Acte I - Scène I: Le tribut
Il était une fois, dans des temps immémoriaux et un pays lointain, un royaume qui vivait dans un équilibre fragile. Une longue guerre avait fait rage au sein des quatre familles les plus puissantes de l'archipel, dans le but de renverser le pouvoir contesté de la Maison Penzifig. Le pouvoir militaire de la Maison avait mis fin à la rébellion après de longues années de guerre, laissant l'archipel à feu et à sang. La Maison Penzifig imposa aux trois autres plus grandes Maisons de l'archipel un lourd tribut, les laissant dans un état critique.
Des insurrections se levaient parmi les serfs dépendant de ces Maisons Llugorn, Tanborth et Nantcoch. Le peuple, décimé par la famine et la maladie était forcé de travailler sans relâche pour payer le tribut imposé par la Maison Penzifig. Le climat, devenu insoutenable, poussa les trois Maisons à s'allier et organiser un Conseil d'urgence afin de renverser à nouveau le pouvoir et mettre ainsi fin au tribut.
Les dirigeants et membres importants s'étaient réuni dans le château de la Maison Llugorn, afin de représenter leur famille et peuple. Ils se situaient dans la salle de réception du château, grande et imposante, décorée de la bannière des Llugorn, dont l'emblème représentait un Ours-Renard, animal légendaire dont on dit qu'il aurait été aperçu plusieurs fois dans la forêt de leur domaine.
Trenk, le chef de la Maison Tanborth était accompagné de son fils, Lues, et portait fièrement un écusson de Salamandre sur son plastron. La Maison Nantcoch était représentée par Gerwin, le grand-frère de la famille, à défaut de ses parents, décédés quelques années plus tôt. Il était accompagné de sa grand-mère, Neres, qui arborait fièrement les couleurs de sa Maison, un bleu nuit décoré d'un Kraken argenté. Enfin, la matriarche veuve de la famille Llugorn, Saraï, était accompagnée de Zain, son fils.
Saraï Llugorn, une femme d'âge mûr, resplendissante de beauté, grâce aux yeux marrons aux reflets dorés typiques de sa famille, prit la parole en tant qu'hôte du Conseil,:
-Nos sommes réunis aujourd'hui par un but commun, faisant table-rase de nos différends du passé. Nous sommes ici pour trouver une solution quant au tribut trop lourd imposé par la Maison Penzifig, qui nous met tous dans une situation critique et qui n'est plus supportable pour nos peuples.
-Si aucune action n'est menée, nos peuples se soulèveront contre nous, c'est la dernière chose que nous souhaitons, dit Trenk d'un air grave, s'attribuant l'approbation générale.
Trenk Tanborth était un homme d'âge mûr, dont les yeux verts tranchaient avec les couleurs flamboyantes de sa famille. C'était un homme déterminé, souvent prêt à la violence. Il avait fait partie des principaux instigateurs de la guerre qui avait mené à la situation dans laquelle étaient les Maisons. Sa ressemblance avec son fils était très frappante. Lues, les yeux remplis du feu de la jeunesse fronçait les sourcils d'un air sévère.
-Nous avons plusieurs solutions, commença Gerwin Nantcoch, un jeune homme aux cheveux blonds et au regard tendre. Tout d'abord: organiser un dialogue avec les Penzifig pour leur expliquer la position dans laquelle nous sommes.
-Les Penzifig ne dialoguent avec personne, ils ne feront pas de bonne action par gentillesse, nous le savons tous, rétorqua Lues.
-Quelles sont les autres solutions ? demanda Zain avec calme.
Lues observait Zain et sa mère à la dérobée. Ils se ressemblaient énormément. Zain avait les mêmes yeux marrons aux reflets dorés. Les cheveux des membres de cette famille étaient tous noirs avec des reflets vert, ce qui avait sans doute inspiré la couleur de leur bannière. Le charisme de Zain forçait à l'attention. Ses traits gentils et doux masquaient une grande détermination et un intense courage. Sa stature, tout aussi impressionnante que son aura, était grande, musclée et imposante. Zain était aux antipodes du petit et nerveux Lues Tanborth, ce qui avait développé chez ce dernier un profond sentiment de jalousie.
-Une révolte qui serait rapidement contenue vu l'état de notre puissance militaire, répondit Saraï en regardant tristement son fils.
-Soyons sérieux. Nous connaissons tous la solution mais personne n'ose la déclarer à voix haute, lança Trenk avec hargne. Il faut régler le problème à sa source.
-Que sous-entendez-vous ? répliqua Neres avec douceur.
-Ce que je dis, c'est que s'il n'y a plus de roi, il n'y a plus de tribut.
-C'est ridicule, ce ne serait qu'une perte de temps. Ils mettraient un autre membre des Penzidig à la tête du royaume et ce serait réglé ! lança Gerwin.
-Il y a peut-être moyen de faire pression sur leur Maison de cette manière cela dit... Tuer un membre de leur famille montrerait la détermination et la colère de nos peuples, commenta Neres discrètement, après un moment de silence. Je pense seulement que le roi Pennaeth n'est pas la bonne personne.
-Il fera exécuter le meurtrier pour montrer la puissance de sa Maison, dit Lues.
-Pas forcément, continua Neres, le roi est vieux, plus sensible et moins fougueux. Pensez-y. Il sera ému de la mort d'un membre de sa famille, et de la haine que lui voue l'archipel.
-Alors, n'importe qui ne peut pas le tuer, dit Saraï, si on engage un assassin, l'impact risque de ne pas fonctionner. C'est l'un d'entre nous qui doit tuer.
-Vous parlez froidement de commettre un meurtre pour des questions politiques, articula Zain d'une voix sourde. Vous connaissez tous ces gens-là ! Vous ne savez même pas qui tuer. C'est du sang pour du sang. Je ne suis pas d'accord.
-Vous ne saisissez pas la situation, Seigneur Llugorn, lança Lues en frappant du poing sur la table. Ce sont eux les meurtriers. Ce sont nos peuples qui sont décimés à cause de ce tribut, là, dehors.
-Et vous, qu'avez-vous fait pour « votre peuple » ? Etes-vous seulement descendu de votre château pour constater la situation de vos propres yeux ? C'est certainement plus facile de rejeter la faute sur tout ce qui vous est étranger, et de planifier des meurtres, plutôt que chercher des solutions pacifiques !
La tension monta d'un cran entre les deux jeunes hommes, qui s'observaient avec rage, prêts à dégainer leur épée.
-Nous ne sommes pas ennemis, murmura Saraï dans le silence tendu qui régnait désormais.
-Je suis désolé, Seigneur Llugorn, cette décision ne m'enchante pas non plus, nous avons cherché d'autres solutions, dit Gerwin avec tristesse, mais celle-là est la seule qui puisse fonctionner.
Les membres des Maisons se regardaient désormais tous avec méfiance, sans plus rien dire, attendant un autre soulèvement contre la décision générale.
-Bien. Je pense que nous sommes tous d'accord, donc, lança Trenk après un long moment de silence. Reste à savoir quel Penzifig nous tuons.
-Le successeur du trône, Harden Penzifig, lança Saraï. Il faut frapper fort. Leur premier-né me semble la meilleure option.
Zain fusilla sa mère du regard puis il se leva d'un air résolu.
-Très bien. C'est moi qui irait, prononça-t-il avec colère.
-Pourquoi ? Rien ne vous oblige, répondit Gerwin.
-Parce que je tuerai son assassin, si ce n'est pas moi. Harden est mon ami et la personne qui l'aura tuée subira ma rage meurtrière. Je préfère donc que ce soit moi, pour éviter tout dommage collatéral.
Zain sortit de la salle sans saluer personne, fou de rage de l'issus qu'avait pris la conversation. Il allait devoir assassiner le frère de son meilleur ami pour des questions purement stratégiques. Il en était malade. Lorsque la guerre avait éclatée, Zain avait perdu tout contact avec son seul véritable ami, Melden Penzifig. L'idée de lui faire subir la douleur de la perte de son frère lui était insupportable. Mais Zain Llugorn était plus fidèle envers sa Maison et sa famille qu'envers son ami. De plus, s'il ne se chargeait pas du meurtre, quelqu'un d'autre le ferait et, après sa déclaration, Zain serait totalement discrédité. Il ne pouvait plus faire machine arrière.
******
-J'ai amélioré ton arme, Harden.
-Qu'as-tu encore fait ? Melden, je te préviens, je te tue avec ce qui reste de mon épée si tu l'as abîmée !
-Ne sois pas stupide ! J'ai mis au point un nouveau poison et ai enduit ton épée avec. Si tu blesses quelqu'un, sa plaie se mettra à gangrener deux fois plus vite que la normale.
-Il faut que je fasse attention, alors.
-J'ai un antidote, pour qui me prends-tu ?
-Merci, mon frère.
Harden secoua les cheveux blancs de son frère avec affection avant de s'éloigner pour s'entraîner avec son maître d'armes. Les deux frères s'étaient toujours très bien entendu et étaient très amis. Harden ne s'était jamais énervé devant les premières tentatives hasardeuses de druidisme de Melden. Il avait pourtant ruiné quelques-unes de ses armes préférées, en tentant d'y appliquer diverses potions. Heureusement, Melden avait rapidement progressé pour se hisser au rang du meilleur druide du royaume. Il avait d'ailleurs accueilli depuis quelques mois la jeune Brangäne de la maison Nantcoch pour lui apprendre les rudiments du métier, sa grand-mère, Neres, l'ayant poussée à se rendre chez lui pour perfectionner son apprentissage.
Melden avait de nombreux adelphes, mais Harden était de loin celui avec lequel il s'entendait le mieux. Il avait toujours veillé sur lui lorsqu'il était enfant, parce que, alors plus vieux de quatre ans, il se sentait responsable de la santé de son frère. Surmura, de deux ans l'ainée de Melden, avait rapidement nourri un intense sentiment de jalousie envers son frère, pour s'être accaparé Harden. Ce dernier avait du redoubler d'attention car Surmura tentait toujours de blesser son petit frère, encore fragile et incapable de se défendre. Depuis, la situation avait bien changée. Azel et Luath, les deux jumeaux et derniers nés de la famille avait accaparé l'attention de Surmura et Melden, ce qui calma la rivalité entre les deux adelphes. Néanmoins, les relations restaient tendues entre eux et ils se disputaient souvent. Harden ne se souciait plus de la sécurité de son petit frère depuis le longtemps. Ce dernier avait un réel talent en maniement d'armes en plus de ses capacités extraordinaires dans le domaine du druidisme.
Brangäne s'attelait à préparer la potion de guérison que son mentor lui avait donné comme exercice lorsqu'il entra dans le laboratoire. Ses cheveux blancs rayonnaient à travers la lumière du jour, et ses grands yeux d'un bleu océan la fixèrent froidement.
-Est-ce que tu as un nez, Brangäne ? demanda-t-il d'un ton sec, toujours la main sur la poignée.
-Qu... Pardon ?
-Tu ne sens pas cette odeur ?
-Quelle odeur ?
-Le brûlé ! Ta potion brûle, idiote ! Jette ça et recommence, à moins que tu veuilles donner de l'urticaire à tes malades.
-Je suis désolée, Maître Melden, bredouilla Brangäne, confuse, en renversant le contenu du petit chaudron dans le lavabo.
-Ce n'est pas de ta faute si tu es nulle.
-Merci ?
-Bon, recommençons. Quelles sont les règles les plus importantes pour réussir une potion ?
-La qualité des ingrédients.
-Mmh.
-Une découpe rigoureuse.
-Mmh...
-Un feu de cuisson bien géré.
-MMH !!
-Les ingrédients ajoutés au bon moment.
-Alors... Si tu le sais, pourquoi tu continues à faire n'importe quoi ?
-Je pense que j'ai besoin d'entraînement.
-Oui, et je vais t'aider. Cette potion nécessite précision et rigueur, c'est encore ce qu'il te manque. Vas-y, je te regarde.
Melden s'assit dans un coin, les bras et les jambes croisées, scrutant les faits et gestes de son élève. Brangäne tremblait de se sentir observée par ses yeux acerbes. Elle avait beaucoup d'admiration pour Melden, mais il avait tendance à lui faire peur. Peut-être la considérait-il comme son amie. Parfois, il lui racontait des moments importants de sa vie, son enfance, ses inquiétudes. Brangäne lui répondait souvent, et ils riaient tous les deux, puis il la frappait derrière la tête parce qu'elle avait mal découpé un fruit. La jeune femme avait un physique généreux, et de longs cheveux blonds toujours attachés en tresse, alors que ses yeux étaient d'un vert assez clair. Elle ressemblait énormément à son frère, Gerwin, avec lequel elle n'avait pas eu de contact depuis qu'elle étudiait auprès de Melden. Brangäne vivait au château Penzifig, se rendant entièrement disponible à son apprentissage.
-NON !
-Quoi ?
-C'est dans ce sens-là que se découpe l'aneth, mademoiselle ? Et regarde la force de ton feu ! Ton but est de cuir des plantes ou de brûler le château entier ? aboyait Melden depuis sa chaise.
Brangäne souleva le chaudron pour qu'il soit plus distancé du feu et reprit une découpe correcte de l'aneth en soupirant silencieusement. Melden avait beau être comme un grand-frère pour elle, sa famille, qu'elle n'avait pas vu depuis plusieurs mois, commençait à lui manquer.
-Pourquoi avez-vous empoisonné l'arme du Seigneur Harden ?
Melden leva soudainement les yeux vers elle avec intérêt. Il la fixait sans détour et sans gêne, d'un regard impénétrable, et Brangäne se sentit soudain mal à l'aise d'avoir posé une question indiscrète.
-J'ai un mauvais pressentiment, répondit-il à mi-voix après un moment de réflexion. J'ai l'impression que quelque chose se prépare. Cela fait plusieurs jours que les Tanborth ont arrêté de jacasser à propos du tribut trop lourd, et ça commence à m'inquiéter.
-Le tribut pose vraiment un problème pour le peuple, sans vouloir vous offenser.
-Je le sais. Je n'arrête pas de dire à Père de baisser l'impôt, mais il ne veut rien entendre. Ça fait un moment que je réfléchis au meilleur plan pour faire pression sur notre famille.
-Vous avez trouvé ?
-Le seul moyen de nous faire chanter quant à l'impôt est d'attaquer directement la succession au pouvoir. C'est-à-dire Harden. J'ai peur qu'ils tentent de le tuer pour déstabiliser Pennaeth. Notre père est fatigué ces derniers temps. Ils le savent.
-Avez-vous fait part de vos inquiétudes à votre frère ?
-Non, répondit Melden en détournant le regard. Je ne sais pas si ça serait utile. Nous sommes la Maison la plus puissante du royaume, nous avons forcément des détracteurs. On nous a enseigné que la mort notre compagnon le plus fidèle depuis l'enfance, et qu'il ne fallait pas en avoir peur. L'idée de mourir ne me gêne pas, mais qu'en est-il de ceux que j'aime ?
-Vous ne pouvez pas protéger tout le monde.
-Je le sais, mais je suis déjà en permanence inquiet pour Zain, ça ne m'arrange pas qu'Harden en rajoute.
-Zain ? Le Seigneur Llugorn ? C'est votre ami d'enfance, c'est bien cela ?
-Oui, Brangäne. Zain est mon ami d'enfance, mais nous nous sommes perdus de vue quand la guerre a éclaté. On nous a interdit de nous revoir alors que nous passions nos journées ensemble. La guerre est terminée maintenant, mais je ne sais pas, je n'ose pas...
-Je suis sûre que vous vous retrouverez bientôt.
Melden leva un regard suppliant vers elle. Revoir Zain serait un tel soulagement pour lui. Son ami lui manquait de plus en plus. Le temps était censé refermer les blessures, mais avec Zain, c'était l'inverse qui se produisait.
-Comment le savez-vous ?
-Je ne sais pas, juste un pressentiment.
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