Chapitre 19
Le monde était effondré autour de lui, il ne voyait plus rien, hormis du noir. Son esprit était envahi par des pensées parasites, sombres, mauvaises, qui le dévoraient petit à petit sans qu'il ne puisse rien y faire.
Ce monde est injuste.
La vue de son ami dans cet état de faiblesse l'avait fracassé, anéantis. Il ne méritait pas ce qui lui arrivait. Il ne méritait pas un père aussi cruel.
Ce monde est cruel.
Il n'entendait même pas l'écho de son propre cri, comme si tout était muet, dans le silence. Il ne voyait ni Kidou, ni Natsumi, ni la pièce dans laquelle il s'était effondré à genoux.
Ce monde est répugnant.
Il ne voyait que lui, son corps recroquevillé comme un enfant craintif, attendant le prochain coup avec terreur. Il ne voyait que le sang, les marques de brutalités, la maltraitance.
Ce monde n'est que déchets.
Il ne sentait pas les larmes qui sillonnaient ses joues à n'en plus finir, ni ses ongles qui s'enfonçaient dans sa peau, ni la douleur et le sang qui en découlait lentement.
Ce monde doit brûler.
Il n'y avait que son impuissance, son incapacité à l'aider, à le serrer contre lui, à le rassurer, à lui dire que tout irait bien désormais. Il ne servait à rien.
Ce monde doit plonger dans le chaos.
Il était à deux doigts d'exploser, son pouvoir en lui s'agitait comme un animal sauvage cherchant à s'enfuir dans sa cage, comme s'il allait tout réduire en cendre si jamais il parvenait à sortir des barreaux qui le tenait enfermé avec force.
Ce monde doit disparaître.
– ENDOU !
Une vive douleur et une intense chaleur se propagèrent au niveau de sa joue gauche et sa tête entra en collision avec le sol, qui était froid comme la pierre alors même qu'il était recouvert d'un parquet souple. Il cligna des yeux, pendant plusieurs secondes, jusqu'à recouvrer lentement ses esprits et la perception du monde autour de lui. Il resta au sol, sans bouger, incapable d'esquisser le moindre geste le temps que tout ne serait pas revenu à sa place. Le voile noir s'évapora autour de lui, il vit le visage de Natsumi défiguré par l'inquiétude et la terreur, ses yeux brillaient d'une lueur comme il ne lui en avait jamais connu. Comme si elle avait peur de lui. Derrière, Kidou était en train de s'affaire à s'occuper de Gouenji, qui oscillait entre la conscience et le monde des ténèbres qui happait son être. Il le recouvrit d'une épaisse couette pour le réchauffer et le souleva doucement dans ses bras.
- Endou, reprends toi ! lâcha Natsumi d'une voix tremblante et confuse. Tu te rends compte de ce que tu dis ?
Ce qu'il disait ? Il n'avait rien dit. Il s'était contenté de hurler comme jamais auparavant, tout en pleurant de désespoir. Son visage incrédule figea encore plus Natsumi, qui ne savait plus quoi dire.
- Tu ne sais pas ce que tu as dit, souffla-t-elle.
Endou se redressa lentement, prenant appui sur ses mains pour retrouver un semblant d'équilibre, et passer ensuite debout.
- Désolé, je ne sais pas ce qui m'est arrivé, je ne pensais pas réagir comme ça.
Il disait vrai, au grand jamais il n'aurait cru se retrouver dans cet état, laminé et lacéré par le spectacle horrifiant de son ami battu. Même maintenant il peinait à garder son calme, les muscles tendus, crispés, les dents serrées et le regard froid. Il le sentait au plus profond de lui, que recroiser le père de Gouenji serait une très mauvaise chose vu son état actuel. La Lumière était bonne, joyeuse, heureuse, mais brûlante et faite pour anéantir les Ténèbres. Cet homme était un enfant des ténèbres bien pire que ce qu'il avait vu jusqu'à présent, un être vil et détestable qu'il ne pardonnerait jamais. C'était lui le vrai monstre dans cette maison.
- Endou, je sais que tu es bouleversé, intervint Kidou, mais il faut partir rapidement. Gouenji va avoir besoin de soins. Il faudrait l'emmener à l'hôpital.
- Surtout, répondit sèchement Endou. Ce serait le pire endroit pour lui, il va se réveiller et ressentir toutes les souffrances des malades présents dans le bâtiment. Il a besoin d'un endroit calme avec peu de monde.
- Qu'est ce que tu proposes alors ?
- On va chez moi.
Il se moquait de tout. Il n'avait aucune crainte que sa mère le voit, car sa seule priorité était de le sauver et lui apporter la chaleur qu'il méritait. Il n'irait à aucun autre endroit que sa chambre, rien ne le ferait changer d'avis. Kidou sembla hésiter, mais face au regard insistant d'Endou il accepta.
- Sortons vite d'ici alors.
Natsumi eu le réflexe de prendre quelques affaires dans la chambre qui pourrait servir, comme le portable de Gouenji, son sac de classe, des affaires de rechanges et de toilettes. S'il devait ne plus revenir ici, alors il aurait besoin d'un minimum de bagages avec lui. Puis ils quittèrent la maison, sans croiser le père, qui devait avoir compris que rester dans les parages n'était pas une excellente idée pour sa santé et survie. Du coin de l'œil, Endou vit une petite masse noire et reconnut la peluche Krokmou, que Gouenji avait gardé contre lui tout le weekend où il l'avait reçue. Il s'en empara et la fourra avec le reste des affaires.
– Je vais appeler un taxi, proposa Natsumi, ce sera plus rapide pour se déplacer.
– Il vaudrait mieux contacter une personne que l'on connaît, intervint Kidou. Si un chauffeur de taxi nous voit comme ça, il va se poser des questions, et on pourrait avoir des ennuis inutiles.
Natsumi se mordit nerveusement la lèvre et chercha un autre numéro dans son portable.
– Je vais faire venir le chauffeur de notre famille alors, il ne dira rien et ne posera pas de question.
Elle venait d'une famille aisée, rien de surprenant à ce que des employés de ce genre travaille pour elle, ce serait plus tranquille et moins invasif qu'un taxi.
Natsumi passa un coup de téléphone rapide, restant évasive dans les explications qu'elle donnait, pour finalement simplement ordonner qu'on vienne la chercher à une adresse précise. Au même moment, celui d'Endou sonna, et sans même y regarder il pouvait deviner de qui il s'agissait. Le lycée avait dû prévenir sa mère qu'il n'était pas en classe, et elle cherchait à le joindre pour savoir ce qu'il se passait. Il ne répondit pas, ce n'était pas le moment. Le téléphone sonna pendant quelques instants dans sa poche, avant de se taire et rester silencieux.
– Il va arriver bientôt, déclara Natsumi après avoir raccroché. Je lui ai demandé de se dépêcher.
– Merci Natsumi, souffla Endou qui lui était reconnaissant de tous les efforts qu'elle déployait.
De son côté, il n'arrivait pas à se calmer. La colère et la rage restaient vives et présentes dans son esprit, à deux doigts de le consumer une nouvelle fois s'il se relachait un court instant. Au long de sa vie, jamais il n'avait été confronté à une décharge d'émotion aussi puissante, capable de le submerger et faire disparaître qui il était vraiment tout au fond de l'abîme.
– Calme toi Endou, supplia Natsumi en lui adressant un regard presque apeuré. On dirait que tu vas exploser à la moindre étincelle.
– Peut-être car c'est vraiment le cas.
Il n'avait jamais ressentit ça, cette envie de faire du mal, de casser, de détruire. Oui, si le père de son ami avait été devant lui à cet instant, c'était certain qu'il lui aurait fait du mal. Il lui aurait rendu la monnaie de sa pièce, le frappant comme il frappait son fils, lui faisant perdre autant de sang et ressentir la douleur insondable qu'il infligeait chaque jour à son enfant. Il l'aurait mené en enfer sans sourciller.
- Endou, n'oublie pas qui tu es.
Natsumi lui attrapa les mains et les serra avec tendresse, Endou pouvait sentir qu'elle tremblait comme une feuille, secouée de partout par l'émotion qu'elle subissait aussi.
- C'est horrible ce qui arrive, je sais que ça te choque et te fais du mal, mais tu ne dois pas te laisser submerger par les ténèbres. Tu es l'Enfant de la Lumière, garde ça à l'esprit. Si tu sombre, qui sera là pour aider Gouenji à remonter la pente ? Qui l'aidera à aller mieux ? Si ta lumière meurt, la sienne suivra.
Endou ne disait rien, il savait qu'elle avait raison et que c'était pertinent. Pourtant ça ne suffisait pas à le calmer, loin de là. Il subissait une véritable tempête d'émotions qu'il parvenait difficilement à canaliser. Il sentait qu'il avait franchi comme un point de rupture, de non retour, dès le moment où le hurlement de détresse s'était échappé de sa gorge.
- Natsumi, c'est lui ton chauffeur ? demanda Kidou en voyant une voiture se garer sur le trottoir non loin d'eux.
- Oui, allons-y !
L'homme en costume impeccable sortit du véhicule et leur ouvrit la portière arrière sans poser la moindre question. Il faisait son travail, rien de plus. Ils s'engouffrèrent tous à l'intérieur, Endou jetant des coups d'œils anxieux à son ami qui ne montrait toujours pas de signes de réveils concrets. Il pouvait juste voir qu'il respirait grâce aux mouvements lents et réguliers de la couverture sur ses épaules.
Natsumi donna l'adresse de la maison d'Endou au chauffeur et celui-ci les y emmena immédiatement, prenant les chemins les plus rapides pour ne pas perdre de temps.
- On ne risque pas de tomber sur ta mère ? fit alors Kidou.
- Si, elle a dû retourner à la maison en panique en découvrant que je n'étais pas en classe.
- Ça ne t'inquiète pas ?
- Non.
Il se sentait prêt à tenir tête à sa mère comme jamais auparavant, et à quiconque se mettrait en travers de son chemin. Rien ne le ferait vaciller.
Ils arrivèrent devant sa maison après une dizaines de minutes de trajet et Natsumi remercia son chauffeur avant de sortir avec les garçons. La voiture de la mère d'Endou était bien là, ce qui lui confirma ce qu'il pensait. Il espérait qu'elle n'allait pas venir se mettre dans ses pattes. Prenant les devants, il poussa le portail pour avancer jusqu'à la porte d'entrée qu'il ouvrit précipitamment.
– Venez, vous savez où se trouve ma chambre.
– Mamoru ! Dieu merci tu vas bien !
Sa mère se jeta sur lieu telle une tornade et le serra dans ses bras avec toute la force qu'elle avait, les larmes aux yeux.
– J'ai cru qu'il t'était arrivé quelque chose quand j'ai su que tu n'étais pas en classe ! Mais qu'est ce que tu fais là bon sang ?
– Je n'ai pas le temps de t'expliquer maman, je dois aider un ami, c'est très urgent.
Le regard de sa mère glissa dans son dos et elle tomba sur Natsumi et Kidou, ainsi que celui que portait ce dernier dans ses bras. Endou la sentit se figer, son corps se crisper et sa respiration se couper pendant un court instant.
– Mamoru, ne me dis pas que...
– Maman, je n'ai pas le temps, fit-il sèchement. Pousse toi s'il te plait.
Elle tressaillit face au ton qu'employa son fils face à elle et recula de manière instinctive, le regard flou et perdu. Kidou et Natsumi en profitèrent pour se faufiler et se rendre à l'étage, jusqu'à la chambre du garçon, où ils allaient pouvoir déposer Gouenji pour tenter de le soigner. Dans la voiture, Natsumi avait proposé de faire venir un médecin à domicile, ce serait plus efficace et il saurait mieux comment s'y prendre pour que Gouenji s'en remette vite. Endou avait accepté l'idée et les laissa faire, de toute façon à part regarder il ne pouvait être d'aucune utilité.
– Mamoru, c'est l'Enfant des Ténèbres, n'est ce pas ? souffla sa mère.
– Et alors ? Ça te répugne qu'il pose les pieds dans la maison ?
– Tu sais très bien ce que j'en pense, je te l'ai déjà dit.
– Je sais. Ça ne m'a pas empêché de devenir ami avec lui, de m'entraîner avec lui pour contrôler mes pouvoirs, ni de passer des moments extraordinaires en sa compagnie. Tu es comme tous les autres, tu le juges sans rien savoir, sans même essayer de sortir de ta vision étriqués et stupides.
– Mamoru ! s'offusqua sa mère.
– Quoi ? Tu vas me faire encore une fois la morale ? Me dire que ce n'est pas bien ? Que c'est dangereux pour moi ?
Un ricanement qu'il ne se connaissait pas lui échappa, ce qui effraya sa mère une nouvelle fois. Il ne s'était jamais vu ainsi.
– Ce ne serait pas plutôt dangereux pour les autres ? Ça doit faire peur aux Anciens, que les deux êtres les plus puissants s'allient. Après tout, c'est mieux de les combattre à mort et de se détester. Ça réduit le risque que la société actuelle ne s'effondre.
– Mamoru, ce n'est pas...
– Tu as vu son état, non ? Il a été battu par son père, à coup de poings, de pieds, d'objets tranchants, laissé seul dans une chambre vide et noire pour un crime qu'il n'a jamais demandé à commettre. Il ne cesse d'osciller entre le désespoir et l'espoir, refusant de croire qu'il mérite de vivre. Il passe son temps à percevoir les parties les plus sombres de chaque personne autour de lui, car tel est son fardeau. Il doit supporter les préjugés des gens comme toi, pourris, aveugle, incapable de regarder le monde par autre chose que l'œillère imposé par le système. Il subit chaque jour la peur, la terreur, le chaos, et pourtant malgré tout ça, il a réussi à devenir une personne gentille, douce, qui pense aux autres avant lui même. Il a gardé les ténèbres tout au fond de son cœur pour qu'elles ne débordent pas dans ce monde et n'anéantissent pas tout. Il vous protège depuis des années, et tout ce que vous savez faire c'est lui cracher dessus et le dénigrer !
Il lança un regard froid et distant à sa mère, alors que jamais il n'aurait cru en être capable. Jamais le doux et gentil Endou Mamoru n'aurait décoché une telle œillade à sa famille ou à quiconque. Mais ce Endou était mort dès l'instant où il avait pénétré cette chambre morbide et glaciale.
– Ne te mêle plus de mes affaires, sauf si c'est pour essayer de changer ta vision merdique du monde.
Elle resta sans voix, les mains devant sa bouche pour étouffer ses sanglots alors que les larmes coulaient à flots sur ses joues. Insensible, Endou tourna les talons et gravit les marches pour rejoindre l'étage, alors qu'il entendit les genoux de sa mère entrer en contact avec le sol.
Pas de remords. Il n'en ressentait aucun.
Un regret, celui de ne pas avoir pu venir en aide plus efficacement à son ami, et l'avoir laissé seul dans cette souffrance.
Il arriva à sa chambre, Natsumi lui annonça qu'elle avait fait mander un médecin en urgence et qu'il ne tarderait pas à arriver. Gouenji avait été allongé sur son lit et Kidou désinfectait les plaies visibles du mieux qu'il pouvait, mais il ne savait pas si le blond avait des os cassés donc il n'osait pas trop le bouger n'importe comment.
– Ça a été avec ta mère ? couina Natsumi.
– Non, comme d'habitude. Mais je pense avoir été assez clair.
Kidou et elle se lancèrent un regard anxieux, ni l'un ni l'autre ne comprenait ce qui arrivait à leur ami. C'est comme s'il avait subi un changement radical et que la lumière en lui avait été avalée par quelque chose de plus grand et puissant.
– Reste avec lui, proposa Kidou. Même si tu ne peux pas avoir de contact, ta présence devrait l'aider je pense.
Endou ne dit rien et s'assit au sol, à côté de Gouenji qui était toujours inconscient, les yeux clos, le visage pâle. Il ferma les yeux, se maudissant de son impuissance, de sa faiblesse. Il aurait dû changer les choses, faire en sorte que Gouenji n'ai plus besoin de retourner chez lui. Il aurait dû lui offrir un toit, un foyer, mais sa mère avait empêché tout ça. C'était de sa faute aussi, elle qui restait cloitrée dans sa peur et ne faisait pas d'effort pour le comprendre. Sans elle, les choses auraient été différentes. S'il n'y avait eu que son père, rien de tout cela ne serait arrivé. Gouenji irait bien, il lui offrirait un nouveau sourire, découvrirait le bonheur d'un foyer chaleureux et aimant. Le plaisir de regarder la télé sereinement, déguster un dîner préparé avec amour, prendre une douche chaude pour se lover dans des draps propres et doux. Une vie simple, sans prise de tête, sans le regret d'être venu au monde. Il le méritait amplement après tout ce qu'il avait enduré.
Il entendit Natsumi et Kidou se lever discrètement de la pièce et sortir, certainement pour attendre le médecin et les laisser un peu tranquille.
– Si seulement il n'y avait pas cette malédiction entre nous...
Jamais il n'avait autant hais cette répulsion qui existait entre eux, ça ne faisait qu'alimenter la colère qui bouillonnait en lui comme de la lave en fusion prête à entrer en éruption.
Lentement, il sentit la fatigue l'envelopper et le saisir. Maintenant qu'il était posé, elle tombait sur lui, rappel de sa dernière nuit qui n'avait pas été reposante. Sûrement avait-elle même été un prémice du cauchemar que Gouenji vivait en même temps. Il voulait le soutenir, l'aider, lui faire comprendre qu'il était là. Alors, malgré tout, alors que son esprit en colère dérivait vers le domaine de morphée, il leva sa main et enroula ses doigts autour de ceux du blond.
Il ne se passa rien, pas de choc, pas d'onde qui le repousse. Endou la serra plus fort, des larmes revenant inonder ses joues. Il voulait lui donner toute sa chaleur, tout son bonheur, tout son amour, pour qu'il se réveille dans un monde bienheureux et empli de bonnes intentions. Il s'endormit, la tête appuyé contre le lit, la main toujours serré autour de celle de son ami.
"Je suis là. Tu n'es pas tout seul. Je ne t'abandonnerais jamais. Même si je dois devenir un monstre à mon tour pour te soutenir."
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