Acte II - Scène 2: Le diable danseur
La soirée se déroulait dans un de mes bars préférés. Les bières étaient bonnes et l'ambiance, les différents coins isolés de la piste de danse, sa grande terrasse, rendaient le lieu très accueillant. Assis dans un coin, je contemplais les gens et pensais distraitement au garçon aux cheveux noirs et pointus qui hantait mes rêves. Si je faisais une amnésie quelconque, il fallait que je consulte un psychologue ou un hypnotiseur. J'avais vu un reportage là-dessus. Ça avait l'air d'expériences très fortes et impressionnantes. Ça risquait de coûter cher. Mais avec ma bourse et les 200 euros que ma mère m'envoyait tous les mois, ça devrait le faire.
— Alors, c'est toi qui baises comme un dieu ?
Hein ?
Une fille noire, aux cheveux frisés et au regard brillant m'abordait avec un sourire narquois au bord des lèvres. Elle dégageait quelque chose de spécial, une aura envoûtante qui m'empêchait d'en détacher les yeux.
— Qui t'a raconté ça ? demandé-je, soudain un peu inquiet pour la réputation d'Hélène.
— C'est elle qui me l'a dit.
— Ah...
Je n'étais pas habitué à être approché de la sorte. Au moins, être confronté à la situation dans l'autre sens me faisait réaliser que ça n'était pas forcément agréable.
Note à moi-même : Être plus doux à l'avenir.
Je reportais mon attention sur la jeune femme. Vêtue d'une jupe mi-longue, et d'un chemisier assez classique, je ne l'aurais vraiment pas imaginée aussi cavalière. Très charmante. Elle me plaisait beaucoup. Tandis qu'un sourire sauvage se dessinait sur mes lèvres, elle s'approcha de moi et m'embrassa subrepticement.
— Si tu me cherches, je serai à la mezzanine, me souffla-t-elle à l'oreille, je m'appelle Elisabeth.
Ne m'oublie jamais...
J'étais complètement retourné... Une fille comme ça, je n'en avais pas rencontré souvent. Franche, directe, elle savait ce qu'elle voulait et ne passait pas par quatre chemins pour le dire. J'eus à peine le temps de bégayer une réponse foireuse qu'elle était déjà partie.
En si peu de temps, tu es devenu tout mon monde.
Les souvenirs, l'enfants, semblaient refuser catégoriquement de sortir de ma tête. Je me replongeais dans mes recherches de thérapeutes. J'en trouvais un, pas loin de chez moi, à des prix abordables. Il avait de la place pour la semaine suivante.
La fille qui venait de passer, et l'alcool qui commençait à faire effet mirent mes sens en éveil. Il faudrait bientôt que je me détende d'une manière ou d'une autre. Arsène se détacha d'un groupe non loin, pour s'asseoir à côté de moi :
— C'était qui la fille de tout à l'heure ? commença-t-il avec une drôle d'expression. Tu la connais ?
— Non. Elle... Elle veut coucher avec moi, je crois.
J'étais un peu gêné de parler de ça avec Arsène, sans vraiment comprendre pourquoi. Bien qu'il soit un très bonne ami, il avait rapidement tendance à me mettre mal à l'aise.
— T'as vraiment du succès, j'ai jamais vu ça. Tu t'assoies et les meufs arrivent, littéralement.
Je regardais Arsène du coin de l'œil, amusé par ses réflexions que je qualifiais volontiers de beaufs. Mon caractère n'était pas très étonnant finalement, quand on voyait ce qui m'entourait.
Soudain, il y eut un mouvement de foule. Un mec grand et mince dansait au milieu de la piste avec style divin. Les gens criaient d'allégresse devant le génie, s'écartaient pour lui laisser de la place. Intéressé, je m'avançais avec Arsène et m'immisçais dans le groupe pour admirer l'artiste, avant de me figer, totalement tétanisé.
Je le connais.
Ces cheveux d'un roux presque rouge, ces yeux jaunâtres, cette peau pâle. Si le diable avait eu un corps, il aurait ressemblé à celui-là, mais sans doute son aura aurait été moins malsaine.
Merde. Son nom ? C'est quoi son nom ?
— Arsène, le type, tu le connais ? Comment il s'appelle ? demandé-je totalement alarmé.
— Oui, c'est Valentin... Valentin quelque chose... Il est en psycho.
Putain, cette espèce d'enflure en psycho. Je serai ravi de te descendre à ton procès Hi... Hiso...
Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je ressens une haine farouche envers un gars que je connais même pas.
Je lui attribuais un nom qui n'était pas le sien. Avec des consonances japonaises, comme celui qui me venait pour moi-même de temps en temps, comme pour Gon... Il y avait définitivement un rapport entre tout ça. Je devenais vraiment impatient de voir le thérapeute. J'étais probablement taré, mais l'histoire commençait à franchement m'intéresser, plus pour son mystère que pour les problèmes qu'elle me provoquait.
La musique s'arrêta dans une synchronisation parfaite avec le danseur, comme s'il avait orchestré tout le spectacle. La pression retomba. Les gens hurlèrent de plus belle. Il souriait et saluait la foule. On aurait dit un coureur olympique qui avait gagné le cent mètre.
N'importe quoi. Il dansait pas SI bien.
Alors que le public, ébahi, lançait des "Hourra !" et applaudissait à tout rompre, Valentin, les yeux écarquillés et la bouche entrouverte, me regardait fixement comme s'il avait vu un fantôme.
Je rêve pas, là...
Il reprit vite possession de lui-même, adressa un sourire à la foule et sortit du cercle avec un grand geste théâtral. Il passa à côté de moi, me frôla, et me jeta un rapide coup d'œil. J'en ressenti tout l'étonnement, mêlé d'un soupçon d'angoisse.
On se connaissait. On ne s'était jamais vu, mais on se connaissait, c'était sûr.
Mon cœur battait à tout rompre. Je devenais fou ? On me faisait une blague ? Pourquoi je reconnaissais des gens que je n'avais jamais vu de mon existence ? Pourquoi ça me provoquait des émotions si fortes ? Pourquoi j'avais l'impression de ne pas reconnaître mon propre corps ?
Tu es le seul qui puisse me libérer de moi-même.
Il fallait que je me détende et vite. Le gouffre de la folie me semblait sous mes pieds, prêt à m'avaler. La fille. La fille noire aux cheveux frisés. Elisabeth. Je m'accrochais à son souvenir comme à une bouée de sauvetage et gravissais quatre à quatre les marches conduisant à la mezzanine. Elle discutait avec Hélène et deux autres filles à qui je n'avais jamais parlé.
Lorsqu'elle me vit, elle se leva vers moi, et, avec un air victorieux, me prit par la main et me conduisit tout droit vers les toilettes. Il y avait deux WC, mixtes, de grande taille. L'endroit semblait presque être fait exprès pour accueillir les amants aux hormones décuplées.
Ce fût assez rapide, mais intense et agréable. Cette fille, très directive, m'avait mené par le bout du nez. Ce n'était pas désagréable, je n'avais pas eu à réfléchir, mais restais perturbé, peu habitué à ce genre de comportements. Une intuition presque divine me convainquit que je la reverrais un jour. Je m'apprêtais à sortir, relativement apaisé, lorsque je tombais nez à nez avec Valentin.
— C'est toi, Ki...Ezequiel ? commença-t-il avant d'ajouter, en voyant la fille derrière moi: Je ne sais pas pourquoi, mais je croyais que tu étais gay. Dommage.
Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? Sa langue a fourché, non ? Est-ce qu'il a failli m'appeler Kirua ou... Non je m'imagine des choses. Mais alors pourquoi pensait-il que j'étais gay ?
— On se serait pas déjà croisé quelque part ? demandé-je à tout hasard.
— Pas le moins du monde. Je ne t'ai jamais vu mais j'ai déjà entendu parler de toi et de tes...prouesses...
Sa voix. Je la reconnaissais et elle me dressait les poils. Je le sentais pas ce type. Il mentait. Je le sentais. Une envie de prendre mes jambes à mon coup me fit fuir la soirée. Je lançais des saluts de la main à mes camarades qui ne semblaient rien comprendre. J'avais été distant toute la soirée, et je partais à 23 heures, alors que la fête battait son plein, alors que je traînais d'habitude jusqu'à six heures au bar, comme le dernier des queutards. Mais je me sentais devenir fou.
Seul un nom me restait, un nom précieux qui refusait de tomber dans l'abysse profond qu'était mon âme, un nom dont les trois lettres me rappelaient la ténacité farouche qui m'avait tant marqué.
Gon.
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