Le bal (1/2)
Alors qu'Etna finit de se préparer, Nira frappe à la porte de sa chambre.
— Ma chérie, es-tu prête ?
Sans attendre de réponse, elle entre toute excitée et s'ébahit en découvrant sa fille :
— Oh ! Nous avons bien fait de choisir cette robe ! Cette couleur te va à ravir ! Et cette taille de guêpe ! Je t'envie. Même à ton âge, je ne possédais pas une telle ligne. Tu as toutes les chances d'attirer un bon parti.
Etna se contente d'un sourire timide et contemple son reflet dans le miroir. Madame Vas tourne autour d'elle, scrute sa chevelure puis s'étonne :
— Tu n'as pas mis de rubans ?
La demoiselle redoute que l'accessoire qui a permis à Noitan de la reconnaître ne trahisse également son identité auprès du Prince. Elle s'abstient d'exposer les raisons de son choix, que sa mère désapprouverait forcément, et répond simplement d'une voix faible :
— Non, j'avais envie de changer.
L'examen minutieux de la toilette de la jeune femme se poursuit des pieds à la tête. L'oeil avisé de Nira ne rate aucun pli. Lorsqu'elle remarque que le cou de sa fille est encore nu, elle l'interroge :
— Quel collier as-tu choisi de mettre ?
En ouvrant ses mains, Etna dévoile le bijou.
— Celui-ci, avec les saphirs.
— Très bon choix, ils rappellent la couleur de tes yeux !
La jeune femme essaie à plusieurs reprises de le pendre à son cou.
— Que se passe t-il ? Cela fait trois fois que tu tentes sans succès d'atteindre le fermoir ?
Madame Vas attrape le collier des mains de sa fille et s'exclame :
— Mais tu trembles comme une feuille ! Es-tu excitée à ce point de revoir le Prince ?
— Ce n'est pas cela, Mère.
— Tu es un peu pâle aussi. Es-tu malade ? l'interroge sa mère en scrutant son visage.
— Je ne me sens pas très bien, en fait. Serait-il possible que je reste me reposer ?
— Ne sois pas sotte, ma chérie ! La Reine veut rencontrer toutes les débutantes avec leur mère ce soir. Ce serait un terrible affront si tu ne te présentais pas. Tu ne voudrais quand même pas faire mauvaise impression auprès des membres de la famille royale ?
Arrivées dans le hall du palais, Etna et sa mère annoncent leur présence auprès du domestique chargé de l'accueil des invités. La pièce rectangulaire aux dimensions gigantesques, recouverte au sol de marbre noir et blanc, dispose de deux majestueux escaliers de part et d'autre de l'entrée, soutenus par d'imposantes colonnes. C'est sous l'un d'entre eux, près d'une des vingt-quatre grandes fenêtres ouvertes sur l'extérieur, que les deux femmes attendent leur tour pour pénétrer dans la salle d'audiences de la Reine. L'état de nervosité de la jeune fille est tel qu'elle ne tient pas en place et fait les cent pas.
Madame Vas la réprimande :
— Enfin, Etna, reprends-toi ! Une jeune fille doit se montrer calme et maîtresse d'elle-même !
C'est à ce moment que le valet s'approche d'elles pour leur signifier que la Reine les attend.
Etna pénètre dans la pièce le coeur battant, les mains moites, elle peine à trouver son souffle.
Le valet annonce :
— Madame Vas et sa fille, mademoiselle Etna Vas.
— Approchez ! leur intime la Reine.
Majestueuse, élégante, imposante, il émane de la Souveraine un charisme et une force impressionnants. Parée d'une robe blanche aux broderies dorées et de bijoux magnifiques, cette quinquagénaire à la chevelure argentée rayonne au centre de la pièce.
Le Prince Tidure se tient légèrement en retrait et observe la scène.
Etna sent son regard se poser sur elle. Elle effectue une révérence puis fixe le sol, ce qui dans son cas n'est pas uniquement un signe de déférence. L'affolement la pousse à la naïveté qui anime les jeunes enfants lorsqu'ils s'imaginent qu'ils sont invisibles tant que l'expérience de la vue n'est pas partagée.
— Mademoiselle Vas, je vous épargnerai de faire votre présentation car cela serait inutile. J'ai déjà entendu parler de vous.
La jeune fille relève les yeux, inquiète, prête à recevoir la sentence. La Reine poursuit :
— Ne devinez-vous pas qui m'a fait état de votre comportement ?
— Non, votre Majesté, répond Etna d'une voix hésitante, le coeur lancé au galop et le souffle court.
— Vous semblez perdre vos moyens, mademoiselle.
Après un court silence où la Reine observe la jeune débutante, espérant une autre réponse de sa part, elle reprend :
— Eh bien, il s'agit de mon amie, voyons ! Madame Bons. Elle m'a fait un portrait élogieux de vous. Elle vous a trouvée charmante.
— Oh ! s'exclame Etna, en reprenant par là-même sa respiration. En effet, comment n'y ai-je point pensé ?
Le soulagement se lit sur son visage.
Elle croise alors le regard du Prince. Il arbore un sourire moqueur. Le rose monte aux joues de la jeune femme alors qu'elle détourne rapidement les yeux pour revenir à la Reine et déclarer :
— J'ai également beaucoup apprécié madame Bons.
— Bien. Vous avez donc de bons goûts. Quelles sont vos occupations, mademoiselle ?
— Votre Majesté, j'apprécie les sciences, la peinture mais plus en tant qu'observatrice qu'artiste...
— Et la littérature ? la coupe le Prince Tidure.
La Reine pose sur lui un regard étonné. Il s'agit de la première fois de la soirée qu'il prend la parole pour s'adresser à une demoiselle, fidèle depuis le début à son caractère discret.
Etna approuve spontanément :
— En effet, votre Altesse, la littérature également.
— Connaissez-vous le poète Jean de La Fontaine ? la questionne-t-il.
— Oui, votre Altesse, c'était un poète français de grande renommée.
— J'ai découvert récemment Le Meunier, son fils et l'Âne. Cette fable évoque t-elle quelque chose pour vous ?
— Oui, votre Altesse, lui répond alors Etna, incapable de prononcer plus de mots tant l'angoisse la reprend.
— Quels sont ces vers, déjà ? « Est bien fou du cerveau qui prétend contenter... ».
Le Prince fait mine de ne pas se souvenir.
— « Tout le monde et son père. » complète Etna.
— Vous êtes étonnante, mademoiselle. Je pense que peu de gens connaissent cette fable. Vous devez d'ailleurs être la seule de mon entourage à pouvoir en citer un vers.
Elle voit alors dans sa mine réjouie et ses yeux rieurs qu'il sait et qu'il le lui fait savoir. Leur échange de regards dure un peu plus longtemps que ne l'autorise la bienséance. S'en apercevant, Etna baisse brutalement la tête. Le Prince s'adresse alors à elle :
— Mademoiselle, j'aurai grand plaisir à échanger plus longuement sur la littérature mais il me reste quelques débutantes à saluer. Je ne puis manquer à mes devoirs.
Il marque une pause, attendant de capter l'attention de la jeune femme, et ajoute :
— Il serait bien préjudiciable que le Prince lui-même ne respecte pas les codes et préséances. N'est-ce pas ?
Etna sent la chaleur envahir ses joues. Elle comprend parfaitement l'allusion à leur danse passée.
Elle entame une révérence, heureuse que l'épreuve qu'elle redoutait tant soit terminée. Alors qu'elle s'apprête à saluer la Reine et son fils pour se rendre à la salle de bal, le Prince ajoute :
— Mais j'espère que vous m'accorderez une danse ce soir pour nous permettre de poursuivre notre conversation.
Elle reste figée un instant, pensant avoir imaginé ces mots. Au regard que lui lance sa mère, elle comprend qu'il n'en est rien. Elle répond donc :
— Avec plaisir, votre Altesse.
Lorsque Etna pénètre avec sa mère dans la salle de bal, l'ambiance sonore l'assourdit. Les conversations vont bon train et confèrent à l'endroit un bourdonnement perpétuel. La pièce, dont les dimensions du hall d'accueil laissaient présager la taille, se révèle colossale. Le plafond recouvert de moulures dorées s'élève à plus de huit mètres. Les murs, ornés de miroirs et statuettes, délimitent une surface de près d'un millier de mètres carrés. De nombreuses portes fenêtres permettent d'accéder à une terrasse avec vue sur le parc, malheureusement plongé dans l'obscurité à cette heure tardive. Les musiciens du prestigieux orchestre du palais, installé sur le côté, accordent leurs instruments.
Le premier réflexe de la jeune femme consiste à chercher son amie Ema. Elle parcourt la salle du regard. Sa mère, toute à la joie de l'invitation que vient de recevoir sa progéniture, exulte :
— Te rends-tu compte ? Tu as impressionné le Prince ! La seule à connaître un poème qu'il affectionne ! Moi qui me demandais toujours quel besoin tu avais de passer toutes ces heures à étudier... Tu as bien fait ! Cela va te permettre d'épouser un Prince !
— Mère, dois-je vous rappeler qu'il s'agit d'une danse et non d'une demande en mariage ?
— Il faut bien commencer par quelque chose ! Penses-tu réellement que toutes les jeunes filles présentes ont reçu la même demande ? Et as-tu seulement entendu la Reine ? Elle s'était intéressée à toi avant de te voir !
— Comment cela ?
— Crois-tu qu'elle s'embête à écouter des bavardages sur les débutantes si elle n'y a pas quelque intérêt ? Si elle a trouvé bon de se renseigner sur toi, c'est forcément qu'elle savait que son fils t'avait invitée à danser lors du précédent bal. Ou peut-être même lui avait-il personnellement parlé de toi ? Elle a mieux à faire que de connaitre la vie de toutes les débutantes. C'est la Reine, voyons !
Peu de temps après, la Souveraine et ses trois fils font leur entrée. L'orchestre commence à jouer un air entraînant et les premiers couples pénètrent sur la piste de danse.
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