Chapitre 25

Il était mort. Il l'avait sentit, la vie quitter son corps alors que son dernier souffle lui échappait et que tout se terminait. Il avait flotté dans une mer sombre, sans rien ressentir, les sens éteints. Vide de toutes émotions, la peur ne l'avait pas saisit au cœur, car plus rien n'existait. Il n'avait plus aucun souvenir, son esprit était vide, vide de tout.

Puis, une énergie foudroyante, des cris, des larmes. Sans comprendre ce qu'il se passait, une force inconnue l'avait arraché pour le remonter à la surface et lui montrer une dernière fois la lueur du jour. Il avait cligné les yeux, retrouvant ses sens, ses souvenirs, ses émotions. Il était revenu à la vie.

La suite s'est enchaînée à toute vitesse. Gouenji s'était évanoui, on leur avait sauté dessus, emmené à l'hôpital, examinés sous toutes les coutures. Ses parents pleuraient sans arrêt, parlant de miracle, de la bénédiction des dieux. Des personnes avaient même tentés de venir l'interviewer pour donner son ressenti, ce que ça faisait de revenir parmi les vivants, mais ils avaient été recalés par sa mère et les médecins. Des vidéos circulaient sur le web, que ce soit le avant et le après. Elles montraient à quel point Gouenji s'était battu pour stopper l'incendie, fermer la brèche, et surtout l'énergie qu'il avait déployée pour le sauver, lui, l'Enfant de la Lumière. Les commentaires allaient bon train, certains surpris de voir l'Enfant maudit agir ainsi, d'autres disaient que c'était pour se faire bien voir, et le dernier parti le soutenait avec vigueur. Et c'était ce côté qui prédominait, qui faisait le plus entendre sa voix. La majorité ne voyait qu'une chose : l'Enfant des Ténèbres avait sauvé celui de la Lumière.

Le doute s'installait, remettant en cause les paroles de Belze, les actions qu'il avait faites. Car les Anciens de la lumière furent pointés du doigts après cet accident, aucun d'eux n'ayant agit pour sauver la population, prenant la fuite pour préserver leur vie. L'histoire du Coeur des Ténèbres s'éventra, les journalistes se jetèrent sur eux comme des charognards, des spécialistes firent le lien entre les récents incidents et catastrophes survenus dernièrement et le Coeur. La population cria au scandale, à la manipulation, et face à la pression médiatique et sociale, ils n'eurent d'autres choix que de restituer le Cœur aux Anciens des Ténèbres pour qu'il retrouve sa place.

Tout était arrivé très vite, comme si quelques semaines avaient été balayées d'un mouvement de bras. Endou peinait encore à réaliser tout ce qui arrivait, il se tenait coupé des journalistes qui réclamaient encore et toujours des échanges, des témoignages, mais il refusait. Il ne serait même pas capable de tout expliquer tant il était perdu. Son corps avait changé, son pouvoir aussi. Il n'était plus l'Enfant de la Lumière béni par les dieux, il sentait le flux des ténèbres circuler dans ses veines, les marques sombres sur son corps palpiter dès qu'il faisait usage de son pouvoir, son esprit réfléchir de manière plus complexe. Gouenji lui avait offert la vie, mais en échange il avait perdu sa pureté. Mais ce n'était pas si grave, en réalité il se sentait soulagé, comme si désormais il pouvait clamer haut et fort qu'il était entier.

Gouenji n'avait pas rouvert les yeux depuis des semaines. Chaque jour, Endou venait le voir, dans cette chambre d'hôpital, lui parlait, lui tenait la main, l'enjoignant à revenir. Mais rien n'y faisait, même s'il respirait son esprit était ailleurs. L'énergie qu'il avait dépensée pour lui redonner vie était trop grande. Les Anciens des Ténèbres étaient venu le voir, pour essayer de le réveiller, mais rien ne fonctionna. Ils ne comprenaient pas non plus comment les marques étaient apparues sur Endou, ni comment expliquer le contact possible entre eux de manière aussi prolongée. Endou avait appris que les deux fois où ils avaient pu se toucher n'était pas un simple hasard. La première fois, Gouenji avait ressenti un bonheur tel qu'il n'avait plus été l'Enfant des Ténèbres pendant un court instant. La seconde, Endou avait été tant en colère et empli de rage qu'il en avait perdu son statut d'Enfant de la Lumière.

Une nouvelle fois, cela leur démontrait qu'il ne s'agissait que d'étiquettes collées sur leur front pour un destin flou. Cela ne voulait plus rien dire désormais. L'Enfant béni par les dieux n'existait plus, idem pour le maudit. Il n'y avait plus qu'Endou Mamoru et Gouenji Shuuya, rien de plus.

Finalement, ce fut une année entière qui s'écoula. Une année mouvementée, dans laquelle Endou dû se battre pour ne pas être englouti. Il fit face au regard des gens, au jugement, aux critiques de ceux qui continuait de haïr les Enfants des Ténèbres. Mais il ne se démonta pas et entra en guerre ouverte contre eux, rappelant que c'était l'un d'eux qui avait sauvé sa vie, au détriment de la sienne. Car un an après les faits, celui qui était encore dénigré résidait toujours dans un lit, les yeux clos. Il se battait chaque jour pour faire reconnaître les Enfants des Ténèbres, prouver à tous qu'ils n'étaient pas composés uniquement de danger public et de fous. Il était soutenu par Natsumi, Kidou, une partie de la population, son père.

La relation avec sa mère n'était pas forcément stable, mais elle ne s'opposa plus à lui sur ce sujet. Même si elle ne pourrait jamais faire confiance aux Enfants des Ténèbres, c'était Gouenji qui lui avait ramené son fils. Elle ne pourrait oublier ce fait. Elle laissait donc Endou mener son combat, sa vie, le destin qu'il avait choisi.

- Il commence à faire frais, tu devrais rentrer Mamoru.

Il souffla, un nuage s'échappant de sa bouche, alors que la neige tombait délicatement dans le jardin. Natsumi attendait sur le pas de la porte, une main posée sur un ventre proéminent.

- J'arrive, juste une seconde.

Dix ans.

Cela faisait dix ans aujourd'hui, une date marquée au fer rouge qu'il était incapable d'oublier. Dix années de combats, de dur labeur, de souffrances, de joies, de peines. Dix années où il avait attendu que son ami ouvre les yeux. Dix années où il s'était dit qu'il aurait voulu l'avoir à ses côtés pour tout ce qui est arrivé.

Il avait acheté une maison, il avait eu son diplôme, il était fiancé à Natsumi, il attendait un enfant. En désespoir de cause, il retardait le mariage, parce qu'il avait la sensation que ce serait perdre pour toujours cette amitié s'il se mariait sans l'avoir à ses côtés.

La neige crissa et Natsumi s'avança pour lui prendre délicatement la main, enroulant ses doigts chaud autour des siens froids.

- Que dirais-tu d'essayer maintenant ? Je suis sûr que tu en es capable, Mamoru.

Il hésita, pensif, mais au fond de lui il savait. C'était peut-être le bon moment pour tenter cette expérience. Néanmoins, une petite voix craintive résonnait en lui. Et si ça tournait mal ? S'il venait à disparaître, qui prendrait soin de Natsumi et de leur enfant à naître ? Il se sentait tiraillé, perdu entre deux flots, sans savoir vers quelle berge nager.

- J'ai confiance en toi, tu vas y arriver. Tu reviendras, et il reviendra.

- Et si ça ne marchait pas ? Si tout était un échec ?

- Tu ne peux pas savoir sans essayer. Mais depuis ce jour, tu n'es plus le même. Moi qui vis avec toi je le sais, je le sens, que tu n'es pas complet. Et tout l'amour que je pourrais te donner ne suffira jamais à combler le vide dans ton cœur qu'il a laissé. Tu dois le faire, pour toi.

Il sentit l'émotion le gagner, des larmes perler à ses paupières, alors que son cœur se serrait d'amour. Il la prit dans ses bras, enfouissant sa tête contre sa nuque. Il aurait été perdu sans elle et le soutien de Kidou, incapable de s'en sortir seul. C'était grâce à eux qu'il en était à aujourd'hui.

- Je vais le faire.

Le lendemain, il mit les pieds à l'hôpital. Il venait toujours régulièrement, sans faillir, payant les frais sans retard. Il avait vu son ami grandir dans le sommeil, alimenté par les machines, respirer calmement, mais pas vraiment vivant. Il entra dans la petite chambre, approcha du lit et s'assit sur le tabouret, la peluche Krokmou posée sur une table basse à sa gauche. Gouenji avait tout donné pour lui, jamais Endou ne serait capable de s'acquitter de cette immense dette. Le moins qu'il puisse faire, c'était de le ramener lui aussi, pour que de nouveau il ouvre les yeux et voit ce monde qui avait changé.

Dix ans, ce fut le temps nécessaire à Endou pour maîtriser pleinement son nouveau pouvoir, mélange de lumières et de ténèbres. Dix ans d'entraînement pour espérer rendre à Gouenji ce qu'il avait perdu. Ce fut long, mais les Anciens lui avaient déconseillé de tenter l'expérience plus tôt, craignant que ça ne les tue tous deux. Mais aujourd'hui il était prêt, son pouvoir dansait dans le creux de sa main avec facilité, n'attendant que son ordre pour agir.

Il prit une inspiration, une deuxième, une troisième, avant de saisir la main droite de son ami, la serrant entre les siennes. Il ferma les yeux, se vida la tête et appela son pouvoir à venir à lui. Il prit dans son énergie vitale et la transfera à Gouenji, comme ce dernier avait fait pour lui dix ans plus tôt. Il lui offrit sa lumière, sa vitalité, son pouvoir, en priant pour que cela suffise à le faire revenir parmi eux. Il avait envie de recroiser son regard, parler avec lui, le voir rire et sourire. Le voir heureux.

- Reviens nous, Shuuya.

Une lumière blanche les entoura, tel un cocon chaud répandant sa bonté et sa douceur sur eux. Il lui insuffla sa force, son énergie, pour l'extirper des bras de l'inconscience et le faire de nouveau marcher dans la lumière.

– Reviens moi.

Il se souvenait avoir entendu ces mots dans la pénombre, juste avant de respirer à nouveau et voir son ami. On lui avait rapporté qu'il avait hurlé ces mots avec désespoir, avant de tout donner à la mort.

Endou ne lâcha rien, abreuvant continuellement le corps de son ami avec sa vitalité, sa puissance, jusqu'à ce qu'il ne se mette à trembler, que ses yeux vacillent et que sa respiration se fasse lourde.

Non, il n'avait pas le droit de lâcher, Gouenji ne l'avait pas fait lui ! Il méritait de vivre ! Un sanglot lui échappa et il serra encore plus fort la main de son ami, pleurant à chaudes larmes. Même après tout ça il ne serait pas capable de l'aider ? Il allait rester impuissant jusqu'à la fin de sa vie ? Qu'il était beau, l'Enfant béni des dieux !

Il la sentit alors, la pression sur ses mains, des doigts tentant faiblement de lui rendre son étreinte. Son souffle se coupa et il leva la tête à travers ses larmes, avant de les voir, ces yeux sombres qui auraient été capable de le happer entièrement. Ceux dont il avait rêvés de les voir s'ouvrir de nouveau pendant dix longues années.

- Tu es là..., souffla Endou la gorge serrée. Enfin tu es là !

Il se jeta sur le lit pour serrer son ami entre ses bras, menaçant de le briser tant il était faible après dix ans sans bouger.

- Tu m'étouffes, murmura difficilement Gouenji.

- Pardon !

Endou se recula, incapable de sécher ses larmes, il avait réussi. Il avait ramené son ami ! A son tour, des arabesques blanches s'étaient doucement dessinées sur son corps, aux antipodes de celles qu'Endou arborait depuis une décennie désormais. Mais il n'en avait rien à faire, la joie comprimait son cœur et il n'arrivait pas à se persuader que tout était réel, que ce n'était pas un rêve, comme il avait pu en faire des centaines.

- Tu es bien grand dit donc, j'ai dû dormir un long moment...

- Tu ne crois pas si bien dire.

Il ne savait pas par où commencer, il y avait tant à dire, tant à faire. Il devait lui parler de Natsumi, qu'il allait être papa, qu'il avait attendu son réveil pour se marier et lui demander d'être témoin, que le pays avait changé. Que tout ce temps il avait milité pour les Enfants des Ténèbres et que petit à petit l'opinion changeait. Mais sans lui, rien n'aurait été possible, c'était son sacrifice qui avait permis à Endou de tout faire. La première fondation vers un monde plus juste, plus tolérant.

- Raconte moi alors, je pense que je ne suis pas à ça prêt maintenant. Vu mon état je ne risque pas de pouvoir aller bien loin de toute façon...

Endou sourit et il lui serra la main, ce contact chaud et doux dont ils avaient toujours été privé jusqu'à présent. Il la voyait, la lumière qui brillait dans le cœur de son ami. Lui aussi était apaisé, car son seul désir avait été de le sauver. Chacun avait partagé une partie de son pouvoir avec l'autre, les fusionnant, les privant de leur statut de béni ou de maudit, mais les rendant entier. Chacun ne faisait désormais plus qu'un.

- Accroche toi, j'ai plein de choses à dire ! sourit-il.

Et c'est ainsi qu'il se lança dans un long récit, où il relata les dernières années à son ami. La ville était couverte d'un manteau blanc et duveteux, la neige continuait de tomber par la fenêtre, alors qu'il était enfin de nouveau entier.

Il n'y aurait désormais que du bonheur.

Malgré les épreuves, le sourire serait toujours là.

Chacun mérite le bonheur, d'avancer et de connaître la paix.

Nul ne pourra jamais vraiment le confirmer, mais les générations futures diront que plus jamais d'Enfant de la Lumière béni par les dieux ne vit le jour, et que l'Enfant des Ténèbres maudis par les dieux, suivit son exemple, brisant la chaîne et les destins tracés en avance. Car chacun est maître de son avenir. Libre de choisir le chemin qu'il veut. Dire que l'on a pas le choix, c'est simplement renoncer à la voie la plus épineuse.

FIN

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