Chapitre 4
Une semaine entière s'écoula, sans qu'Endou ne puisse une seule fois obtenir une conversation avec Gouenji. Le blond était doué pour disparaître dès que le cours se terminait, et pour ne revenir qu'au moment du prochain. Endou écumait tout le lycée pendant les pauses pour essayer de le trouver, mais en vain. Il se faisait sciemment éviter, sans même réellement savoir pourquoi. D'accord, il ne voulait peut-être pas créer des liens d'amitié avec les gens, mais les autres élèves de la classe arrivaient à lui parler et à échanger avec lui sans qu'il ne s'évapore. Ça ne durait jamais très longtemps, certainement car Gouenji mettait vite un terme à la discussion, mais au moins il y avait un semblant de discussion. Alors qu'Endou, lui, se heurtait à un véritable mur. Il était pourtant du genre sociable, à ne pas avoir de difficultés pour parler avec les gens et se faire des amis. Mais ici, c'était le boss final de tout ce qu'il avait pu connaître au cours de sa vie d'adolescent. C'était frustrant, il avait beau tout tenté, rien ne parvenait à réussir. Gouenji échappait encore et toujours à sa surveillance.
– Endou, tu es avec nous ou pas ?
Le jeune homme cligna des yeux et releva la tête, se rendant compte que tous les regards étaient tournés vers lui, à cette pause du midi.
– Désolé, vous disiez quoi ?
– Tu es vraiment ailleurs en ce moment, dis donc, soupira Kazemaru. On parle de ce weekend, c'est toujours bon pour toi ?
Endou, qui s'était encore une fois perdu dans ses réflexions, mis un peu de temps avant de raccorder le sujet de discussion dans son esprit. Qu'est ce qui était déjà prévu ce weekend ? Le blanc qu'il laissa pendant quelques instants devint très vite pesant, jusqu'à ce qu'il remette le doigt dessus.
– Ah oui ! Le weekend chez Kidou !
Il avait oublié avec tout ça. Lui et ses amis prévoyaient de se rendre chez Kidou pour y passer le weekend à s'entraîner dans son immense jardin, tout en se faisant plaisir avec un petit barbecue et des soirées pyjamas amusantes. Il attendait ce moment depuis plusieurs semaines déjà, mais dernièrement il n'arrivait plus à se focaliser sur rien, hormis le nouveau qui avait débarqué dans sa vie et dans son rêve trop réaliste pour être innocent.
– Je serais là, bien entendu, sourit-il. Je ne compte pas louper ça !
– Super, il faudrait voir si on ramène des trucs en plus.
– Normalement mon père a prévu ce qu'il faut, rassura Kidou, donc ne vous prenez pas la tête avec ça. Prenez simplement des affaires pour le weekend et pour dormir, ce sera amplement suffisant.
– Nickel !
Endou ne disait rien, mais il essayait de rester accroché à la conversation pour ne pas dériver une nouvelle fois. Son comportement des derniers jours commençait vraiment à interpeller certains, et il ne voulait pas se frotter à une horde de questions auxquelles il n'aurait pas de réponses. Lui-même en était fatigué d'avance.
Après le repas, il leur restait un peu de temps de pause, et Endou déclina l'invitation de rester avec ses amis. Il avait besoin d'être un peu seul pour faire le point dans sa tête et ne pas être dérangé. Il vit bien le regard suspect de Kidou, celui inquiet de Natsumi, mais ne changea pas d'avis. Il s'éloigna du centre du lycée pour trouver un endroit plus calme, ce n'était pourtant pas son genre d'agir ainsi. Mais il y avait plein de choses dernièrement qui ne lui ressemblaient pas, et pourtant qu'il faisait. Qu'est ce que tout ça voulait dire ? Il s'assit sur un banc, sans personne dessus, et ferma les yeux pour mieux s'y retrouver. Il sentait qu'une information lui échappait, quelque chose de crucial, pour mieux comprendre la situation. Ce serait sûrement plus facile d'approcher Gouenji s'il savait qui il était réellement, enfin il l'espérait en tout cas. Mais comment réussir à apprendre des choses sur lui ? Il n'était pas devin, ni très doué pour mener une enquête. Il n'arrivait déjà pas à le coincer pour reparler avec lui.
- Une seconde.
Il ouvrit les yeux et bondit sur ses pieds, il y avait une personne qui serait capable de lui fournir des réponses ! Celle qui savait quasiment tout sur les élèves de cet établissement, Natsumi ! Poussé par cette idée il quitta son lieu de tranquillité et partit en quête de la jeune femme pour lui poser quelques questions. Les cours allaient bientôt reprendre, donc ça ne lui laissait que peu de temps, mais il devait tenter le coup. Il retrouva très vite Natsumi avec son groupe d'amis, qui fut d'ailleurs surpris de le voir débouler alors même qu'il avait réclamé un peu de solitudes quelques minutes plus tôt.
- Natsumi ! J'ai besoin de tes grandes connaissances !
La jeune femme à la chevelure rousse cligna des yeux, un peu perdue. Et Endou aurait presque cru y lire une pointe d'anxiété, comme si elle craignait qu'il n'aborde un sujet sensible.
- Dit moi, je verrais si je peux t'aider.
- Super ! On peut en parler rien que tous les deux ? sourit-il.
Il ne voulait pas avoir cette discussion devant tout le monde, il peinait déjà à cacher ce qu'il avait vraiment dans la tête. De nouveau surprise, Natsumi prit un instant pour répondre à la positive, et accepta de le suivre un peu plus loin.
- C'est assez rare que tu demandes à me parler seul à seul, fit-elle remarquer. Quelque chose ne va pas ?
Endou s'assura qu'il n'y avait personne qui trainait dans le coin pour espionner et posa son regard sur elle. Elle était son plus grand espoir d'en savoir plus.
- Je me demandais si tu avais des informations sur le nouveau qui est arrivé en début de semaine.
Il n'y allait pas par quatre chemins et posa directement sa question, il savait que tourner autour du pot n'était pas son fort, et que ce serait une stratégie inutile avec l'intelligente Natsumi en face de lui. Natsumi qui se renfrogna dès qu'elle entendit sa question, tout en croisant ses bras devant elle.
- Pourquoi est-ce que tu veux en savoir plus sur lui ? Je te signale qu'il y a des informations que je ne peux pas révéler comme je veux, c'est du confidentiel.
- Mais il n'y en a pas que tu pourrais me dire alors ? demanda-t-il toujours avec espoir.
Elle le fixa un moment, avant de détourner le regard et soupirer, comme si elle était tiraillée. Apparemment, elle ne semblait pas encline à lui dire quoi que ce soit.
- Je te repose la question, pourquoi est-ce que tu veux en savoir plus sur lui ?
Ca ne serait pas facile de répondre, lui même ignorait le fondement de cette curiosité qui le poussait à quémander ces informations. C'était juste là, en lui, sans qu'il ne puisse y faire grand chose. Mais s'il lui disait ça, il allait très clairement passer pour un fou ou un pervers.
- Je suis juste un peu curieux, je voudrais arriver à le recruter dans le club, mais comme il semble m'éviter je voudrais mieux le connaître pour savoir comment m'y prendre.
Les yeux noisettes de Natsumi acceptèrent de nouveau de le regarder, et il sentit presque son cœur se faire percer par la tristesse qu'il y lisait. Elle savait très bien qu'il lui mentait, mais il ne pouvait se résoudre à lui dire la vérité.
- Désolé, les cours vont reprendre, je dois y aller.
- Hein ?
Elle ne lui laissa pas le temps de protester et le doubla pour retourner vers le bâtiment principal.
- Natsumi ! Attends !
Pourquoi ne voulait-elle rien lui dire ? Qu'est ce qui était à ce point secret pour lui cacher ? Et pourquoi semblait-elle autant souffrir alors qu'habituellement elle ne se départissait jamais de son sourire ? Encore des questions supplémentaires. Mais Natsumi ne se retourna pas et disparu dans la foule d'élèves alors même que l'horloge de reprise se déclenchait. Endou resta debout, seul, dans l'incompréhension la plus totale.
C'est le cœur lourd qu'il retourna en classe à son tour, ne voulant pas se retrouver avec une heure de retenue à cause de son retard, mais il ne savait pas quoi penser de cette situation. Était-ce lui qui n'allait pas bien ? Après tout, c'était terriblement étrange de chercher aussi désespérément à en savoir plus sur une personne. Surtout quand vous ne la connaissez que depuis quelques jours. Mais il l'avait vu dans son rêve et des choses étranges se passaient à chacune de leurs confrontations. Ca ne pouvait pas être anodin, il en était persuadé. Mais tout le monde autour de lui commençait à se poser des questions, le regard bizarrement, le questionner de temps en temps. Et il continuait de mentir, feindre que tout allait bien, que ce n'était qu'une fatigue passagère. Il ne mentait jamais, pourquoi maintenant le faisait-il ? Qu'est ce qui lui arrivait ? C'est comme s'il devenait une autre personne, avec bien plus de défauts et moins de joie de vivre. Il ne voulait pas changer comme ça, et pourtant il ne cessait de continuer à s'enfoncer. Et pourquoi ? Il ne savait même pas ! Ça lui donnait envie de hurler. Mais en plein milieu du cours de biologie, ce n'était pas la meilleure des idées.
A la fin de cette heure, il trouva enfin une idée viable pour réussir à coincer Gouenji, il prétexta un mal de ventre et une forte fatigue pour se rendre à l'infirmerie. Le professeur accepta et le laissa partir. Endou le remercia et sortit de la classe, sentant le regard lourd de Kidou dans son dos, pour aller à son poste d'observation, qui n'était ni plus ni moins que la sortie du lycée. Même s'il arrivait à s'esquiver rapidement dès la sonnerie, il devrait passer par ici en toute logique. Et quand ce serait le cas, Endou ne le laisserait pas filer. Pas cette fois.
Il patienta donc une longue heure, assis contre le muret de pierre, son sac en bandoulière sur lui pour ne pas risquer de l'oublier. Il voyait parfois les gens de passage lui jeter des coups d'œil, se disant qu'il ne devait pas être très sérieux à faire ainsi l'école buissonnière. Mais le joueur de foot n'y prêtait pas du tout attention, il guettait surtout la sonnerie finale du bâtiment, pour se tenir aux aguets et bondir sur ses pieds immédiatement. Et quand le son fatidique arriva enfin il ne perdit pas une seconde et se redressa d'un seul élan, le regard rivé vers la sortie. A peine une minute après la sonnerie, une ombre se profila et traversa le seuil, sa cible tant attendue.
- Cette fois, je te tiens !
Il bondit aussitôt pour lui couper la route en tendant ses bras sur le côté, comme s'il espérait faire barrage et l'empêcher de penser.
- Je me disais bien que c'était étrange que tu quittes ainsi le dernier cours.
Endou sourit face au blond, plutôt fier de sa stratégie basique pour le bloquer.
- Tu crois vraiment que je ne vais pas pouvoir partir parce que tu te tiens face à moi ? demanda-t-il avec un air blasé.
- Je veux surtout que tu arrêtes de m'éviter.
- Je n'ai pas envie de rejoindre ton club de foot, alors tu pourrais me laisser tranquille maintenant.
- Ça n'a rien à voir avec ça. Il y a bien trop de questions auxquelles tu dois répondre avant que je ne te laisse tranquille.
Gouenji ne dit rien, il ne feignit même pas la surprise, ce qui laissait penser à Endou qu'il détenait bien des informations intéressantes.
- C'est incroyable.
- Quoi donc ? Fit Endou sans comprendre.
Gouenji avança d'un pas, puis encore un autre, jusqu'à réduire la distance entre eux pour quelques centimètres à peine. Le brun sentit son corps se crisper, se refroidir. Son estomac se contracta comme si on était en train de l'écraser et qu'il cherchait vainement à fuir. Le regard sombre et rude du blond se planta dans le sien, et pour la seconde fois de son existence, Endou fut incapable de bouger. Pris d'en une entrave inviolable, pas un seul de ses muscles ne lui répondaient correctement, allant même jusqu'à l'empêcher de parler.
- C'est incroyable de voir à quel point tu ne sais rien du monde, ni de toi-même, Endou Mamoru. Tu penses vraiment que c'est juste en insistant comme un demeuré que tu vas obtenir ce que tu désires ? Tu penses que tout t'es dû car tu as eu la chance de naître avec une bénédiction des dieux ?
Endou ne saurait dire d'où venait la colère qui teintait de plus en plus la voix du blond, ni la fureur qui se dessinait dans son regard opaque. Mais il en oublia le fait qu'il était bloqué, le fait qu'il était totalement à sa merci.
– Tu ferais bien de redescendre sur terre et de te poser les bonnes questions. Alors, je le redis encore une fois, reste loin de moi si tu ne veux pas mal finir.
Il aurait bien répondu quelque chose, mais cette emprise autour de son corps ne s'estompait pas. Pourquoi se retrouvait-il aussi faible et démuni ? Alors même qu'il avait enfin la possibilité de répliquer !
– Regarde toi, incapable de bouger. Il est bien beau, l'Enfant de la Lumière béni par les dieux. Tu ne sais même pas faire usage de tes incroyables capacités. C'est pathétique.
Il cracha ces derniers mots avec dédain, le regard noir, et ça transperca Endou de plein fouet. Que pouvait-il répondre à ça pour se défendre ? Rien, rien du tout. Il le savait.
Les autres élèves commencèrent à arriver et Gouenji se recula, permettant à Endou de reprendre une bouffée d'air tout en retrouvant sa liberté de mouvements. Il eut à peine le temps de cligner des yeux que le blond avait disparu, encore une fois volatilisé. Le brun serra les poings et se mordit la lèvre inférieure de dégoût. Il n'avait rien pu faire, pas même en placer une pour se défendre ou essayer de comprendre quelque chose. Entièrement bloqué par une force inconnue, il n'avait été qu'un simple pantin que l'on fait jouer dans le creux de la main. Gouenji savait qui il était, il le méprisait, et en savait bien plus encore. Peut-être devait-il abandonner ? Laisser faire le temps et effacer les pensées qui affluaient en lui. S'il insistait encore, qui sait ce qui pourrait lui arriver ? Qui sait ce que le blond pourrait réellement lui faire ? Il reprit une faible inspiration et tourna les talons, il devait retourner chez lui au lieu de rester planté ici. Sinon il allait croiser le chemin de ses amis et les inquiéter. Il envoya un rapide message à Kidou pour l'informer de son absence à l'entraînement et qu'il préférait se reposer ce soir pour profiter du weekend en approche. Il ne voulait pas mentir encore une fois sur les raisons de son absence en classe.
Une fois chez lui, il se laissa tomber sur son matelas, épuisé par cette confrontation. A chaque fois c'était éprouvant, effrayant, mais il ne pouvait s'empêcher de vouloir recommencer. Il devait vraiment avoir un problème quelque part pour penser ainsi. Il amena la couette sur son visage et ne sortit de sa chambre qu'au moment où ses parents vinrent le chercher pour le dîner. Endou accepta de quitter son cocon, mais sentit au même moment son ventre se tordre de douleur. Douleur qui commençait à lui être familière. S'extirpant de sa chambre à toute vitesse, il fila aux toilettes, pour vomir encore une fois. Au début, il avait cru à des coïncidences, même lui pouvait deviner que ce n'était pas le cas. Les trois fois où il avait été malade correspondaient aux trois jours où il avait été en face à face avec Gouenji. Vu la manière dont le blond pouvait le bloquer rien qu'avec sa présence, ce ne serait pas étonnant qu'il puisse le rendre malade par la suite. Était-ce un signe supplémentaire pour lui dire d'arrêter son entêtement ? De retourner à sa vie normale sans prêter attention à cet inconnu qui s'y était immiscé contre son gré.
– Mamoru ? Est-ce que tout va bien ?
Il commençait à en avoir marre d'entendre toujours la même chose depuis une semaine, il perdait patience à se justifier et à mentir pour éviter qu'on ne le trouve bizarre.
- Je vais bien, j'ai sûrement trop mangé ce midi.
Il sortit de la cabine et adressa un sourire à sa mère, même si au fond de lui il n'en avait pas du tout envie. Il avait l'impression de plus en plus nette qu'il perdait son éclat, sa lumière.
- Ça ira pour manger ce soir ?
- Oui, ne t'en fais pas ! J'ai toujours faim pour tes petits plats !
Elle était déjà inquiète à cause du criminelle qui rodait dans les villes alentour, il ne voulait pas lui imposer un fardeau supplémentaire. Il feignit toute la soirée de se porter bien, parlant du week-end qu'il allait passer avec ses amis et du fait que ce serait marrant et que ce serait du foot encore et encore. Mais, au fond de lui, il n'avait même plus envie de se rendre à ce moment, pourtant si attendu quelque temps plus tôt.
Qui étais vraiment Gouenji Shuuya ? Pourquoi devenait-il si différent depuis son arrivée ? Pourquoi dans son rêve était-il là ? Pourquoi ?
Pourquoi ?
POURQUOI ?
C'est dans cet état d'esprit morose et peu enjoué qu'il alla faire ses affaires pour le lendemain, avant de se coucher. Au fond de lui, il espérait que tout ne soit qu'un rêve, et qu'en se réveillant au petit matin il aurait tout oublié. Sa vie redeviendrait joie, bonheur et foot, comme avant.
Si seulement tout était aussi simple.
Mais au réveil, rien n'avait changé. Il n'avait rien oublié. Mais au moins, il se sentait un peu mieux. Un tout petit peu. Peut-être que voir ses amis tout le weekend allait lui changer les idées, et qu'il pourrait de nouveau sincèrement sourire.
– Allez, allons-y.
Et il se leva.
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