Chapitre 1 - Vinny
Vinny — lundi 14 h
Docteur Mallone : Bonjour Vinny asseyez-vous je vous en prie.
Bonjour Docteur.
Le docteur Mallone se rassit sur son fauteuil tandis que ladite Vinny l'imita sur le canapé en face. Elle semblait si petite dans cette grande pièce. Peut-être n'était-ce pas qu'une impression.
Dr Mallone : Dites-moi comment allez-vous depuis jeudi ?
J'ai des hauts et des bas enfin surtout des bas mais je n'ai pas besoin d'en parler. Par contre j'aime beaucoup votre siège.
Dr Mallone : C'est vrai ? C'est très gentil à vous, ça s'appelle un fauteuil carrosse, je trouve ça très confortable et ça donne une l'impression d'une conversation privative n'est-ce pas ?
Si je trouve aussi. C'est vrai que quand on y pense un canapé n'a rien de privatif. Je ne pense pas que si au Moyen Âge on leur avait proposé ils l'auraient pris. Ils nous auraient peut-être tranché la gorge en nous traitant de charlatans et de chasseurs de têtes. On dit que les gens étaient petits à cette époque alors je me demande si assis sur un canapé leur tête dépassait ? Parce que là il y a tout de suite mille et une façons de se faire assassiner, espionner, violenter. Aucune discussion ne peut être dite sans que la pièce entière soit prise comme témoin. Ou alors ils croiraient que ce sont des bancs d'église un peu plus confortable. Dans ce cas peut-être qu'ils en voudraient finalement mais le problème de l'assise pour le roi est très important malgré tout.
Dr Mallone : Est-ce que vous seriez plus à l'aise si vous en aviez un aussi ?
Je pense oui. Je n'aime pas du tout me dire que je suis dans une sorte de rituel et que d'autres personnes se sont allongées ici. Ça me met très mal à l'aise. J'ai l'impression de ressentir leurs soucis, leurs problèmes et de les écraser sans vergogne. Je ne sais pas vraiment où m'asseoir et puis vous avez l'air tellement calme et à l'aise que je n'en suis que plus anxieuse et honnêtement je n'ai pas osé vous le dire jeudi mais là ça ne va pas. Peut être était-je plus calme jeudi toujours est-il qu'aujourd'hui, non.
Dr Mallone : Je me permets de vous laisser ici une petite seconde j'ai un bureau à côté je vais vous en sortir ce dont vous avez besoin.
Vous allez me gaver de pilule ? Ça doit être la caverne d'Alibaba là-bas. Je ne suis pas folle je sais que certains psys peuvent prescrire des médicaments alors vous devez avoir un stock.
Le Dr Mallone se leva un petit sourire aux lèvres, il tendit sa main vers la porte de la pièce en question comme pour demander galamment l'autorisation. Vinny lui fit un signe de tête en roulant des yeux au plafond. Il marcha tranquillement jusqu'à la porte avant de l'ouvrir en grand laissant à Vinny le soin d'entrevoir la pièce.
Dr Mallone : Vous apprendrez avec moi que j'aime particulièrement quand chacun respecte son métier. Les psys vous écoutent, les médecins délivrent des ordonnances et les pharmaciens vous fournissent votre traitement. Il n'y a pas de circuit court.
Il lui sourit avant de s'engouffrer dans la pièce. Le médecin en revient quelques secondes plus tard dans un bruit assourdissant on peut distinctement le voir tirer un meuble. Vinny sourit au fur et à mesure qu'elle aperçoit le gros fauteuil carrossé. Le Dr Mallone l'approche de la fenêtre péniblement tandis qu'il approche également son propre siège.
Dr Mallone : À partir d'aujourd'hui Vinny, il n'y aura que vous qui vous assiérez ici, j'y veillerai personnellement. Vous me semblez être quelqu'un de très réceptif et je respecte ça.
Vous vous souveniez que j'adore regarder par la fenêtre et y voir de grands espaces, n'est-ce pas docteur ?
Le docteur s'assit et lui offrit un grand sourire tandis que ses yeux à elles semblaient contempler l'immensité de la campagne de Chinon dans son fauteuil presque aussi long qu'un canapé. En tout cas elle avait la place de s'y allonger si elle en ressentait l'envie ou le besoin.
Dr Mallone : Alors pourquoi êtes-vous là Vinny ?
Et vous pourquoi êtes-vous là ?
Vinny n'était pas agressive, elle avait de la répartie et semblait méfiante le docteur Mallone l'a évidemment remarqué dès son entrée.
Dr Mallone : Je suis ici parce que c'est mon métier de vous faire parler pour que vous vous écoutiez. Je suis quelqu'un de curieux Vinny, tout à l'heure vous m'avez dit quelque chose qui a retenu mon attention. Vous m'avez dit que peut-être jeudi vous étiez calme mais que ce n'était plus le cas à présent. Vous pouvez m'en dire plus ?
Oui je pense. J'étais de mariage ce week-end avec ma mère. Du moins c'était ma mère qui se mariait. Je ne sais pas si je viens vraiment de cette famille, elle le prétend avec assurance mais permettez-moi d'en douter parfois. Il m'arrive de les regarder et de me demander quel genre de liens j'ai avec eux finalement ? Je me sens tellement à part, tellement différente d'eux. Voyez samedi j'étais donc de mariage, ma mère s'est unie avec le père de mon frère donc mon beau père. J'ai hélas assisté au mariage de l'archiduchesse Marie Antoinette et Louis XIV.
Dr Mallone : C'était un mariage costumé ? C'est plutôt original en tout cas.
Oh si ce n'était que ça. Ils ont fait réserver Versailles et se sont dit oui là-bas en tenue d'époque. La cérémonie était d'époque, le buffet tout. D'ailleurs ils étaient même filmés il y avait des caméras partout. Bon jusque là ça ne me correspond pas mais ce n'est pas mon mariage, s'ils sont heureux comme ça pourquoi pas. Non ce qui m'a vraiment interrogé c'est ma tenue. J'étais donc la demoiselle d'honneur de ma mère, vous saviez que ça existait encore à part dans les films ? Et j'ai eu le ravissement de découvrir ma tenue de servante ainsi que ma coiffe plus que ridicule. Je suis quelqu'un de simple ma mère le sait, je n'aime pas me faire remarquer, je suis d'un tempérament calme et surtout je suis quelqu'un de très sensible au malaise. Je me suis soudain retrouvée dans une robe immense rose fuchsia avec une espèce de coiffe rose cendré qui me donnait facilement 30 ans de plus. Je me sens souvent gêné face à des situations qui me sortent de ma zone de confort et je n'aime clairement pas ça. Je vous promets que quand je suis sortie de cette pièce où elle se préparait j'ai cru que j'allais m'uriner dessus de peur. C'est de loin le souvenir le plus terrifiant de toute ma vie. Ce week-end, je ne risque pas de l'oublier, je suis dans un tel état encore qu'il m'arrive de trembler comme maintenant rien qu'en l'évoquant.
Effectivement une larme roula sur la joue de Vinny et ses mains tremblèrent alors qu'elle essayait de les cacher en se craquant les phalanges. Hélas ça ne faisait que renforcer ses petites secousses la rendant totalement transparente. Sa vulnérabilité était là exposée mais le Dr Mallone décida de changer de sujet.
Dr Mallone : Qu'est-ce que vous faites dans la vie ?
Je suis écrivain.
Dr Mallone : Vous avez été publié ?
J'écris des livres alors je suis écrivain. Un peintre n'en est-il pas un quand il peint ? Attend-il de vendre une toile pour se dire peintre ? Est-ce ça la réussite ? Un aboutissement monétaire ? Une reconnaissance qui ne sera jamais totale. Saviez-vous que peu importe le sujet 3 % de la population mondiale ne seront jamais d'accord avec vous. Vu comme ça 3 % c'est peu mais en fait ça représente 228. 000. 000 millions de personnes. L'équivalent de 3 fois et demie la population française. Alors vous conviendrez peut-être aujourd'hui que je suis auteur ou écrivain mais je suis consternée par le fait que les gens à qui je dévoile mon métier ou mon futur métier puissent faire partie de ces 3 %. J'en suis devenue mal à l'aise alors que je devrais être fière de ce que je fais ? Ne l'êtes-vous pas vous ?
Dr Mallone : C'est important pour vous la reconnaissance ? Parce que je sais que moi par exemple mes confrères me reprochent souvent ma manière de faire avec mes patients.
J'aimerais vous répondre que non. Van Gogh était détesté de son vivant, les gens le méprisaient en lui déclarant ouvertement que ses toiles étaient laides et repoussantes. À la fin il avait atteint un stade où plus personne ne l'atteignait. Il n'y avait que lui et son art. J'estime que c'est le stade le plus évolué que peut atteindre un artiste. Quand la seule chose qui importe à ses yeux c'est sa prochaine œuvre en faisant fît de tout. Il était conscient d'avoir des défauts mais il fallait faire avec selon lui. Peut-être que le secret de tout artiste finalement c'est l'absinthe. Écoutez ça vaut ce que ça vaut mais je ne sais pas encore ce que vous valez et je ne crois pas pouvoir vous jugez, rien qu'en nous voyions 2 fois par semaine dans un cadre professionnel mais en tout cas vous êtes l'une des rares personnes avec lequel je sois à l'aise sur cette Terre. Et c'est un petit miracle en si peu de temps, je vous assure !
Le Dr se mit à rire. Il ne riait pas des troubles de Vinny, il s'amusait de sa joie de vivre et de sa manière toute particulière à toucher les gens. Vinny était quelqu'un de simple mais qui avait ce don d'attirer les gens et de les rendre sympathiques. Être désobligeant avec elle revenait presque à s'attaquer à un petit animal sans défense. L'innocence c'est ce qui caractérisait Vinny et le Dr Mallone s'est rapidement donné comme mission de protéger cette innocence.
Dr Mallone : Vous vous identifiez beaucoup à d'autres personnes, avez-vous peur de quelque chose ?
Comme quoi ?
Dr Mallone : D'être vous par exemple.
Parfois je me relis, je vis, je subis et je ne me sens pas à ma place. Quelques fois je me sens trop vieille ou trop jeune. Comme si les gens pour qui j'écrivais étaient sois mort sois pas encore née et cette sensation m'angoisse. Mon cœur se serre et je n'ai pas l'impression d'être née à la bonne époque tandis que mon souffle se fait court. Je me remets brusquement en question, qu'est-ce que je fais là ? Pourquoi fais-je ça ? Pour qui ? Pour quand ? Et je me sens impuissante face à toutes ses questions sans réponses. Je me sens intégrée dans mon temps, je manie les outils de mon époque mais tout ce que je fais me semble insignifiant. Et à la fois je vis encore chez mes parents et j'ai tellement l'impression d'être à côté de ma vie, comme si j'avais loupé quelque chose, comme s'il me manquait quelque chose.
Dr Mallone : Si je comprends bien vous ressentez le besoin de trouver un sens à votre vie ?
Oui. Définitivement oui. J'écris c'est ce qui me définit. J'écris à ma façon avec mes mots et mes maux. Je pense au plus profond de moi que c'est l'écriture qui guide ma vie, mes pas. Je ne me sens moi-même que lorsque j'écris. Sur le moment ça me paraît tellement parfait, c'est après quand je me relis que les doutes m'assaillent.
Dr Mallone : Quel genre de doutes éprouvez-vous ?
Tous. Tous en même temps c'est un brouhaha assourdissant mais une sensation reste, celle de l'insatisfaction. Ça m'arrive d'écrire quelque chose dont je suis fière mais ensuite j'ai comme cette impression d'être un imposteur, vous voyez ? Je me dis qu'on va percer mon secret, que je ne serais jamais publié et je m'écroule sous mes reproches alors que je suis innocente. Ce que je lis je l'ai bien écrit moi même sans l'aide de personne et pourtant je n'arrive pas à m'en persuader moi-même. Peut-être que si j'avais quelqu'un dans ma vie il pourrait me rassurer mais ce n'est pas le cas. Je veux dire même mes parents n'ont jamais lu ce que j'écris.
Dr Mallone : Est-ce un choix volontaire de votre part d'être célibataire ? Au ton de votre voix ça me laisserait presque y penser.
Ah non pas du tout. Une fatalité peut-être, je ne sais pas s'il existe seulement un être sur cette Terre qui puisse me comprendre dans un autre cadre qu'une thérapie. Je mourrais probablement seule.
Le regard de Vinny se perdit à nouveau sur la forêt et la verdure qui s'étendait à perte de vue autour du domaine des Mallone.
Dr Mallone : La mort vous inquiète-t-elle ?
Non, je ne peux pas dire qu'elle m'inquiète puisque c'est une vieille amie. Je l'ai rencontrée il y a dix ans lorsque j'ai fait une tentative de suicide à l'âge de 13 ou 14 ans. Je ne sais plus exactement ces deux années sont très floues pour moi et je sais que la mort se résume à un vide noir. C'est comme s'endormir, chaque sens s'éteignent paisiblement et votre âme vous quitte. C'est aussi simple que de pousser son souffle jusqu'au bout.
Dr Mallone : Pourquoi avez-vous fait ça ?
J'ai des moments de remises en question profondes et à l'époque j'étais trop jeune pour être lucide mais le fait est là. Cette sensation de marge revient et c'est comme si j'essayais de me regarder dans un miroir sans me voir. Il n'y a pas de reflet comme si mon âme était égarée. Et dans ces moments cette sensation d'être marginale est beaucoup trop forte et m'emporte dans des réflexions où l'issue me semblait évidente parce que maintenant je n'y pense plus.
Dr Mallone : Comment surmontez-vous à présent ces périodes de dépression ?
Il m'arrive d'être dépendante des gens. Je m'accroche à eux comme si je n'étais rien sans eux je les mets sur un piédestal et je suis toujours déçue.
Dr Mallone : Qu'attendez-vous des autres ?
Je ne sais pas.
Dr Mallone : Attendez-vous de la gentillesse, de la patience, de la loyauté ?
Peut-être un peu de tout ça.
Dr Mallone : Vous n'avez pas l'air d'être quelqu'un qui a besoin de beaucoup d'amis alors n'êtes-vous pas souvent déçue ?
Je suis d'une nature déçue. Beaucoup de choses me déçoivent mais les mensonges sont peut-être en tête de liste. Je me lève j'écris et dans les salons littéraires je vois d'autres auteurs être acclamés. Les gens passent devant mon stand me disent que c'est bien et vont voir à côté en comblant l'artiste de louange. J'ai du mal avec cette différence de comportement je me pose beaucoup de questions. Mon père m'a dit un jour de manière totalement cynique que j'étais excellente et talentueuse et donc qu'on n'en attendait pas moins de moi donc finalement le talent en devient presque banal et j'ai trop souvent cette impression. C'est comme si les gens ne voulaient pas reconnaître quelque chose en moi parce que je ne sais pas, c'est évident peut-être ? Dis comme ça c'est très prétentieux je m'en rends compte mais ce n'est pas du tout mon intention. Cette mesure différente me fait mal. Mon père n'est pas la personne la plus objective mais c'est la plus honnête et je sais que s'il l'a dit c'est qu'il le pense.
Dr Mallone : Vous vous sentez spéciale ?
Non, je me sens dans la moyenne.
Dr Mallone : Vous avez besoin de vous sentir supérieure aux autres ?
Vous savez je suis fière, je prétends que rien ne m'atteint et je joue les impertinentes parce que c'est plus facile d'amuser la galerie et de lever bien haut le menton plutôt que de reconnaître que je perds souvent confiance en moi, à l'intérieur je me noie et je dois me secourir seule.
Dr Mallone : Vous ne demandez pas l'aide de vos amis dans ses moments ?
Je devrais. Mais j'ai peur d'être déçue. Et puis si vous faites allusion à ma période de 2 ans qui correspond à ma tentative de suicide, j'étais seule. Ma mère travaillait énormément et avait une relation avec un homme. En somme j'étais seule la plupart du temps, je lisais, je regardais des séries, je n'allais même plus au collège et pour vous dire je suis quelqu'un de tellement discret qu'ils ont mis 8 mois à s'en rendre compte. Et là c'est comme si on mijotait dans un mauvais bouillon, au début on essaye de garder la tête hors de l'eau mais finalement on se laisse engloutir par toutes ses idées. Je crois qu'il n'y a rien de pire pour l'être humain que d'être totalement seul.
Dr Mallone : Vous avez peur d'être déçue de vous ou d'eux ?
Peut-être les deux.
Dr Mallone : À quelle période ressentez-vous le plus de doutes ?
L'hiver. Je suis une fille de la mer, de l'océan. J'ai besoin de soleil, de chaleur, d'eau. J'ai besoin de sentir la sensation réconfortante du soleil qui brule votre rétine, enveloppe votre peau et adoucit les maux. Un jour j'ai eu un épisode dépressif, un autre, j'habitais au bord de la mer, vers 17 h j'ai pris mon chien et j'ai marché. J'ai marché jusqu'à la plage puis j'ai juste longé le rivage. J'ai questionné l'éternité et quand j'ai accepté mon destin j'ai repris les terres et j'ai fait demi-tour. Je suis rentrée à 22 h chez moi et je suis juste allée me coucher. J'avais 16 ans pourtant je me souviens de ce jour comme si c'était hier. Je me revois marcher sur cette plage et tout ce qui demeure ce n'est pas mon état mental, mes questionnements intérieurs mais le bruit apaisant de l'océan. Je suis changeante, bousculante, emmerdante mais quand je regarde la mer c'est comme si tout s'envolait. Parce que peu importe votre état d'esprit, la tempête qui gronde en vous ou le silence de mort, quand vous vous confrontez à l'immensité de l'océan, seule la nature vous fait face dans son côté le plus immuable. L'océan sera toujours là jour après jour, les vagues seront toujours telles quelles, le sable infini et le bleu éternel. Ce constat m'apaise étrangement. C'est comme si une tornade observait une montagne et qu'elle s'inclinait devant.
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