-Ce n'est pas ce que je te demande, Brangäne.

-Je... Je suis un peu gênée de son insistance.

-Oui, et puis il est affreusement laid.

-Vous êtes un peu dur.

-Tsss... Tu mérites mieux, Brangäne.

-Et vous, comment ça va ?

Melden était toujours mal à l'aise d'étaler ses problèmes devant autrui. Il n'aimait pas casser son image de professeur devant Brangäne en lui parlant de ses soucis personnels, mais pouvoir se livrer à son amie lui semblait nécessaire.

-C'est un peu difficile. Zain accepte très mal ce mariage et Saraï est... affamée...

Brangäne rougit de cette phrase et manqua de se couper avec le couteau qu'elle maniait difficilement à cause des tremblements. Melden ne remarqua rien, trop happé par ses pensées.

-Et moi, je... continua-t-il... Moi, je suis loin de l'aimer mais... Je ne peux pas me mentir, j'aime bien ça. Quand je suis forcé de le faire avec elle, je ne déteste pas, je trouve que c'est agréable.

-C'est normal, non ?

-Peut-être. Je préférerais pleurer à chaque fois, être réellement obligé, je culpabiliserais moins.

-Je ne suis pas sûre que le viol serait plus agréable à vivre, Melden.

Sa voix s'était soudain faite plus dure, et elle l'avait appelé par son prénom, ce qui intrigua grandement le mentor qui la fixa avec des yeux interloqués.

-Tu as raison, excuse-moi.

La leçon se termina sur une potion ratée, un Melden tempêtueux et une Brangäne honteuse. Ce cours improvisé n'avait été utile pour personne et le mentor congédia froidement son élève, comme à son habitude, dans le but de reprendre une contenance après ces confessions intimes auprès de sa jeune amie.

Le soir, après le dîner, Melden s'apprêtait à rentrer dans la chambre de Saraï lorsqu'il entendit des voix derrière la porte. Il entrouvrit le plus discrètement possible pour entendre ce qu'il se disait.

-Je vous dit que j'ai tout vu !

-Arrêtez, Seigneur Tanborth ! Je ne sais pas si c'est la jalousie qui vous anime mais il y en a assez de cette histoire stupide !

-Je vous prouverai que j'ai raison !

-Si vous m'en parlez encore une fois, je trouverai quelqu'un pour vous remplacer !

De lourds bruits de pas se dirigeant vers la porte poussèrent Melden à reculer et faire semblant d'arriver du couloir. Lues lui lança un regard noir avant de s'éloigner rapidement d'un air colérique, traversant le corridor à grands pas.

Il était évident pour Melden que la conversation qu'il avait surprit tenait lieu de sa relation avec Zain. Sa meilleure chance de se laver de tout soupçon était de définitivement convaincre Saraï de son attirance pour elle. Il n'avait pas fini d'user de ses charmes envers sa nouvelle femme. La perspective de la culpabilité qui l'animerait après l'acte lui glaçait le sang, mais c'était sa seule chance de continuer à pouvoir vivre son idylle avec son âme-sœur.

Saraï ne se fit pas prier longtemps pour désirer Melden. Elle se jeta sur lui, ravie de son initiative, et se laissa guider quand il décida de mener la danse. Elle jouit plusieurs fois, mettant toujours Melden mal à l'aise en lui donnant des surnoms de quand il était enfant. Il ne pouvait pas s'empêcher de penser à des moments de sa jeunesse autour d'elle, ce qui achevait de le gêner. En plus de sa culpabilité à jouir avec sa femme, il se sentait mal de son esprit qui divaguait toujours étrangement vers des périodes de sa vie totalement inadaptées à ces instants-là. C'était principalement de sa faute, étant donné qu'elle lui rappelait sans cesse leur relation de longue-date, mais il avait tout de même le sentiment d'avoir un problème. 

Une fois l'affaire terminée, ils s'allongèrent l'un avec l'autre et Melden prit une grande inspiration avant de parler, tournant plusieurs fois son discours dans son esprit.

-Tu avais raison Saraï, ces moments passés avec toi me font réaliser mes sentiments. Je t'aime aussi, depuis plus longtemps que je ne pouvais me l'avouer.

-Oh, je suis si heureuse, mon petit Meldoux, ça me fait tant plaisir à entendre ! J'étais sûr qu'au fond de toi, tu ressentais la même chose ! C'est normal que tes sentiments aient été durs à accepter. Mais je suis sûr que Zain ne t'en voudra pas. C'est un peu difficile pour lui de l'accepter pour l'instant mais il s'y habituera, je te le promets.

-Merci Saraï, tu es si gentille avec moi.

-C'est parce que tu mérites tout l'amour du monde, mon ange.

Elle le serra dans ses bras en l'embrassant doucement, tandis qu'il caressait distraitement ses cheveux en attendant qu'elle s'endorme. Il était aussi fatigué ce soir-là, mais il ne pouvait pas dormir. Elle finit par s'assoupir et, lorsqu'il fut sûr qu'elle ne se réveillerait pas, il la détacha doucement de son étreinte avant de se lever discrètement du lit. Il quitta la chambre sur la pointe des pieds, sentant qu'il devait commencer à se dépêcher s'il ne voulait pas avoir d'accident.

Il courut alors à grandes enjambées jusque dans le jardin, ou il vomit ses tripes dans un malheureux buisson, écœuré par ses propres actions. 

Il se rendait malade.

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