Chapitre 10
La pause du midi arriva, Endou était mort de faim, son ventre grognait depuis presque une heure. Il avait hâte de se rendre au réfectoire pour se remplir la panse, mais il se fit alpaguer par Natsumi juste à la sortie de sa salle de classe.
– Natsumi ? lâcha-t-il surpris.
Il était ravi de voir qu'elle allait bien, même si des cernes entouraient ses yeux noisettes d'ordinaire si vifs et énergiques et qu'elle était plus pâle que d'ordinaire. Elle portait aussi une écharpe malgré la douceur du temps, certainement pour masquer les marques que son agresseur avait dû lui laisser autour du cou, en la tenant fermement.
– Je suis content que tu ailles bien, sourit-il doucement. Je n'avais pas de tes nouvelles depuis ce qui est arrivé.
– Tu n'as pas vraiment cherché à en prendre aussi.
Il ne s'attendait pas à une réponse aussi sèche. Il était vrai qu'il ne lui avait pas envoyé de messages, mais lui-même avait été confronté à d'autres questions et soucis qui l'avaient pas mal retourné. Mais il garda ça pour lui, ne voulant pas l'énerver encore plus, ni provoquer un conflit stérile.
– Désolé, disons que j'avais la tête bien prise par autre chose.
– Ou par quelqu'un.
Encore une pique gratuite, qu'est ce qu'il avait fait de mal pour se prendre ça ? Bon, peut-être qu'il avait un peu menti ces derniers temps et pris moins de temps avec ses amis, mais quand même. Il ne méritait pas ça, enfin pour lui.
– Je peux faire quelque chose pour toi ? Je prévoyais de partir manger sinon.
Non loin de lui, à quelques mètres pour lui laisser de l'espace, Gouenji et Kidou attendaient qu'il se libère. Il sentit très clairement l'anxiété du blond, sûrement car il ne devait pas voir des choses rassurantes dans l'esprit de Natsumi.
– Je voudrais te parler, en privé, fit-elle sur un ton assez sec.
– Ah.
Pourquoi avait-il le pressentiment que ça n'allait pas être une conversation sympathique ? En plus, avec l'estomac vide, il réfléchissait beaucoup moins bien., déjà qu'en temps normal il n'était pas la plus rapide des flèches.
– Ça ne peut pas attendre après le repas ? tenta-t-il.
Le regard de Natsumi lui fit rapidement comprendre qu'il en était hors de question, c'était maintenant et pas à un autre moment. Il déglutit et se tourna vers ses deux amis, leur faisant un signe pour qu'ils partent devant sans chercher à l'attendre. Kidou opina de la tête et ne posa pas de questions, c'était inutile. Il entraina Gouenji à sa suite, et Endou vit ça comme une opportunité pour qu'ils discutent tranquillement à deux et apprennent à mieux se connaître.
– Je te suis, fit-il à Natsumi une fois le message transmis.
Elle tourna les talons et, sans un mot, se dirigea vers une salle de réunion qui était complètement déserte. Endou se demandait bien ce qu'elle allait lui dire, même s'il avait une petite idée sur le sujet principal de cette entrevue. Il prit place sur une table, espérant malgré tout que ça ne lui prendrait pas toute sa pause et qu'il pourrait vite aller manger.
– Alors, de quoi tu voulais me parler pour que ce soit aussi urgent ?
– Je pense que tu en as déjà une petite idée.
Encore une pique froide, il commençait à être un peu agacé par ce comportement, mais il ne dit rien et pris sur lui.
– Si tu veux me parler de Gouenji, je pense que ça va vite déboucher sur une voie sans issue.
– Et pourquoi ça ? Je veux juste te mettre en garde, Endou !
Il soupira et passa une main sur son bandeau orange, épuisé que tout le monde cherche à lui dicter le comportement qu'il devait adopter, les choix à prendre, etc. Il faisait bien ce qu'il voulait après tout.
– S'il voulait me faire du mal, ce serait fait depuis un moment. Il a clairement une meilleure maîtrise de ses pouvoirs que moi. Et puis, il n'aurait eu qu'à attendre que ce type me fasse la peau et ça aurait été réglé.
– Il cherche à gagner ta confiance, te tuer ne lui apportera rien, mais il pourrait se servir de toi et de tes pouvoirs. S'il t'a dans la poche ou alors qu'il te blesse, il pourra provoquer du chaos sans que tu ne puisses le stopper !
Il ne dit rien, les paroles de Natsumi lui passant au-dessus de la tête, c'est comme s'il n'entendait rien.
– Tu savais déjà qui il était, dès le début, n'est ce pas ? Tu as voulu me mettre en garde dès son arrivée. Je me trompe ?
Elle confirma d'un mouvement de tête, le regard sérieux.
– Oui, mais tu ne m'as jamais laissé le temps de vraiment finir. Tu étais trop ailleurs pour prendre la patience de m'écouter. Alors, je le fais maintenant ! Tu ne dois pas le fréquenter Endou, ça va te faire du mal, te rendre malade, te changer !
– Tu ne m'apprends rien.
Elle ouvrit la bouche pour continuer, mais la referma aussitôt, surprise. Dans ses yeux on lisait l'incrédulité et l'incompréhension : pourquoi le faire si tu es déjà au courant ? Voilà ce qu'Endou voyait sur son visage.
– Natsumi, tu n'es pas la première à me faire ce dialogue, ni la dernière j'imagine. Mais je voudrais qu'on me laisse tranquille, maître de mes choix et de mon destin.
– Tu ne sais pas qui il est réellement, ni ce qu'il a déjà fait !
– C'est vrai, je ne sais quasiment rien de lui. Je sais juste qu'il a beaucoup souffert, et je voudrais lui offrir un peu de bonheur et de joie dans ce monde qui le déteste.
– Endou, tu-
– Ça suffit.
Il se leva du bureau, sa patience avait atteint sa limite. Il se doutait que c'était l'influence des Ténèbres de Gouenji qui le faisait réagir comme ça, plus durement qu'il ne l'était naturellement. Mais ça ne le dérangeait pas, car il se rendait compte qu'il avait toujours été trop gentil, trop bonne pâte, et que les gens s'en servaient parfois contre lui ou pour obtenir ce qu'ils voulaient. Maintenant, il avait la possibilité de se défendre un peu plus, d'être égoïste et de penser uniquement à lui. C'était un sentiment étrange, mais ça ne lui déplaisait pas tant que ça.
- Je vais continuer à être son ami, que tu le veuilles ou non. Et je vais tout faire pour que les gens se rendent compte qu'ils se trompent sur lui. N'essaye pas de m'en empêcher, sinon ça risque de mal se passer.
Natsumi recula d'un pas, ahuri par les propos d'Endou. Lui qui avait toujours été si doux, si gentil, voilà qu'il inspirait presque de la peur à la jeune femme. Il ne voulait pas lui faire le moindre mal, mais si elle persistait il couperait les ponts avec elle, même si cette décision faisait vibrer son cœur de douleur rien que d'y penser.
- C'est à toi de voir, si tu t'enlises dans ton ignorance, ou si comme Kidou tu essayes de faire un pas en avant pour affronter cet inconnu qui te terrifie tant que ça.
Il avança vers la porte et posa une main sur la poignée, il ne tremblait pas le moins du monde alors qu'il prononçait des paroles aussi fermes envers une personne qui lui était cher.
– Endou, je t'assure que c'est une mauvaise idée, crois moi, souffla-t-elle aux bords des larmes. Il...il a déjà fait des choses terribles dans le passé, et ça peut recommencer à tout moment ! Les Enfants des Ténèbres sont instables, tu l'as vu en action par toi-même.
– Ne mets pas tout le monde dans le même panier, ça n'a aucun sens. Cette discussion est terminée.
Il ne voulait plus rien entendre, elle nageait dans la peur, et ça n'apporterait rien de bon de l'écouter plus longtemps.
– Il a tué sa propre mère, laissa-t-elle alors échapper comme une bombe.
Endou se stoppa dans son mouvement de sortie, il ne s'était pas attendu à une telle révélation, et il hésita un court instant. Puis il ferma les yeux et prit une grande inspiration, même si c'était la vérité il ne voulait pas rester ici.
– Si c'est vrai, ce n'était pas à toi de me le dire.
Puis il quitta les lieux, malgré les efforts de Natsumi pour le retenir. Il ne se retourna pas une seule fois et prit la direction du réfectoire.
Une fois loin de Natsumi il s'adossa contre un mur et prit une grande inspiration, perdant son visage ferme et inflexible, remplacé par le doute et la culpabilité. Il ne savait pas quoi penser, la dernière révélation de Natsumi l'avait ébranlé, même s'il avait fait en sorte de transmettre l'inverse. Gouenji aurait-il vraiment tué sa mère ? Comment Natsumi pouvait-elle avoir cette information ? Qu'est ce qui était la vérité ?
– Arrête de ruminer, se marmonna-t-il.
Il ne trouverait aucune réponse ainsi, il n'y avait que Gouenji qui détenait la réponse, et le blond verrait très vite que quelque chose n'allait pas. Comment rester stoique face à une révélation aussi grosse ? Endou n'en serait pas capable, il le savait pertinement. Devrait-il poser directement la question à Gouenji, sous risque de le braquer ou le faire fuir une nouvelle fois ?
– Rah, c'est chiant !
Il se redressa et partit à l'entrée du réfectoire, il ne devait plus y penser, ce n'était pas son genre de tourner en rond pendant des heures. Il prit plateau, repas et retrouva Kidou et Gouenji dans un coin du réfectoire, ce dernier avait la tête entre ses bras, sûrement à cause du vacarme qui les entouraient. Mais Kidou semblait lui parler, donc il devait bien lui répondre malgré ça.
– Te revoilà, fit Kidou alors qu'il prenait place face à eux.
Gouenji redressa la tête et fronça instantanément les sourcils, mais ne fit aucune remarque.
– Ça c'est mal passé ? devina Kidou.
– Je te le fais pas dire, j'ai eu droit au même refrain qu'avec toi et ma mère. Ca me fatigue un peu.
– Mais c'est loin d'être terminé tu sais.
Kidou avait raison, il le savait, et ça l'accablait encore plus. Mais bon, il ne pouvait rien y faire. Il essaya de manger, mais tout son appétit s'était envolé, il ne termina même pas son entrée, le ventre noué.
- Qu'est ce qui te tracasse à ce point ? demanda alors Gouenji. Et n'essaye pas de mentir.
Bon, il n'y allait pas par quatre chemins, ça devait le fatiguer lui aussi de sentir les pensées noires tournoyer en face. Endou ne prit aucune pincette, il voulait juste avoir une réponse et se débarrasser de ce sujet pesant que Natsumi avait bombardé sur lui.
- Est-ce que c'est vrai que tu as tué ta mère ?
Le silence tomba, lourd, oppressant, et le visage du blond devint encore plus livide qu'il ne l'était au naturel. Endou se prépara à se lever si jamais il venait à quitter les lieux, mais ce ne fut pas le cas. Gouenji resta assis, sous le regard choqué de Kidou qui ne savait que dire.
- C'est vrai, avoua-t-il alors. C'était un accident, mais je l'ai tué.
Endou sentit un poids s'envoler de ses épaules, si c'était un accident c'était une portée moins grave que sur préméditation.
– Tu avais quel âge ? Enfin, si ce n'est pas indiscret, demanda Kidou.
– Cinq ans.
Gouenji se redressa, il avait repris un peu d'aplomb, et semblait en parler plus facilement qu'Endou ne l'aurait cru.
– Honnêtement, je n'ai presque aucun souvenir de ce qui est arrivé. Je sais juste que mes pouvoirs avaient tendance à s'emballer sans que je n'arrive à les contrôler, et un jour ça a tué ma mère.
– Je suis désolé, marmonna Endou qui s'en voulait d'avoir lancé le sujet.
– Ne t'en fais pas, tu aurais bien fini par le découvrir à un moment de toute façon. Et je ne m'en souviens pas vraiment, je sais juste qu'elle s'est précipitée vers moi, avant de s'écrouler juste après, en sang, et elle est morte dans les secondes qui ont suivis.
– Tu ne sais donc pas comment tu as vraiment fait ça ? S'étonna Kidou.
Gouenji secoua la tête, le visage triste et emprunt de culpabilité.
– Non, en règle générale mes capacités ne faisaient pas de mal physique à mon entourage, c'était surtout psychologique. Je n'ai appris à user d'attaques physiques que bien plus tard, mais je suppose que cette fois-là était différente.
Kidou ne disait rien, mais il semblait sceptique, comme si cette version ne lui convenait pas.
– Tu ne me crois pas ? fit Gouenji en plissant les yeux.
– Non, je te crois, il n'y a pas de soucis. Mais cette histoire me parait bancale. Mais tu n'avais que cinq ans, je suppose que c'est pour ça.
Il se tourna ensuite vers Endou.
– C'est Natsumi qui t'a dit ça ? Pour essayer de t'éloigner de Gouenji ?
– Oui, je suppose que c'était son but. Comme elle voyait que je refusais de l'écouter, elle m'a balancé ça en espérant que ça me fasse fuir.
Gouenji serra légèrement les poings, et Endou comprenait son énervement. Qu'une personne divulgue ainsi des informations aussi personnelles ne faisait jamais plaisir à qui que ce soit.
- Mais c'est loin de suffir pour me faire partir, je suis têtu ! Et puis, à cinq ans tu ne pouvais pas contrôler tes pouvoirs, ni même désirer la mort de ta mère.
- Elle était la seule personne à prendre soin de moi, et à m'aimer sincèrement, je ne vois pas pourquoi j'aurais voulu la tuer. Si j'ai un jour eu un peu de bonheur dans ma vie, c'était pendant les années où elle s'occupait de moi...
Sa voix mourut dans sa gorge et il baissa la tête pour revenir la cacher entre ses bras. Endou avait la sensation qu'il allait pleurer, donc ne le forca pas à bouger. C'était difficile pour lui de se remémorer ça. Devoir assumer la mort de son parent aimant était une tâche terrible qui le suivrait à jamais.
Suite à ça, Kidou changea pour un sujet plus joyeux et léger, afin de penser à autre chose et ne pas laisser Gouenji déprimer. Bien sûr, c'était quelque chose de grave, mais ni Endi ni Kidou ne pouvaient juger les actes d'un enfant de cinq ans, n'importe qui pouvait voir son pouvoir s'emballer, pas uniquement les Enfants des Ténèbres. Ce n'était qu'un tragique incident, qui ferait éternellement souffrir Gouenji, il n'y avait pas besoin de retourner le couteau dans la plaie.
– Ça vous dirait de faire une sortie ce weekend ? proposa alors Endou après le repas.
– Une sortie ? De quoi tu parles ? fit Gouenji sceptique.
- Eh bien, c'est passer du bon temps avec des amis. On peut sortir en ville, aller dans des salles d'arcades, au cinéma, aux attractions de la fête foraine, se promener sur des chemins de campagnes, bref plein de choses sympa !
- Moi je suis partant, sourit Kidou. Du soleil est prévu en plus, ça va être agréable. Et toi ?
Ils se tournèrent vers Gouenji, un peu pris au dépourvu par cette proposition. Manifestement, il ne savait pas comment réagir. Il n'avait pas dû en faire beaucoup des sorties entre amis, voire pas du tout.
- Eh bien, je ne sais pas moi, je n'y connais rien.
- Si tu es libre ce weekend, tu dois dire oui ! affirma Endou. De toute façon, je n'accepte aucune autre réponse.
- Je suppose que je peux voir à me libérer, même si ça risque de ne pas plaire à certains.
- On s'en fiche ! Tu viens !
Endou insista tellement que Gouenji n'eut guère le choix, mais il lui confirmerait plus tard, après s'être assuré de sa disponibilité pour ce weekend. Très satisfait, Endou réfléchissait déjà à ce qu'ils allaient pouvoir faire, mais il avait une multitude d'idées, donc ça irait. Il priait juste pour ne pas croiser un donneur de morale numéro quatre, sinon il allait vraiment commencer à s'énerver.
A la fin de journée il salua Gouenji qui rentrait, tandis que lui allait à son entraînement de foot avec Kidou. Il se doutait que les autres allaient lui tomber dessus, le harceler de questions, lui faire la morale, mais il prévoyait de vite couper court à toute discussion pour se concentrer uniquement sur le foot. Il ne voulait pas que sa passion soit gâché par la mauvaise humeur de ses amis.
Mais, à sa grande surprise, personne ne le harcela, tout le monde était content de se revoir, et ceux encore un peu blessés venaient quand même pour encourager les autres depuis le banc de touche. Endou était rassuré, tout le monde semblait en forme, l'attaque n'avait pas fait des blessés graves.
- Bien, et si on jouait au foot maintenant ? sourit-il une fois en tenue.
- Ouais !
Ses amis partirent avec lui sur le terrain, et pour une soirée il se vida totalement la tête, ne pensant plus à rien si ce n'était son sport favori. Un jour, il ferait venir Gouenji ici, mais il devait agir pas après pas. Un jour, il atteindrait son objectif, et il serait à ce moment-là le plus heureux des Enfants de Lumière. Mais en attendant, il profitait de cette soirée, sans même se rendre compte de l'absence de Natsumi, ou de quelques regards un peu perdus des autres manageuses. Il était sur son terrain, avec le ballon, c'est tout ce qui comptait.
Le soir, il rentra chez lui l'esprit apaisé, sifflotant tranquillement malgré sa fatigue et ses courbatures naissantes.
- Je suis rentré !
Il retira ses chaussures et remarqua l'absence de sa mère, allait-elle rentrer plus tard aujourd'hui ?
- Te voilà Mamoru, le salua son père. Ta mère a eu un empêchement avec le travail, elle arrivera d'ici une petite heure normalement. D'ici là, est-ce que tu voudrais que l'on discute un peu ?
Endou afficha un immense sourire, car c'était ce qu'il voulait depuis des jours, discuter posément avec son père.
- Oui, avec plaisir, papa !
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